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06/04/2011

Dircom (2.1.3.) Communication, management et gouvernance ("It's about getting stuff done")

Il n'est pas inutile, à défaut d'être très confortable, d'avoir bataillé un certain temps au sein d'une organisation déboussolée représentant une industrie attaquée de toutes parts pour bien prendre la mesure de ce qu'il faut bien appeler l'impératif stratégique.

Lorsque pendant deux années particulièrement intenses, j'ai ainsi été en charge de la communication d'une organisation de ce type, il y eut de nombreux moments où, pris dans des urgences et des missions, je ne savais littéralement plus où j'habitais. Il y avait bien sûr les voyages incessants aux quatre coins de la planète minière. Il y avait encore un lieu de travail éloigné de mon lieu de résidence qui me laissait l'essentiel de la semaine et certains week-ends loin de mon domicile.

Mais je crois qu'il y eut plus encore cette sorte de folie des événements au milieu de laquelle il nous devenait quasiment impossible de réfléchir. D'une crise, on passait toutes les semaine à une autre - deux ou trois mini-crises hebdomadaires n'étaient pas rares - et, au plus fort de la crise économique, la stratégie était revue tous les mois et les budgets modifiés tous les quinze jours. Il fallait tout faire et rendre compte de tout simultanément (1) dans un contexte où des actionnaires aux quatre coins du monde n'étaient à peu près d'accord sur rien.

Quand l'organisation est le problème

Dans une telle configuration, il devient rapidement évident que le problème majeur, ce n'est plus l'accumulation des crises, c'est l'organisation elle-même. Deux ou trois points de base sont alors à clarifier aussi vite que possible pour le bon exercice de son métier par le dircom dans le cadre plus large de l'organisation dans laquelle il évolue.

Premièrement, développer une équipe pluridisciplinaire, multiculturelle et diverse, ce qui est une excellente chose, ne signifie pas autoriser tout le monde à s'occuper de tout, ce qui est un cauchemar. Il faut un cadre et une autorité pour éviter que la transversalité ne confine à l'anarchie.

Deuxièmement, ce n'est pas parce qu'un membre de l'organisation voit un encadré dans son journal le matin à Londres, Moscou ou Pékin, qu'il faut déclencher l'alerte générale et mobiliser soudain tout le monde sur une affaire qui n'en est pas une. Jean-Pierre Beaudoin, le patron de l'agence I&E, a de ce point de vue parfaitement raison de souligner que le premier travail en matière de communication de crise, ce n'est pas de descendre dans l'arène, c'est de s'assurer : 1°) qu'il y a en effet crise ; 2°) que l'organisation est bien directement concernée.

Troisièmement enfin, il n'y a rien de pire que de préserver les apparences du consensus lorsqu'en réalité, il n'existe pas. Une stratégie indolore est une stratégie vouée à l'inefficacité. Le résultat est qu'au lieu de prendre le pas sur les événements et de les anticiper sur la base d'un cap clair, on passe son temps à les subir et à godiller dans une approche erratique au prix d'un gaspillage de ressources considérables. Inversement, une stratégie consistante, au double sens français et américain de la substance et de la cohérence, ne va pas sans rugosité. C'est une tâche inconfortable mais nécessaire et qui suppose d'être capable d'accepter, au moins un temps, un certain degré de conflictualité.

Le problème du dircom dans ce genre de configuration, c'est d'assurer la mise en oeuvre du plan d'action, fût-il chaotique, tout en s'efforçant de remettre les choses sur les rails, et donc de faire porter ses efforts au moins autant sur la gouvernance que sur l'action. Pari risqué ? Pas nécessairement. D'abord, le risque est beaucoup plus grand à laisser pourrir la situation sans tâcher de la rectifier. Ensuite, il est dans une telle situation d'autant plus impératif de s'assurer que les principales réalisations attendues seront menées à bien. Enfin, on attend aussi d'un dircom qu'il soit capable d'apporter une vision neuve et solide de ce que sa fonction peut apporter à l'organisation.

Le conseiller et le dirigeant

Il y a de vraies crises dont il faut s'occuper sérieusement et de fausses crises qu'il faut annihiler sans état d'âme. L'ordre normal des choses, c'est la stratégie, l'équipe, puis les opérations et la tactique, donc la performance - non l'inverse. Ne pas le faire sous la pression (de l'organisation, du court-terme, des équilibres divers, etc) ou plutôt en acceptant que la pression puisse toujours prendre le pas sur la délibération, c'est ne pas bien faire son travail et, à la limite, c'est ne pas le faire du tout, donc aller à la catastrophe.

Cela fait une différence entre un dircom-conseiller qui s'occupe de son bac à sable et un dircom-dirigeant qui se sent solidairement dépositaire de l'intérêt à long terme de l'organisation qu'il sert. Cela peut conduire parfois à remplacer de lourdes et coûteuses productions de consultants par un recadrage de bon sens s'appuyant davantage sur les ressources internes. C'est par exemple le cas dans des organisations où le degré de confiance entre instances de gouvernance et de management n'est pas suffisamment établi.

Consultants et agences sont certes le plus souvent nécessaires, mais leurs interventions ne sont optimales que lorsque l'organisation dispose d'un minimum de diagnostic et d'expertise dans le domaine concerné. Cela ne va pas sans beaucoup de discussions et un peu de courage qui souligne d'autant plus l'intérêt de s'appuyer sur des fondamentaux solides, et qui justifie que ces fondamentaux soient de nature plus psychologique ou politique que technique. On y revient : il s'agit de comprendre et de convaincre avant de faire.

Le partage du diagnostic et l'échange d'informations sont parmi les raisons qui militent en faveur de l'intégration de la communication au sein des instances dirigeantes - une configuration d'ailleurs généralisée aujourd'hui avec, ici ou là, des adaptations ou des remises en cause. Là-dessus, le dircom désabusé d'un grand groupe français me confie un jour : "Changez de métier. L'intégration de la communication aux instances exécutives n'est pas solidement établie. La fonction est fragilisée".

Ethique et efficacité

Est-ce une nécessité absolue ? Pas obligatoirement, en particulier dans les groupes où les instances exécutives se consacrent essentiellement à l'étude des investissements. Ce qui est fondamental d'abord, c'est d'être rattaché au patron de l'organisation, faute de quoi la prise du dircom sur l'actualité, la vision et les problèmes à résoudre a toutes chances de se révéler tôt ou tard lacunaire et décalée, bref, problématique. Sous une forme ou sous une autre, une liaison avec le DRH, sur les sujets internes, est par ailleurs souhaitable et peut se réveler très féconde si la complémentarité des rôles est bien comprise et utilisée.

Membre ou non du comité exécutif, du comité de direction ou du comité de management, le dircom doit ensuite de toutes façons tisser des relations de travail étroites avec les dirigeants de son organisation. Enfin, sur cette base, il n'est pas idiot, notamment en début de carrière, de construire d'abord sa légitimité sur le terrain, au service des différentes divisions et de leur problématiques de communication, avant de prétendre rejoindre les instances dirigeantes.

En réalité, au-delà des crises et de la question de l'accès à l'information, et dans la mesure où sa vocation première est d'aider à régler les problèmes, la participation du dircom est d'autant plus justifiée qu'une vocation fondamentale de la communication est non pas seulement d'accompagner un changement décidé par d'autres mais aussi de convaincre les autres que le changement est parfois nécessaire. Sortir de cette boucle, c'est priver la communication à la fois de son éthique (le sens de son action), de sa portée (sa capacité d'influence) et de son efficacité (son impact).

En somme, si une intégration correcte de la fonction aux instances de gouvernance et aux mécanismes de management s'impose donc, c'est parce que in fine, l'objet de la communication n'est pas le discours, mais l'action.

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(1) Dans une interview qu'il donna il y a quelque temps au FT, Tom Peters, l'auteur de In Search For Excellence, est très clair à ce sujet. Si vous avez le choix, dit-il en substance, entre écrire un beau rapport qui correspond à des réalisations médiocres ou bien faire un super job en faisant un rapport médiocre, laissez tomber le rapport : faites le job. A l'époque consultant chez McKinsey, il développa l'idée que le management est essentiellement un art de l'exécution. Une thèse accueillie froidement en plein essor du concept de stratégie, avant de se vendre à plus de 10 millions d'exemplaires. Devenu par la suite une sorte de gourou du management, il décrit son job de façon à la fois modeste et décisive : "Vous êtes face une assemblée de 500 personnes. Là dedans, il y en a quatre sur le point de faire quelque chose de vraiment intéressant. Il faut leur donner envie de le faire". "It's about getting stuff done", Financial Times, 22-23 novembre 2008.

05/04/2011

Dircom (2.1.2.) La nécessité stratégique (leçons de crise)

C'est une nécessité de pouvoir sortir d'une crise à un moment ou à un autre, et le plus tôt est le mieux. Mais ce serait une erreur, du point de vue de l'analyse, de vouloir en sortir trop tôt dans la mesure où l'examen de la mécanique propre à la communication de crise fait ressortir avec force le besoin pour le dircom d'investir plus fortement le terrain stratégique.

Equipe, process, information

Lorsque l'on s'interroge sur les ingrédients d'une bonne communication de crise, on se rend compte en effet assez vite que ses éléments fondamentaux ne sont pas spéciquement liés à la communication elle-même, mais à un pilotage et à une mise en perspective qui constituent à la fois un préalable à son intervention, une condition de son efficacité et une conclusion utile à son action.

Sur le plan du pilotage, il faut à la fois une équipe, un process et un mode de traitement de l'information. L'équipe est pluridisciplinaire et constituée de gens expérimentés et complémentaires qui ont de préférence l'habitude de travailler ensemble, ce qui veut dire qu'ils partagent une culture de crise, une lecture des événements et des réflexes opérationnels. Le process est essentiel pour déterminer qui fait quoi selon quels objectifs et avec quelle cohérence d'ensemble - ce qui souligne bien, s'il en était besoin, la nécessité d'une coordination au niveau de la direction générale pour les crises les plus sérieuses. La qualité du recueil, de l'analyse et du traitement de l'information permet enfin à cette coordination de pouvoir être conduite sur mesure, au jour le jour, plusieurs fois par jour si nécessaire.

Risques, messages et reporting

Du côté de la communication elle-même, il faut une analyse des risques, des messages et un système de reporting. L'analyse des risques, souvent négligée (et d'autant plus facile à conduire que l'entreprise aura l'initiative du déclenchement), est à mener d'autant plus attentivement qu'elle peut sensiblement réduire la portée des problèmes en s'appuyant notamment sur des facteurs favorables externes (relier une attaque à un problème de société, rebondir sur une actualité positive, etc). A l'autre bout de la chaîne, la qualité du reporting et des remontées du terrain, en veillant là-dessus à assurer un minimum de diversité des sources, est évidemment indispensable en termes aussi bien de positionnement que de messages.

L'élaboration, mais aussi la diffusion et l'adaptation de ces messages sont un des coeurs de l'activité du dircom. Les médias restent de ce point de vue une cible privilégiée, mais ils sont loin d'être la seule compte tenu notamment de la prolifération des sources d'influence ; inversement, tous les grands groupes ont à présent intégré la nécessité de ne jamais négliger l'interne, y compris et même surtout sous l'effet d'une forte pression médiatique.

De ce point de vue, un message de crise s'articule toujours peu ou prou autour de deux ou trois éléments de base : de la compassion d'abord pour exprimer que l'on partage sur un plan émotionnel les conséquences de ce qui est en train de se produire, si possible en éprouvant ce que l'on dit et, au minimum, en montrant que l'on n'est pas indifférent à la situation.

Compassion, transparence, action

J'atténue ce point à dessein : je sais bien que c'est souvent un exercice difficile pour nombre de dirigeants qui perçoivent spontanément cette attitude davantage comme un risque (assimilé à une faiblesse et surtout à une forme de pré-reconnaissance de responsabilité sur un plan plus juridique) que comme un bénéfice. En réalité, je ne suis pas loin de penser que l'engagement personnel du dirigeant dans la communication de crise en général et dans l'expression d'une forme de compassion en particulier est un facteur décisif de l'acceptation par le public de la crise et de ses conséquences.

Pour prendre un exemple américain récent, la façon dont Robert Murray, le propriétaire de la mine Crandall Canyon (Utah), a piloté la communication autour de la crise qui a suivi l'effondrement de cette mine au cours de l'été 2007 est un bon exemple de ce type de compassion active, l'un n'allant en effet pas sans l'autre. A la limite, il a alors sur-compensé une situation qui, sur le plan factuel, était aussi criticable du point de vue du respect des règles que critique du point de vue des conditions de travail des mineurs.

Il est évident ensuite qu'une composante transparence s'impose en montrant que l'on coopère avec diligence et de façon ouverte avec les autorités pour mener à bien les enquêtes nécessaires. Montrer, enfin, que l'on est mobilisé sur le terrain pour trouver des solutions immédiates, notamment lorsqu'il s'agit d'un incident, s'impose comme un des passages obligés de l'exercice.

A ce stade de l'analyse, la trilogie : compassion, transparence, action ne conduit pas nécessairement à sortir de l'arène du court-terme. Elle atteste surtout de la nécessité d'établir un lien manifeste et engagé entre communication et action selon deux logiques qui ne peuvent pas exister l'une sans l'autre. Une action efficace mal communiquée peut conduire à un désastre - voyez BP dans le Golf du Mexique. Inversement, une bonne communication de crise qui finit par couvrir les approximations ou les lacunes de l'action est une communication dangereuse qui explose, tôt ou tard, à la figure de ses instigateurs. L'absence des deux est un pur désatre, leur combinaison fait des miracles - voyez EDF lors de la tempête de 1999.

"You never want a crisis to go to waste"

Mais cette trilogie suffit-elle ? J'ai eu là-dessus des désaccords marqués avec des dircoms chevronnés de grands groupes qui, confrontés alors à des crises majeures liées notamment à des retraits de produits, s'en tenaient essentiellement à la mécanique du process et à des logiques de court-terme. Avec une telle approche, on peut assurément faire tourner une cellule de gestion de crise ; mais on peut aussi bien la faire tourner à vide, autrement dit, on ne se donne guère les moyens de s'en dépêtrer.

Or le but d'une crise n'est pas de s'en défendre, c'est d'en sortir, si possible par le haut. On se souvient du mot célèbre de Rahm Emmanuel, l'ex-chef de cabinet d'Obama : "Il ne faut jamais gaspiller une crise" (3). C'est tout à fait juste, et plus elle est sérieuse, plus il faut l'utiliser comme un levier de changement. Ce qui signifie qu'une quatrième composante est requise dans toute communication de crise digne de ce nom qui consiste à mettre les événements en perspective et à les utiliser pour mettre en place les actions de progrès qui vont permettre d'éviter de reproduire les mêmes problèmes à l'avenir. L'équation complète ajoute donc à la trilogie : compassion, transparence, action, un objectif de progrès fondamental à la fois pour trouver des issues et utiliser la crise que l'on vient de traverser.

Ce que révèle au total la crise comme situation limite, c'est un impératif stratégique qui relèverait non d'une mise à jour annuelle mais d'un façonnage de tous les instants - à commencer par les pires d'entre eux. Il y a donc urgence à remettre la stratégie au centre du métier : la stratégie de communication pour piloter et adapter les messages de l'entreprise, mais aussi la stratégie de l'entreprise pour l'irriguer et la servir. En ce sens, on ne peut envisager la communication indépendamment du management et de la gouvernance.

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(1) La thèse de Tom Peters, c'est que lorsque l'on a le choix entre faire et rendre compte, il faut faire. C'est un propos aussi sensé qu'il peut se révéler risqué (Voir son interview dans le FT : "It's about getting stuff done", en date des 22-23 novembre 2008).

(2) "You never want a serious crisis to go to waste", formule prononcée à une conférence du Wall Street Journal le 21 novembre 2008.

04/04/2011

Dircom (2.1.1.) La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)

Deuxième partie : Les évolutions

En explorant les fondamentaux du métier, on a cherché à identifier les piliers d'une fonction qui a perdu sa capacité à la fois de recul et d'anticipation. En examinant les évolutions en cours, il s'agit à présent de redescendre dans l'arène pour déceler les lignes de force qui ont commencé de changer le métier au cours de la décennie écoulée sans avoir toutefois encore complètement livré tout leur potentiel.

Je vois à cet égard trois évolutions majeures. La première fait progressivement passer le métier de dircom du rôle de tacticien à celui de stratège. La deuxième voit s'opérer un glissement d'une position de faiseur à une fonction davantage tournée vers la coordination. La troisième enfin, le conduit à passer d'une logique de frontière à une logique de réseau en s'appuyant notamment sur les nouvelles ressources du Web.

 

2.1. Du tacticien au stratège

2.1.1. La tactique au coeur du métier (l'ivresse de l'arène)

Si la tactique est l'art de mener les batailles, alors elle est le champ d'intervention par excellence du dircom. Elle l'ancre, ce faisant, dans un rapport singulier au pouvoir et au temps. Au pouvoir ? Son engagement sur le terrain de la tactique signale un rôle a priori d'accompagnement plus que de définition de la stratégie. Il ne lui appartient pas en général de décider de la fermeture d'un site ou de l'acquisition d'une société même si, en fonction de sa spécialité (financière, marketing ou sociale par exemple), de son expérience et de sa capacité de jugement, il peut apporter sur ces sujets une contribution éclairée. En revanche, quand le coup part, c'est son job de faire en sorte que le message soit à la fois clairement compris et positivement perçu. Que son pouvoir soit essentiellement d'influence signifie alors qu'il a tous les pouvoirs sans en avoir aucun. En somme, le dircom façonne sans décider et pilote sans diriger.

Ses prédospositions tactiques font aussi du court terme son horizon le plus sûr. Encore faut-il s'entendre sur cette notion de court terme : il s'agit moins ici du trimestre, du mois ou de la semaine que du jour ou de l'heure. Il faut avoir produit un communiqué nickel en une demi-heure pour une direction générale en plein paroxysme social ou répondu à vingt appels des quatre coins du monde dans la journée au beau milieu d'une crise commerciale majeure pour prendre la mesure de cette affaire. De deux choses l'une : ou bien on aime ce mélange d'inconfort et d'intensité et on peut faire ce métier décemment. Ou bien ce n'est pas le cas et on devient alors archéologue, comptable ou gardien de musée.

Le dircom est le média

Se sortir en improvisant d'un traquenard au milieu d'un groupe hostile ; remplacer au pied levé un président pour un débat public majeur ; finaliser les documents et la logistique d'un séminaire managérial en plein mois d'août avec les trois quarts des gens en vacances ; prendre le risque d'aller à la rencontre d'une trentaine de journalistes  passablement énervés, camera au poing, par le retardement d'une annonce majeure ; boucler une analyse de risque ou un compte rendu d'entretiens en pleine nuit pour que le siège puisse en prendre connaissance first thing in the morning à l'autre bout du monde ; diviser par deux les délais de livraison d'une publication de référence complexe pour un conseil d'administration exceptionnel ; réécrire au beau milieu d'un déménagement un projet de stratégie totalement à côté de la plaque ; participer à un comité de coordination par conference call avec les représentants des actionnaires canadiens, sud-africains, australiens, britanniques ou russes depuis un aéroport du Midwest bloqué par une tempête de neige sans accès aux documents supports... Quand ce ne sont pas les événements qui s'y mettent, ce sont les éléments qui déraillent.

Il y a bien chez le dircom une forme d'excitation à être solidement planté au milieu de la tempête. A l'aversion qui prédomine généralement chez les autres pour les ennuis (incidents, conflits, exposition médiatique, etc) répond sa préférence personnelle pour tâcher d'en sortir au mieux l'organisation qu'il représente. Au cas où le contrat ne serait d'ailleurs pas clair, on le rend volontiers explicite : la plupart des offres d'emploi dans ce domaine, spécialement en Amérique du Nord, soulignent à l'envi la nécessité pour les volontaires de faire face à une multitude de tâches à un rythme rapide. Faisant contre mauvaise fortume bon coeur, le dircom en profite pour s'installer dans l'arène. Son intuition, c'est que l'on accomplit ce que l'on a à faire moins en faisant de grands plans sur la comète qu'en façonnant les événements au jour le jour, une tâche après l'autre, un détail après l'autre, une interaction après l'autre. Il a appris que le média est le message ; il découvrira qu'il est aussi lui-même le premier média de l'organisation. Le champ de la tactique pour lui, c'est cette orchestration minutieuse, interactive et polymorphe du court-terme.

Le signal et la catastrophe

Bien sûr, il y a bien des façons d'entrer dans le métier et toutes ne font pas de la gestion des crises, des questions sensibles ou des changements d'organisation le domaine de prédilection de ses interventions. De même, il y a des organisations très différentes les unes des autres aussi bien par la nature des problèmes que l'on y rencontre que par le type de culture ou le degré de pression que l'on y trouve. Faire ses classes dans un environnement complexe et instable introduit indéniablement de ce point de vue un biais qui déforme la représentation du métier. Mais comme dans  toute situation limite, cette exacerbation des problèmes fait d'autant mieux ressortir les fondamentaux : soit qu'elle dévoile ce à quoi il faut être attentif quand le calme revient ; soit qu'elle révèle un problème de fond à travers la succession-même des ennuis à traiter.

Ce n'est pas tout à fait pareil en effet d'accompagner de lourdes restructurations dans un groupe industriel structuré avec l'objectif de construire une nouvelle étape de développement, et de gérer crise sur crise dans une organisation ballottée de toutes parts. Ce qui fait la différence, c'est le pilotage, c'est-à-dire la conduite organisée d'une action visant à réduire l'écart entre où l'on est et où l'on va. Le piège de la tactique à cet égard c'est d'offrir l'opportunité d'une série de micro-succès qui, en se nourrissant d'eux-mêmes, finissent par faire perdre de vue la perspective d'ensemble, la vision des progrès à accomplir ou le sens des adaptations rendues nécessaires par les signaux faibles de l'environnement. Autant de brèches au départ insignifiantes qui finissent, comme dans les industries de haute technologie ou dans certains corps d'armée, par engendrer de sérieux ennuis à l'arrivée.

Or, il y a bien deux sortes de catastrophes dans ce métier : la première, c'est de planter une crise et la sanction peut en être immédiate. La seconde, c'est de perdre de vue le sens de la mission et la sanction est alors plus lente mais aussi plus grave, en termes aussi bien d'alignement au sein de l'organisation que d'employabilité pour le dircom. On connaît l'adage : à long terme, nous sommes tous morts. Mais comme le dircom se demande parfois s'il va ressortir vivant de cette arène du court-terme, il n'a a priori rien à perdre à tenter de repousser un peu l'échéance.

18/03/2011

(Dircom) Plan de la première partie : Les fondamentaux (rappel)

Dircom, un métier qui se transforme

 

Première partie : Les fondamentaux

 

1.1. - Un métier de passion

 1.1.1 - La passion de comprendre : l’architecture et le système

 1.1.2 - La passion de convaincre : l’écosystème ou la guerre

 1.1.3 - La passion de résoudre : de l’inspiration à l’ingénierie

 1.1.4 - Note sur la passion : le moteur et la mécanique

 

1.2. - Un métier de relation

1.2.1 - Ce qu’écouter veut dire : Vauban ou l’Espagne

 1.2.3 - L’anachorète ou le capitaine : ce que le management doit au handball

1.2.3 - Faire agir : le périmètre et le territoire

1.2.4 - Note sur le paradoxe de la cogestion (surtout ne montrez pas l’exemple)

 

1.3 - Un métier de transformation

1.3.1 - Capter : l’héritage et le creuset

1.3.2 - Structurer :

          1.3.2.1 - La confiance, du constat au contrat

          1.3.2.2 - L’écosystème, de l’affrontement au partenariat

1.3.3 - Animer : le terrain, des opposants aux alliés

1.3.4 - Note sur les risques du métier (portrait du dircom en tireur de panenka)

 

Conclusion : L'ancrage et le mouvement

 

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NB : Ce plan est donné à titre indicatif. Le système de numérotation des chapitres a changé pour faciliter d'éventuelles adaptations ultérieures. Par ailleurs, pour alléger les titres, les notes relatives à ce sujet seront désormais signalées par le mot "Dircom" mis pour : "Dircom, un métier qui se transforme" suivi du numéro et du titre de la note.

12/03/2011

(14) L'ancrage et le mouvement (conclusion de la première partie)

La technique, pourrait-on dire en paraphrasant le mot d'Herriot, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. C'est en prenant le luxe d'un tel recul avec les travaux et les jours, avec la pression souvent considérable du quotidien de ce métier de communicant aujourd'hui à la croisée des chemins que l'on peut ainsi identifier trois piliers fondamentaux à cette fonction.

La passion tout d'abord :  passion de comprendre, passion de convaincre, passion de résoudre. La grande affaire de cette passion (ou, pour utiliser une notion moins romantique) de cet engagement, c'est de créer une dynamique. Elle repose sur un travail de synthèse et son territoire d'expression naturel, c'est la formulation d'une vision.

Avec la relation, qui forme le deuxième pilier de la fonction, on cherche cette fois davantage à écouter, à relier pour finalement  faire agir ensemble. L'objectif principal ici, c'est de développer la coopération, et le territoire privilégié de mise en oeuvre partagée de cette compétence, c'est l'équipe. La tâche essentielle à mener, du coup, ce n'est plus la synthèse mais l'ingénierie ou, pour mieux dire, l'orchestration de l'ensemble.

Avec la troisième caractéristique fondamentale du métier, la transformation, on entre dans le vif du sujet. Il s'agit cette fois de capter, de structurer et d'animer. Le travail est essentiellement focalisé sur le projet collectif en s'attachant à garantir simultanément la cohésion et l'adaptation, l'identité et l'évolution.

"Notre identité, elle est devant nous" avait coutume de dire Jean-Marie Tjibaou dans les années 80 pour souligner la tension à l'oeuvre dans le monde kanak entre tradition et modernité. On est frappé aujourd'hui, à travers les évolutions qui affectent le monde contemporain, de la portée universelle de cette intuition qui touche à la vie des nations comme à celle des organisations dans ce qu'elles ont à la fois de plus essentiel et de plus fragile, dans ce qui fonde leur contrat comme dans ce qui nourrit leurs desseins et leurs peurs.

Du côté des nations, Dominique Moïsi (1) a montré combien les grandes aires géoculturelles du monde sont influencées par des émotions dominantes : peur en Occident en lieu et place des conquêtes d'antan ; humiliation dans le monde arabe, comme un deuil impossible de la grandeur perdue ; espérance en Asie qu'encourage aussi bien le dynamisme des échanges qu'une façon différente d'envisager le monde. Pour compléter ce paysage, je ne peux m'empêcher de mentionner pour ma part ce que j'appellerais la vitalité joyeuse - oui, joyeuse, en dépit de problèmes considérables - des territoires africain et sud-américain.

Du côté des entreprises, Arie de Geus, un ancien dirigeant de Shell, a, dans un livre fondateur qui fut l'un des premiers que je lus lorsque je rejoignis l'industrie (2), souligné combien l'espérance de vie des firmes, si indispensables au développement matériel des nations, se mettait en danger chaque fois que la production l'emportait sur la communauté. Cette leçon ancienne devrait raisonnablement nous permettre de réconcilier l'économie et la société ou, pour ainsi dire, la mondialisation et le monde.

Je crois que la communication a un rôle à jouer dans cette affaire.

Dans ce monde-là tiraillé par des mouvements aussi brutaux qu'incessants et dans lequel la notion-même de crise a perdu son caractère d'événement, si les mots ont un sens, diriger la communication ne devrait pas aller sans bâtir à la fois une direction et un cadre : une direction aux projets et un cadre aux échanges. Hélas, pour l'heure, il n'en est rien. Dans ce maelström continuel, le dircom fait ce qu'il peut qui consiste pour l'essentiel, un pied au QG, un autre sur le terrain, à tirer le moins mal possible les organisations qu'il sert de la folie des événements.

Or, cette tentative est d'autant plus sujette à caution qu'il est lui-même non seulement dans les ennuis jusqu'au cou mais aussi à l'avant-garde du désordre. Comme le souligne Laurent Habib, "située au coeur de nos représentations, la communication aurait pu être un rempart contre les dérives du système. Au lieu de cela, elle en a été le porte-voix et le porte-flingue. Enfermée dans sa tour d'ivoire depuis la fin des années 90, portée par l'avènement de la société de communication, devenue doctrinaire, célébrant ses héros, elle a cédé à tous les chants des sirènes". Et de résumer un peu plus loin : "Trop de compassion, trop de messages, trop de mensonges, pas assez de sens" (3).

Revenir aux fondamentaux du métier dans ce contexte, d'un point de vue qui serait celui non des commentateurs mais des praticiens (et qui serait aussi, idéalement, celui des ethnologues et des géographes) (4), c'est s'extraire un instant de la frénésie ambiante pour tenter d'ancrer quelque chose quelque part avant le prochain tsunami (5) - si possible donc, en prenant un peu de hauteur.

Ancrer ? Mais où au juste : à Paris ou à Nouméa ? A Pékin ou à Boulogne-sur-Mer ? A Moanda ou à Washington ? A Toronto ou à Singapour ? ? A Rouen ou à Boston ? A Porsgrunn ou à Tokyo ? A Soderfors ou à Houston ? A Perth ou à New York ?... Un peu partout à la fois en fait, dans les endroits les plus reculés et les villes les plus trépidantes où j'ai tâché d'exercer ce métier du mieux possible avec les équipes locales. Après tout, une carte d'identité, c'est aussi un itinéraire peuplé de rencontres.

Au vrai, peu importe. A force de côtoyer des humains d'ethnies, de cultures mais aussi de rôles variés aux quatre coins du monde, on aperçoit bien sûr quelques différences (qui ne sont d'ailleurs pas toujours là on les attendrait). Pourtant, à quelques rares exceptions près, on finit surtout par éprouver un sentiment de voisinage, de proximité, de communauté même d'autant plus réjouissant que, sous l'effet des préjugés qui marquent bien plus nos idées que nous ne voulons l'admettre (6), on avait d'emblée un peu forcé le trait  sur les différences. Ainsi, comme dans les tribus mélanésiennes, cet enracinement n'est pas le contraire de l'ouverture au monde : il l'encourage.

Il nous faut donc tenir ensemble l'ancrage et le mouvement

En ce sens, ces fondamentaux seraient à la pratique ce que les fondations sont à la maison, à la fois un socle, une possibilité et une promesse. Un habitat au sens à la fois commun et poétique du mot, qui serait la métaphore de la fabrication et de la participation. Un foyer. Ou mieux, une usine, qui serait regardée non plus comme l'utime repoussoir de la civilisation, mais au contraire comme l'un de ses creusets (7).

C'est de ce point-là ou plutôt de cette tension-là, entre la stratégie et les opérations, entre le court et le long terme, entre l'entreprise et la société, entre les tribus et le monde, la tête au-dessus du guidon et les mains dans le cambouis, que je voudrais donner à voir le métier et la fonction c'est-à-dire à la fois les pratiques et les rôles qui, au-delà des fondamentaux que l'on vient d'examiner, nous permettront d'explorer les évolutions et les possibles.

Avec l'espoir de donner, chemin faisant, à travers cette sorte de périple professionnel qui touche sans doute beaucoup plus à la synthèse qu'à la refondation, quelques repères utiles en même temps qu'un peu de coeur à l'ouvrage.

Car, effectivement, il y a du travail.

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(1) "La géopolitique de l'émotion", Flammarion (2008)

(2) "The Living Company - Habits for Survival in a Turbulent Business Environment", Harvard Business School Press (1997).

(3) "La communication transformative - Pour en finir avec les idées vaines", PUF (2010).

(4) Je me demande parfois si, parmi quelques unes des disciplines que j'ai étudiées sans jamais me départir du souci de leurs applications, la géographie et l'ethnologie ne sont pas celles qui ont le plus compté. Elles ouvrent en effet à une compréhension en profondeur et souvent étonnamment actuelle de la dynamique des groupes sociaux - des territoires et des échanges notamment -, dans une approche qui, chez leurs meilleurs spécialistes ne va pas sans un mélange singulier d'observation, de sociabilité et aussi d'une forme de sérénité dans laquelle la quiétude se mêle souvent au plus élementaire bonheur de vivre. Voyez le style tout paisible de Braudel par exemple ou celui, plus engagé, de Reclus ; mais aussi l'intelligence rare de Lévi-Strauss ou cette sorte de décontraction savante, volontiers malicieuse, qui marque l'oeuvre de Marshall Sahlins. Sans doute entre-t-il là également une part de fantasme liée à la perspective de long terme qu'elles introduisent dans le chaos et qui nous est devenue si étrangère. Certains métiers pourtant, lorsqu'ils sont exercé avec talent - je pense notamment à mes camarades géologues ou responsables des relations sociales sur les centres miniers, dans le Pacifique Sud - font une synthèse remarquable à la fois de ces deux disciplines et de ces deux dimensions du temps, le temps court de la production et du conflit et celui, de plus longue amplitude, des appartenances et des apprentissages.

(5) Cette note a été rédigée le 9 mars. Avec mes camarades de promotion, je me suis entretemps assuré que nos amis japonais étaient sains et saufs à la suite du séisme qui a frappé le Japon le 11 mars.

(6) Relire à ce sujet la série de conférences que Sartre donna à l'automne 1965 à Tokyo et qui furent réunies plus tard sous le titre : "Plaidoyer pour les intellectuels" (Gallimard, 1970). Sur la question du racisme notamment, cela nous évitera de dire un certain nombre de bêtises.

(7) Un ancien collègue DRH me confie là-dessus qu'il projette un ouvrage racontant l'abandon par notre pays de son industrie au cours des trente dernières années. On ne peut que se réjouir par ailleurs de la position récente prise par quelques grands patrons sur ce sujet - je pense notamment à l'approche défendue par Anne Lauvergeon dans sa tribune intitulée : "Réindustrialisons-nous ! Il n'y a pas de fatalité au "déclin français" (Le Monde du 3 février 2011).

La patronne d'Areva y écrit notamment : "Je ne supporte plus ces chevaliers de l'Apocalypse, souvent issus de l'élite, qui enferment notre destin collectif dans une funeste alternative : subir ou mourir (...) Le mot "industrie" a été banni de notre vocabulaire depuis plus de vingt ans : la douloureuse fermeture des industries primaires, la financiarisation à outrance de l'économie, la nécessaire conversion écologique ont amené nos élites, nos entrepreneurs, nos concitoyens à se détourner de ce modèle de développement, assimilé certes à une histoire "glorieuse", mais dépassée. Et pourtant, l'innovation a changé radicalement ce secteur" concluait-elle en s'appuyant notamment sur l'exemple de la transformation et du développement de l'usine que possède Areva à Chalon-sur-Saône.