04/04/2011
Dircom (2.1.1.) La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)
Deuxième partie : Les évolutions
En explorant les fondamentaux du métier, on a cherché à identifier les piliers d'une fonction qui a perdu sa capacité à la fois de recul et d'anticipation. En examinant les évolutions en cours, il s'agit à présent de redescendre dans l'arène pour déceler les lignes de force qui ont commencé de changer le métier au cours de la décennie écoulée sans avoir toutefois encore complètement livré tout leur potentiel.
Je vois à cet égard trois évolutions majeures. La première fait progressivement passer le métier de dircom du rôle de tacticien à celui de stratège. La deuxième voit s'opérer un glissement d'une position de faiseur à une fonction davantage tournée vers la coordination. La troisième enfin, le conduit à passer d'une logique de frontière à une logique de réseau en s'appuyant notamment sur les nouvelles ressources du Web.
2.1. Du tacticien au stratège
2.1.1. La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)
Si la tactique est l'art de mener les batailles, alors elle est le champ d'intervention par excellence du dircom. Elle l'ancre, ce faisant, dans un rapport singulier au pouvoir et au temps. Au pouvoir ? Son engagement sur le terrain de la tactique signale un rôle a priori d'accompagnement plus que de définition de la stratégie. Il ne lui appartient pas en général de décider de la fermeture d'un site ou de l'acquisition d'une société même si, en fonction de sa spécialité (financière, marketing ou sociale par exemple), de son expérience et de sa capacité de jugement, il peut apporter sur ces sujets une contribution éclairée. En revanche, quand le coup part, c'est son job de faire en sorte que le message soit à la fois clairement compris et positivement perçu. Que son pouvoir soit essentiellement d'influence signifie alors qu'il a tous les pouvoirs sans en avoir aucun. En somme, le dircom façonne sans décider et pilote sans diriger.
Ses prédospositions tactiques font aussi du court terme son horizon le plus sûr. Encore faut-il s'entendre sur cette notion de court terme : il s'agit moins ici du trimestre, du mois ou de la semaine que du jour ou de l'heure. Il faut avoir produit un communiqué nickel en une demi-heure pour une direction générale en plein paroxysme social ou répondu à vingt appels des quatre coins du monde dans la journée au beau milieu d'une crise commerciale majeure pour prendre la mesure de cette affaire. De deux choses l'une : ou bien on aime ce mélange d'inconfort et d'intensité et on peut faire ce métier décemment. Ou bien ce n'est pas le cas et on devient alors archéologue, comptable ou gardien de musée.
Le dircom est le média
Se sortir en improvisant d'un traquenard au milieu d'un groupe hostile ; remplacer au pied levé un président pour un débat public majeur ; finaliser les documents et la logistique d'un séminaire managérial en plein mois d'août avec les trois quarts des gens en vacances ; prendre le risque d'aller à la rencontre d'une trentaine de journalistes passablement énervés, camera au poing, par le retardement d'une annonce majeure ; boucler une analyse de risque ou un compte rendu d'entretiens en pleine nuit pour que le siège puisse en prendre connaissance first thing in the morning à l'autre bout du monde ; diviser par deux les délais de livraison d'une publication de référence complexe pour un conseil d'administration exceptionnel ; réécrire au beau milieu d'un déménagement un projet de stratégie totalement à côté de la plaque ; participer à un comité de coordination par conference call avec les représentants des actionnaires canadiens, sud-africains, australiens, britanniques ou russes depuis un aéroport du Midwest bloqué par une tempête de neige sans accès aux documents supports... Quand ce ne sont pas les événements qui s'y mettent, ce sont les éléments qui déraillent.
Il y a bien chez le dircom une forme d'excitation à être solidement planté au milieu de la tempête. A l'aversion qui prédomine généralement chez les autres pour les ennuis (incidents, conflits, exposition médiatique, etc) répond sa préférence personnelle pour tâcher d'en sortir au mieux l'organisation qu'il représente. Au cas où le contrat ne serait d'ailleurs pas clair, on le rend volontiers explicite : la plupart des offres d'emploi dans ce domaine, spécialement en Amérique du Nord, soulignent à l'envi la nécessité pour les volontaires de faire face à une multitude de tâches à un rythme rapide. Faisant contre mauvaise fortume bon coeur, le dircom en profite pour s'installer dans l'arène. Son intuition, c'est que l'on accomplit ce que l'on a à faire moins en faisant de grands plans sur la comète qu'en façonnant les événements au jour le jour, une tâche après l'autre, un détail après l'autre, une interaction après l'autre. Il a appris que le média est le message ; il découvrira qu'il est aussi lui-même le premier média de l'organisation. Le champ de la tactique pour lui, c'est cette orchestration minutieuse, interactive et polymorphe du court-terme.
Le signal et la catastrophe
Bien sûr, il y a bien des façons d'entrer dans le métier et toutes ne font pas de la gestion des crises, des questions sensibles ou des changements d'organisation le domaine de prédilection de ses interventions. De même, il y a des organisations très différentes les unes des autres aussi bien par la nature des problèmes que l'on y rencontre que par le type de culture ou le degré de pression que l'on y trouve. Faire ses classes dans un environnement complexe et instable introduit indéniablement de ce point de vue un biais qui déforme la représentation du métier. Mais comme dans toute situation limite, cette exacerbation des problèmes fait d'autant mieux ressortir les fondamentaux : soit qu'elle dévoile ce à quoi il faut être attentif quand le calme revient ; soit qu'elle révèle un problème de fond à travers la succession-même des ennuis à traiter.
Ce n'est pas tout à fait pareil en effet d'accompagner de lourdes restructurations dans un groupe industriel structuré avec l'objectif de construire une nouvelle étape de développement, et de gérer crise sur crise dans une organisation ballottée de toutes parts. Ce qui fait la différence, c'est le pilotage, c'est-à-dire la conduite organisée d'une action visant à réduire l'écart entre où l'on est et où l'on va. Le piège de la tactique à cet égard c'est d'offrir l'opportunité d'une série de micro-succès qui, en se nourrissant d'eux-mêmes, finissent par faire perdre de vue la perspective d'ensemble, la vision des progrès à accomplir ou le sens des adaptations rendues nécessaires par les signaux faibles de l'environnement. Autant de brèches au départ insignifiantes qui finissent, comme dans les industries de haute technologie ou dans certains corps d'armée, par engendrer de sérieux ennuis à l'arrivée.
Or, il y a bien deux sortes de catastrophes dans ce métier : la première, c'est de planter une crise et la sanction peut en être immédiate. La seconde, c'est de perdre de vue le sens de la mission et la sanction est alors plus lente mais aussi plus grave, en termes aussi bien d'alignement au sein de l'organisation que d'employabilité pour le dircom. On connaît l'adage : à long terme, nous sommes tous morts. Mais comme le dircom se demande parfois s'il va ressortir vivant de cette arène du court-terme, il n'a a priori rien à perdre à tenter de repousser un peu l'échéance.
22:46 Publié dans Communication, Crises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, tactique, crises, métiers de la communication, recrutement, employabilité