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03/06/2013

Dircom (2.2.3) Du média training au média coaching

Autant le dire tout net : je tiens les relations presse comme une école fondamentale de l'exercice du métier de communicant. Seule la gestion des relations avec les médias expose en effet avec une telle intensité au mélange de réactivité, de maîtrise de la parole, de psychologie, de sens de l'opportunité et de tension tactique qui fait le coeur du métier et, pour tout dire, l'un de ses terrains de jeu privilégié.

Or, ce qui est vrai en période normale l'est encore plus en période de crise. Il faut avoir été porte-parole d'organisations projetées au devant de la scène et parfois jetées pendant des semaines ou des mois en pâture à l'opinion aux quatre coins du globe pour sentir la tension qu'implique l'exercice. Il faut aussi, cela étant dit, un rapport relativement anormal au réel pour faire de cette tension une excitation au sens anglo-saxon du terme, autrement dit, pour prétendre non seulement gérer mais aussi retourner la crise ou, mieux encore, pour en faire un levier de progrès.

Je note d'ailleurs qu'un certain nombre de débats professionnels, comme ce fut encore le cas récemment avec des dircoms issus du secteur de la banque ou de l'hôtellerie, tournent à cet égard davantage à la complaisance qu'au réalisme. La réalité face à une crise qui ressemble à un cyclone, c'est à peu près la même sensation que l'on ressent la première fois face à une grenade qui vient rouler à vos pieds : la peur. Et l'issue de la suite relève souvent plus de la chance que du génie.

Jeune dircom, je me souviens ainsi d'un échange avec l'un des meilleurs experts de la place de Paris au sortir d'une crise parmi les plus éprouvantes qu'il m'ait été donné de gérer. Il se trouve qu'après avoir essayé de gérer cette crise de façon rationnelle, j'ai fini par comprendre assez vite qu'il fallait abandonner ce travail d'argumentation qui ne nous laissait à peu près aucune chance sur ce terrain, sinon celle de nous enfoncer chaque jour davantage dans l'espèce d'irrationnel médiatique qui tournait alors à plein régime comme en une sorte de lessiveuse détraquée.

L'urgence, c'était à la fois d'élargir le débat, de détourner la cible, puis de changer de terrain de jeu - idée à triple détente qui m'était venue fortuitement à l'occasion d'un déjeuner au cours de cette période et qui fonctionna à merveille. Ce pourquoi d'ailleurs, même dans les pires moments, le dircom doit toujours être à l'écoute de son environnement. "Vous avez eu de la chance" me lança l'expert en question. "Nous avons été bons" répondis-je... A trente-cinq ans, c'était une prise de position intéressante. Passé la quarantaine, cela aurait été une idiotie doublée d'une faute de jugement. C'était évidemment lui qui avait raison.

En réalité, dans tout dispositif de communication, le média audiovisuel est au centre d'une curieuse relation qui suscite simultanément l'envie et la peur. L'envie de porter haut la parole de l'entreprise, la peur de ne pas être à la hauteur d'un exercice qui, s'il intègre de la technique, sollicite d'abord les ressorts intimes de chacun. Il y eut dans ce domaine des chutes célèbres, qui font encore mentionner avec malice à quelques patrons de la vieille école l'adage selon lequel "le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien". Je ne dis pas qu'il s'agit là d'un propos qui déchaîne un enthousiasme spontané chez un dircom ; au-delà des réflexes pavloviens de la profession, il ne mérite pas moins que l'on s'y arrête un instant, ne serait-ce que pour mesurer les enjeux du passage d'une logique d'image à une stratégie de réputation. 

Il reste que le porte-parolat constitue pour le dircom l'exception plutôt que la règle, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi compte tenu du degré de suspicion dans lequel est désormais tenue la communication dans l'esprit public. La moitié de ce rôle médiatique vient en effet a priori de la légitimité pour ainsi dire statutaire du porte-parole, l'autre moitié de son degré d'engagement émotionnel dans l'affaire ; avec un peu de chance, on retiendra en sus deux ou trois choses que vous avez dites, pour autant qu'elles s'inscrivent dans cette logique émotionnelle. En réalité, la plus grande part du job ici et sa part la plus courante est principalement de médiation entre le patron de l'organisation et les médias pour cadrer, guider, préparer, orchestrer, bref, accompagner le dirigeant ou ses représentants tout au long du processus.

Si l'on pousse plus avant ce raisonnement, on aboutit très vite à une sorte de principe archimédiatique selon lequel tout corps parlant plongé dans l'arène médiatique reçoit de la part de celui-ci une poussée verticale... Autrement dit, s'il ne se noie pas, il émerge plus fort en ce qui concerne l'objet fondamental de son activité. C'est qu'en réalité, l'essentiel n'est pas le média, mais le dirigeant ; ce n'est pas l'externe, mais l'interne. In fine, un processus d'accompagnement médiatique bien conduit au milieu de circonstances un peu rudes met en effet un dirigeant en situation, dirait-on en politique - autrement dit, en position renforcée pour conduire le projet qu'il porte pour l'organisation qu'il sert.

Pourquoi cela ? Il y a bien sûr le syndrome du sauveur, ou celui du chevalier au milieu de ces joutes contemporaines qu'affectionnent les arènes médiatiques. Les spécialistes de la conduite du changement qui ont été formés chez Vladimir Propp à l'étude structuraliste des contes en savent quelque chose. La dimension symbolique ne compte pas pour rien dans l'affaire. Mais il y a autre chose, qui touche davantage au leadership qu'à la communication.

Le type qui finit par ressortir de la lessiveuse a appris quelque chose de fondamental sur lui-même. Il a hésité, puis combattu, donné du sens, mis en perspective. Il s'est défendu mais, surtout, il s'est engagé. Il a dû, ce faisant, sortir de lui-même, mettre à l'épreuve ses résistances, passer des seuils, franchir de nouvelles frontières. Comme le militant après la première campagne, le marathonien après le premier marathon et le parachutiste après le deuxième saut : ce n'est plus le même homme.

Le reste est péripétie. A l'heure de l'information en continu et des réseaux sociaux, tout le monde aura vite oublié le plus ou moins gros pépin contre lequel vous aurez ferraillé quelques semaines plus tôt. Tout le monde, sauf vous-même et l'organisation que vous dirigez. Je soutiens qu'une partie fondamentale de l'intérêt du métier vient de ce processus de transformation intime qui fait du dircom, moins un arracheur de dents qu'un accoucheur de talents. En un mot, dans le média coaching, ce qui compte, ce n'est pas le média, c'est le coaching. 

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