Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/04/2011

Harvard (1.1.2) Le temps des remises en cause (l'éthique de responsabilité selon Srikant Datar)

Tout irait en somme pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas tout à fait. Dans l'une des toutes premières séances consacrée à la mondialisation, les choses finissent par exploser à propos de la crise des subprimes. Face à un participant issu du monde de la finance qui justifie le comportement des banques en se félicitant de leur prospérité retrouvée quand elles ont manifestement joué un rôle actif dans la catastrophe ambiante et que le reste de l'économie continue de souffrir, Mark, l'essayiste canadien membre de mon groupe de travail, répond par une virulente mise en cause de leur responsabilité ou, pour mieux dire, de leur irresponsabilité.

Il faut dire qu'au sein des groupes de travail comme lors des discussions en amphi, l'expression des désaccords est encouragée par l'Ecole dès lors qu'elle s'effectue dans le respect des autres. De même pour l'expression des points de vue différents ou dissidents, si souvent négligée voire dissuadée dans la vie ordinaire des équipes, dont l'Ecole considère au contraire qu'elle est une source de richesse importante. Dans la réalité, surtout en amphi, les débats collectifs sont sérieux tout en restant relativement policés - ce qui n'exclut évidemment pas une pointe d'humour ici ou là, voire une tonalité de plus franche détente, en particulier lors des synthèses hebdomadaires du samedi matin. L'échange plutôt vif qui surgit alors autour de la crise  au milieu d'une assemblée qui représente majoritairement l'économie réelle, et notamment l'industrie, est révélatrice d'une conscience aiguë du problème et de la volonté de rebâtir quelque chose sur des fondations plus saines.

Très vite pourtant, Rajiv Lal qui mène les débats, reprend la main sur le sujet en amenant l'assistance à prendre la mesure à la fois de la complexité du problème et de la responsabilité collective qu'il révèle. Bien sûr, les milieux financiers ont mis au point puis développé à grande échelle des produits dont le risque était hors de contrôle, donc dangereux (1). Mais, dans le même temps, les autorités ont aussi largement abandonné au cours des dix ou quinze dernières années leurs prérogatives de contrôle du système, comme le montre la confusion des genres entretenue au sein même des principales agences de notation qui auraient dû, par définition, mettre en garde à temps contre les dérives et les dangers de ces produits d'investissement. Etait-il également raisonnable pour des milliers de familles modestes de considérer, fût-ce sous l'influence d'une promotion cynique facilitée par un terrain culturel favorable, que la propriété d'un logement fût une sorte de droit naturel doublé d'une transaction indolore ? - Bien sûr que non, répondra par ailleurs le professeur de finance renvoyant dos à dos l'argument de l'offre et celui de la demande.

Metallurgic Park

A  vrai dire, une première salve était déjà partie la semaine précédente au cours d'une séance consacrée aux nouvelles technologies. Marco Iansiti, qui animait les débats, avait alors coupé court aux mises en cause croisées qui promettaient de dégénérer en mettant les pieds dans le plat au milieu de l'amphi. "En substance, dit-il alors en prenant tout le monde à contre-pied, s'il y a bien un responsable dans cette affaire... c'est l'Ecole. C'est nous qui avons formé au cours des deux ou trois décennies précédentes des bataillons de jeunes gens aussi appâtés par la finance qu'ils se sont révélés âpres au gain". Bien sûr, cette tendance des années 90 dépasse de loin Harvard. En France même, elle a gagné nombre d'écoles d'ingénieurs dont les diplômés ont préféré, au labeur de l'industrie, les promesses de la finance combinées à l'essor des nouvelles technologies.

C'est à cette époque, vers la fin des années 90, que j'avais rejoint l'industrie minière et métallurgique et je me souviens encore des difficultés considérables que nous avions à convaincre aussi bien les investisseurs que les jeunes diplômés de la solidité et de l'attrait de nos métiers. Tout ce qui était nouveau et de préférence communiqué avec brio, fût-ce sur la base d'un rapport superfétatoire avec le réel, était immédiatement suivi avec enthousiasme par des marchés ou de jeunes ingénieurs qui semblaient avoir abdiqué tout esprit critique et, plus encore, toute notion de long terme. A la limite, nous n'existions plus que dans l'esprit de quelques analystes égarés et autres ingénieurs perdus.

Les équipes d'ouvriers, de techniciens et d'ingénieurs comme les communautés qui vivaient directement et indirectement de notre activité s'habituaient ainsi peu à peu à être regardées comme des bêtes curieuses dans un zoo ou, plus exactement, comme des créatures préhistoriques au milieu d'un museum d'histoire naturelle, aussi fascinantes que dépassées. Du coup, les visites de sites que nous organisions n'étaient pas loin alors de ressembler davantage à Jurassic Park qu'à une découverte industrielle. N'étaient quelques détails stratégiques, industriels ou sociaux à résoudre, il aurait presque fallu se pincer chaque jour pour s'assurer que, dans un monde qui avait alors totalement inversé l'ordre des grandeurs, tout cela était bien réel.

Et puis, l'industrie était aussi sale et encombrante que les nouvelles technologies promettaient un monde aussi net que ludique, enfin débarrassé du réel. C'était avant l'explosion de la bulle internet du début des années 2000, bientôt suivie de l'attentat du World Trade Center qui plongea le monde dans la crise. Dans notre industrie-même, tous ceux qui avaient cédé au chant des sirènes des nouveaux procédés en confondant la joyeuse euphorie des laboratoires avec des développements industriels plus laborieux le payèrent alors de faillites implacables et de recapitalisations en chaîne.

Le management comme éducation

Dix ans plus tard, le mea culpa de Iansiti n'en prend, dans ce contexte, que plus de valeur : ce n'est pas parce que cette responsabilité est largement partagée avec les autres qu'il faut s'en dédouanner soi-même... So, that's it ? On ne battrait sa coulpe que pour mieux tourner la page et passer à autre chose ? Il n'en est rien. En réalité, au-delà de la reconnaissance par les uns et les autres de leur part de responsabilité, cette remise en cause intellectuelle a très vite pris une dimension collective au sein de l'Ecole sur un plan aussi bien éthique que pratique, selon un cheminement qui avait d'ailleurs démarré avant que nous arrivions et qui commencera à porter ses fruits peu après notre départ.

Srikan Datar est incontestablement une figure intellectuelle et morale centrale de ce renouveau. Diplômé de l'Université de Bombay et de l'Indian Institute of Management d'Ahmedabad, il est aussi titulaire de deux Masters et de deux Ph.D obtenus à Stanford. A l'origine professeur de comptabilité, Srikant est un spécialiste du pilotage par les coûts, du management de la performance ainsi que des systèmes de contrôle. A l'instar de nombre de ses collègues, il travaille en étroite relation avec nombre de dirigeants de grands groupes et est d'ailleurs administrateur de plusieurs d'entre eux - Novartis, Info Systems ou encore Stryker pour n'en citer que quelques uns. Auteur d'une centaine de parutions, toutes publications confondues, il a reçu plusieurs prix d'excellence en particulier de la Carnegie Mellon University et de Stanford pour son excellence pédagogique. Il est, de fait, régulièrement cité par les étudiants comme un professeur aussi dévoué qu'innovant.

Or, il est des circonstances où l'innovation consiste moins à épouser la première idiotie venue qu'à prendre un peu de recul avec les pratiques dominantes du moment (2) et Srikant va apporter sur ce terrain une contribution remarquée.  Dans une étude de cas consacrée à une start-up innovante dans le domaine des technologies médicales, ATH Micro Technologies Inc. qui sera l'occasion de passer au crible l'ensemble des points critiques liés à la montée en puissance d'une jeune entreprise, il rappelle les éléments fondamentaux du système de contrôle à mettre en place. Quatre types de problèmes sont identifiés : les incertitudes stratégiques, les variables de la performance, les risques à éviter et les valeurs fondamentales. On gère les premières par des systèmes de contrôle interactifs cherchant à améliorer le positionnement futur de l'entreprise en étroite symbiose avec son environnement ; les secondes par un système de diagnostic s'assurant que le travail est bien réalisé ; les troisièmes par une sorte de système de frontières mettant en place une surveillance appropriée ; les quatrièmes enfin, en développant un système de croyances (3) favorisant l'engagement de l'équipe dans la mise en oeuvre de la mission de l'entreprise.

Quoique n'étant pas nouveau en soi (4), ce système de contrôle constitue un rappel utile dans le contexte de l'époque. Surtout, Srikant en fait une présentation qui établit un parallèle éclairant et de bon sens entre le management des organisations et l'éducation des enfants. L'évaluation de la performance ? Elle passe également dans l'éducation par un système d'encouragement et de récompense, qu'il soit matériel ou symbolique. L'identification des risques à éviter ? Elle s'appuie bien, elle aussi, sur la mise en place d'un certain nombre de limites, et notamment d'un système permettant d'en surveiller et d'en corriger les écarts. Les valeurs essentielles ? Dans un monde où l'on ne peut pas tout prévoir, elles jouent un rôle clé et prospèrent en tout état de cause à travers une culture familiale non pas formelle mais vécue et traduite dans les faits - bref, en montrant l'exemple. La préparation de l'avenir enfin ? Elle passe de la même manière dans l'éducation par un système d'exploration de l'environnement ayant pour objectif, idéalement, de mettre l'enfant en position de réaliser son potentiel, c'est-à-dire à la fois de trouver sa voie et d'accomplir ce qu'il à faire...

Etait-ce la simplicité du modèle ou ma paternité récente ? Sans doute les deux à la fois. S'il est vrai que tout apprentissage passe par des moments de révélation ou des déclics qui s'ancrent dans une expérience singulière, celui-là m'apparut d'emblée comme une boussole précieuse sur les deux terrains du management et de l'éducation.

Au-delà de cette intervention qui, en combinant sagesse et efficacité, rappelait astucieusement les bornes à ne pas dépasser, Srikant publiait également au milieu du programme un ouvrage apportant une base solide à la refondation des Business Schools (5). Il a même figuré dans la short list des trois candidats à la succession du Dean (doyen) de l'Ecole, succession qui est également intervenue au cours du programme. Or, cette reconnaissance est d'autant moins anecdotique qu'outre le fait qu'elle concerne la première université au monde, sa mise en oeuvre se déroule selon un processus très particulier. Plusieurs mois durant, une large consultation est en effet menée aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Ecole dans le but de faire émerger les successeurs potentiels du doyen en poste. Impossible de se retrouver là par hasard et encore moins par favoritisme. On ne saurait à vrai dire imaginer processus plus exigeant en termes de talent, de contribution mais aussi de sens du service et, plus encore, de réputation. C'est au terme d'un tel processus que Srikant Datar s'est vu confirmer comme l'une des figures parmi les plus respectées de la communauté académique de l'Ecole.

L'heure de la refondation

Or même si, pour ce qui le concerne, le processus n'a pas été jusqu'à son terme, il est clair qu'il n'en a pas moins été un artisan écouté et influent de la remise en cause qui a commencé à se mettre en place à cette époque. Nitin Nohria, qui a finalement été désigné comme le nouveau Dean, a d'emblée entamé une large consultation internationale aussi bien parmi les étudiants et le corps enseignant que les entreprises, les institutions et tous les acteurs de référence intéressés par les destinées de l'Ecole. Sa vision du développement de l'Ecole et les grands objectifs qu'il a retenu pour son action ne s'inspirent pas moins largement des réflexions menées par Srikant Datar.

Cette vision tient en quelques points que le nouveau Dean résumait début 2011 en une courte brochure adressée à tous les anciens de l'Ecole et structurée autour de quatre questions : quelles sont les plus importantes opportunités qui se présentent à nous ? Qu'est-ce qui fait notre singularité ? Où pourrait-on faire davantage, ou que pourrait-on faire différemment ? Comment enfin, les changements à l'oeuvre dans le monde d'aujourd'hui sont-ils susceptibles de nous affecter ? Il est frappant de constater combien cette réflexion prend acte du passage d'un siècle qui fut largement un siècle américain à un autre qui s'est d'emblée imposé comme celui de la mondialisation - y compris en se donnant pour objectif de contribuer à résoudre les problèmes qui lui sont liés : développement durable, systèmes de santé, fonctionnement des marchés, révolution digitale ou pauvreté.

Or, selon les termes du nouveau Dean qui rappelle au passage, à l'instar d'autres cercles humanistes, qu'être un leader ce n'est pas se proclamer tel mais être reconnu comme tel par les autres et en particulier par ses pairs, c'est bien une marque de fabrique de l'Ecole que de faire en sorte que ses diplômés fassent preuve de leadership et cela quel que soit le domaine dans lequel ils choisissent d'agir. S'ensuivent quelques priorités qui donnent notamment pour objectif à l'Ecole de reconfigurer son système de formation dans un univers marqué par le développement d'alternatives plus courtes et mieux ciblées. Il s'agit par exemple de faire évoluer la méthode des études de cas vers une approche davantage tournée vers le terrain et la pratique, en particulier dans le cas des MBA en s'inspirant du "laboratoire remarquable" que représentent à cet égard les formations exécutives.

Une deuxième orientation est liée au développement de la multidisciplinarité en particulier entre la Business School et l'Université à l'instar de plusieurs programmes lancés dans le domaine de la santé ou de l'entrepreunariat social. C'est un objectif que le nouveau Dean veut pousser dans une logique d'intégration plus affirmée avec l'Université et qui pourrait donner lieu à un laboratoire conjoint focalisé sur l'innovation. L'internationalisation est aussi au programme de ce nouveau plan d'action, mais sur un mode qui puisse à la fois à renforcer les centres régionaux déjà ouverts par l'Ecole, notamment en Asie, et à mettre en place des modes de coopération innovants avec des institutions ou des organismes également engagés dans l'enseignement du management. De façon plus spécifique, Ditin Nohria met aussi l'accent sur une prise en compte approfondie de la diversité sur le campus, qu'elle soit de nature socio-démographique ou intellectuelle, de sorte que chaque membre de la communauté puisse se sentir ici réellement chez lui.

On est frappé au total par le mélange d'ambition et d'humilité qui préside à cette vision renouvelée du développement de l'Ecole. L'ubris de la crise a laissé des traces et, en quelques mois, Harvard est passé du constat à l'action en élaborant collectivement, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses murs, un projet à la fois innovant et mobilisateur.

Parmi les critères explicatifs de la force et de la longévité des marques, celui de l'adaptation à l'environnement est, dans le cas de l'Ecole, sans doute le plus impressionnant en raison à la fois de sa puissance et de sa rapidité. Bien sûr, des personnalités particulières ne manquent pas d'émerger au cours d'un tel processus pour lui donner un visage et une voix. Il reste que l'on ne peut s'empêcher de penser au contact de cette sorte de puzzle de la refondation qui se met alors en place qu'il s'agit là, plus que de la somme de contributions individuelles remarquables, d'une mécanique collective inscrite dans l'ADN même de l'Ecole. Cet aspect particulier de son identité recoupe un trait important des analyses d'Arie De Geus selon lesquelles un des facteurs de la longévité des organisations est que chacun s'y sent en quelque sorte le gardien, le dépositaire et l'artisan d'une tradition qui l'a précédé, qui lui survivra - et qu'il doit ainsi faire ses meilleurs efforts pour faire fructifier.

A sa manière, plus abrupte, le prédécesseur de Tarun Khana ne disait pas autre chose.

_____

(1) Pour une approche vulgarisée de cette question, voir par exemple le livre de Jacques Attali, "La crise, et après ?", Fayard (2008).

(2) Ils s'appuient notamment sur le livre de Robert Simons, "Levers of Control", HBS Press (1995).

(3) On dirait plus volontiers une culture en français, ce qui souligne bien là encore la différence entre une culture de process et une culture de délibération, une dimension organique et une dimension critique, une logique de performance collective et une logique d'adhésion individuelle - si bien que, contrairement à une idée rebattue, la culture réputée la plus collective des deux n'est pas celle que l'on pense.

(4) J'ai connu deux dirigeants, un patron d'administration centrale et un industriel, qui cultivaient cette approche mêlant esprit caustique et intelligence décapante (je me souviens notamment avoir vu un document d'étude provenant d'un cabinet de conseil annoté de la main de l'un d'eux, dont j'espère qu'il n'a pas été retourné tel quel à ses auteurs). Dans certains cas, cette opposition délibérée aux enthousiasmes de l'époque peut faire manquer une évolution importante. Il reste que, par contraste avec tous ceux d'entre nous qui épousent une mode après l'autre à un rythme si difficile à suivre que l'on se demande si son objet véritable est de produire de quelconques effets concrets, de préférence positifs, cette sorte de mécanique intellectuelle se révèle un outil de triage relativement efficace, dès lors en tout cas qu'elle ne conduit pas à une forme de dogmatisme héroïque et solitaire.

(5) Srikant M. Datar, David A. Garvin, Patrick G. Cullen, "Rethinking the MBA - Business Education at a crossroads", Harvard Business Press (2010). Pour l'anecdote et en écho au parallèle qu'il fit lui-même entre le management et l'éducation, je ne résiste pas au plaisir de citer ici la dédicace que Srikant a gentiment faite de son livre à ma fille : " To Chiara - It has been one of my great pleasures to get to know the Beaunay family. Study hard, be good, and always think about what you can do for others. I hope that one day you will study at Harvard so that we may learn from you just as we have learned from your father. Good luck and very best wishes. Srikant". Au-delà de ses aspects emphatiques et bienveillants relativement inévitables dans la culture américaine, cette dédicace me semble un signe supplémentaire de sa qualité pédagogique et humaine. D'ailleurs, lorsqu'on vient le voir pour un mot de cette nature, l'auteur ne se contente pas, à l'instar de certains de ses collègues, de griffoner à la va-vite un mot à peine lisible couvert d'une signature aussi mégalomaniaque qu'expédiée, en prenant un air plus ou moins inspiré. Il vous emprunte votre exemplaire, prend le temps de rédiger un mot personnel et le dépose un peu plus tard à votre attention. On ne dira jamais assez combien un leadership authentique se révèle autant à travers de petits détails que de grandes choses. Du point de vue des gens, ce sont d'ailleurs les petits détails qui mènent aux grandes choses.

23/06/2007

New Deal au sommet (1) Le baseball n'est pas un sport d'équipe

Que le mode d'organisation du management dans les industries stables, où les sources de création de valeur sont clairement identifiées, reste centré sur une équipe de direction au sein de laquelle chacun reste fondamentalement responsable de son secteur d'activité, cela ne pose pas de problème fondamental.

Il en va autrement dans les activités dans lesquelles les principales opportunités de croissance, en chevauchant les limites des marchés traditionnels, remettent en question les frontières de l'organisation interne - une évolution souvent tirée par la demande de solutions intégrées de la part des clients, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies.

Mais comment mettre en place une telle configuration quand la culture de référence repose encore largement sur la juxtaposition de fiefs ? Plus encore, comment renouveler le mode de management de sorte que l'entreprise, rendue "agile", puisse s'adapter en continu et sans traumatisme à tout changement majeur affectant ses marchés ?

C'est sur ce problème que sont penchés Yves Doz et Mikko Kosonen dans "Fast Strategy", un ouvrage qui paraîtra à la rentrée à la Wharton School Publishing après une enquête de trois ans auprès d'une douzaine de grandes entreprises (dont Canon, Cisco, Hewlett-Packard, IBM, Nokia ou SAP). Pour les auteurs, nous n'assisterions, dans ces entreprises, à rien de moins qu'à l'émergence d'un nouveau modèle de management - un New Deal au sommet en quelque sorte. Mais en quoi cette nouvelle donne se différencie-t-elle de l'ancienne ?

Face à une problématique de changement, les experts répondront invariablement refonte de l'organisation et des politiques RH, redistribution du pouvoir et adaptation du système de reconnaissance. Certes, nous disent Doz et Kosonen, mais les expériences de changement réussies montrent davantage encore : un changement des comportements au sommet.

Une différence majeure entre les deux modes de fonctionnement est ainsi que si, dans l'ancien modèle, chacun est responsable individuellement des résultats de son secteur d'activité, il se sent au contraire responsable de la performance de l'ensemble dans le nouveau. En cas de difficultés dans une entité, c'est alors l'ensemble de l'équipe qui participe activement à la recherche de solution, laissant au responsable la responsabilité en propre de la mise en oeuvre du plan retenu.

On sort ainsi du modèle du baseball, dans lequel l'équipe se définit par la juxtaposition d'experts de haut niveau. Et du constat de ces réunions que résume un dirigeant d'une grande firme chimique : "Nous avons, au sein du comité exécutif, des échanges courtois, chacun est publiquement d'accord et nous nous séparons en donnant l'apparence du consensus. Rien ne suit pourtant et, à peine ont-ils regagné leur bureau, que les membres de l'équipe commencent à se plaindre de décisions erratiques en s'empressant de décourager leurs collaborateurs de s'y engager activement. C'est un cas typique de consensus public associé à une discordance privée".

Un fonctionnement hérité d'un modèle de sélection des leaders qui fait la part belle à l'affirmation par les dirigeants d'un besoin d'autonomie et de pouvoir. En l'absence d'un système de valeurs centrales fortes et d'une culture de la coopération, chaque responsable bénéficie, de fait, dans ce modèle, d'un haut degré d'autonomie et d'une responsabilité claire. Les échanges au sommet y sont aussi essentiellement bilatéraux, et les réunions, très ritualisées, y donnent lieu à des échanges peu fluides selon une régle implicite qui pourrait s'énoncer comme suit : "Ne marchez pas sur mes plate-bandes, et je n'irai pas mettre le pied sur les vôtres".

Pour faire évoluer de tels systèmes, il faut alors se réinterroger sur la responsabilité respective de chacun en introduisant, dans le mode de fonctionnement de l'équipe, une sorte d'impératif organisationnel de la coopération.