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20/01/2011

Rebondir en temps de crise (2) La revanche de la récré

Cela nous ramène au concept anglo-saxon de la « serendipity », sorte de hasard heureux qui peut se définir comme l’art de découvrir ou de créer quelque chose sans l’avoir précisément cherché. Un état d’esprit qui ne fonctionne que si l’on se fixe un objectif précis et qui exige une attitude mentale axée sur la détermination, la curiosité, l’effort et la patience.

S’il est par ailleurs nécessaire de communiquer en période de crise, il est préférable de se concentrer sur un seul message, ce qui implique d’être au clair en amont sur son objectif, son positionnement et ses cibles. « Tous les grands communicants, rappelle Bommelaer, le savent. Il vous faut trouver les mots clés et la façon forte, unique et originale de faire passer votre message principal ». Ne reste plus qu’à répéter par la suite ce message central. Bref, l’efficacité en ce domaine se conjugue aussi mal avec la propension à la divagation du propos qu’avec une habitude culturelle plus ancrée dans notre pays qui consiste à s’obliger en toutes circonstances à la modestie en s’interdisant d’afficher ses réussites.

Au contraire, être porteur d’un message clair et fort peut utilement aider à conjuguer lisibilité et visibilité, ce qui vaut pour les individus autant que pour les entreprises. A l’âge du storytelling, il est également utile de rappeler que nous n’usons que trop peu souvent de la capacité des histoires à susciter la curiosité et à faire passer des messages. Une « arme de persuasion massive » dont nous n’utilisons ordinairement guère plus de 20 % des possibilités. Ayez donc au moins une histoire pour chaque grande idée que vous défendez, recommande l’auteur.

Profitez-en également pour construire votre propre vision de la crise, pour « faire la différence avec le magma verbal ambiant en adoptant un discours réfléchi et construit sur la récession ». Les leaders les plus habiles en ce domaine ont bien compris que l’essentiel « n’est pas d’avoir raison sur la durée, mais d’avoir une pertinence évolutive et assez souple pour pouvoir s’adapter à des circonstances aussi changeantes qu’évolutives ».

La revanche de la récré

Il y a une satisfaction dans cette affaire : c’est la revanche des pros de la récré sur les bons élèves. Ceux qui réussissent le mieux en période de crise ne sont en effet pas ceux qui, tels les bons élèves, répliquent avec application les recettes de l’école et du passé, mais ceux qui explorent, vont au contact des autres et montrent une capacité singulière à la socialisation (Bommelaer est aussi un spécialiste du réseau ; il est notamment l’auteur de « Trouver le bon job grâce au réseau » et « Booster sa carrière grâce au réseau »). La recherche (Eagly & Carli) montre que les meilleurs managers qui consacrent moins de temps que les autres aux tâches traditionnelles pour mieux se concentrer sur le développement des relations sont aussi ceux qui progressent le mieux dans leur vie professionnelle. La récré dans ce contexte, c’est ce lieu magique où « se nouent les alliances, circule l’information et se passe la vraie vie ».

Quant à la recherche d’emploi, inutile de préciser que, dans une situation où 70 % des postes de cadres confirmés passent par le réseau, c’est un networking bien mené et le plus en amont possible qui permettra de s’insérer au mieux dans les opportunités disponibles. Cela permettra aussi d’éviter ce que Bommelaer nomme les quatre dictatures du marché de l’emploi : celle du CV (vu en vingt secondes sans rencontre), du copié-cloné (on recherche le même), de l’âge (on est désormais reconnu senior à 47 ans) et du diplôme (sans le bon, point de salut).

Nouvelles catégories

Dans ce contexte, le credo de l’auteur, c’est celui de Susan Jeffer : qui ose, gagne. L’auteur rappelle à cet égard le mot de John Kennedy : « Les risques et conséquences qui découlent de l’action ne sont rien comparativement aux risques et conséquences d’une confortable inaction ». Et cela dans un monde et au milieu d’une crise qui nous commandent de cesser de penser et de vouloir agir avec les cadres et les catégories du XXème siècle. « L’histoire du XXIème siècle est d’ores et déjà dominée par l’incertitude et la volatilité, les ruptures et les surprises de tous ordres. Autant donc être prêt à vivre ces nouvelles ruptures. C’est aussi le crédo des spécialistes des nouvelles technologies à Harvard qui intègrent de plus en plus dans les systèmes de management les règles permettant de gérer au mieux l’incertitude.

La tâche paraîtra-t-elle trop vaste qu’un découpage en une série d’actions concrètes et positives permettra de progresser vers le but que l’on s’est fixé. C’est la recommandation d’Albert Bandura dans son livre sur l’auto-efficacité. Plus la personne concernée est persuadée de pouvoir réussir, plus elle agit et atteint ses objectifs. Plus elle réussit, en acquérant ou imitant des comportements adaptés, plus elle se fixe – ou accepte – des tâches de plus en plus difficiles.

Investir dans la confiance

Investir dans la confiance est aussi une piste à privilégier, spécialement dans un pays auquel elle fait cruellement défaut, comme l’ont rappelé récemment Yann Algan et Pierre Cahuc dans « La société de défiance ». A la question : en règle générale, est-il possible de faire confiance aux autres ? la France se classe en effet au 24ème rang sur 26 pays étudiés, juste devant la Turquie et le Portugal. Voilà un avantage stratégique encore largement méconnu, à tel point que Covey la considère comme la priorité n°1 des années à venir. Cela n’exclut pas la confrontation, mais doit à tout le moins conduire à la pratiquer de façon positive, à travers ce que les psychologues nomment l’assertivité.

Pour cela, rien de tel que de redécouvrir le potentiel de « l’intelligence émotionnelle développée notamment par Daniel Goleman. Si un QI supérieur à 140 continue encore à être pris en considération, le « quotient émotionnel » monte en puissance. La clé, c’est l’harmonie sociale. La contribution décisive du QE, c’est en effet de permettre la pleine expression du travail en équipe, bien au-delà de la seule addition des QI individuels (2/3).

18/01/2011

Rebondir en temps de crise (1) Territoire de l'expérience optimale

« Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent ». C’est sous l’égide de ce mot de Saint-Exupéry que Hervé Bommelaer, consultant en outplacement et en gestion de carrière, fait avec « Rebondir en temps de crise – 50 bons réflexes au quotidien » (Eyrolles), une œuvre utile, c’est-à-dire, stimulante et efficace pour peu que l’on veuille bien sortir un instant des schémas usuels et de l’habituelle scepticisme à l’égard d’une approche plus proactive de la vie aussi bien au plan professionnel que personnel.

Ce n’est pas que nous manquons de volontarisme, c’est que nous manquons souvent, sinon d’énergie, du moins de méthode. Le meilleur de l’expérience américaine, qui nourrit tout naturellement les expériences de coaching, pourrait bien résider dans cette idée simple que, peut-être pas tout, mais beaucoup nous est possible si nous voulons bien en construire le cheminement plutôt qu’en attendre l’avènement.

Que recommande Bommelaer à cet égard ? Du sang-froid d’abord au beau milieu de la crise, plutôt que de céder à la sinistrose et à la paralysie ambiantes, et de la hauteur de vue. En période de crise, il est en effet « préférable de moins pelleter, mais de le faire à des endroits différents » parce que « c’est la qualité des idées et la réactivité face à un environnement en mutation rapide et chaotique qui fera la différence ». A chacun de diversifier ses sources et ses contacts pour renouveler la vision de son environnement et de son univers professionnel. Ah, comme les habitudes sont commodes, et comme elles mènent toujours aux mêmes constats qui ne nous font pas avancer d’un iota…

L’expérience optimale du « flow »

Ce contexte de crise rend bien sûr inopérants aussi bien la frilosité que le repli et davantage encore la résistance au changement. Une posture nouvelle qui passe par un questionnement simple : qu’est-ce que je ferais si je n’avais pas de contraintes financières ? Et qu’est-ce qui m’empêche de le faire maintenant ? s’interroge ainsi l’auteur. Le choix est finalement assez simple entre subir ou agir. Suivre des rails qui nous ont souvent fait perdre de vue la direction en cours de route ; ou bien se donner les moyens de réintroduire dans nos existences résignées l’énergie de projets excitants.

L’expérience du « flow », repérée par Mihaly Csikszentmihalyi et qui donne à certains moments particuliers de réalisation ce mélange de sentiment de parfaite maîtrise et d’enchantement profond peut aussi aider à se reconnecter avec son énergie et son talent propres. Si l’exigence de la tâche est élevée mais les capacités de l’individu sont réduites dans un domaine donné, l’anxiété se développera. En sens inverse (faibles exigences, fortes capacités), on sombre dans l’ennui. L’idéal est donc de se placer dans cette courbe centrale qui fait progresser ensemble les défis auxquels nous sommes confrontés et notre capacité à y répondre positivement. C’est le territoire de l’expérience optimale.

Cette approche n’est pas sans rappeler ce que dit Luc Albert du changement sous l’angle de l’employabilité : ce qui est coupable dans le monde de l’entreprise, ce n’est pas de demander aux gens de changer, c’est le contraire, qui les enterre sûrement avant l’heure. Là-dessus, Anthony Robbins, expert en PNL, rappelle quelques principes salutaires : il n’est pas nécessaire de tout comprendre avant d’agir ; les êtres humains sont notre principale resource (ce qu’il faut naturellement comprendre en un sens différent des « ressources humaines ») ; le travail est un jeu ; ou encore, il n’y a pas de réussite durable sans engagement (ou sans passion diraient les coachs de Harvard). Car le constat est là : nous n’exploitons en général que 20 à 30 % de notre potentiel. Ce qui semble nous laisser un peu de marge de progression.

La stratégie de l’océan bleu

Or l’espace du progrès personnel passe en grande partie par notre capacité à établir des relations de partenariat et de coopération avec nos interlocuteurs : responsables, équipes, clients, contacts divers aussi bien que futures relations. Conjuguée à une authentique créativité, cette capacité à créer de nouvelles relations peut se révéler très puissante. La stratégie dite de « l’Océan bleu » popularisée par Chan Kim & Renée Mauborgne, qui consiste à aller jeter ses filets là où personne n’est encore allé en s’éloignant des zones où le combat entre concurrents fait rage, gagne de ce point de vue à être méditée. C’est, rappelle Hervé Bommelaer, typiquement ce que Steve Jobs a réalisé en s’écartant du marché des ordinateurs pour exploiter celui de la musique en ligne.  Bref, pour qui veut bien se mettre en mouvement, de la crise à l’opportunité, il n’y a qu’un pas qui peut donner bien des longueurs d’avance.

Le livre est aussi un florilège de citations américaines volontaristes, tel encore ce mot de Robert Kennedy : « Il y a ceux qui voient les choses telles qu’elles sont et se disent : « pourquoi ». Et il y a ceux qui rêvent les choses telles qu’elles devraient être et qui se disent : « pourquoi pas » ». Cela compense après tout un travers national bien résumé par Bommelaer : en France, nous sommes les champions du monde des idées, mais nous sommes beaucoup moins performants pour les concrétiser… Bref, une bonne idée formidablement mise en œuvre bat toutes les fabuleuses idées mal orchestrées.

Eloge de la « sérendipité »

Lorsqu’aux antipodes de ces success stories, nous partons de plus bas, de situations difficiles, l’expérience des survivants peut aider. Elle repose fondamentalement sur la capacité à garder confiance, le sens de la solidarité, l’aptitude à s’adapter à des conditions extrêmes. Sans négliger la capacité à s’extraire, ne serait-ce que quelques minutes par jours, de la violence ou de l’épuisement. Pour Amanda Ripley, auteure de « The Unthinkable : Who Survives When Disaster Strikes – and Why », le rescapé réagit d’autant plus efficacement qu’il accepte l’idée de chaos et cherche des solutions pour s’adapter à la nouvelle donne.

La chance y aurait-elle sa part ? Bien sûr, encore ne faut-il pas lui attribuer plus que ce qu’elle peut offrir. Dans « The Luck Factor », Richard Wiseman montre ainsi que les chanceux se distinguent des malchanceux par plusieurs facteurs : ils savent ce qu’ils veulent, se fixent des objectifs à la fois ambitieux et réalistes, sont plus curieux, fuient la routine et sont ouverts au changement. Ils ont confiance, osent et n’ont pas peur de l’échec. Ils suscitent la sympathie, relativisent les contrariétés et, fait singulier, se fient pour 80 % d’entre eux à leur intuition qui joue un grand rôle dans leurs choix professionnels. Bref, autant de facteurs qui se révèlent avoir en fin de compte peu à voir avec la chance.

Mal aimée des sociétés occidentales qui lui préfèrent la rationalité, la logique, les certitudes et la modélisation, l’intuition se révèle en réalité une précieuse alliée pour déceler, à travers les crises, les ferments d’un monde nouveau. C’est le sujet auquel s’est intéressé Malcolm Gladwell (« La force de l’intuition »)  où il montre notamment que plus le cerveau travaille sur des sujets différents, plus il est capable d’’établir des liens inattendus entre eux, ce qui en retour développe l’intuition. « Plus votre « encyclopédie interne » sera fournie et constamment alimentée, plus votre intuition sera favorisée. C’est ainsi que sans diplôme mais en s’appuyant sur son intuition, Maxime Aïach, le fondateur d’Acadomia, a fondé sa société de soutien scolaire à domicile. Cette entreprise est aujourd’hui n°1 dans son domaine et ne cesse de croître (1/3).

20/11/2009

L'art de la jauge (4) Jogging ou basket ?

On l'aura compris, il n'y a pas de bons ni de mauvais patrons : il y en a rarement d'exécrables, il y en a plus souvent de très bons et puis - le monde de l'entreprise ne fait pas exception à la vie ordinaire -, il y entre les deux toute une combinaison possible de qualités et de défauts, de talents et de points faibles qui fait l'essentiel de l'affaire.

La façon dont on définit le défaut peut aussi déterminer une partie du talent. Les Anglo-Saxons l'ont bien compris qui parlent, non de points faibles, mais de "areas for improvement" (domaines d'amélioration). Managérialement correct ? Sans doute, mais c'est aussi psychologiquement juste. Il y a, de fait, une différence non négligeable entre un responsable qui vit sur ses acquis et un autre qui cherche à progresser.

Nombre d'entre eux se sont d'ailleurs engagés dans les démarches dites "360 degrés" qui permettent de s'évaluer à travers les perceptions de son entourage professionnel - pairs et collaborateurs. Le talent du chef, ce n'est pas de savoir tout faire, c'est de savoir s'entourer de compétences complémentaires et de mettre l'attelage au travail et la partition en musique pour aboutir à un résultat aussi efficace (et, ajouterait le communiquant : audible) que possible.

Pour le collaborateur, cette différence entre le chef qui sait tout et celui qui apprend encore n'est pas seulement de principe : elle est aussi de dynamique dans la mesure où elle transmet, au-delà des savoirs, une attitude en mouvement. Le point d'arrivée, ce n'est pas l'aboutissement du projet en cours, le prochain entretien d'évaluation ou la promotion qui suit : c'est l'apprentissage continu du mouvement et, plus encore, de la transformation à l'oeuvre.

Il y a à cela une nuance et une conséquence.

La nuance, c'est que le progrès continu n'est pas la remise en cause permanente. Il y a un temps pour s'arrêter et remettre les choses à plat, un temps pour avancer et les remettre en perspective. Il n'y a rien de plus vain et inefficace à cet égard que de multiplier les réflexions et les plans, qui commencent en fanfare et finissent sur la comète. Leur addition confuse signale seulement la faiblesse de départ ou, diraient les Chinois, son insuffisante plasticité. Le bon patron n'est ni un intellectuel ni un psychologue : c'est un homme d'action dont les équipes attendent (sauf peut-être en Suède où il faut débattre de tout, y compris des orientations du chef) qu'il dirige l'organisation, c'est-à-dire oriente, rassemble, arbitre, aide et évalue.

La conséquence, c'est que le collaborateur doit se mettre lui-même en position de progresser au premier chef, non seulement pour lui-même, mais aussi parce que, s'il devient bon dans son domaine - ce qui, même avec du talent, prend toujours un peu de temps -, il peut aussi contribuer à faire progresser son responsable. Selon les personnalités et les contextes culturels, c'est plus ou moins difficile. Mais c'est faisable, et cela fait même une ambition honnête.

Si bien que le vrai sujet, ce n'est pas plus le chef que le collaborateur - et d'autant moins qu'on est le plus souvent à la fois collaborateur de l'un et chef d'un autre : c'est la capacité de l'un et de l'autre à faire d'une diversité de talents et de défauts une entité plus intelligente et efficace ensemble que ne le sont chacun de ses éléments séparément - en un mot, de faire équipe. On a tort à cet égard de faire du sport une pure hygiène individuelle : c'est une oeuvre sociale. Obama ne fait pas du jogging, il joue au basket.

 

24/10/2009

L'art de la jauge (3) L'Illuminé, le Palimpseste et le Cynique

On trouve dans la typologie des bons patrons une singulière série de qualités plus ou moins antinomiques, qui dépendent des tempéraments plus souvent que des circonstances, et qui montrent l'intérêt, dans le management aussi, d'une certaine diversité naturelle.

Dans un monde obscur, instable et menaçant, l'Illuminé apporte la lumière. C'est pourquoi il est en particulier utile dans les réunions tardives. D'ailleurs, si on le poussait un peu, il adorerait parler dans le noir pour faire concurrence à l'électricité (l'Hyperactif a parfois une tentation analogue, sous l'angle de l'énergie, mais la refreîne mieux, sûr que son activisme lui fera tôt ou tard faire un pas de trop dans un pas de porte et que, comme l'ont bien diagnostiqués les spin doctors de Fox News, l'incident l'emportera toujours sur la démonstration). L'Illuminé ne se contente pas de voir, il trace une Voie que ses Adeptes ne découvrent qu'en Chemin quand ils croyaient l'avoir un peu inventée eux-mêmes. Car, dans son omniscience, l'Illuminé est aussi un grand meneur d'hommes qui sait bien que l'hypothèse désopilante de Descartes (*) vaut tout de même mieux que la sentence animalière de de Gaulle. De la profondeur de cette vision, il arrive que l'Adepte ne revienne pas. Cela favorise le boulot des DRH dans le domaine de la motivation mais peut aussi, du coup, compliquer le comptage des effectifs. C'est pourquoi il faut, à côté de l'Illuminé, un DRH à l'aise aussi bien dans le planificage stratégicateur que dans le boulot de base.

Super Manager aime à se passer de l'article défini "le". Il a en effet toujours considéré que ce n'est pas à l'article de définir, c'est à lui. Super Manager aime à débarquer au beau milieu des situations désespérées, qui étaient surtout désespérées de ne l'avoir pas encore vu. Avec lui, on passe illico de l'amphigouri à la synecdoque, mais cette rhétorique nouvelle ne se paie pourtant pas de mots : elle procède de l'action et s'illustre par l'exemple. Ce qui compte, c'est l'alignement des figures et leur contribution ordonnée à la réussite du Tout. "Rien de ce que font vos mains ne m'est étranger" aime-t-il à faire comprendre. Il n'est expert d'aucun savoir - il ne connaît même pas le rôle pourtant majeur joué par le Lactobacillus Bulgaricus dans la transformation du lait en yogourt, sans même parler de la différence entre fission spontanée (quand une bombe atomique vous tombe dessus par hasard) et fission induite (lorsque cela suit une altercation avec un voisin) -, mais il n'en a cure : tête de gondole ou explosion atomique, l'essentiel c'est d'arriver au résultat le plus efficacement possible. D'ailleurs, il sait où ça coince et il appuie là où ça fait mal. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas un pincement éthique lorsque la fabrication du yogourt bulgare affame le producteur de lait des Rhodopes : au contraire, Super Manager a une authentique grandeur d'âme, c'est juste que cela ne nous regarde pas. En tout cas, avec Super Manager, ça dépouille.

Ce n'est pas que le Super Manager soit très extraverti, mais le Palimpseste est tout de même comparativement plus effacé. Le Palimpseste ne paie pas forcément de mine : c'est sa façon d'endormir l'adversaire. Il préfère attaquer les sujets au ras des pâquerettes : pour les cîmes, on verra plus tard. Il prend les choses dans l'ordre et, passé l'effet de surprise, ou de déception éventuelle, cette approche méthodique n'apparaît dénuée ni d'efficacité, ni de pédagogie. A l'instar du Super Manager, le Palimpseste n'est pas un expert et ne la ramène donc pas davantage à tout bout de champ. Sa force précisément, c'est de ne pas avoir d'idées arrêtées et donc, d'être à l'écoute. Bref, on peut écrire dessus : si c'est bon, il prend ; si c'est mauvais, c'est mieux de rectifier le coup d'après, surtout si le collaborateur a une famille à nourrir. Le Palimpseste ne fait pas d'esbrouffe : c'est un gars plutôt simple et généralement assez facile d'accès. Il est néanmoins préférable de ne pas trop le pousser dans ses retranchements ou alors uniquement avec le modèle Palimpsieste, après le déjeuner et sans parler trop fort.

Même au repos, on voit bien que le Guerrier est un guerrier. Rien à voir avec la Brute pourtant : quand le fantasme de la brute, c'est de zigouiller jusqu'au dernier de ses collaborateurs pour montrer l'exemple sur le terrain de l'augmentation des coups, le Guerrier se sacrifierait pour sauver les siens. L'un est un suisse, l'autre un Samouraï. De fait, le Guerrier aime le combat, il est d'ailleurs taillé pour. Il est donc préférable avec lui d'avoir quelques rudiments d'escrime pour lui donner un coup de main, les jours de fronts multiples. Le Guerrier ouvre en effet toujours plusieurs fronts à la fois, faute de quoi il s'ennuie. Il créerait même de faux ennemis si sa passion du combat ne lui en créait pas suffisamment comme ça. Avec le Guerrier, on peut fatalement être amené à couper des têtes aussi. Mais c'est pour l'Honneur.

Le Cynique se raréfie. C'est dommage. A ses côtés, on apprend à penser contre les évidences de l'époque, ce qui nous change du blabla ambiant. Avec lui d'ailleurs, pas de baratin - seulement une confidence ou deux de temps en temps, qu'il distille à mesure qu'il donne sa confiance, ce qui lui coûte toujours un peu. Il est souvent cultivé, voire très - et modeste en plus, ce qui constitue toujours un mélange redoutable. C'est un conservateur et un humaniste : pour lui, Lampedusa a commis le traité managérial majeur à côté duquel les élucubrations de Peter Drucker apparaissent comme d'aimables plaisanteries pour bizuths attardés. Il a l'humour grinçant. Ça surprend un peu au début, puis on s'y fait et, bientôt, on ne peut plus s'en passer. Il ne faut pas passer des années auprès d'un Cynique, mais enfin il est assez utile d'en avoir côtoyé un ou deux.

Le Débonnaire se fait rare, lui aussi, dans une époque qui préfère le formatage au style. Et pourtant il aurait réhabilité l'entreprise auprès d'un cén acle de trotzkystes à lui tout seul, avec gourmandise, par un mélange savoureux de malice et d'engagement. Le débonnaire est tout en rondeurs : ce n'est pas qu'il ait du talent pour les relations humaines, c'est qu'il aime les gens et qu'il leur consacre une bonne partie de son énergie. Sa bonhomie ne vas pas sans générosité ; mais elle ne se confond ni avec la complaisance - il a le sens de la justice -, ni avec la mollesse - il a de l'autorité. Pour lui, l'entreprise, c'est d'abord une collectivité humaine et l'élément d'une communauté plus vaste. Avec lui d'ailleurs, on finit par ne plus très bien savoir où s'arrête l'une et où commence l'autre. C'est un meneur d'hommes lui aussi, moins visionnaire mais plus convivial. Et c'est un politique né qui s'est retrouvé là mi par accident, mi par scepticisme. Bref, le débonnaire apporte à l'entreprise ce qu'elle ne sait plus quantifier mais qui lui rapporte tant : un supplément d'âme.

Nous voilà, de nouveau, bien avancés.

(*) "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée".

18/08/2009

L'art de la jauge (1) Prendre un nouveau job, c'est d'abord choisir un nouveau patron

En mettant la dernière main à une sorte de guide de recrutement ("Petit traité de libération de la croissance à l'usage des salariés malheureux : comment se faire recruter (presque) à coup sûr en dix leçons") (1), comme en me remémorant quelques discussions animées avec d'anciens collègues - ils sont, dans des entreprises et organisations diverses, relativement nombreux -, qui pestaient contre leur chef sans se décider à franchir le pas (2), il ne me semble pas inutile de revenir sur un point, souvent sous-estimé et cependant essentiel, de toute vie au travail et, plus encore, de tout développement de carrière.

Prendre un nouveau job, ce n'est pas d'abord prendre de nouvelles responsabilités. Avec un peu de métier, et sauf reconversion ou changement d'ampleur, les principales problématiques d'une fonction donnée sont connues et il revient à l'impétrant de prendre la mesure de son nouveau territoire avec les adaptations qui s'imposent. Dans le monde professionnel, rien de plus ici que "la vie normale" dans laquelle, au-delà du tintamarre d'usage, tout changement n'est pas nécessairement un challenge.

Prendre de nouvelles responsabilités, ce n'est pas davantage aspirer, à titre principal, à une nouvelle rémunération. Bien sûr, l'argent n'est pas la dernière considération de l'affaire; mais enfin, nouveau territoire ne veut pas dire no man's land et les grilles de rémunération ne donnent pas sur la cour des miracles. Sauf circonstance particulière, tout nouveau poste au sein de la même entreprise s'accompagne d'une progression de l'ordre de 5 à 10 % et d'environ 15 à 20 % pour les changements d'entreprise les plus ambitieux. Seul le couplage d'un nouveau poste et d'une expatriation permet en général d'aller au-delà de ce seuil. Les règles sont, là-dessus, généralement connues et encadrées.

D'autant que, les experts en motivation le savent bien, la rémunération est une composante du poste sans en constituer nécessairement l'élément essentiel. Si l'on estime à environ 20 % l'écart entre la rémunération réelle et la rémunération psychologique (ou désirée), l'on sait bien qu'un élément clé reste l'intérêt du travail et le sentiment, ou non, de s'y réaliser au contact d'une nouvelle communauté de travail.

Prendre un nouveau job, c'est en effet déjà un peu plus rejoindre un nouveau groupe humain. Patrick Lemattre, professeur à HEC, a bien montré à ce sujet combien il était nécessaire, en particulier pour la nouvelle génération, d'évoluer au sein d'un milieu vivant, dont le sens de l'humour ne serait pas une anomalie mais au contraire le signe d'un minimum de fluidité et le gage d'un certain épanouissement. Bref, un domaine dans lequel, sur le marché du recrutement des plus jeunes, toute authentique ringardise se paierait cash.

Mais cette triple exigence de fond (compétence), de forme (communication) et de tréfonds (engagement) s'applique d'abord à la relation directe avec le responsable hiérarchique. Prendre un nouveau job, c'est en effet d'abord passer un contrat avec un nouveau responsable. Un contrat explicite bien sûr, autour d'un certain nombre de missions et de règles de fonctionnement ; mais aussi implicite, en relation avec le plus ou moins grand degré de partenariat susceptible de s'instaurer.

Pourtant, ce qu'il est crucial de savoir identifier à ce point du processus, ce n'est pas tant la qualité d'une relation : non seulement celle-ci n'en est qu'à ses balbutiements, mais elle n'a pas non plus pour vocation première de vous donner un sentiment de franche camaraderie. Le respect et la sympathie sont deux choses différentes : le premier s'impose, la seconde est à la fois plus subtile et moins indispensable. Ce qui doit être jaugé bien plutôt dans ce contexte, c'est la qualité propre du patron en question. 

Ce point est fondamental en effet parce que, s'il est sous-estimé - ce qui est souvent le cas pour les candidats en prise avec une procédure de recrutement, comme s'il s'agissait là d'un détail, ou du moins d'un élément parmi d'autres du package -, cet aspect des choses peut se révéler la source d'un certain nombre d'ennuis plus ou moins embêtants.

Au rang des "moins" embêtants, il faut bien sûr compter un fonctionnement disharmonieux, qui complique la vie quotidienne sur le terrain, disons, de la communication au sens large. Plus gênant est la superposition, aux dossiers à traiter, de problèmes issus des faiblesses du responsable hiérarchique en question - par exemple, incohérences répétées ou incapacité pathologique à trancher. Si une fonction donnée se justifie d'abord par la nécessité de résoudre un certain nombre de problèmes, il est préférable d'éviter d'avoir à y gérer, en plus, l'incompétence de votre responsable hiérarchique.

En réalité, c'est le bon exercice de vos responsabilités dans leur ensemble que finit par compromettre le mauvais patron. Plus grave, un mauvais patron, en vous mettant à dessein dans des situations acrobatiques, peut compromettre les développements de carrière auquel vous aspirez, sans doute légitimement. Si un mauvais patron, de ce point de vue, est quelqu'un qui vous fait perdre votre temps, le plus préoccupant dans l'affaire, ce sont moins les ennuis de fonctionnement aujourd'hui que les conséquences, demain, sur la suite de votre parcours.

Traduit en termes de développement personnel, le bon patron vous apprend deux ou trois choses utiles et vous fait "grandir" ou, du moins, progresser ; le mauvais vous fait perdre votre temps et votre énergie, et vous fait piétiner, ou même reculer s'il est vraiment mauvais. Ne reste plus qu'à établir une typologie des bons et des mauvais patrons. Manichéen ? - Sans doute. Mais salutaire, assurément. (à suivre)

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(1) Ouvrage qui fait suite à ma participation aux travaux de la Commission Attali l'an dernier sur la "libération de la croissance française", dont le projet est cette fois, non pas de prolonger les analyses menées à l'échelle de la société française dans son ensemble, mais de donner aux individus qui s'estiment frustrés, mal reconnus ou pire, bloqués dans leur évolution, un certain nombre de clés pour sortir de l'impasse.

(2) C'est naturellement à eux, comme à leurs innombrables compagnons d'infortune, qu'est d'abord dédié l'ouvrage en question.