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04/04/2011

Dircom (2.1.1.) La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)

Deuxième partie : Les évolutions

En explorant les fondamentaux du métier, on a cherché à identifier les piliers d'une fonction qui a perdu sa capacité à la fois de recul et d'anticipation. En examinant les évolutions en cours, il s'agit à présent de redescendre dans l'arène pour déceler les lignes de force qui ont commencé de changer le métier au cours de la décennie écoulée sans avoir toutefois encore complètement livré tout leur potentiel.

Je vois à cet égard trois évolutions majeures. La première fait progressivement passer le métier de dircom du rôle de tacticien à celui de stratège. La deuxième voit s'opérer un glissement d'une position de faiseur à une fonction davantage tournée vers la coordination. La troisième enfin, le conduit à passer d'une logique de frontière à une logique de réseau en s'appuyant notamment sur les nouvelles ressources du Web.

 

2.1. Du tacticien au stratège

2.1.1. La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)

Si la tactique est l'art de mener les batailles, alors elle est le champ d'intervention par excellence du dircom. Elle l'ancre, ce faisant, dans un rapport singulier au pouvoir et au temps. Au pouvoir ? Son engagement sur le terrain de la tactique signale un rôle a priori d'accompagnement plus que de définition de la stratégie. Il ne lui appartient pas en général de décider de la fermeture d'un site ou de l'acquisition d'une société même si, en fonction de sa spécialité (financière, marketing ou sociale par exemple), de son expérience et de sa capacité de jugement, il peut apporter sur ces sujets une contribution éclairée. En revanche, quand le coup part, c'est son job de faire en sorte que le message soit à la fois clairement compris et positivement perçu. Que son pouvoir soit essentiellement d'influence signifie alors qu'il a tous les pouvoirs sans en avoir aucun. En somme, le dircom façonne sans décider et pilote sans diriger.

Ses prédospositions tactiques font aussi du court terme son horizon le plus sûr. Encore faut-il s'entendre sur cette notion de court terme : il s'agit moins ici du trimestre, du mois ou de la semaine que du jour ou de l'heure. Il faut avoir produit un communiqué nickel en une demi-heure pour une direction générale en plein paroxysme social ou répondu à vingt appels des quatre coins du monde dans la journée au beau milieu d'une crise commerciale majeure pour prendre la mesure de cette affaire. De deux choses l'une : ou bien on aime ce mélange d'inconfort et d'intensité et on peut faire ce métier décemment. Ou bien ce n'est pas le cas et on devient alors archéologue, comptable ou gardien de musée.

Le dircom est le média

Se sortir en improvisant d'un traquenard au milieu d'un groupe hostile ; remplacer au pied levé un président pour un débat public majeur ; finaliser les documents et la logistique d'un séminaire managérial en plein mois d'août avec les trois quarts des gens en vacances ; prendre le risque d'aller à la rencontre d'une trentaine de journalistes  passablement énervés, camera au poing, par le retardement d'une annonce majeure ; boucler une analyse de risque ou un compte rendu d'entretiens en pleine nuit pour que le siège puisse en prendre connaissance first thing in the morning à l'autre bout du monde ; diviser par deux les délais de livraison d'une publication de référence complexe pour un conseil d'administration exceptionnel ; réécrire au beau milieu d'un déménagement un projet de stratégie totalement à côté de la plaque ; participer à un comité de coordination par conference call avec les représentants des actionnaires canadiens, sud-africains, australiens, britanniques ou russes depuis un aéroport du Midwest bloqué par une tempête de neige sans accès aux documents supports... Quand ce ne sont pas les événements qui s'y mettent, ce sont les éléments qui déraillent.

Il y a bien chez le dircom une forme d'excitation à être solidement planté au milieu de la tempête. A l'aversion qui prédomine généralement chez les autres pour les ennuis (incidents, conflits, exposition médiatique, etc) répond sa préférence personnelle pour tâcher d'en sortir au mieux l'organisation qu'il représente. Au cas où le contrat ne serait d'ailleurs pas clair, on le rend volontiers explicite : la plupart des offres d'emploi dans ce domaine, spécialement en Amérique du Nord, soulignent à l'envi la nécessité pour les volontaires de faire face à une multitude de tâches à un rythme rapide. Faisant contre mauvaise fortume bon coeur, le dircom en profite pour s'installer dans l'arène. Son intuition, c'est que l'on accomplit ce que l'on a à faire moins en faisant de grands plans sur la comète qu'en façonnant les événements au jour le jour, une tâche après l'autre, un détail après l'autre, une interaction après l'autre. Il a appris que le média est le message ; il découvrira qu'il est aussi lui-même le premier média de l'organisation. Le champ de la tactique pour lui, c'est cette orchestration minutieuse, interactive et polymorphe du court-terme.

Le signal et la catastrophe

Bien sûr, il y a bien des façons d'entrer dans le métier et toutes ne font pas de la gestion des crises, des questions sensibles ou des changements d'organisation le domaine de prédilection de ses interventions. De même, il y a des organisations très différentes les unes des autres aussi bien par la nature des problèmes que l'on y rencontre que par le type de culture ou le degré de pression que l'on y trouve. Faire ses classes dans un environnement complexe et instable introduit indéniablement de ce point de vue un biais qui déforme la représentation du métier. Mais comme dans  toute situation limite, cette exacerbation des problèmes fait d'autant mieux ressortir les fondamentaux : soit qu'elle dévoile ce à quoi il faut être attentif quand le calme revient ; soit qu'elle révèle un problème de fond à travers la succession-même des ennuis à traiter.

Ce n'est pas tout à fait pareil en effet d'accompagner de lourdes restructurations dans un groupe industriel structuré avec l'objectif de construire une nouvelle étape de développement, et de gérer crise sur crise dans une organisation ballottée de toutes parts. Ce qui fait la différence, c'est le pilotage, c'est-à-dire la conduite organisée d'une action visant à réduire l'écart entre où l'on est et où l'on va. Le piège de la tactique à cet égard c'est d'offrir l'opportunité d'une série de micro-succès qui, en se nourrissant d'eux-mêmes, finissent par faire perdre de vue la perspective d'ensemble, la vision des progrès à accomplir ou le sens des adaptations rendues nécessaires par les signaux faibles de l'environnement. Autant de brèches au départ insignifiantes qui finissent, comme dans les industries de haute technologie ou dans certains corps d'armée, par engendrer de sérieux ennuis à l'arrivée.

Or, il y a bien deux sortes de catastrophes dans ce métier : la première, c'est de planter une crise et la sanction peut en être immédiate. La seconde, c'est de perdre de vue le sens de la mission et la sanction est alors plus lente mais aussi plus grave, en termes aussi bien d'alignement au sein de l'organisation que d'employabilité pour le dircom. On connaît l'adage : à long terme, nous sommes tous morts. Mais comme le dircom se demande parfois s'il va ressortir vivant de cette arène du court-terme, il n'a a priori rien à perdre à tenter de repousser un peu l'échéance.

07/08/2010

Les 3 "ex" du développement ou les RH version Spinoza

Suivons le sens de la formule précédemment évoqué. Les questions souvent complexes de la gestion de carrière et, plus encore, d'un développement de soi qui transcenderait la frontière entre personnel et professionnel, pourraient assez bien se résumer en trois orientations essentielles, soit les trois "ex" pour : explorer, exceller, exister.

En début de carrière tout d'abord, rien de tel que de se frotter à différentes expériences et divers milieux pour mieux identifier ce qui ne nous convient pas et ce que l'on aime au contraire. Les idées a priori en la matière, le plus souvent héritées d'une tradition familiale ou de l'influence des proches, ne valent pas rien. Mais elles ne garantissent pas, à l'inverse, l'adéquation entre une incitation générale et une réalité personnelle. Pas d'autres moyens donc que d'aller se frotter concrètement au réel avec le souci de découvrir et d'apprendre, bref d'explorer.

On peut ainsi partir d'un certain sens de l'intérêt général et découvrir qu'il est parfois mieux pris en charge par une entreprise ou une association inspirée que par une administration archaïque. S'amuser à appliquer une passion pour la philo au marketing qualitatif. Etre fasciné par le prestige de grands groupes avant de découvrir l'agilité et la créativité des start up. Faire d'études ethnologiques une ressource managériale, etc.

Seulement voilà : la vie professionnelle, ce n'est pas les Grandes Découvertes permanentes. C'est assez d'assumer vis-à-vis de l'inquiétude des proches ou de nos propres doutes cette exploration volontaire des débuts. Passé ces premiers tâtonnements, il convient donc de remettre un peu d'ordre dans la maison. Si l'exploration est une l'affaire de trois à cinq ans maximum, il faut alors, dans les dix à quinze années qui suivent, devenir bon - exceller - dans le domaine que l'on s'est choisi et vis-à-vis duquel, en explorant, on s'est normalement prémuni des mauvais choix stratégiques lors de la première manche.

On rejoint ainsi la préconisation d'Howard Gardner dans Les cinq formes d'intelligence à propos de ce qu'il appelle "l'esprit discipliné". Ancrer un talent dans une discipline donnée, c'est se donner les moyens de se développer dans une relative indépendance. Objectif : devenir une réference identifiée dans le domaine que l'on s'est choisi. Concrètement, cela indique que l'on a fait le tour d'un ensemble de problématiques et que l'on est capable d'appliquer à la plupart des problèmes rencontrés les meilleures pratiques de la profession. Il s'agit ici, au-delà de la maîtrise d'un ensemble de techniques, de posséder un mode de raisonnement idéalement adossé au bon comportement, un savoir-faire associé à un savoir-être pour reprendre une expression un peu convenue mais qui a le mérite d'être claire.

Vient la crise de la quarantaine. C'est le temps des remises en cause, accidentelles ou volontaires, et qui mêlent le plus souvent aspects professionnels et personnels. Avant la jubilation du second souffle, l'inconfort de l'inventaire. Comme le souligne Rajiv Lal, directeur du General Management Program à Harvard, cet inconfort est bien une partie nécessaire de l'aventure dans la mesure où l'on ne grandit vraiment qu'en dehors de sa zone de confort. Vient alors le moment d'exister : chemin faisant, on a appris des choses nouvelles, découvert des territoires inédits, fait des rencontres déterminantes, traversé des ruptures, compris différemment ce que l'on croyait savoir - autant d'éléments qui donnent l'occasion de confirmer une voie ou, au contraire, de la faire évoluer différemment.

D'où l'intérêt qu'évoquent aussi bien Howard Gardner que Jean-Claude Noël (Insead) d'avoir su, au cours de la phase précédente, cultiver les bases d'une seconde discipline, une "mineure" à côté d'une "dominante", qui aura alors l'occasion de s'épanouir dans la deuxième partie de la carrière en agissant soit comme un nouveau départ soit comme un renforcement de sa spécialité d'origine. Exister, c'est alors se mettre en situation de redonner sens et cohérence à un parcours mais aussi, dans le meilleur des cas, de passer de l'objectif d'être une référence professionnelle à celui de devenir un modèle. C'est-à-dire un individu capable non plus seulement d'exceller dans son métier mais d'en renouveler la vision et d'en faire évoluer les pratiques et, idéalement, en position aussi bien d'inspirer les plus jeunes que de conseiller les plus confirmés.

La formule magique n'exclut pas l'amélioration de la potion. A l'instar d'une historiographie qui combinerait l'histoire de la longue durée et l'effervescence propre des événements - "l'écume de l'histoire" aurait dit Braudel, il faudrait faire un sort, chemin faisant, à ce qui serait moins une étape longue qu'une addition de moments particuliers, moments qui seraient caractérisés moins par leur sens d'ensemble que par leur intensité conjoncturelle. Cette notion pourrait s'exprimer dans la combinaison s'exposer/exploser. A certains moments en effet, les étapes du développement sont marquées par des périodes de forte croissance dans lesquelles la remise en cause ou la prise de risque sont sensiblement plus élevées qu'à l'accoutumée. Ce sont des moments où l'on s'expose et dans lesquels, plus encore, on "explose", soit que l'on fasse l'expérience d'un échec très réussi soit, à l'inverse, que l'on sente soudain son potentiel tourner à plein régime et entraîner tout sur son passage. Désarçonnante ou jouissive, l'explosion s'applique tout particulièrement aux moments de transition entre les différents paliers de la carrière. Elle renvoie moins en réalité au développement professionnel qu'à une certaine puissance d'exister. Les RH si l'on veut, mais version Spinoza.

Explorer, exceller, exister : ce n'est certainement pas une trilogie scellée dans le marbre, mais à tout le moins un éclairage d'ensemble sur des étapes-clés qu'il revient à chacun de faire vivre à sa main et dont, pour ceux qui sont intéressés, les spécialistes du leadership tels que Bill George ou Richard Leider montrent bien à la fois la profondeur, la complexité - et l'importance décisive pour une vie, peut-être pas apaisée - comment pourrait-elle l'être vraiment avec la perspective de disparaître ? -, mais plus accomplie.

30/07/2010

PER, la formule magique

On n'est pas homme de communication pour rien. Je confesse un penchant pour les formules (et un ennui corrélatif pour le charabia) : elles simplifient des sujets souvent complexes, rendent les choses concrètes et guident l'action. Bien utilisées - et cela n'est pas vrai seulement dans le monde de l'entreprise -, elles sont un puissant moyen de mobilisation ou de changement parce qu'elles ont la vertu de focaliser sur quelques principes fondamentaux.

Elles ont aussi les défauts de leur qualité ou plutôt induisent, lorsqu'elles sont mal utilisées, un certain nombre de problèmes : la négation de la complexité, la sous-optimisation de l'intelligence collective ou encore le risque de l'incantation. Pour être tout à fait honnête, j'y vois aussi une limite de mon intelligence, rétive aux développements abscons dont on ne voit pas très bien, passé dix minutes, où ils peuvent bien mener (une autre partie doit pourtant se discipliner pour ne pas pas se laisser entraîner par un penchant pour une certaine forme de développements philosophico-littéraires). Bref, chacun son truc.

Je crois par ailleurs, dans tout processus de recrutement, de rapprochement, de coopération - d'intérêt partagé, à la force de la prise d'initiative dans la mesure où, au-delà des procédures, en apportant une contribution non sollicitée, elle témoigne à la fois d'une envie, d'un tempérament - de la possibilité raisonnablement envisageable d'un projet partagé. Le président d'une grande agence de communication me confiait là-dessus ces deux critères de recrutement fondamentaux : la passion, et l'habitude d'avoir tôt travaillé. C'est artisanal, et c'est très bon. Le premier critère garantit l'engagement - la "motivation intrinsèque" chère aux chercheurs du Centre de leadership d'Harvard, le second la débrouillardise, le sens du bricolage, une certaine idée de la nécessité, bref, la capacité à apporter des solutions là où tout le monde se lamente sur les problèmes.

Certains grand cabinets font d'ailleurs de ce dernier critère un paramètre essentiel de la détection de leurs potentiels internes - en clair, de leurs futurs leaders. Je souscris volontiers à cette philosophie, mais lui ajoute sans hésiter la capacité d'initiative ou, mieux, contributive qui se distingue du simple apport de solutions part le fait qu'elle n'apporte pas seulement la solution, mais le problème avec - problème auquel personne n'avait pensé, que l'on n'avait pas vu, ou que l'on ne voulait pas voir : c'est en quoi Victoria Secret a raison de faire du courage l'un de ces critètes de promotion interne. C'est aussi la différence entre Sartre et Pavlov, ou entre Honda et Kodak - bref, entre vivre intelligent (et préoccupé) et mourir imbécile (et heureux).

En travaillant à une étude et en me prenant à me laisser embarquer par le fil de mes pensées - un article qui porte en germe le potentiel d'un petit essai -, je m'interrompais en m'interrogeant sur ce que pouvaient être les qualités fondamentales, aux yeux de ses destinataires, de cette contribution. J'aurais naturellement dû commencer par là, mais ce n'était pas initialement le sujet ; je note d'ailleurs que le surgissement de l'inspiration vaut souvent mieux que le discours de la méthode, même si l'inspiration passe à peu près toujours chez moi par l'harmonie pour ainsi dire rythmique du plan.

Mais on s'éloigne du sujet du jour. Trois critères me sont venus sous la forme - revenons au point de départ de ce post -, d'une formule : les 3 "PER", et il ne s'agit ici pas davantage du "Price Earning Ratio" des analystes financiers que du "Plan Epargne Retraite" des salariés des grands groupes, mais de la combinaison de trois qualificatifs ordinaires.

Il me semble d'abord qu'une contribution de cette nature se doit d'être pertinente. Qu'est-ce que la pertinence ? A l'instar de la culture selon la formule célèbre attribuée à Herriot : ce qui reste quand on a tout oublié. Une qualité de lecture, la sûreté d'un jugement, une aptitude à mettre les choses en relation et en perspective d'une façon adaptée à une situation ou à une problématique donnée. Délicate synthèse entre l'apprentissage et l'innovation, la pertinence manque au directeur artistique (qui ne fait pas un métier facile, mais qui fantasme encore sur Warhol) aussi bien qu'à l'ingénieur de production (pareil - et qui fantasme, lui, sur Toyota) qui ne l'envisagent le plus souvent que sous l'angle de la reproduction ou, si l'on veut, de la réponse toute faite quand il faut penser questions à se poser et spécificité du problème.

Elle doit ensuite être percutante - et il faudrait d'ailleurs ajouter cette variable aux critères de recrutement susmentionnés. "Variable", parce qu'être percutant, c'est faire une différence, et une différence personnelle. En glissant de l'analyse à la synthèse, on change aussi d'échelle : de la décomposition on passe à la vision. Et la vision fait en effet la différence entre un blabla qui ne convainc personne (ou, comme on veut, qui ennuie tout le monde) et une percée qui ouvre des perspectives. C'est l'intuition de Napoléon à Austerlitz ou le plan de Von Manstein en 1940 : on ne gagne pas la guerre avec des armées de papier et des lignes Maginot.

Au passage, ce précepte dépasse le contexte d'une étude ou d'un recrutement : il s'applique, me semble-t-il, tout particulièrement au terme de la première année d'une prise de poste. Assez de temps pour apprendre, pas suffisamment pour cesser de réfléchir, pour relâcher la tension de la remise en cause. Bref, le moment idéal pour proposer un autre regard, une synthèse inédite, une perspective nouvelle.

Cette contribution se doit enfin d'être performante. Comment pourrait-elle l'être, si elle n'est qu'une étude ? C'est tout simple : elle met tout le monde d'accord sur deux points : c'est juste (c'est la bonne approche intellectuelle) et profitable (c'est le bon business model). C'est qu'elle sait aussi modéliser, quantifier ou qualifier les résultats à atteindre, et voilà tout. Parce que sans le sens du résultat, on peut causer de tout et arriver nulle part aussi sûrement. Ce qui ne fait tout de même pas beaucoup avancer les choses.

18/08/2009

L'art de la jauge (1) Prendre un nouveau job, c'est d'abord choisir un nouveau patron

En mettant la dernière main à une sorte de guide de recrutement ("Petit traité de libération de la croissance à l'usage des salariés malheureux : comment se faire recruter (presque) à coup sûr en dix leçons") (1), comme en me remémorant quelques discussions animées avec d'anciens collègues - ils sont, dans des entreprises et organisations diverses, relativement nombreux -, qui pestaient contre leur chef sans se décider à franchir le pas (2), il ne me semble pas inutile de revenir sur un point, souvent sous-estimé et cependant essentiel, de toute vie au travail et, plus encore, de tout développement de carrière.

Prendre un nouveau job, ce n'est pas d'abord prendre de nouvelles responsabilités. Avec un peu de métier, et sauf reconversion ou changement d'ampleur, les principales problématiques d'une fonction donnée sont connues et il revient à l'impétrant de prendre la mesure de son nouveau territoire avec les adaptations qui s'imposent. Dans le monde professionnel, rien de plus ici que "la vie normale" dans laquelle, au-delà du tintamarre d'usage, tout changement n'est pas nécessairement un challenge.

Prendre de nouvelles responsabilités, ce n'est pas davantage aspirer, à titre principal, à une nouvelle rémunération. Bien sûr, l'argent n'est pas la dernière considération de l'affaire; mais enfin, nouveau territoire ne veut pas dire no man's land et les grilles de rémunération ne donnent pas sur la cour des miracles. Sauf circonstance particulière, tout nouveau poste au sein de la même entreprise s'accompagne d'une progression de l'ordre de 5 à 10 % et d'environ 15 à 20 % pour les changements d'entreprise les plus ambitieux. Seul le couplage d'un nouveau poste et d'une expatriation permet en général d'aller au-delà de ce seuil. Les règles sont, là-dessus, généralement connues et encadrées.

D'autant que, les experts en motivation le savent bien, la rémunération est une composante du poste sans en constituer nécessairement l'élément essentiel. Si l'on estime à environ 20 % l'écart entre la rémunération réelle et la rémunération psychologique (ou désirée), l'on sait bien qu'un élément clé reste l'intérêt du travail et le sentiment, ou non, de s'y réaliser au contact d'une nouvelle communauté de travail.

Prendre un nouveau job, c'est en effet déjà un peu plus rejoindre un nouveau groupe humain. Patrick Lemattre, professeur à HEC, a bien montré à ce sujet combien il était nécessaire, en particulier pour la nouvelle génération, d'évoluer au sein d'un milieu vivant, dont le sens de l'humour ne serait pas une anomalie mais au contraire le signe d'un minimum de fluidité et le gage d'un certain épanouissement. Bref, un domaine dans lequel, sur le marché du recrutement des plus jeunes, toute authentique ringardise se paierait cash.

Mais cette triple exigence de fond (compétence), de forme (communication) et de tréfonds (engagement) s'applique d'abord à la relation directe avec le responsable hiérarchique. Prendre un nouveau job, c'est en effet d'abord passer un contrat avec un nouveau responsable. Un contrat explicite bien sûr, autour d'un certain nombre de missions et de règles de fonctionnement ; mais aussi implicite, en relation avec le plus ou moins grand degré de partenariat susceptible de s'instaurer.

Pourtant, ce qu'il est crucial de savoir identifier à ce point du processus, ce n'est pas tant la qualité d'une relation : non seulement celle-ci n'en est qu'à ses balbutiements, mais elle n'a pas non plus pour vocation première de vous donner un sentiment de franche camaraderie. Le respect et la sympathie sont deux choses différentes : le premier s'impose, la seconde est à la fois plus subtile et moins indispensable. Ce qui doit être jaugé bien plutôt dans ce contexte, c'est la qualité propre du patron en question. 

Ce point est fondamental en effet parce que, s'il est sous-estimé - ce qui est souvent le cas pour les candidats en prise avec une procédure de recrutement, comme s'il s'agissait là d'un détail, ou du moins d'un élément parmi d'autres du package -, cet aspect des choses peut se révéler la source d'un certain nombre d'ennuis plus ou moins embêtants.

Au rang des "moins" embêtants, il faut bien sûr compter un fonctionnement disharmonieux, qui complique la vie quotidienne sur le terrain, disons, de la communication au sens large. Plus gênant est la superposition, aux dossiers à traiter, de problèmes issus des faiblesses du responsable hiérarchique en question - par exemple, incohérences répétées ou incapacité pathologique à trancher. Si une fonction donnée se justifie d'abord par la nécessité de résoudre un certain nombre de problèmes, il est préférable d'éviter d'avoir à y gérer, en plus, l'incompétence de votre responsable hiérarchique.

En réalité, c'est le bon exercice de vos responsabilités dans leur ensemble que finit par compromettre le mauvais patron. Plus grave, un mauvais patron, en vous mettant à dessein dans des situations acrobatiques, peut compromettre les développements de carrière auquel vous aspirez, sans doute légitimement. Si un mauvais patron, de ce point de vue, est quelqu'un qui vous fait perdre votre temps, le plus préoccupant dans l'affaire, ce sont moins les ennuis de fonctionnement aujourd'hui que les conséquences, demain, sur la suite de votre parcours.

Traduit en termes de développement personnel, le bon patron vous apprend deux ou trois choses utiles et vous fait "grandir" ou, du moins, progresser ; le mauvais vous fait perdre votre temps et votre énergie, et vous fait piétiner, ou même reculer s'il est vraiment mauvais. Ne reste plus qu'à établir une typologie des bons et des mauvais patrons. Manichéen ? - Sans doute. Mais salutaire, assurément. (à suivre)

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(1) Ouvrage qui fait suite à ma participation aux travaux de la Commission Attali l'an dernier sur la "libération de la croissance française", dont le projet est cette fois, non pas de prolonger les analyses menées à l'échelle de la société française dans son ensemble, mais de donner aux individus qui s'estiment frustrés, mal reconnus ou pire, bloqués dans leur évolution, un certain nombre de clés pour sortir de l'impasse.

(2) C'est naturellement à eux, comme à leurs innombrables compagnons d'infortune, qu'est d'abord dédié l'ouvrage en question.

 

31/05/2008

De l'industrie en général et de l'industrie du nickel en particulier (rengagez-vous...)

Au terme d'une longue procédure de recrutement qui a commencé en octobre dernier et qui s'est achevée il y a deux mois, j'ai décidé de mettre un terme à mes activités de conseil aux Etats-Unis et de reprendre du service dans l'industrie comme directeur de la communication et des affaires institutionnelles d'une organisation internationale, dont le siège est à Toronto, et qui est en charge de la promotion du nickel au plan mondial dans une perspective de développement durable.

Un ancien dirigeant, venu lui aussi à l'industrie par le service public, m'avait prévenu, et un DRH de ministère avant lui alors que je prenais congé un peu précipitamment des ors de la République : lorsqu'on quitte la fonction publique pour l'industrie, on n'y revient pas. Un autre, plus récemment, m'interpela avec humour : - "Comment, vous êtes sorti de cette branche et vous voudriez y revenir ? ". La réponse, au fond, est assez simple : j'aime cette industrie - j'ai dit ailleurs (et je rappelais encore hier au déjeuner à un camarade de jeu de chez McKinsey) ce que je dois à Eramet, que je retrouve par la même occasion -, les gens, généralement bien, qu'on y rencontre et les défis, le plus souvent compliqués, qu'il faut y relever.

Trois éléments particuliers sont venus, en l'espèce, ajouter à ces considérations générales. En premier lieu, la portée globale de la fonction : d'un point de vue technique, que le poste soit localisé à Toronto, Londres ou Shanghaï n'a guère d'importance. Il est définitivement, non pas seulement international, mais bien global, obligeant en permanence au meilleur ajustement possible entre les orientations et leur mise en oeuvre et à une créativité stratégique à multiples facettes. S'il y avait un doute à ce sujet, le rythme et le mouvement de l'entrée en matière entre l'Amérique du Nord, Londres, Bruxelles et Paris et, bientôt, l'Asie a eu tôt fait de le dissiper.

Second élément : une dimension "affaires publiques", institutionnelles ou gouvernementales, comme on voudra (les formulations varient selon les aires culturelles et les organisations), à l'évidence, non pas exclusive comme on pourrait le penser spontanément, mais à tout le moins prédominante. Partout, un dialogue nourri et responsable, conforme à la vocation de l'Institut, s'impose avec toutes les parties prenantes et notament avec les Pouvoirs publics.

Troisième élément enfin : une portée développement durable intimement mêlée à la partie communication et l'exigence, là-dessus, d'avoir à penser, et à communiquer, au-delà des évidences de l'époque. Prenons la question du CO2 : il faut beaucoup d'énergie pour produire une tonne de nickel. Mais la durée de vie des matériaux en acier inoxydable (qui représente deux tiers des débouchés du nickel) est quasi infinie, non seulement en raison de la robustesse du matériau en lui-même, mais aussi de sa très grande recyclabilité - si bien que, rapportée à son cycle de vie, la contribution du nickel à l'émission globale de carbone devient négligeable (elle l'est d'ailleurs aussi en chiffres absolus comparés à d'autres secteurs)..

A travers une problématique qui mêle des dimensions globales, publiques et environnementales, je découvre ainsi depuis ou trois semaines une équipe internationale de haut niveau, composée d'experts reconnus dans leur domaine, flexible, réactive, mobilisée sur des enjeux complexes et qui, à l'intelligence des situations, associe un sens de l'humour que le caractère multiculturel de l'Institut peut rendre, tantôt désopilante et tantôt périlleuse.

Un seul regret que, dans le champ de la communication, on aurait tort de considérer comme anecdotique : l'expression "c'est nickel !", qui traduit si bien en français l'expression d'une perfection, ne trouve pas d'équivalent dans les autres langues. Mais, d'un point de vue anthropologique, la communication ne commence-t-elle pas toujours avec l'écart que crée la différence ?