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03/05/2012

Dircom (2.2.2.) Le management est l'expertise (le cabochard et le versatile)

Entre l'expert et le manager, il n'y a pas une différence de degré mais de nature. Les deux sont bien sûr nécessaires, mais ce n'est pas la même chose d'être sur tous les fronts avec une équipe réduite en début de carrière et de diriger une machinerie sophistiquée dans des organisations complexes quinze ans plus tard. Ces deux positions ne sont pas seulement séparées par l'épaisseur d'un trait ou d'un titre. Faire et faire faire sont deux activités qui ne recouvrent tout simplement pas le même métier.

Les grands groupes l'ont compris depuis longtemps. A un moment donné, ce qui compte, ce ne sont pas les actions de communication que vous avez réalisées, ce sont les responsabilités managériales que vous avez exercées. Bien sûr, on trouvera encore des organisations dans lesquelles on demandera au dircom de tout faire dans son domaine. Le monde change vite, mais les esprits et les réflexes évoluent parfois plus lentement.

L'effet de taille ou de culture y a aussi évidemment sa part selon que l'on intervient pour une PME, un groupe qui a une culture très entrepreneuriale ou une grande entreprise. Dans tous les cas de figure, l'externalisation maîtrisée d'un certain nombre de moyens peut aussi jouer un rôle non négligeable selon un curseur que l'on peut faire évoluer avec réactivité et souplesse en fonction des besoins.

Polyvalence et diversité

Tout cela est généralement affaire de pédagogie dans la durée, une fois que l'on a démontré concrètement la valeur que peut apporter la fonction à l'organisation. Le mérite de l'apprentissage en situation à cet égard, c'est de conduire rapidement à une perception claire des priorités. C'est aussi de se faire une idée assez juste des moyens nécessaires. C'est enfin de ne jamais perdre de vue le résultat souhaité. Le risque de l'expertise acquise, inversement, serait de vouloir par la suite se mêler de tout en ne laissant pas aux collaborateurs les espaces d'autonomie nécessaires.

Dans la plupart des cas, les excès de la communication à l'ancienne, à la fois comme fonction magique et variable d'ajustement, sont cependant derrière nous. Entendons-nous : dans ce domaine comme dans d'autres, c'est l'expérience qui construit la légitimité. Mais la polyvalence n'est pas l'exhaustivité, pas plus que l'expertise technique ne remplace la diversité des situations.

En clair, il n'est pas absolument nécessaire d'avoir pratiqué absolument tous les sous-compartiments de la communication pour en avoir une vue stratégique et opérationnelle d'ensemble. Ce qui compte dans une discipline, c'est d'en avoir compris les enjeux et les implications, les modes de raisonnement et d'intervention, les capacités mais aussi les limites. Il est également préférable d'avoir pratiqué des organisations différentes plutôt que d'avoir exercé son métier au sein de la même entreprise.

Allons plus loin : il est intéressant, de même, que des gens qui n'ont pas fait de la communication leur métier tout en ayant montré dans leur parcours et dans leur style de management une véritable capacité à utiliser ce levier puissent exercer cette responsabilité à un moment ou un autre de leur carrière. C'est une concurrence intellectuellement salutaire qui permet de renouveler les approches et de favoriser les remises en cause en se reposant les questions de base ou en introduisant de nouvelles problématiques. Il est souhaitable, pour les mêmes raisons, que le dircom ait fait autre chose dans sa vie que de la communication, faute de quoi son expertise finit par tourner à vide.

La vision et la mission

La communication et la direction de la communication ne recouvrent donc pas le même métier comme le dirigeant et le technicien n'ont pas la même responsabilité. Cette réalité, aujourd'hui mieux reconnue, emporte trois ou quatre différences principales.

Premièrement, le dircom a la charge dans son domaine d'intervention de servir le développement de l'activité de son organisation dans son ensemble. En ce sens, il est moins individuellement en charge de la communication que collégialement responsable avec ses pairs de cette organisation en vue de la faire prospérer, ce qui revient à faire de la communication moins le domaine une expertise isolée que le terrain d'un engagement collectif. C'est sa contribution propre à la vision et à la mission de l'organisation qu'il représente. Cette vision détermine aussi le niveau de risque qu'il peut intégrer dans le cadre d'une stratégie donnée, ce qui suppose un équilibre correct entre créativité et pertinence, une capacité à bâtir des jugements réalistes sans être timorés, une aptitude enfin à rendre et à expliquer les arbitrages correspondants.

Deuxièmement, la responsabilité qui en découle est essentiellement relationnelle. A ce niveau d'intervention, on ne convainc pas en effet d'abord avec des raisonnements techniques mais avec une capacité à animer des dynamiques relationnelles souvent complexes et conflictuelles. Le dircom ne peut être bon tout seul. Il ne l'est que dans la mesure où il est reconnu comme tel par les parties prenantes internes et externes de son organisation, c'est-à-dire pour autant qu'il les aide à résoudre un certain nombre de difficultés concrètes.

Cela signifie, inversement, qu'il ne fait pas fait correctement son job s'il est aussi techniquement bon que politiquement isolé. Dans un éloge singulier des profils de type lettres et sciences humaines dans le monde de l'entreprise, Christophe Barbier rappelait à cet égard que le sens de l'histoire, de la sociologie voire du romanesque et de la diplomatie, ne pouvaient qu'être utiles dans des organisations qui sont toujours d'une façon ou d'une autre en prise avec le pouvoir et la crise.

Troisièmement enfin, les moyens dans son rôle ne priment jamais sur les fins - ce qui est vrai de la morale l'est aussi pour l'action. Essentiellement responsable des résultats, le directeur de la communication est d'abord un stratège pragmatique qui a la culture du travail en équipe. C'est même cette capacité à faire le lien entre la stratégie, les hommes et les résultats qui lui permet de faire un certain nombre d'impasses ou de raccourcis.

Ainsi, ne pas s'attaquer bille en tête à une identité visuelle dans les contextes de crispation identitaire, identifier les terrains minés, recommander à l'occasion le silence plutôt que la parole ou bien saborder un projet d'intranet sur un site industriel quand celui-ci exige avant tout de recréer du lien sur le terrain sont autant de choix qui pourront paraître aussi choquants du point de vue de sa discipline que pertinents dans le contexte de son organisation.

Le cabochard et le versatile

Il reste un autre point de différence, bien mis en évidence par Eric Albert dans son portrait du dirigeant à côté de caractéristiques plus classiques telles que l'énergie de construire ou l'ambition de souder. C'est la capacité à agir sur ses propres comportements, à se remettre constamment en cause. Or, contrairement aux idées reçues, cette capacité n'est pas l'ennemie du leadership et de l'exemplarité. Comment inviter en effet les autres à progresser si l'on ne s'inscrit pas soi-même dans une telle perspective ? Comment baliser un sentier nouveau sans s'inspirer de pratiques différentes ? Comment promouvoir le travail d'équipe ou la créativité sans se mettre soi-même à l'écoute ?

Voilà un point difficile, qui justifie pleinement l'importance prise par l'intelligence émotionnelle dans l'appréciation du leadership. C'est une question de personnalité sur laquelle, à la limite, le moins bon technicien aura une plus grande capacité de remise en cause que l'expert le plus confirmé. C'est aussi une question de circonstances qui exige d'être capable d'identifier les moments les plus opportuns soit pour consolider soit pour remettre en cause, pour temporiser ou pour accélérer selon que le terrain se révélera favorable ou non - bref, d'opportunisme au sens noble de l'intelligence des situations et de la capacité à construire les meilleurs compromis possibles entre le plan et la réalité.

Ce qu'il faut absolument éviter dans ce contexte, c'est aussi bien le syndrome de l'entêté que celui de la girouette. Maintenir le cap en fonçant droit dans le mur ou bien tellement tourner que l'on finit par en perdre la direction, voilà bien deux écueils à éviter. L'entêtement inquiète, la versatilité décontenance. Dans la réalité, l'entêtement l'emporte souvent tant il est difficile de remettre en cause une décision que l'on a prise par le passé et qui paraîtra toujours légitime même si elle n'est plus efficace. La ténacité est une vertu comme l'obstination est un défaut : entre les deux, il y l'espace de la lucidité, qui pourrait être l'autre nom de l'opportunisme au sens où on l'a défini précédemment. Or, dans une certaine mesure, avoir du métier prédispose à l'entêtement au lieu d'en prémunir. D'où l'importance, dans la composition des équipes, de faire un sort aux parcours entreprenants, aux profils atypiques, aux tempéraments différents, en un mot, aux esprits libres et conquérants.

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