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18/08/2009

L'art de la jauge (1) Prendre un nouveau job, c'est d'abord choisir un nouveau patron

En mettant la dernière main à une sorte de guide de recrutement ("Petit traité de libération de la croissance à l'usage des salariés malheureux : comment se faire recruter (presque) à coup sûr en dix leçons") (1), comme en me remémorant quelques discussions animées avec d'anciens collègues - ils sont, dans des entreprises et organisations diverses, relativement nombreux -, qui pestaient contre leur chef sans se décider à franchir le pas (2), il ne me semble pas inutile de revenir sur un point, souvent sous-estimé et cependant essentiel, de toute vie au travail et, plus encore, de tout développement de carrière.

Prendre un nouveau job, ce n'est pas d'abord prendre de nouvelles responsabilités. Avec un peu de métier, et sauf reconversion ou changement d'ampleur, les principales problématiques d'une fonction donnée sont connues et il revient à l'impétrant de prendre la mesure de son nouveau territoire avec les adaptations qui s'imposent. Dans le monde professionnel, rien de plus ici que "la vie normale" dans laquelle, au-delà du tintamarre d'usage, tout changement n'est pas nécessairement un challenge.

Prendre de nouvelles responsabilités, ce n'est pas davantage aspirer, à titre principal, à une nouvelle rémunération. Bien sûr, l'argent n'est pas la dernière considération de l'affaire; mais enfin, nouveau territoire ne veut pas dire no man's land et les grilles de rémunération ne donnent pas sur la cour des miracles. Sauf circonstance particulière, tout nouveau poste au sein de la même entreprise s'accompagne d'une progression de l'ordre de 5 à 10 % et d'environ 15 à 20 % pour les changements d'entreprise les plus ambitieux. Seul le couplage d'un nouveau poste et d'une expatriation permet en général d'aller au-delà de ce seuil. Les règles sont, là-dessus, généralement connues et encadrées.

D'autant que, les experts en motivation le savent bien, la rémunération est une composante du poste sans en constituer nécessairement l'élément essentiel. Si l'on estime à environ 20 % l'écart entre la rémunération réelle et la rémunération psychologique (ou désirée), l'on sait bien qu'un élément clé reste l'intérêt du travail et le sentiment, ou non, de s'y réaliser au contact d'une nouvelle communauté de travail.

Prendre un nouveau job, c'est en effet déjà un peu plus rejoindre un nouveau groupe humain. Patrick Lemattre, professeur à HEC, a bien montré à ce sujet combien il était nécessaire, en particulier pour la nouvelle génération, d'évoluer au sein d'un milieu vivant, dont le sens de l'humour ne serait pas une anomalie mais au contraire le signe d'un minimum de fluidité et le gage d'un certain épanouissement. Bref, un domaine dans lequel, sur le marché du recrutement des plus jeunes, toute authentique ringardise se paierait cash.

Mais cette triple exigence de fond (compétence), de forme (communication) et de tréfonds (engagement) s'applique d'abord à la relation directe avec le responsable hiérarchique. Prendre un nouveau job, c'est en effet d'abord passer un contrat avec un nouveau responsable. Un contrat explicite bien sûr, autour d'un certain nombre de missions et de règles de fonctionnement ; mais aussi implicite, en relation avec le plus ou moins grand degré de partenariat susceptible de s'instaurer.

Pourtant, ce qu'il est crucial de savoir identifier à ce point du processus, ce n'est pas tant la qualité d'une relation : non seulement celle-ci n'en est qu'à ses balbutiements, mais elle n'a pas non plus pour vocation première de vous donner un sentiment de franche camaraderie. Le respect et la sympathie sont deux choses différentes : le premier s'impose, la seconde est à la fois plus subtile et moins indispensable. Ce qui doit être jaugé bien plutôt dans ce contexte, c'est la qualité propre du patron en question. 

Ce point est fondamental en effet parce que, s'il est sous-estimé - ce qui est souvent le cas pour les candidats en prise avec une procédure de recrutement, comme s'il s'agissait là d'un détail, ou du moins d'un élément parmi d'autres du package -, cet aspect des choses peut se révéler la source d'un certain nombre d'ennuis plus ou moins embêtants.

Au rang des "moins" embêtants, il faut bien sûr compter un fonctionnement disharmonieux, qui complique la vie quotidienne sur le terrain, disons, de la communication au sens large. Plus gênant est la superposition, aux dossiers à traiter, de problèmes issus des faiblesses du responsable hiérarchique en question - par exemple, incohérences répétées ou incapacité pathologique à trancher. Si une fonction donnée se justifie d'abord par la nécessité de résoudre un certain nombre de problèmes, il est préférable d'éviter d'avoir à y gérer, en plus, l'incompétence de votre responsable hiérarchique.

En réalité, c'est le bon exercice de vos responsabilités dans leur ensemble que finit par compromettre le mauvais patron. Plus grave, un mauvais patron, en vous mettant à dessein dans des situations acrobatiques, peut compromettre les développements de carrière auquel vous aspirez, sans doute légitimement. Si un mauvais patron, de ce point de vue, est quelqu'un qui vous fait perdre votre temps, le plus préoccupant dans l'affaire, ce sont moins les ennuis de fonctionnement aujourd'hui que les conséquences, demain, sur la suite de votre parcours.

Traduit en termes de développement personnel, le bon patron vous apprend deux ou trois choses utiles et vous fait "grandir" ou, du moins, progresser ; le mauvais vous fait perdre votre temps et votre énergie, et vous fait piétiner, ou même reculer s'il est vraiment mauvais. Ne reste plus qu'à établir une typologie des bons et des mauvais patrons. Manichéen ? - Sans doute. Mais salutaire, assurément. (à suivre)

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(1) Ouvrage qui fait suite à ma participation aux travaux de la Commission Attali l'an dernier sur la "libération de la croissance française", dont le projet est cette fois, non pas de prolonger les analyses menées à l'échelle de la société française dans son ensemble, mais de donner aux individus qui s'estiment frustrés, mal reconnus ou pire, bloqués dans leur évolution, un certain nombre de clés pour sortir de l'impasse.

(2) C'est naturellement à eux, comme à leurs innombrables compagnons d'infortune, qu'est d'abord dédié l'ouvrage en question.

 

Commentaires

C'est bizarre, je suis sûre que cette description du "mauvais patron", incompétent et dérangeant, va parler à beaucoup d'entre nous, quels que soient notre âge et notre métier... Peut-être même est-il, cet individu type, plus qu'une évocation, un souvenir pour toi aussi. En tout cas, il est, pour nous tous, le modèle à ne pas suivre, celui auquel on ne veut surtout pas un jour ressembler.

Écrit par : Régine | 30/10/2009

Un souvenir ? Tu n'y penses pas... Il y aussi parfois l'inconvénient de reproduire ce que l'on s'est pourtant juré de ne pas faire lorsqu'on sera soi-même en charge : c'est sans doute que nous apprenons par l'exemple plus que par la pensée (le corps a son mot à dire là-dedans il me semble car c'est là aussi une affaire de posture).

Tiens, il faudrait faire le même exercice pour le bon et le mauvais prof : il y aurait aussi de quoi s'amuser un peu, hélas ! J'avais bien aimé là-dessus le bouquin de Pennac ("Chagrin d'école") qui m'a semblé dire sur ces questions deux ou trois choses qui comptent.

Écrit par : Olivier | 30/10/2009

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