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09/11/2008

Leadership, organisation, résultats (l'analyse inachevée de Brent Colburn sur la victoire d'Obama)

"Why did we win or why did we lose?" s'intitulait le programme, fixé avant le résultat de l'élection, de cette rencontre informelle avec Brent Colburn, conseiller pour la campagne d'Obama en Virginie. Après quarante ans d'un soutien constant apporté au camp républicain, "l'Etat du Sud le plus au Nord" s'est tranformé en Etat du Nord le plus sudiste: la Virginie a en effet voté le 4 novembre à 50,9% en faveur de Barack Obama. Une meilleure anticipation, des QG plus nombreux et une meilleure compréhension par le camp démocrate des mouvements démographiques (rajeunissement de la population, afflux d'immigrants en provenance d'Asie et d'Amérique du Sud, souvent d'opinion plus libérale) à l'oeuvre dans cet Etat ont fait in fine la différence.

De fait, Colburn insiste beaucoup dans son analyse sur le facteur organisation et, en particulier, le lien qu'a su établir l'équipe Obama entre cette organisation de terrain et internet. Côté terrain, cela a permis notamment de faire progresser de façon décisive l'inscription sur les listes électorales ("registration vote"), un facteur clé lorsque l'on sait que le taux de participation aux élections aux Etats-Unis est traditionnellement faible, en particulier au sein des minorités et parmi les jeunes électeurs. Côté internet et, plus largement, nouvelles technologies, un succès remarquable a résidé dans la capacité à faire coller la collecte de fond au tempo de l'actualité.

"Organisation, technologie, organisation !" répètent donc à l'envi les commentateurs. Aussi puissante pourtant qu'ait été l'organisation démocrate, on ne peut s'empêcher de penser que ce qui a fait son succès s'explique mieux au travers d'une trilogie plus vaste qui permet de mieux saisir l'efficacité sous le nombre et la dynamique au-delà des forces en présence.

L'organisation, dans ce cas, n'est en effet pas possible sans l'inspiration qui permet de lancer la dynamique. Obama n'a pas commencé avec des bataillons de supporters et des millions de dollars en Iowa, mais avec une vraie stratégie et une bande de types convaincus qu'un succès dans ce premier caucus pouvait ouvrir une percée et mener sur le voie du fameux "momentum". Et c'est en quoi Marc Penn, CEO de Burson-Marsteller et ex-conseiller de Bill puis d'Hillary Clinton, se trompe lorsqu'il n'aborde la question du vote jeune qu'au travers d'une analyse purement quantitative, en rappelant que Bill Clinton avait obtenu les voix d'autant de jeunes gens qu'Obama (soit 63% de leurs suffrages).

Match nul aux points, soit. Mais à l'engagement, à l'énergie, à la mobilisation, au combat, qui fait passer du militantisme ordinaire à la société agissante à travers la responsabilisation et l'autonomisation ("empowerment") des gens - bref, qui fait changer simultanément de siècle et de planète ?

Donc, sans la capacité essentielle du leader à inspirer, et à inspirer puissamment, pas d'organisation - pas d'organisation à ce point engagée et sur-performante. L'autre élément de la trilogie, c'est d'ailleurs la focalisation sur le résultat, ou plutôt le lien affirmé entre l'action et le résultat - un lien puissant parce qu'il permet au plus modeste des acteurs de vérifier concrètement la capacité de l'idéal - "changer le monde", la conclusion du dernier discours électoral d'Obama - à s'incarner dans la réalité.

Un exemple ? Lorsque la convention républicaine a cherché, juste après Denver, à annuler le succès rencontré par la convention démocrate, un mailing personnel de David Plouffe, le directeur de la campagne d'Obama, sur le thème : "Eh les gars, je suis devant mon écran, vous voyez ce que je vois, les Républicains essaient de détruire ce que nous essayons de bâtir, il faut vraiment amplifier notre mobilisation pour les contrer" a permis, rien que dans la nuit qui a suivi, de recueillir dix millions de dollars (soit, de mémoire, pour donner un ordre de grandeur, la moitié environ des dépenses qu'ont engagé à eux deux Sarkozy et Royal en 2007 pendant plusieurs mois de campagne) et, au total, 660 millions de dollars dont 88% avec internet.

Ce qui permet de saisir l'ampleur du succès de la machine Obama, ce n'est donc pas l'organisation en elle-même, mais une trilogie inspiration-organisation-concrétisation, ou pour dire les choses autrement, leadership-organisation-résultat essentielle pour renouveler notre approche des dynamiques de changement.

24/06/2007

New Deal au sommet (2) Nouvelle cuisine managériale (la recette n'est pas le déjeuner)

Une bonne manière d'initier le changement peut être alors de redéfinir la mission de la firme et son business modèle de telle manière que chacun puisse y souscrire. A l'instar de ce que proposa Lou Gerstner à la tête d'IBM, cela peut être l'occasion d'un retour aux sources synthétisé, dans ce cas d'espèce, dans la formule : "le leader mondial des infrastructures de systèmes d'information" - une définition, à l'évidence, d'autant plus aisée que les activités de l'entreprise sont homogènes.

Il reste qu'au-delà de la formulation d'une vocation commune pour le groupe, encourager l'interdépendance, développer un sens partagé des missions et le respect de la contribution des autres unités, cela représente un changement fondamental et difficile dans la culture de l'entreprise.

Trois approches principales ont été retenues à cet égard par la plupart des firmes qui se sont engagées dans une telle aventure.

La première consiste à donner aux dirigeants la responsabilité, non pas d'une business unit, mais de différentes étapes de la création de valeur, ainsi que l'a fait SAP dans son projet de réunification à partir de 2005. Cela conduit à un fort développement de la coopération et améliore la qualité des échanges. Claus Heinrich confie ainsi : "Lorsque j'ai rejoint le comité, j'ai été impressionné de constater combien les discussions y étaient ouvertes. Créer de l'ouverture et de la coopération, cela n'est pas une question d'outils ou de déjeuners. La vraie recette, c'est d'abord de discuter au sommet comme au sein d'une équipe. Il ajoute : "On s'apprécie, mais l'on est dur les uns avec les autres au cours de nos débats. Nous travaillons en équipe sur tous les sujets, et non avec l'attitude qui consiste à dire, par exemple : "Je suis le patron des RH, donc je ne suis pas concerné par le développement des produits". Si je ne suis pas d'accord, si j'ai quelque chose à dire, peu importe d'où je viens, ni de quel secteur j'ai la responsabilité".

Une seconde voie, souvent empruntée par les entreprises dont les métiers sont moins homogènes, passe par des organisations matricielles croisant secteurs verticaux et fonctions horizontales. Dans de telles configurations, les directions fonctionnelles peuvent être amenées à jouer un rôle important, comme c'est le cas chez Nokia avec les fonctions en charge des clients et des marchés, ou de la technologie. Les patrons de business units prennent alors conscience qu'ils sont dépendants de la contribution des fonctions supports, et cette situation génère des flux d'idées riches entre les deux groupes.

Une troisème approche, enfin, consiste à mettre en valeur, dans des entreprises de type conglomérat, un business model commun, comme c'est par exemple le cas chez EasyGroup spécialisé dans la fourniture à bas coûts de produits temporaires (vols aériens, croisières martimes, réservation d'hôtels, location de voitures, etc). Reflétant cette organisation, la salle des comités de direction y est d'ailleurs formée d'une vaste pièce ronde : tout autour de la salle siègent les principaux dirigeants et leurs équipes, au centre se trouve l'équipe du président. La revue des activités y implique la participation de l'ensemble des équipes. Elle est enrichie de brain-storming informels.

Ces trois approches, sans être exclusives, sont les plus répandues. Elles conduisent aussi à donner une complète responsabilité au niveau groupe aux dirigeants d'unités prenant en charge une fonction corporate. Elles peuvent aussi amener l'organisation à redistribuer le pouvoir pour donner le signal des nouvelles logiques à l'oeuvre, en confiant par exemple une importante responsabilité corporate au patron d'une petite unité.

Mais, une fois ces fondamentaux en place, comment faire vivre le système et s'assurer en particulier que les membres de l'équipe travaillent effectivement mieux ensemble ?

23/06/2007

New Deal au sommet (1) Le baseball n'est pas un sport d'équipe

Que le mode d'organisation du management dans les industries stables, où les sources de création de valeur sont clairement identifiées, reste centré sur une équipe de direction au sein de laquelle chacun reste fondamentalement responsable de son secteur d'activité, cela ne pose pas de problème fondamental.

Il en va autrement dans les activités dans lesquelles les principales opportunités de croissance, en chevauchant les limites des marchés traditionnels, remettent en question les frontières de l'organisation interne - une évolution souvent tirée par la demande de solutions intégrées de la part des clients, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies.

Mais comment mettre en place une telle configuration quand la culture de référence repose encore largement sur la juxtaposition de fiefs ? Plus encore, comment renouveler le mode de management de sorte que l'entreprise, rendue "agile", puisse s'adapter en continu et sans traumatisme à tout changement majeur affectant ses marchés ?

C'est sur ce problème que sont penchés Yves Doz et Mikko Kosonen dans "Fast Strategy", un ouvrage qui paraîtra à la rentrée à la Wharton School Publishing après une enquête de trois ans auprès d'une douzaine de grandes entreprises (dont Canon, Cisco, Hewlett-Packard, IBM, Nokia ou SAP). Pour les auteurs, nous n'assisterions, dans ces entreprises, à rien de moins qu'à l'émergence d'un nouveau modèle de management - un New Deal au sommet en quelque sorte. Mais en quoi cette nouvelle donne se différencie-t-elle de l'ancienne ?

Face à une problématique de changement, les experts répondront invariablement refonte de l'organisation et des politiques RH, redistribution du pouvoir et adaptation du système de reconnaissance. Certes, nous disent Doz et Kosonen, mais les expériences de changement réussies montrent davantage encore : un changement des comportements au sommet.

Une différence majeure entre les deux modes de fonctionnement est ainsi que si, dans l'ancien modèle, chacun est responsable individuellement des résultats de son secteur d'activité, il se sent au contraire responsable de la performance de l'ensemble dans le nouveau. En cas de difficultés dans une entité, c'est alors l'ensemble de l'équipe qui participe activement à la recherche de solution, laissant au responsable la responsabilité en propre de la mise en oeuvre du plan retenu.

On sort ainsi du modèle du baseball, dans lequel l'équipe se définit par la juxtaposition d'experts de haut niveau. Et du constat de ces réunions que résume un dirigeant d'une grande firme chimique : "Nous avons, au sein du comité exécutif, des échanges courtois, chacun est publiquement d'accord et nous nous séparons en donnant l'apparence du consensus. Rien ne suit pourtant et, à peine ont-ils regagné leur bureau, que les membres de l'équipe commencent à se plaindre de décisions erratiques en s'empressant de décourager leurs collaborateurs de s'y engager activement. C'est un cas typique de consensus public associé à une discordance privée".

Un fonctionnement hérité d'un modèle de sélection des leaders qui fait la part belle à l'affirmation par les dirigeants d'un besoin d'autonomie et de pouvoir. En l'absence d'un système de valeurs centrales fortes et d'une culture de la coopération, chaque responsable bénéficie, de fait, dans ce modèle, d'un haut degré d'autonomie et d'une responsabilité claire. Les échanges au sommet y sont aussi essentiellement bilatéraux, et les réunions, très ritualisées, y donnent lieu à des échanges peu fluides selon une régle implicite qui pourrait s'énoncer comme suit : "Ne marchez pas sur mes plate-bandes, et je n'irai pas mettre le pied sur les vôtres".

Pour faire évoluer de tels systèmes, il faut alors se réinterroger sur la responsabilité respective de chacun en introduisant, dans le mode de fonctionnement de l'équipe, une sorte d'impératif organisationnel de la coopération.