Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/07/2007

"Business Beach" (les grands cabinets américains à l'assaut du marché français)

Les uns veulent en découdre, les autres usent de moyens plus feutrés. Il n'empêche : les cabinets d'avocats américains commencent à déferler sur Paris à la faveur de l'ouverture des frontières du conseil juridique en Europe. Et en profitent pour brûler la politesse aux Britanniques, pourtant bien représentés en France depuis une dizaine d'années.

A l'origine de ce boom, le développement du droit des affaires en parallèle aux vagues successives de fusions-acquisitions en Europe qui représentaient, pour le premier semestre 2007, selon le New York Times, près de 1400 milliards de dollars, à comparer à environ 1600 pour l'ensemble de l'année 2006... Parmi les firmes américaines les plus présentes sur ce nouveau marché, on compte notamment Sullivan & Cromwell, et Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom.

Ces incursions ne vont pas sans susciter quelques tensions parmi les cabinets européens auxquels les Américains, "avec leurs poches pleines et leurs plans agressifs" écrit John Tagliabue, proposent fusions, ou rachats. Alarmé par le rapport d'un économiste d'Harvard, Andrei Schleifer, le gouvernement français avait même organisé, il y a trois ans de cela, une série de discussions avec Washington sur la valeur du code napoléonien. L'initiative n'a guère ralenti le recours croissant à l'anglais, et au droit coutumier, comme instruments courants du droit des affaires.

Quant à savoir ce qu'il en adviendra au juste de l'industrie juridique en Europe, les hypothèses restent ouvertes. "Il y a des montagnes d'argent et de la matière grise à revendre dans le secteur" souligne un observateur de Deloitte à Londres. Certains pays comme la Grande-Bretagne encouragent le mouvement, d'autres, comme l'Allemagne, sont plus réticents.

Les mouvements en cours transcendant pourtant les frontières. Ainsi, quand Mayer Brown & Platt, un cabinet de Chicago, fusionne avec le cabinet britannique Rowe & Matt, c'est l'ensemble du marché européen qu'il s'ouvre dans la mesure où Rowe venait d'acquérir Lambert & Lee à Paris et Gaerdertz à Francfort. Paul Hastings (San Francisco) s'est également ouvert les portes du marché français avec le rachat de Moquet, Borde & Associés.

Certaines structures américaines s'appuient sur une croissance organique comme Davis Polk (New York) qui développe depuis les années 80 le nombre de ses avocats parisiens, pour la plupart américains. Les effectifs ont par la suite diminué, mais recommencent aujourd'hui à augmenter, en favorisant cette fois davantage les recrutements français. "C'est un gros marché, un marché mondial - et il y a des firmes mondiales ici" souligne Margaret Tahyar, Partner chez Davis Polk.

D'autres encore préfèrent développer des partenariats respectant davantage la liberté des intervenants, comme Bredin Prat et Slaughter & May. Ces partenariat s'insèrent le plus souvent dans des réseaux européens. Bredin Prat, conseil du projet d'acquisition par Danone du néerlandais Royal Numico - une opération de 17 milliards -, s'est ainsi appuyé sur un cabinet ami dans ce pays, Brauw Blackstone Westbroek.

Si la concentration d'avocats américains et britanniques est en France la plus élevée d'Europe, les cabinets français n'en continuent pas moins de préférer des avocats français pour les affaires s'inscrivant dans le cadre du droit français. La pratique du droit des deux côtés de l'Atlantique est bel et bien différente. Et les Français préfèrent par tradition rester discrets et modestes - point de site internet ici, même chez les plus grands - quand les Américains se montrent généralement plus pushy.

Quelques grands intervenants américains n'en ont pourtant cure. Ainsi de la stratégie très agressive poursuivie par Latham & Watkins qui, après avoir démarré des discussions n'ayant pas abouti avec Ashurst, s'est mis à mettre la main sur quelques unes de ses meilleures équipes, non seulement à Paris, mais aussi à Munich. Même méthode avec les équipes parisiennes du cabinet néerlandais Stibbe. Sans poser pour autant de problèmes majeurs de fonctionnement pour les intéressés. "La plupart avait déjà une expérience américaine et chacun sait que les Américains sont durs à la tâche" témoigne ainsi l'un d'entre eux.

Une opération qui a en tout cas permis à Latham d'être partie à quelques grosses opérations négociées dernièrement, comme la vente de Kaufman & Broad, filiale française de la firme californienne KB, ou encore l'acquisition d'Intelsat par BC Partners, cette dernière opération ayant atteint 5 milliards de dollars.

De fait, la connaissance de la réglementation française reste critique et voit son importance renforcée notamment en matière de droit des sociétés et de droit de la propriété. Pour J-P. Martel, il est indispensable de s'appuyer sur des avocats français prêts à délivrer un conseil opérationnel au bon moment.

Une compétence qui pourrait bien voir son importance stratégique renforcée sous l'effet de la bonne santé d'ensemble des grandes entreprises françaises. Et des subtilités,
pas toujours extrêmement claires outre-Atlantique, du patriotisme économique made in France.

17/07/2007

Des échanges pas si libres sur le libre-échange

C'est Alan S. Blinder, professeur à Princeton et ancien Vice-président de la FED, qui a mis les pieds dans le plat. Selon lui, entre 30 et 40 millions d'Américains pourraient perdre leur job au profit de travailleurs moins chers du fait du jeu naturel de l'économie de marché. Et d'émettre quelques doutes dans la foulée sur les bénéfices de la liberté du commerce - position toujours délicate à assumer dans la patrie du libre-échange.

"Il y a trop d'idéologie dans tout cela" soupire, dans une interview récente au New York Times, Blinder, qui étend le débat au salaire minimu ou à la politique industrielle, quitte à s'attirer les foudres du courant, prépondérant dans les institutions et les universités, des économistes libéraux. " On perd sa qualité d'économiste reconnu si l'on ne dit pas que toute forme de régulation est néfaste et que le libre-échange est bon à tout coup" renchérit David Card, économiste à Berkeley.

La plupart des économistes américains se rallient en effet au modèle néo-classique, dont le temple reste l'Université de Chicago - la ville dans laquelle vient de se créer le Chicago Mercantile Exchange Group, la plus grande bourse du monde, et où Milton Friedman publia les thèses qui inspirèrent la révolution néo-libérale des Reaganomics. Son président, Phillip J. Reny, insiste sur l'importance des preuves factuelles mises en évidence par l'analyse scientifique des données, réputée éviter tout biais personnel.

Les grands sujets lancés par les candidats à l'élection présidentielle - inégalités de revenus, mérites respectifs du protectionnisme et du libre-échange - ont cependant pour effet d'élargir le nombre des personnalités qui s'invitent au débat. Ainsi des contributions récentes de Lawrence H. Summers, ou du prix Nobel George A. Akerlof mettant en évidence ce que les auteurs considèrent comme les défauts du laissez-faire.

Le consensus, qui prévalait sur ces sujets dans le pays depuis trente ans, est en train de se fissurer sous l'effet de l'accroissement des inégalités de revenus et des bouleversements introduits par la globalisation et la révolution des technologies de la communication. Se trouve de même mises en cause les limites de la comptabilité classique dans la mesure des inégalités ou des dommages à l'environnement. Pour tout un courant d'économistes, c'est la réalité elle-même qui conduit à réinterroger quelques unes des hypothèses fondamentales du libéralisme économique.

Pour Frédéric S. Lee par exemple, qui édite une newsletter rassemblant les écrits de tous les économistes américains "hétérodoxes" (soient 5 à 10 % des économistes que compte le pays), ce qui détermine le prix de l'essence, ce n'est pas le jeu du marché, mais la politique des compagnies pétrolières. De même, les travaux de Card et Krueger sur les effets - favorables à l'emploi - du salaire minimum dans le New Jersey n'ont pas été sans susciter quelque émoi.

Pour Alan Blinder, il faut s'intéresser davantage au monde réel plutôt que modéliser dans les laboratoires. Selon lui, "l'économie n'est pas suffisamment scientifique. Les mathématiques sont utiles, mais elles ne sont pas scientifiques parce qu'elles ne génèrent pas d'hypothèses réfutables".

Une chasse aux sorcières (hétérodoxes) se serait-elle donc installée au sein des milieux universitaires ? Sans aller jusque là, la lutte est certes âpre avec le courant dominant, implacable dès lors qu'il s'agit de truster les revues et d'obtenir les subventions.

Mais le problème pourrait être de nature plus culturelle : beaucoup d'économistes, qui admettent que d'autres hypothèses puissent être formulées dès lors qu'elles respectent les règles de l'art, craignent en effet qu'en émettant quelques doutes sur les fondamentaux parmi les cercles autorisés, cela ne finisse par faire boule-de-neige à l'extérieur. Et ne donne, finalement, des munitions aux ennemis du libre-échange, qualifiés de "barbares". A moins que, comme le souligne Rodrick pour encourager le libre-débat, il n'y ait, sur tout sujet, des barbares au sein de chaque camp.

Voilà en tout cas un débat qui montre que les questions qui travaillent périodiquement les Européens - et, singulièrement les Français -, reprennent également vigueur Outre-Atlantique, et ne sont pas sans légimité dès lors qu'elles privilégient les faits en évitant les dogmes. Ce sont aussi, au-delà des cercles académiques, des thèmes suivis de très près, de part et d'autre de l'Atlantique, par les champions nationaux qui, de l'aéronautique à l'agro-alimentaire et des nouvelles technologies à l'industrie du luxe, entendent bien faire entendre leur voix dans le concert des notions.

15/07/2007

Des idées pour demain (Montaigne fait son show)

"La France vient d'élire un nouveau chef de l'Etat qui, pendant 5 ans au moins, dirigera notre pays. Ce quinquennat doit être celui de l'action. Depuis plusieurs mois, il souffle dans notre pays un profond désir de changement, inédit dans la période récente. Cette aspiration est propice à une vraie modernisation de la France" lance l'Institut Montaigne en avant-propos du Vademecum 2007-2012 qu'il vient de rendre public sous le titre : "Moderniser la France".

Contrairement à la situation qui prévaut aux Etats-Unis, qui les voit jouer un rôle souvent puissant et actif - voir la vénérable Hoover Institution, proche du Parti républicain -, les think tanks français sont généralement plus modestes et discrets. Prenant le contrepied de cette situation, l'Institut, fondé en 2000 par Claude Bébéar, descend résolument dans l'arène politique au nom de la société civile.

Un positionnement non partisan, créatif et libre que lui assure un système de financement dans lequel aucune contribution n'excède 2,5 % du budget et qu'encourage une approche plurielle associant chefs d'entreprise, cadres, hauts fonctionnaires et universitaires notamment au sein de nombreux groupes de travail et de publications variées.

En 130 pages denses, Montaigne rend ainsi publics les travaux de sept années d'une recherche à la fois rigoureuse et pragmatique autour de trois thèmes fondamentaux : la cohésion sociale, la modernisation de la sphère publique, la stratégie économique et européenne. Lever les obstacles qui empêchent les PME de grandir, améliorer l'aide aux demandeurs d'emploi par une meilleure synergie des acteurs concernés, réduire la frontière entre secteurs public et privé, muscler les universités et la recherche, améliorer les politiques de ressources humaines de la fonction publique - un rapport présidé par Yves Rambaud a fait sur ce sujet quelques propositions judicieuses (Montaigne, Novembre 2005) -, ou encore remettre le Parlement au coeur du jeu institutionnel et simplifier le fonctionnement de la justice - telles sont quelques unes des pistes explorées, de façon pragmatique, par les groupes de travail.

Pour les dirigeants de l'Institut, s'aventurer sur les chemins de la réforme passe, au fond, dans notre pays par trois conditions centrales : en finir d'abord avec la tradition monarchique qui a trop longtemps en France marqué l'exercice du pouvoir ; mais aussi changer de regard et de discours sur l'Etat et ceux qui le servent en ayant bien conscience qu'aucune réforme d'ampleur ne pourra se faire sans l'adhésion et l'intéressement des acteurs concernés ; changer enfin notre approche de la compétitivité en libérant le potentiel productif du pays et en abordant différemment la mondialisation dans une approche à la fois offensive et équitable.

Pour valoriser cette boîté à idées, le laboratoire d'idées de la rue Mermoz a engagé une politique de communication ambitieuse. Outre l'habitude de présenter sous forme très synthétique ses propositions aux décideurs publics à l'occasion de chaque publication, l'Institut a enrichi son site internet d'un blog, et accompagné la publication de son Vademecum d'un cd-rom qui reprend les videos réalisées au cours de la campagne présidentielle (et diffusées avant le 20h00) sur le thème : "Des idées pour demain", autour du slogan : "C'est possible, alors faisons-le !".

Au total, un ensemble de propositions et de supports cohérent, créatif et percutant qui vient apporter, au-delà des limites et des censures du jeu politique traditionnel, un potentiel remarquable de renouvellement des pratiques françaises dans une approche concrète et responsable. S'il n'était pour Montaigne "de désir plus naturel que le désir de connaissance", il n'est, pour l'Institut de volonté plus ardente que celle de réformer.

26/06/2007

New Deal au sommet (3) Le président est (presque) un homme comme les autres

Michael Mankins a déjà prévenu : rien de plus facile pour les équipes que de gaspiller le temps qu'elles passent ensemble ("Stop Wasting Valuable Time"). Une fois le nouveau modèle en place et les conditions réunies pour un travail réellement coopératif au sommet, seule une pratique adaptée permettra au système de fonctionner correctement. Et d'éviter de s'enrayer comme ce fut le cas chez IBM, dans les années 80 : l'entreprise renonça alors à exploiter ses interdépendances en partie parce qu'elle avait perdu la capacité à manager le système.

Pour faire vivre cette nouvelle dynamique de groupe - au double sens de l'équipe et de l'entreprise -, une approche souvent pratiquée est de privilégier les sujets commun au détriment des différentes business units. A partir de 1993, Lou Gerstner, chez IBM, a poussé cette logique assez loin. Pas question pour les patrons d'unités de faire remonter les problèmes au niveau du dessus, pas plus que de passer en revue les activités des différentes branches en comité de direction. Les comités exécutifs se consacrèrent alors exclusivement aux questions transversales impactant l'ensemble des activités. Dans le même ordre d'idées, les équipes en charge du développement stratégique chez Nokia se sont vues assigner pour mission de proposer une liste d'une dizaine de sujets régulièrement actualisés pour alimenter la réunion mensuelle consacrée à la stratégie. Une méthode qui a favorisé la créativité collective du comité de direction.

Autre clé de la dynamique coopérative : créer les conditions d'un dialogue direct et informel entre les membres de l'équipe - dialogue classiquement favorisé par de larges open spaces, comme c'est encore le cas chez HP, IBM ou EasyGroup. Une réunion de ce type est organisée tous les matins de 8 à 9h00 chez Canon sous l'égide de son PDG, Fujito Mitarai. Aucun ordre du jour ici, mais des échanges d'information très riches. Un grand nombre de décisions y sont quasiment prises. Dans de telles entreprises, les réunions officielles elles-mêmes fonctionnent largement sur un mode informel.

Se ménager des plages de temps pour la réflexion ? La plupart des entreprises en rêvent, les compagnies qui fonctionnent en mode New Deal le font. N'est-ce pas ce temps-là qui manque le plus, pris que sont les uns et les autres par la gestion des affaires courantes - et qui représente pourtant l'une des contributions majeures du top management au développement de l'entreprise ? De fait, nombre d'entreprises de ce type programment très régulièrement, tous les trimestres dans le cas de SAP, des réunions stratégiques, de préférence à l'extérieur des murs de l'entreprise.

Rester ouvert à des approches nouvelles est une nécessité. Dans beaucoup de firmes qui fonctionnent avec succès sur le mode du New Deal, la durée dont bénéficient souvent les dirigeants développe certes la confiance mutuelle et réduit les phénomènes de territoires ; mais elle peut aussi générer une forme de pensée unique. Pour s'en préserver, SAP s'appuie sur son équipe de consultants internes en stratégie, non seulement pour préparer les décisions à prendre sur les grands dossiers de développement, mais aussi pour présenter de nouvelles idées et challenger la pensée de l'équipe de tête. Pour Henning Kagermann, son président, faire jouer ce rôle à des consultants internes, qui lui sont d'ailleurs directement rattachés, permet de dépassionner les débats et d'apporter la rigueur nécessaire à une amélioration continue du travail et des décisions de l'équipe de direction.

Le président dans un rôle subalterne, un contre-emploi ? Voire. Face à un PDG fort, la déférence peut représenter un risque. Pour l'éviter, certains patrons assument délibérément un rôle subordonné. Ainsi de Sam Palmisano à la tête d'IBM. Pour obtenir le meilleur de ses équipes, Palmisano s'est habitué à jouer plusieurs rôles dans les réunions... réunions, au reste, qu'il ne préside jamais. Il y joue même le plus souvent le rôle d'un participant ordinaire de façon à ne pas étouffer les débats - une posture qu'il n'abandonne avec réticence que quand vient le moment de la prise de décision. A mesure que le leadership de ses équipiers se développe, le président peut alors prendre du recul vis-à-vis des opérations courantes pour se consacrer davantage aux enjeux de long-terme.

La mise en place d'un reporting transparent et d'un système de la performance adapté permet enfin à la fois d'accompagner le système et de le légitimer. Les relations d'interdépendance et de coopération sont, de fait, souvent complexes : elles peuvent favoriser les jeux politiques, ou susciter le scepticisme de la part de collaborateurs que la disponibilité réduite de leur patron peut conduire à se désengager. Un reporting s'attachant à valoriser la contribution de ce travail imbriqué au sommet peut éviter de tels effets pervers. De même, l'installation de "contre-pouvoirs", tels que la création de directions fonctionnelles fortes, peut aussi prévenir le risque d'un retour des jeux politiques au sein de l'équipe de direction. De façon plus générale d'ailleurs, l'exposition personnelle qui résulte de l'ensemble des habitudes des entreprises réorganisées - réunions fréquentes, séminaires externes, organisation en open-space, ordres du jour partagés - a pour effet de limiter ces risques.


Entre process révolutionnaires et nouveaux comportements, le passage de l'ancienne à la nouvelle donne, on le voit, n'est pas sans embûches. Même s'il y est plus nécessaire, il n'est pas non plus réservé aux industries les plus exposées à des marchés en constante et forte évolution. Un groupe qui souhaite se redonner de la visibilité à partir d'un socle commun tourné vers l'avenir s'interrogera ainsi avec profit sur quelques unes au moins de ces pistes.

Quant à savoir si, dans un tel processus, le président peut en effet apparaître en "homme comme les autres", il y a là un défi managérial indéniable. Cette approche du travail collectif en équipier ou, disons, en capitaine, exige en effet paradoxalement plus de force que de faiblesse, mais prend aussi à rebours le mode d'exercice du pouvoir courant de bien des entreprises françaises.

Une telle posture suscite aussi une interrogation sérieuse. Comme vient de le montrer l'étude Booz Hamilton (Le Monde du 26/06), la fonction de président devient elle aussi de plus en plus précaire : le nombre de présidents limogés a ainsi crû de près de 60% ces dix dernières années et, pour la seule année 2006, c'est un président sur trois qui a dû quitter son poste sur les 2500 premières entreprises mondiales. Certes, mais toutes choses égales par ailleurs comme disent les économistes, les équipes New Deal sont aussi celles qui obtiennent les meilleures performances. Et qui en retirent un surcroît de durée.

24/06/2007

New Deal au sommet (2) Nouvelle cuisine managériale (la recette n'est pas le déjeuner)

Une bonne manière d'initier le changement peut être alors de redéfinir la mission de la firme et son business modèle de telle manière que chacun puisse y souscrire. A l'instar de ce que proposa Lou Gerstner à la tête d'IBM, cela peut être l'occasion d'un retour aux sources synthétisé, dans ce cas d'espèce, dans la formule : "le leader mondial des infrastructures de systèmes d'information" - une définition, à l'évidence, d'autant plus aisée que les activités de l'entreprise sont homogènes.

Il reste qu'au-delà de la formulation d'une vocation commune pour le groupe, encourager l'interdépendance, développer un sens partagé des missions et le respect de la contribution des autres unités, cela représente un changement fondamental et difficile dans la culture de l'entreprise.

Trois approches principales ont été retenues à cet égard par la plupart des firmes qui se sont engagées dans une telle aventure.

La première consiste à donner aux dirigeants la responsabilité, non pas d'une business unit, mais de différentes étapes de la création de valeur, ainsi que l'a fait SAP dans son projet de réunification à partir de 2005. Cela conduit à un fort développement de la coopération et améliore la qualité des échanges. Claus Heinrich confie ainsi : "Lorsque j'ai rejoint le comité, j'ai été impressionné de constater combien les discussions y étaient ouvertes. Créer de l'ouverture et de la coopération, cela n'est pas une question d'outils ou de déjeuners. La vraie recette, c'est d'abord de discuter au sommet comme au sein d'une équipe. Il ajoute : "On s'apprécie, mais l'on est dur les uns avec les autres au cours de nos débats. Nous travaillons en équipe sur tous les sujets, et non avec l'attitude qui consiste à dire, par exemple : "Je suis le patron des RH, donc je ne suis pas concerné par le développement des produits". Si je ne suis pas d'accord, si j'ai quelque chose à dire, peu importe d'où je viens, ni de quel secteur j'ai la responsabilité".

Une seconde voie, souvent empruntée par les entreprises dont les métiers sont moins homogènes, passe par des organisations matricielles croisant secteurs verticaux et fonctions horizontales. Dans de telles configurations, les directions fonctionnelles peuvent être amenées à jouer un rôle important, comme c'est le cas chez Nokia avec les fonctions en charge des clients et des marchés, ou de la technologie. Les patrons de business units prennent alors conscience qu'ils sont dépendants de la contribution des fonctions supports, et cette situation génère des flux d'idées riches entre les deux groupes.

Une troisème approche, enfin, consiste à mettre en valeur, dans des entreprises de type conglomérat, un business model commun, comme c'est par exemple le cas chez EasyGroup spécialisé dans la fourniture à bas coûts de produits temporaires (vols aériens, croisières martimes, réservation d'hôtels, location de voitures, etc). Reflétant cette organisation, la salle des comités de direction y est d'ailleurs formée d'une vaste pièce ronde : tout autour de la salle siègent les principaux dirigeants et leurs équipes, au centre se trouve l'équipe du président. La revue des activités y implique la participation de l'ensemble des équipes. Elle est enrichie de brain-storming informels.

Ces trois approches, sans être exclusives, sont les plus répandues. Elles conduisent aussi à donner une complète responsabilité au niveau groupe aux dirigeants d'unités prenant en charge une fonction corporate. Elles peuvent aussi amener l'organisation à redistribuer le pouvoir pour donner le signal des nouvelles logiques à l'oeuvre, en confiant par exemple une importante responsabilité corporate au patron d'une petite unité.

Mais, une fois ces fondamentaux en place, comment faire vivre le système et s'assurer en particulier que les membres de l'équipe travaillent effectivement mieux ensemble ?