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05/04/2011

Dircom (2.1.2.) La nécessité stratégique (leçons de crise)

C'est une nécessité de pouvoir sortir d'une crise à un moment ou à un autre, et le plus tôt est le mieux. Mais ce serait une erreur, du point de vue de l'analyse, de vouloir en sortir trop tôt dans la mesure où l'examen de la mécanique propre à la communication de crise fait ressortir avec force le besoin pour le dircom d'investir plus fortement le terrain stratégique.

Equipe, process, information

Lorsque l'on s'interroge sur les ingrédients d'une bonne communication de crise, on se rend compte en effet assez vite que ses éléments fondamentaux ne sont pas spéciquement liés à la communication elle-même, mais à un pilotage et à une mise en perspective qui constituent à la fois un préalable à son intervention, une condition de son efficacité et une conclusion utile à son action.

Sur le plan du pilotage, il faut à la fois une équipe, un process et un mode de traitement de l'information. L'équipe est pluridisciplinaire et constituée de gens expérimentés et complémentaires qui ont de préférence l'habitude de travailler ensemble, ce qui veut dire qu'ils partagent une culture de crise, une lecture des événements et des réflexes opérationnels. Le process est essentiel pour déterminer qui fait quoi selon quels objectifs et avec quelle cohérence d'ensemble - ce qui souligne bien, s'il en était besoin, la nécessité d'une coordination au niveau de la direction générale pour les crises les plus sérieuses. La qualité du recueil, de l'analyse et du traitement de l'information permet enfin à cette coordination de pouvoir être conduite sur mesure, au jour le jour, plusieurs fois par jour si nécessaire.

Risques, messages et reporting

Du côté de la communication elle-même, il faut une analyse des risques, des messages et un système de reporting. L'analyse des risques, souvent négligée (et d'autant plus facile à conduire que l'entreprise aura l'initiative du déclenchement), est à mener d'autant plus attentivement qu'elle peut sensiblement réduire la portée des problèmes en s'appuyant notamment sur des facteurs favorables externes (relier une attaque à un problème de société, rebondir sur une actualité positive, etc). A l'autre bout de la chaîne, la qualité du reporting et des remontées du terrain, en veillant là-dessus à assurer un minimum de diversité des sources, est évidemment indispensable en termes aussi bien de positionnement que de messages.

L'élaboration, mais aussi la diffusion et l'adaptation de ces messages sont un des coeurs de l'activité du dircom. Les médias restent de ce point de vue une cible privilégiée, mais ils sont loin d'être la seule compte tenu notamment de la prolifération des sources d'influence ; inversement, tous les grands groupes ont à présent intégré la nécessité de ne jamais négliger l'interne, y compris et même surtout sous l'effet d'une forte pression médiatique.

De ce point de vue, un message de crise s'articule toujours peu ou prou autour de deux ou trois éléments de base : de la compassion d'abord pour exprimer que l'on partage sur un plan émotionnel les conséquences de ce qui est en train de se produire, si possible en éprouvant ce que l'on dit et, au minimum, en montrant que l'on n'est pas indifférent à la situation.

Compassion, transparence, action

J'atténue ce point à dessein : je sais bien que c'est souvent un exercice difficile pour nombre de dirigeants qui perçoivent spontanément cette attitude davantage comme un risque (assimilé à une faiblesse et surtout à une forme de pré-reconnaissance de responsabilité sur un plan plus juridique) que comme un bénéfice. En réalité, je ne suis pas loin de penser que l'engagement personnel du dirigeant dans la communication de crise en général et dans l'expression d'une forme de compassion en particulier est un facteur décisif de l'acceptation par le public de la crise et de ses conséquences.

Pour prendre un exemple américain récent, la façon dont Robert Murray, le propriétaire de la mine Crandall Canyon (Utah), a piloté la communication autour de la crise qui a suivi l'effondrement de cette mine au cours de l'été 2007 est un bon exemple de ce type de compassion active, l'un n'allant en effet pas sans l'autre. A la limite, il a alors sur-compensé une situation qui, sur le plan factuel, était aussi criticable du point de vue du respect des règles que critique du point de vue des conditions de travail des mineurs.

Il est évident ensuite qu'une composante transparence s'impose en montrant que l'on coopère avec diligence et de façon ouverte avec les autorités pour mener à bien les enquêtes nécessaires. Montrer, enfin, que l'on est mobilisé sur le terrain pour trouver des solutions immédiates, notamment lorsqu'il s'agit d'un incident, s'impose comme un des passages obligés de l'exercice.

A ce stade de l'analyse, la trilogie : compassion, transparence, action ne conduit pas nécessairement à sortir de l'arène du court-terme. Elle atteste surtout de la nécessité d'établir un lien manifeste et engagé entre communication et action selon deux logiques qui ne peuvent pas exister l'une sans l'autre. Une action efficace mal communiquée peut conduire à un désastre - voyez BP dans le Golf du Mexique. Inversement, une bonne communication de crise qui finit par couvrir les approximations ou les lacunes de l'action est une communication dangereuse qui explose, tôt ou tard, à la figure de ses instigateurs. L'absence des deux est un pur désatre, leur combinaison fait des miracles - voyez EDF lors de la tempête de 1999.

"You never want a crisis to go to waste"

Mais cette trilogie suffit-elle ? J'ai eu là-dessus des désaccords marqués avec des dircoms chevronnés de grands groupes qui, confrontés alors à des crises majeures liées notamment à des retraits de produits, s'en tenaient essentiellement à la mécanique du process et à des logiques de court-terme. Avec une telle approche, on peut assurément faire tourner une cellule de gestion de crise ; mais on peut aussi bien la faire tourner à vide, autrement dit, on ne se donne guère les moyens de s'en dépêtrer.

Or le but d'une crise n'est pas de s'en défendre, c'est d'en sortir, si possible par le haut. On se souvient du mot célèbre de Rahm Emmanuel, l'ex-chef de cabinet d'Obama : "Il ne faut jamais gaspiller une crise" (3). C'est tout à fait juste, et plus elle est sérieuse, plus il faut l'utiliser comme un levier de changement. Ce qui signifie qu'une quatrième composante est requise dans toute communication de crise digne de ce nom qui consiste à mettre les événements en perspective et à les utiliser pour mettre en place les actions de progrès qui vont permettre d'éviter de reproduire les mêmes problèmes à l'avenir. L'équation complète ajoute donc à la trilogie : compassion, transparence, action, un objectif de progrès fondamental à la fois pour trouver des issues et utiliser la crise que l'on vient de traverser.

Ce que révèle au total la crise comme situation limite, c'est un impératif stratégique qui relèverait non d'une mise à jour annuelle mais d'un façonnage de tous les instants - à commencer par les pires d'entre eux. Il y a donc urgence à remettre la stratégie au centre du métier : la stratégie de communication pour piloter et adapter les messages de l'entreprise, mais aussi la stratégie de l'entreprise pour l'irriguer et la servir. En ce sens, on ne peut envisager la communication indépendamment du management et de la gouvernance.

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(1) La thèse de Tom Peters, c'est que lorsque l'on a le choix entre faire et rendre compte, il faut faire. C'est un propos aussi sensé qu'il peut se révéler risqué (Voir son interview dans le FT : "It's about getting stuff done", en date des 22-23 novembre 2008).

(2) "You never want a serious crisis to go to waste", formule prononcée à une conférence du Wall Street Journal le 21 novembre 2008.

06/11/2010

Deux ou trois choses apprises à Harvard (2) La ligne et le mouvement (la stratégie selon Sinofsky)

La deuxième leçon s'impose assez rapidement. On sent là-dessus non pas un retour en arrière mais une révision, un rééquilibrage par rapport aux excès du "tout stratégique" des décennies précédentes. C'est un vrai message opérationnel qui va traverser nombre d'études de cas - Opel, Black & Decker, Dell, Lincoln Electric, Toyota, BP, Dysney, General Electric pour n'en citer que quelques unes - et revenir avec la même force dans les travaux pratiques qu'il remonte des études de terrain. 

C'est ce qui fait la puissance de la recherche dans ce système - ce que j'ai appelé précédemment la beauté des modèles et qui tient à leur capacité à synthétiser des questions souvent complexes en un schéma opérationnel simple. C'est cette recherche qui permet une théorisation en temps réel des enjeux les plus actuels de la vie des organisations, théorisation que l'effet de réseau, le suivi en ligne et les rendez-vous annuels prémunissent ensuite contre le double risque de l'abstraction et de l'obsolescence.

Pourtant, aussi bien dans sa formulation en anglais que dans sa traduction française, cette recommandation apparaît d'emblée sous un intitulé problématique. On parle en effet de "strategic integrity" - en français, il n'y a pas de piège : "intégrité stratégique", mais cela ne nous avance guère. De quoi s'agit-il ? 

La piste morale (la stratégie de l'entreprise devrait être "intègre") n'est pas complètement absurde dans le contexte des scandales récents, mais ce n'est pas la bonne - on ne voit pas très bien malgré tout, au-delà d'aspects légaux évidents et d'un mauvais blabla corporate, ce qu'elle apporterait à la question stratégique. La piste de la rigueur (il faudrait respecter scrupuleusement la ligne stratégique sans jamais en dévier d'une virgule) peut aussi se défendre. Surtout chez ceux qui envient le sort de l'armée prussienne à la bataille d'Iena.

Il faut en réalité comprendre cette notion d'intégrité au sens premier et le plus simple du terme : celui d'entièreté ou de totalité. Cette approche a été formalisée par Marco Iansiti, le spécialiste des nouvelles technologies de l'Ecole, auteur de "One Strategy", co-signé avec Steven Sinofsky, le président de Windows (en privé, Iansiti, qui a une amitié ancienne et une admiration profonde pour Sinofsky, raconte comment la capacité de structuration et, plus encore, de concentration de son camarade de jeu a fait souffrir chez lui un esprit plus créatif et ouvert à la digression).

Accessoirement, le prof le plus sympathique, le plus engagé et le plus engageant de la Faculty. Le premier cours avec lui (j'avais alors été placé au premier rang entre un Belge énigmatique et une Espagnole prometteuse), j'ai attrappé un torticolis entre ses aller-retour permanents entre le haut de l'amphi et le tableau. Un marathon pédagogique qui donne le tournis, mais qui a le mérite d'embarquer dans le sujet, passionnant en l'occurence, d'un jeune type, Lou Hugues, propulsé directeur général de la filiale allemande d'Opel (General Motors) dans la période de la chute du Mur.

Or, que dit Iansiti ? En gros, qu'il y a dans toute organisation deux stratégies : l'une directive qui vient du haut ; l'autre émergente, liée à ses performances, à ses modes de décision, bref intimement mêlée au corps vivant qu'est l'organisation elle-même. Et dans de nombreux cas ces deux approches s'ajustent mal : il n'y a pas alignement entre la stratégie et l'exécution. D'où un double problème : celui posé par une stratégie mal appliquée ; mais aussi celui que pose un modèle stratégique incapable de s'appuyer sur le potentiel de créativité et d'engagement au sein de la firme.

J'ai passé un peu de temps dans un groupe qui a fait de la communication de la stratégie à l'ensemble de l'organisation la priorité de sa communication interne avec un président qui, quand je lui ai proposé d'inclure (dans son agenda de président) la tournée des sites partout dans le monde sur ce thème, m'a dit "oui" tout de suite. Ça donne des bases pour sentir l'effet d'irrigation et de motivation remarquable que peut susciter un partage de la stratégie avec les équipes.

C'est un point important, mais ce n'est pas le seul. Le sujet ne réside pas simplement dans la complémentarité, somme toute assez évidente lorsque sa nécessité est comprise, entre conception et communication, mais aussi dans le rétablissement d'un lien attentif et structuré entre la stratégie et l'exécution. Le premier sujet est technique : c'est l'application pratique d'une bonne idée sur le terrain ; le second est culturel : il touche à la représentation que le responsable se fait de son rôle.

Or rien ne sert d'élaborer une stratégie brillante si l'on n'est pas capable de mettre l'organisation en situation de la mettre en oeuvre et de l'adapter aux circonstances. Comme dit en substance Peter Drucker, les plans ne sont qu'un ensemble de bonnes intentions, à moins que l'on se mette à y travailler dur. Diriger dans ce contexte, c'est non seulement fixer un cap, communiquer une vision, mais c'est aussi investir une bonne partie de son énergie à fédérer, structurer, intégrer, piloter - bref, à animer. Ce qui est finalement une façon créative et pratique de dépasser une opposition qui me semble toujours un peu stérile entre un leadership qui inspire et un management qui organise.

31/01/2010

Méfiez-vous des imitations (la leçon de Porter)

J'ai toujours été frappé par la façon dont, le plus souvent dans les organisations, les stratégies marketing se résument à des pratiques de benchmarking ressassées à l'envi. On se compare à ses concurrents, on en déduit un certain nombre de standards et l'on incorpore ensuite ces "meilleures pratiques" aux plans d'actions en vue d'améliorer ses propres performances ou, à tout le moins, de les hisser au niveau de ses concurrents.

Ce jeu-là est essentiel précisément en matière de performances ou, disons, d'efficacité des organisations. Il garantit qu'une entreprise, ou éventuellement une institution lorsqu'elle est incitée à changer, n'enregistre pas durablement une performance sous-optimale compte tenu des actifs (financiers, humains, techniques, administratifs...) qu'elle mobilise pour accomplir sa mission.

Or, si cela définit bien une homogénéisation, cela ne fait en aucun cas une différenciation. C'est la leçon de Porter et elle porte loin : l'efficacité n'est pas la stratégie. L'une s'accommode en effet fort bien de l'imitation, l'autre a d'abord à voir avec le talent particulier et l'avantage compétitif d'une organisation.

De même, les proclamations visant à faire d'une organisation le leader dans un domaine donné servent peut-être la recherche d'une efficacité accrue (du moins lorsqu'elles se traduisent à la fois par une mobilisation et un pilotage sérieux), mais elles ne résolvent en rien la question essentielle de savoir quel est l'avantage qu'une organisation peut cultiver et détenir durablement sur ses concurrents.

Toute stratégie passe naturellement par un examen scrupuleux des données concurrentielles, mais ne se résume pas à cette compilation et implique d'aller plus loin dans la définition de l'excellence dans un coeur de métier spécifique. Sinon, il n'y aurait après tout guère de différence entre le Moyen Age et la Renaissance.

Dans le contexte économique, financier et géopolitique actuel, il faut lire cette leçon, déjà ancienne, de Porter comme une exigence renforcée d'innovation, comme une invitation renouvelée à la créativité. Or, ce qui vaut pour les organisations ne vaut pas moins pour les individus... à charge pour chacun d'identifier et de cultiver son génie propre. Activité incertaine, spéculative, vaine ? Non, c'est notre tâche essentielle et qui a à voir aussi bien avec notre talent qu'avec... notre identité, en quoi le politique emprunte à l'économique et l'entreprise n'est pas le contraire de l'aventure.

23/06/2009

Toronto, Londres, Bruxelles (3) La perspective et le détail

A l'issue d'une réunion de travail, une discussion critique s'ouvre : n'est-on pas trop entré dans le détail au détriment d'une réflexion collective plus approfondie sur les enjeux de fond ? A-t-on du coup tiré toute la valeur que l'on était en droit d'attendre de cette réunion, ou bien avons-nous tout simplement perdu notre temps - le temps des rémunérations cumulées des participants comme celui de la valeur des expertises croisées autour de la table ?

Nous avons tous suffisamment expérimenté les longues réunions aux résultats incertains pour ne pas s'arrêter un moment sur la question. Dans le pire des cas, c'est la préparation qui laisse à désirer ou bien l'objectif de la réunion qui n'est pas clairement affiché (s'agit-il d'un brainstorming, d'une mise au point, d'une revue de projet ? etc) ; dans le meilleur, c'est un détail qui faisant irruption au beau milieu d'une réunion pourtant bien huilée, soulève des enjeux inattendus ou des réactions épidermiques et, ce faisant, finit par occuper l'essentiel des échanges. Le commentaire, dans ce contexte, a une portée indéniable.

Certes, il revient bien au manager de fixer les orientations et de définir les responsabilités pour faire en sorte que les choses avancent dans le budget et les délais impartis. Sans perspective à laquelle s'adosser, les actions s'additionnent, s'accumulent, voire s'enchevêtrent ou se brouillent, bref, perdent en cohérence et en efficacité. La perspective est, de de ce point de vue, l'aune générale à laquelle s'évaluent les actions particulières. Elle donne, en un mot, une colonne vertébrale à l'ensemble.

Le problème, c'est la vertèbre sensible qui, en se déplaçant, a vite fait de compromettre la bonne marche du plan. A s'en tenir, dans de telles situations, à la perspective stratégique, on perd en efficacité. Micro-management ? Tout est affaire de contexte ici. Oui, s'il s'agit d'une attitude permanente rognant sur les responsabilités des différents acteurs, réduisant leur marge de manoeuvre, faisant enfin de leur autonomie créative un pur rouage de transmission. Non, s'il s'agit d'une nécessité ponctuelle permettant de débloquer une situation en consacrant le temps et l'attention nécessaires au détail gênant.

Il ne s'agit pas seulement là d'une pure question d'opportunité managériale. Un détail problématique est en effet souvent le révélateur d'un problème plus profond : compétences insuffisantes pour mettre en oeuvre une action décidée, responsabilité non tranchée, pilotage insuffisamment clair, voire manque de motivation. En ce sens, l'attention au détail symptomatique peut non seulement débloquer le problème, mais encore autoriser un saut qualitatif de plus grande ampleur pour peu que le problème sous-jacent ait été bien identifié.

De surcroît, et plus encore à l'heure des organisations horizontales, il serait illusoire de penser que le dirigeant puisse tirer sa seule légitimité de son rôle stratégique sans faire la démonstration de sa capacité à descendre dans l'arène quand cela est nécessaire. Après lui avoir permis de mettre le doigt "là où ça fait mal", cette capacité à descendre dans le détail lui permet ensuite de guider concrètement l'action vers le résultat souhaité. Le chef d'orchestre est en quelque sorte mieux respecté lorsqu'il sait se rappeler et démontrer qu'il a été premier violon, ce qui constitue potentiellement à la fois une source de légitimité supplémentaire, un regain de mobilisation et un surcroît d'efficacité collective.

Pour un peu, on lirait une fois de plus dans cette dichotomie caricaturale entre la perspective et le détail, entre la grandeur de la stratégie et la trivialité du détail, l'opposition sous-jacente entre les conceptions française et anglo-saxonne du management. En France, un dirigeant qui s'aventure un peu trop dans le détail déroge fondamentalement à un statut : il manque de hauteur. Dans le monde anglo-saxon, un stratège qui ne serait pas capable de mettre ses vues en application aurait un problème : d'efficacité d'abord, de légitimité ensuite, et d'emploi pour finir.

Dans le cas qui nous occupe ici, la conclusion est assez simple : il était nécessaire de trouver une solution au problème, mais la réunion n'était pas le lieu idéal pour le faire. Dans les situations dans lesquelles, quoi qu'il en soit, le détail s'impose comme problème, ce qui compte en réalité, ce n'est pas la primauté de la stratégie sur l'exécution ou l'inverse, c'est, outre la nécessité d'un déblocage, l'opportunité de transformer un problème particulier en regain de motivation collective.

25/07/2008

Au pas de charge (le scénario stratégique et la modulation de la vitesse)

Au pas de charge. Cette affaire a commencé au pas de charge et, depuis plus de deux mois maintenant que je suis à bord, je ne m'en rends compte que ce midi, après toute une série de réunions productives ce matin qui lancent la nouvelle stratégie de communication de l'Institut, ou plutôt le passage de la stratégie à l'action. Pour le coup, je m'autorise à l'heure du déjeuner un décrochage d'une bonne heure et demie en remontant plus à l'Ouest, vers Queen Street, entre le Trinity-Bellwoods Park et la boulangerie française. J'ai l'impression, psychologiquement vraie, mais pratiquement exagérée, que c'est la première fois, au cours de ces deux mois, que je décroche un peu mentalement de cette focalisation.

Trop souvent en France, ce passage à l'action est à la fois méprisé et sous-estimé. François Jullien l'a montré en soulignant l'opposition entre le modèle européen et le modèle chinois. D'un côté, on pense d'abord et l'exécution, perçue comme une simple application mécanique dénuée de valeur ajoutée propre, devrait aller de soi ; de l'autre, un système dans lequel la définition de la stratégie apparaît, par contraste, minimaliste et n'est que le point de départ d'une action immergée dans le réel et attentive à ses facteurs porteurs, bref, une action qui ne serait pas une mécanique mais une modulation, et une modulation en harmonie constante avec son environnement. Je sais gré, de ce point de vue, à un des dirigeants australiens de notre industrie, d'avoir très tôt mis l'accent dans le processus stratégique, lourd et itératif par nature, sur cette exigence de pragmatisme.

Tout cela, la mise sur pied d'un premier plan de communication complémentaire pour 2008 puis, dans la foulée, l'élaboration du plan pour 2009 auquel nous travaillons cet été, a donc été très vite. C'est pourtant moins d'une vitesse absolue qu'il s'agit que d'un partage, d'une modulation des vitesses requises. Il y a la montée en puissance cadencée de l'élaboration, la vitesse plus lente de l'intégration des équipes dans ce nouveau projet qui doit alors passer du statut de plan préconçu à celui de scénario dont l'histoire est à écrire ensemble ; puis il y a encore, au-delà du temps intense de la crise, toujours envisageable par nature, le temps, non seulement de plus grande amplitude mais aussi plus ponctuel et concentré, de la liberté qu'il faut prendre, fût-ce au beau milieu de la bataille, pour s'assurer de la justesse de notre façon d'agir et de penser, en corrigeant au besoin chemin faisant les écarts et les erreurs.

Partager les vitesses et user des ressources que crée l'usage de vitesses différentes selon l'environnement dans lequel on agit. Cette aproche est possible dans une pratique culturelle de type française qui conserve toujours, me semble-t-il, une forme de distance critique, distance qui a vocation non pas à stériliser l'action, mais à la mettre en perspective, à lui tendre le miroir de son exécution. Il me semble à cet égard que l'Amérique du Nord - dont les boîtes de vitesses sont d'ailleurs toutes automatiques - méconnaît la subtile nécessité de ces réglages, notamment dans sa version américaine. On y va ou on y va pas ; l'entre-deux, ou plutôt l'association simultanée de dynamiques différentes, n'existe pas dans une telle aproche. C'est pourtant elle qui, outre qu'elle rend possible différents types d'action, permet aussi de corriger le mouvement en cours de route. C'est sa plasticité, sa force propre qui lui confère peut-être moins de puissance immédiate, mais plus de profondeur et de potentialités dans la durée.

Si, comme le dit Paul Virilio, la démocratie est un partage de la vitesse, le management ferait ainsi apparaître la nécessité d'un mariage des vitesses. Méconnaître cette dimension, c'est prendre le risque de passer à côté de points essentiels. C'est surtout se priver d'une grande partie du plaisir intellectuel et humain qu'il y a à emmener des aventures collectives, dont seuls les consultants en stratégie pensent qu'elle se réduisent in fine à l'adéquation et, pour ainsi dire, à l'absorption du réel par le Plan. Les consultants que nous avons embauchés pour aider à la mise en place de ce nouveau scénario ont joué un rôle très utile. Il est à présent temps qu'ils nous quittent : c'est le signe des missions réussies.