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26/01/2011

Rebondir en temps de crise (3) Le bonheur de faire

Au-delà encore, on peut s’aventurer dans le territoire de la « pensée disruptive » focalisée sur les changements qui introduisent de la discontinuité et de la rupture. Fondamentalement, cette approche passe par une remise en cause de l’ordre établi et propose une vision nouvelle. C’est l’exemple de Dick Fosbury inventant aux JO de Mexico une nouvelle technique de saut en hauteur qui élèvera le niveau des performances et, dans la foulée, se généralisera très vite.

Il ne s’agit dans cette approche de faire le contraire de ce qui était fait jusque là, mais de trouver une façon plus efficace de faire mieux que la pratique considérée jusque là comme la norme valable. Or, appliquée à l’échelle de l’individu, cette méthode peut être aussi astucieusement utilisée pour identifier les conventions qui entravent notre vie professionnelle et les battre en brèche pour bâtir une nouvelle voie plus intéressante et gratifiante.

Il est particulièrement important dans cette perspective d’identifier le bon contexte, adapté à sa personnalité et à ses attentes et dans lequel on pourra s’épanouir. Dans son livre « Le point de bascule » Malcolm Gladwell prend ainsi à rebours le préjugé selon lequel les personnes peinent à changer en montrant comment, au contraire, tout individu peut changer en fonction du cadre dans lequel il évolue. Bref, résume Bommelaer, si vous ne pouvez pas changer les choses, changez d’endroit.

L’art de la résilience

Vient alors un éloge de la résilience, particulièrement dans les périodes de transition. Si elles sont surmontées, les difficultés permettent en effet de renforcer la confiance en soi et procurent des satisfactions que la routine et le confort sont loin d’égaler. Une étude portant sur le suivi de plus de 200 étudiants de Harvard établit ainsi que près du quart de la population observée a dû affronter des difficultés significatives et que ceux qui connaissaient le niveau de bonheur le plus constant... avaient aussi connu l’enfance la plus dure.

Parmi les qualités qui matérialisent la résilience, on trouve le contrôle des affects et la capacité en particulier à gérer le temps pour rendre les choses possibles ; la force de vivre qui s’incarne souvent dans des activités professionnelles, artistiques ou intellectuelles socialement valorisées ; l’altruisme qui joue un rôle important dans tout processus de reconstruction ; mais aussi l’humour qui permet de mettre à distance les événements les plus dramatiques. On se souviendra à cet égard avec profit du mot de Churchill : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ».

La crise représente une occasion idéale non seulement pour progresser au plan personnel, mais aussi pour se former, en particulier à toutes les technologies, méthodes et techniques qui seront la clé de la performance de demain. « Les investissements dans la connaissance, disait Benjamin Franklin, paient les meilleurs intérêts. » D’autant que la participation à des séminaires est aussi l’occasion de s’intéresser aux autres et d’élargir ses réseaux. Mais sans oublier, rappelle l’auteur,  qu’il est nécessaire de s’occuper de soi – on s’occupe d’autant mieux des autres que l’on se sent en harmonie avec soi-même – et de se faire plaisir.

Dans une étude récente publiée dans le British Medical Journal, James Fowler et Nicholas Christakis suggèrent que le bonheur d’un individu dépend de la joie de vivre des personnes qui constituent son environnement habituel. Le bonheur est contagieux. A l’inverse, il convient de fuir les personnes toxiques, à l’influence mortifère, capables de démoraliser et d’instiller le doute chez les plus optimistes. Dans son ouvrage « Objectif Zéro-sale-con », Robert Sutton va jusqu’à avancer que les toxiques représentent un coût caché et un réel danger pour toute entreprise.

Laisser une empreinte

Transposée au plan professionnel, la philosophie formulée par Richard Branson fera ici un manifeste salutaire : « Amusez-vous, travaillez dur et l’argent suivra. Ne perdez pas votre temps ; saisissez votre chance, prenez la vie du bon côté. Si vous ne vous amusez pas, passez à autre chose. » Cela doit aussi être l’occasion de mettre à distance le catastrophisme ambiant en profitant au mieux des divers bonheurs de l’existence.

Ce qui compte, au final, c’est de laisser une empreinte. En quoi ai-je fait la différence ? Ai-je contribué à quelque chose d’utile ? Ai-je fait avancer mon métier ? Il ne s’agit pas forcément de changer le monde, mais à tout le moins d’avoir un but, de progresser et de faire progresser. Et cela dans un contexte de crise qui, selon l’auteur, pourrait bien avoir pour effet de réhabiliter des valeurs oubliées telles que l’intégrité, l’honneur, la simplicité, la solidarité et la fraternité.

Entre les labyrinthes de l’être et les impasses de l’avoir, il y a l’énergie et, disons aussi, le bonheur de faire. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre foisonnant, plein de pistes stimulantes et de références utiles autour des notions clés d’initiative, de créativité, d’ouverture et de coopération, que de nous mettre en mouvement au fur et à mesure de sa lecture.

20/01/2011

Rebondir en temps de crise (2) La revanche de la récré

Cela nous ramène au concept anglo-saxon de la « serendipity », sorte de hasard heureux qui peut se définir comme l’art de découvrir ou de créer quelque chose sans l’avoir précisément cherché. Un état d’esprit qui ne fonctionne que si l’on se fixe un objectif précis et qui exige une attitude mentale axée sur la détermination, la curiosité, l’effort et la patience.

S’il est par ailleurs nécessaire de communiquer en période de crise, il est préférable de se concentrer sur un seul message, ce qui implique d’être au clair en amont sur son objectif, son positionnement et ses cibles. « Tous les grands communicants, rappelle Bommelaer, le savent. Il vous faut trouver les mots clés et la façon forte, unique et originale de faire passer votre message principal ». Ne reste plus qu’à répéter par la suite ce message central. Bref, l’efficacité en ce domaine se conjugue aussi mal avec la propension à la divagation du propos qu’avec une habitude culturelle plus ancrée dans notre pays qui consiste à s’obliger en toutes circonstances à la modestie en s’interdisant d’afficher ses réussites.

Au contraire, être porteur d’un message clair et fort peut utilement aider à conjuguer lisibilité et visibilité, ce qui vaut pour les individus autant que pour les entreprises. A l’âge du storytelling, il est également utile de rappeler que nous n’usons que trop peu souvent de la capacité des histoires à susciter la curiosité et à faire passer des messages. Une « arme de persuasion massive » dont nous n’utilisons ordinairement guère plus de 20 % des possibilités. Ayez donc au moins une histoire pour chaque grande idée que vous défendez, recommande l’auteur.

Profitez-en également pour construire votre propre vision de la crise, pour « faire la différence avec le magma verbal ambiant en adoptant un discours réfléchi et construit sur la récession ». Les leaders les plus habiles en ce domaine ont bien compris que l’essentiel « n’est pas d’avoir raison sur la durée, mais d’avoir une pertinence évolutive et assez souple pour pouvoir s’adapter à des circonstances aussi changeantes qu’évolutives ».

La revanche de la récré

Il y a une satisfaction dans cette affaire : c’est la revanche des pros de la récré sur les bons élèves. Ceux qui réussissent le mieux en période de crise ne sont en effet pas ceux qui, tels les bons élèves, répliquent avec application les recettes de l’école et du passé, mais ceux qui explorent, vont au contact des autres et montrent une capacité singulière à la socialisation (Bommelaer est aussi un spécialiste du réseau ; il est notamment l’auteur de « Trouver le bon job grâce au réseau » et « Booster sa carrière grâce au réseau »). La recherche (Eagly & Carli) montre que les meilleurs managers qui consacrent moins de temps que les autres aux tâches traditionnelles pour mieux se concentrer sur le développement des relations sont aussi ceux qui progressent le mieux dans leur vie professionnelle. La récré dans ce contexte, c’est ce lieu magique où « se nouent les alliances, circule l’information et se passe la vraie vie ».

Quant à la recherche d’emploi, inutile de préciser que, dans une situation où 70 % des postes de cadres confirmés passent par le réseau, c’est un networking bien mené et le plus en amont possible qui permettra de s’insérer au mieux dans les opportunités disponibles. Cela permettra aussi d’éviter ce que Bommelaer nomme les quatre dictatures du marché de l’emploi : celle du CV (vu en vingt secondes sans rencontre), du copié-cloné (on recherche le même), de l’âge (on est désormais reconnu senior à 47 ans) et du diplôme (sans le bon, point de salut).

Nouvelles catégories

Dans ce contexte, le credo de l’auteur, c’est celui de Susan Jeffer : qui ose, gagne. L’auteur rappelle à cet égard le mot de John Kennedy : « Les risques et conséquences qui découlent de l’action ne sont rien comparativement aux risques et conséquences d’une confortable inaction ». Et cela dans un monde et au milieu d’une crise qui nous commandent de cesser de penser et de vouloir agir avec les cadres et les catégories du XXème siècle. « L’histoire du XXIème siècle est d’ores et déjà dominée par l’incertitude et la volatilité, les ruptures et les surprises de tous ordres. Autant donc être prêt à vivre ces nouvelles ruptures. C’est aussi le crédo des spécialistes des nouvelles technologies à Harvard qui intègrent de plus en plus dans les systèmes de management les règles permettant de gérer au mieux l’incertitude.

La tâche paraîtra-t-elle trop vaste qu’un découpage en une série d’actions concrètes et positives permettra de progresser vers le but que l’on s’est fixé. C’est la recommandation d’Albert Bandura dans son livre sur l’auto-efficacité. Plus la personne concernée est persuadée de pouvoir réussir, plus elle agit et atteint ses objectifs. Plus elle réussit, en acquérant ou imitant des comportements adaptés, plus elle se fixe – ou accepte – des tâches de plus en plus difficiles.

Investir dans la confiance

Investir dans la confiance est aussi une piste à privilégier, spécialement dans un pays auquel elle fait cruellement défaut, comme l’ont rappelé récemment Yann Algan et Pierre Cahuc dans « La société de défiance ». A la question : en règle générale, est-il possible de faire confiance aux autres ? la France se classe en effet au 24ème rang sur 26 pays étudiés, juste devant la Turquie et le Portugal. Voilà un avantage stratégique encore largement méconnu, à tel point que Covey la considère comme la priorité n°1 des années à venir. Cela n’exclut pas la confrontation, mais doit à tout le moins conduire à la pratiquer de façon positive, à travers ce que les psychologues nomment l’assertivité.

Pour cela, rien de tel que de redécouvrir le potentiel de « l’intelligence émotionnelle développée notamment par Daniel Goleman. Si un QI supérieur à 140 continue encore à être pris en considération, le « quotient émotionnel » monte en puissance. La clé, c’est l’harmonie sociale. La contribution décisive du QE, c’est en effet de permettre la pleine expression du travail en équipe, bien au-delà de la seule addition des QI individuels (2/3).

18/01/2011

Rebondir en temps de crise (1) Territoire de l'expérience optimale

« Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent ». C’est sous l’égide de ce mot de Saint-Exupéry que Hervé Bommelaer, consultant en outplacement et en gestion de carrière, fait avec « Rebondir en temps de crise – 50 bons réflexes au quotidien » (Eyrolles), une œuvre utile, c’est-à-dire, stimulante et efficace pour peu que l’on veuille bien sortir un instant des schémas usuels et de l’habituelle scepticisme à l’égard d’une approche plus proactive de la vie aussi bien au plan professionnel que personnel.

Ce n’est pas que nous manquons de volontarisme, c’est que nous manquons souvent, sinon d’énergie, du moins de méthode. Le meilleur de l’expérience américaine, qui nourrit tout naturellement les expériences de coaching, pourrait bien résider dans cette idée simple que, peut-être pas tout, mais beaucoup nous est possible si nous voulons bien en construire le cheminement plutôt qu’en attendre l’avènement.

Que recommande Bommelaer à cet égard ? Du sang-froid d’abord au beau milieu de la crise, plutôt que de céder à la sinistrose et à la paralysie ambiantes, et de la hauteur de vue. En période de crise, il est en effet « préférable de moins pelleter, mais de le faire à des endroits différents » parce que « c’est la qualité des idées et la réactivité face à un environnement en mutation rapide et chaotique qui fera la différence ». A chacun de diversifier ses sources et ses contacts pour renouveler la vision de son environnement et de son univers professionnel. Ah, comme les habitudes sont commodes, et comme elles mènent toujours aux mêmes constats qui ne nous font pas avancer d’un iota…

L’expérience optimale du « flow »

Ce contexte de crise rend bien sûr inopérants aussi bien la frilosité que le repli et davantage encore la résistance au changement. Une posture nouvelle qui passe par un questionnement simple : qu’est-ce que je ferais si je n’avais pas de contraintes financières ? Et qu’est-ce qui m’empêche de le faire maintenant ? s’interroge ainsi l’auteur. Le choix est finalement assez simple entre subir ou agir. Suivre des rails qui nous ont souvent fait perdre de vue la direction en cours de route ; ou bien se donner les moyens de réintroduire dans nos existences résignées l’énergie de projets excitants.

L’expérience du « flow », repérée par Mihaly Csikszentmihalyi et qui donne à certains moments particuliers de réalisation ce mélange de sentiment de parfaite maîtrise et d’enchantement profond peut aussi aider à se reconnecter avec son énergie et son talent propres. Si l’exigence de la tâche est élevée mais les capacités de l’individu sont réduites dans un domaine donné, l’anxiété se développera. En sens inverse (faibles exigences, fortes capacités), on sombre dans l’ennui. L’idéal est donc de se placer dans cette courbe centrale qui fait progresser ensemble les défis auxquels nous sommes confrontés et notre capacité à y répondre positivement. C’est le territoire de l’expérience optimale.

Cette approche n’est pas sans rappeler ce que dit Luc Albert du changement sous l’angle de l’employabilité : ce qui est coupable dans le monde de l’entreprise, ce n’est pas de demander aux gens de changer, c’est le contraire, qui les enterre sûrement avant l’heure. Là-dessus, Anthony Robbins, expert en PNL, rappelle quelques principes salutaires : il n’est pas nécessaire de tout comprendre avant d’agir ; les êtres humains sont notre principale resource (ce qu’il faut naturellement comprendre en un sens différent des « ressources humaines ») ; le travail est un jeu ; ou encore, il n’y a pas de réussite durable sans engagement (ou sans passion diraient les coachs de Harvard). Car le constat est là : nous n’exploitons en général que 20 à 30 % de notre potentiel. Ce qui semble nous laisser un peu de marge de progression.

La stratégie de l’océan bleu

Or l’espace du progrès personnel passe en grande partie par notre capacité à établir des relations de partenariat et de coopération avec nos interlocuteurs : responsables, équipes, clients, contacts divers aussi bien que futures relations. Conjuguée à une authentique créativité, cette capacité à créer de nouvelles relations peut se révéler très puissante. La stratégie dite de « l’Océan bleu » popularisée par Chan Kim & Renée Mauborgne, qui consiste à aller jeter ses filets là où personne n’est encore allé en s’éloignant des zones où le combat entre concurrents fait rage, gagne de ce point de vue à être méditée. C’est, rappelle Hervé Bommelaer, typiquement ce que Steve Jobs a réalisé en s’écartant du marché des ordinateurs pour exploiter celui de la musique en ligne.  Bref, pour qui veut bien se mettre en mouvement, de la crise à l’opportunité, il n’y a qu’un pas qui peut donner bien des longueurs d’avance.

Le livre est aussi un florilège de citations américaines volontaristes, tel encore ce mot de Robert Kennedy : « Il y a ceux qui voient les choses telles qu’elles sont et se disent : « pourquoi ». Et il y a ceux qui rêvent les choses telles qu’elles devraient être et qui se disent : « pourquoi pas » ». Cela compense après tout un travers national bien résumé par Bommelaer : en France, nous sommes les champions du monde des idées, mais nous sommes beaucoup moins performants pour les concrétiser… Bref, une bonne idée formidablement mise en œuvre bat toutes les fabuleuses idées mal orchestrées.

Eloge de la « sérendipité »

Lorsqu’aux antipodes de ces success stories, nous partons de plus bas, de situations difficiles, l’expérience des survivants peut aider. Elle repose fondamentalement sur la capacité à garder confiance, le sens de la solidarité, l’aptitude à s’adapter à des conditions extrêmes. Sans négliger la capacité à s’extraire, ne serait-ce que quelques minutes par jours, de la violence ou de l’épuisement. Pour Amanda Ripley, auteure de « The Unthinkable : Who Survives When Disaster Strikes – and Why », le rescapé réagit d’autant plus efficacement qu’il accepte l’idée de chaos et cherche des solutions pour s’adapter à la nouvelle donne.

La chance y aurait-elle sa part ? Bien sûr, encore ne faut-il pas lui attribuer plus que ce qu’elle peut offrir. Dans « The Luck Factor », Richard Wiseman montre ainsi que les chanceux se distinguent des malchanceux par plusieurs facteurs : ils savent ce qu’ils veulent, se fixent des objectifs à la fois ambitieux et réalistes, sont plus curieux, fuient la routine et sont ouverts au changement. Ils ont confiance, osent et n’ont pas peur de l’échec. Ils suscitent la sympathie, relativisent les contrariétés et, fait singulier, se fient pour 80 % d’entre eux à leur intuition qui joue un grand rôle dans leurs choix professionnels. Bref, autant de facteurs qui se révèlent avoir en fin de compte peu à voir avec la chance.

Mal aimée des sociétés occidentales qui lui préfèrent la rationalité, la logique, les certitudes et la modélisation, l’intuition se révèle en réalité une précieuse alliée pour déceler, à travers les crises, les ferments d’un monde nouveau. C’est le sujet auquel s’est intéressé Malcolm Gladwell (« La force de l’intuition »)  où il montre notamment que plus le cerveau travaille sur des sujets différents, plus il est capable d’’établir des liens inattendus entre eux, ce qui en retour développe l’intuition. « Plus votre « encyclopédie interne » sera fournie et constamment alimentée, plus votre intuition sera favorisée. C’est ainsi que sans diplôme mais en s’appuyant sur son intuition, Maxime Aïach, le fondateur d’Acadomia, a fondé sa société de soutien scolaire à domicile. Cette entreprise est aujourd’hui n°1 dans son domaine et ne cesse de croître (1/3).

18/09/2010

Comment ne pas finir en prison (et autres conseils utiles pour travailler et vivre heureux)

Après deux décennies d'hégémonie de Porter, Clayton Christensen est devenu une autorité à Harvard en matière de stratégie en développant la notion de "disruptive innovation" (innovation pertubatrice). Mais aussi significatif soit-il, un apport théorique ne suffit pas à faire d'un professeur brillant une autorité respectée : il y faut aussi, appelons ça comme ça, une dimension morale. C'est précisément à quoi s'attache Christensen en articulant sa dernière session de cours en MBA autour de trois questions : comment faire en sorte d'être heureux dans ma carrière ? Comment faire en sorte que ma relation avec ma femme et ma famille soit une source vivace de bonheur ? Comment, enfin, puis-je faire en sorte de ne pas finir en prison ?

Sur le premier point - la carrière -, le nouveau gourou de la stratégie est aussi simple que clair : le bonheur professionnel - et Herzberg ne dit pas là-dessus quelque chose de très différent -, ce n'est pas l'art de monter des deals financiers juteux mais de développer les autres. Gagner de l'argent et grandir sont deux choses non pas incompatibles (comme on ferait bien de le comprendre en France) mais différentes (comme on gagnerait à se le rappeler en Amérique). Saisir ou créer des occasions d'apprendre, élargir des responsabilités, contribuer au développement des autres en effet et être reconnu pour ses réalisations : cela suffit pour Christensen à (re)faire du management "la plus noble des professions".

Seconde question : la famille. Le problème des gens excellents selon notre stratège, c'est qu'il ont tout autant tendance à sur-investir dans leur carrière qu'à sous-investir dans les relations avec leurs proches. Ce serait même là une des causes majeures d'un certain nombre de désastres survenus dans quelques grandes entreprises ces dernières années et qui s'expliquerait assez simplement. Dans le monde corporate, une action positive est récompensée par une promotion, une augmentation, une reconnaissance, bref, une gratification plus ou moins immédiate. A l'inverse, élever un enfant prend une vingtaine d'années et, pour élever des enfants qui ont une forte confiance et une certaine estime de soi (notion toujours associée pour lui à une bonne dose d'humilité), il faut y penser tôt.

Troisième et dernière question : la prison, ou comment éviter d'y finir ses jours. Christensen établit là-dessus un parallèle avec la notion de coût marginal habituellement utilisée pour calculer la rentabilité de nouveaux investissements. Si le coût marginal du "just this once" (seulement cette fois-ci) peut, isolément, paraître assez faible en matière d'éthique personnelle, il entraîne en réalité vers une pente où les coûts de la répétition inévitable du mauvais comportement finiront par se révéler élevés. Si tout écart est une brèche potentielle, alors il est plus facile de se tenir aux principes que l'on s'est fixés 100% que 98% du temps.

Derrière ces trois questions, et en particulier derrière la seconde d'entre elles, il y au fond chez Christensen une approche guidée par le même principe central : mettre le but de sa vie au centre et, pour cela, penser tôt à ce qui fera pour nous la mesure ultime de notre succès. Etudiant, il confesse avoir consacré une heure chaque jour à réfléchir à ce sujet au lieu de faire davantage d'économétrie. "C'est la chose la plus utile que j'aie jamais apprise, confesse-t-il, et peut-être la chose la plus importante apprise à Harvard".

Il a raison. C'est que cette sorte de gymnastique philosophique finit par donner un gouvernail solide et utile pour allouer son temps, son énergie - son talent propre - et guider vers l'objectif de développement par lequel Christensen commençait son propos : "Don't worry about the level of individual prominence you have achieved, worry about the individuals you have helped become better people".

 

 

07/08/2010

Les 3 "ex" du développement ou les RH version Spinoza

Suivons le sens de la formule précédemment évoqué. Les questions souvent complexes de la gestion de carrière et, plus encore, d'un développement de soi qui transcenderait la frontière entre personnel et professionnel, pourraient assez bien se résumer en trois orientations essentielles, soit les trois "ex" pour : explorer, exceller, exister.

En début de carrière tout d'abord, rien de tel que de se frotter à différentes expériences et divers milieux pour mieux identifier ce qui ne nous convient pas et ce que l'on aime au contraire. Les idées a priori en la matière, le plus souvent héritées d'une tradition familiale ou de l'influence des proches, ne valent pas rien. Mais elles ne garantissent pas, à l'inverse, l'adéquation entre une incitation générale et une réalité personnelle. Pas d'autres moyens donc que d'aller se frotter concrètement au réel avec le souci de découvrir et d'apprendre, bref d'explorer.

On peut ainsi partir d'un certain sens de l'intérêt général et découvrir qu'il est parfois mieux pris en charge par une entreprise ou une association inspirée que par une administration archaïque. S'amuser à appliquer une passion pour la philo au marketing qualitatif. Etre fasciné par le prestige de grands groupes avant de découvrir l'agilité et la créativité des start up. Faire d'études ethnologiques une ressource managériale, etc.

Seulement voilà : la vie professionnelle, ce n'est pas les Grandes Découvertes permanentes. C'est assez d'assumer vis-à-vis de l'inquiétude des proches ou de nos propres doutes cette exploration volontaire des débuts. Passé ces premiers tâtonnements, il convient donc de remettre un peu d'ordre dans la maison. Si l'exploration est une l'affaire de trois à cinq ans maximum, il faut alors, dans les dix à quinze années qui suivent, devenir bon - exceller - dans le domaine que l'on s'est choisi et vis-à-vis duquel, en explorant, on s'est normalement prémuni des mauvais choix stratégiques lors de la première manche.

On rejoint ainsi la préconisation d'Howard Gardner dans Les cinq formes d'intelligence à propos de ce qu'il appelle "l'esprit discipliné". Ancrer un talent dans une discipline donnée, c'est se donner les moyens de se développer dans une relative indépendance. Objectif : devenir une réference identifiée dans le domaine que l'on s'est choisi. Concrètement, cela indique que l'on a fait le tour d'un ensemble de problématiques et que l'on est capable d'appliquer à la plupart des problèmes rencontrés les meilleures pratiques de la profession. Il s'agit ici, au-delà de la maîtrise d'un ensemble de techniques, de posséder un mode de raisonnement idéalement adossé au bon comportement, un savoir-faire associé à un savoir-être pour reprendre une expression un peu convenue mais qui a le mérite d'être claire.

Vient la crise de la quarantaine. C'est le temps des remises en cause, accidentelles ou volontaires, et qui mêlent le plus souvent aspects professionnels et personnels. Avant la jubilation du second souffle, l'inconfort de l'inventaire. Comme le souligne Rajiv Lal, directeur du General Management Program à Harvard, cet inconfort est bien une partie nécessaire de l'aventure dans la mesure où l'on ne grandit vraiment qu'en dehors de sa zone de confort. Vient alors le moment d'exister : chemin faisant, on a appris des choses nouvelles, découvert des territoires inédits, fait des rencontres déterminantes, traversé des ruptures, compris différemment ce que l'on croyait savoir - autant d'éléments qui donnent l'occasion de confirmer une voie ou, au contraire, de la faire évoluer différemment.

D'où l'intérêt qu'évoquent aussi bien Howard Gardner que Jean-Claude Noël (Insead) d'avoir su, au cours de la phase précédente, cultiver les bases d'une seconde discipline, une "mineure" à côté d'une "dominante", qui aura alors l'occasion de s'épanouir dans la deuxième partie de la carrière en agissant soit comme un nouveau départ soit comme un renforcement de sa spécialité d'origine. Exister, c'est alors se mettre en situation de redonner sens et cohérence à un parcours mais aussi, dans le meilleur des cas, de passer de l'objectif d'être une référence professionnelle à celui de devenir un modèle. C'est-à-dire un individu capable non plus seulement d'exceller dans son métier mais d'en renouveler la vision et d'en faire évoluer les pratiques et, idéalement, en position aussi bien d'inspirer les plus jeunes que de conseiller les plus confirmés.

La formule magique n'exclut pas l'amélioration de la potion. A l'instar d'une historiographie qui combinerait l'histoire de la longue durée et l'effervescence propre des événements - "l'écume de l'histoire" aurait dit Braudel, il faudrait faire un sort, chemin faisant, à ce qui serait moins une étape longue qu'une addition de moments particuliers, moments qui seraient caractérisés moins par leur sens d'ensemble que par leur intensité conjoncturelle. Cette notion pourrait s'exprimer dans la combinaison s'exposer/exploser. A certains moments en effet, les étapes du développement sont marquées par des périodes de forte croissance dans lesquelles la remise en cause ou la prise de risque sont sensiblement plus élevées qu'à l'accoutumée. Ce sont des moments où l'on s'expose et dans lesquels, plus encore, on "explose", soit que l'on fasse l'expérience d'un échec très réussi soit, à l'inverse, que l'on sente soudain son potentiel tourner à plein régime et entraîner tout sur son passage. Désarçonnante ou jouissive, l'explosion s'applique tout particulièrement aux moments de transition entre les différents paliers de la carrière. Elle renvoie moins en réalité au développement professionnel qu'à une certaine puissance d'exister. Les RH si l'on veut, mais version Spinoza.

Explorer, exceller, exister : ce n'est certainement pas une trilogie scellée dans le marbre, mais à tout le moins un éclairage d'ensemble sur des étapes-clés qu'il revient à chacun de faire vivre à sa main et dont, pour ceux qui sont intéressés, les spécialistes du leadership tels que Bill George ou Richard Leider montrent bien à la fois la profondeur, la complexité - et l'importance décisive pour une vie, peut-être pas apaisée - comment pourrait-elle l'être vraiment avec la perspective de disparaître ? -, mais plus accomplie.