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04/08/2007

Crise et chuchotement (vers un nouveau modèle publicitaire ?)

TF1 vient d'annoncer une diminution significative de ses recettes publicitaires pour le deuxième trimestre, soit une baisse de 5 % par rapport à la même période de 2006, alors que ces mêmes recettes avaient augmenté de plus de 6 % au cours du premier trimestre. Pour l'ensemble de l'année en cours, ce n'est plus qu'une "légère croissance" qui est envisagée. Par ailleurs, Publicis a également prévenu que des annulations significatives de campagnes publicitaires impacteraient son chiffre d'affaires cette année.

En parallèle, selon les dernières données fournies par Médiamétrie, les chiffres de l'audience de la grande chaîne généraliste française commencent également à baisser : ils perdent 3,6 points sur un an. Une baisse qui affecte, dans une moindre mesure, la plupart des autres chaînes généralistes (à l'exception de France 2 qui enregistre un léger gain, mais à un niveau de 10 points inférieur), et qui profite aux autres chaînes locales, étrangères ou thématiques à hauteur de + 3,7 %. Il faut également noter que la durée moyenne d'écoute de la télévision enregistre, pour la première fois, une baisse, de l'ordre de 12 minutes par jour pour les personnes de... 4 ans et plus, la durée journalière d'écoute s'établissant ainsi à 3h11.

Il y a peu, Acrimed, un observatoire critique des medias, avait déjà signalé que la perspective pour certains annonceurs de voir la Suède prendre la présidence de l'Union européenne, alors même que sa législation en ce domaine, très restrictive, commençait à séduire d'autres gouvernements européens, commençait à inquiéter certains annonceurs.

Au-delà d'un possible accident de parcours, il est pourtant tentant de voir dans cette baisse le signe de l'essouffflement d'un modèle économique fondé sur une publicité de masse de plus en plus agressive. Ces dernières années, le mouvement "antipub" avait déjà incarné, notamment à travers le détournement de la publicité par affichage dans les grandes agglomérations, le rejet d'une certaine forme de communication publicitaire.

Celle-ci était jugée à la fois mensongère et intrusive, véhiculant l'image d'un monde découplé de la réalité, une sorte de conte de fée dont le dénouement idéal aurait été : "Ils furent heureux, ils consommèrent beaucoup" - et, ajouterait-on en Amérique, ils s'endettèrent jusqu'au cou. Une sorte de retour aux Choses qui aurait perdu la poésie pionnière des années 60. Ou de plongée dans les Giant Billboards sans la féerie de Sunset Boulevard.

Excès de jeunesse, militantisme émotionnel, rébellion romantique ? Dans les années récentes, le mouvement a parfois atteint une certaine ampleur collective, comme l'ont par exemple montré les manifestations de l'automne 2003 dans le métro parisien. Il demeurait tentant cependant de voir dans ce mouvement contestataire une collection d'actes marginaux, peu susceptibles de remettre en cause le modèle dominant.

Et cela, en un sens, fut vrai : en soi, le mouvement fut très loin d'avoir un impact significatif. L'intérêt de l'émergence de cette contestation est plutôt de l'ordre du signe avant-coureur. Au-delà de ses rejets de base, il portait la logique d'autres messages et d'autres approches propres à la génération internet. Cela empêcherait-il de "vendre du temps de cerveau humain disponible" ? Personne ne le pensait sérieusement, au-delà des protestations convenues.

Sauf que l'allergie à la publicité commence à toucher la ménagère de 50 ans elle aussi - c'est ce que laisse entendre le recul de la machinerie publicitaire de la Une, s'il se confirme. Mais c'est aussi le cas aux Etats-Unis. Ici en effet, la communication publicitaire, quasiment libérée de toute contrainte dans la patrie qui en a inventé et raffiné le modèle, atteint son paroxysme : spots extrêmement serrés qui aboutissent à doubler le temps d'écoute d'un film ou d'une émission, utilisation systématisée du télémarketing, spams audio se déployant de force sur les ordinateurs individuels, envois de courriers massifs faisant monter les enchères de toutes natures... L'arsenal est devenu impressionnant et, chaque jour, dans chaque foyer, il fait feu de tout bois.

Au point de tuer le modèle lui-même ? Certains acteurs commencent à le penser. On aurait ainsi atteint le point au-delà duquel, comme le montre la courbe de Laffer pour la fiscalité, trop de publicité revient à tuer la publicité. L'affaire est au demeurant prise très au sérieux par quelques grands annonceurs américains. C'est ainsi que news.com annonçait en avril dernier que plusieurs annonceurs prévoyaient de diminuer de 20 % leurs dépenses publicitaires dans les 5 prochaines années. Motif principal invoqué : Tivo, ce petit programme permettant de sauter les spots publicitaires, dont le nombre d'adeptes - 3 millions aujourd'hui - devrait être multiplié par 10 dans les toutes prochaines années. Voilà le nouvel ami revendiqué de la ménagère américaine !

Parallèlement, c'est bien un nouveau modèle publicitaire qui émerge sur le net et qui a la faveur croissante des annonceurs. Plus ludique, suggestif plus qu'imposé, davantage personnalisé, interactif par nature, il tient mieux compte des affinités, est plus respectueux, sans doute par la force des choses, d'un mode de connaissance plus actif, faisant davantage appel à l'intelligence qu'à l'abrutissement (positionnement délibérément revendiqué par quelques grandes marques américaines, par exemple dans le domaine sensible du crédit), et de mieux en mieux protégé, lui-aussi, des communications agressives.

Un modèle qui contamine, en retour, les formes générales du message publicitaire à travers les autres medias : on note de fait un certain retour à la vérité du produit dans nombre de publicités américaines récentes, accompagné d'un certain sens de la dérision ou d'un ancrage marqué dans le quotidien. Cela devrait aussi finir par conduire le système à réajuster ses modes de mesure pour acter un basculement progressif - même s'il ne s'agit encore que d'un chuchotement - d'un modèle devenu de propagande vers un nouveau paradigme fondé sur la conversation ? Mad Men, la série à succès du moment aux Etats-Unis, rappelle les heures de gloire des publicitaires de Madison Avenue dans les années sixties. Nostalgie ? Voire. Il s'agit sans doute davantage d'un retour aux sources pour repartir de plus belle. Comme en 60.

31/07/2007

Media Business (3) Sur les mutations de l'industrie du divertissement

Suite d'une sélection de faits et de réflexions tirés de l'enquête de Danièle Granet et Catherine Lamour, "Mediabusiness, le nouvel eldorado" (les citations non précisées émanent des auteures).


Aux Etats-Unis, la télévision occupe l'Américain moyen un peu plus de cinq heures par jour. Mais le temps consacré à internet a augmenté de 77 % en 2004 et celui passé en visionnage de films DVD a fait un bond de 53 %. Les jeux video ont connu, pendant la même période, une croissance de 20 % (Etude de l'Ambassade de France). Ce marché des jeux video représentait environ 25 milliards de dollars en 2005 en prenant en compte les appareils et les programmes ; les perspectives pour 2008 dépassent les 40 milliards (à titre d'exemple, World of Warcraft s'est vendu à 6 millions d'utilisateurs dans le monde) ; Les Français sont les plus téléphages des Européens : 70 % d'entre eux regardent la télévision presque tous les jours pendant au moins deux heures (enquête UPC Broadband). Les sonneries musicales installées sur les téléphones portables représentent à elles seules un chiffre de ventes de plus de 3 milliards d'euros dans le monde.

Chaque année, en mai, les acheteurs de toutes les télévisions européennes se précipitent aux "screenings" de Los Angeles où sont montrées en avant-première les nouvelles séries de fiction des studios américains. Les grands studios américains - Warner, Fox, Universal, MGM, Paramount et Disney - font monter les enchères et imposent des accords à long terme ; Ces programmes ne font que refléter la progression de l'uniformisation des goûts au niveau planétaire, qu'on retrouve là, comme dans le vin, la mode ou l'art contemporain. Les goûts, les aspirations, les habitudes d'un monde sans frontières. "Si on zappe sur les chaînes étrangères d'une plate-forme satellitaire, on a l'impression de voir les mêmes programmes partout, avec des présentatrices "copiées-collées" qui ne se différencient que par la langue qu'elles parlent" (Bibiane Godfroid, Pdg de Fremantle, filiale du groupe Bertelsmann).

Un film de cinéma conçu pour une exploitation mondiale coûte en moyenne 58 millions d'euros à fabriquer, auxquels s'ajoutent 33 millions d'euros pour "l'installer" auprès du public à coup de campagnes de publicité et de marketing ; C'est en 1996, aux Etats-Unis, que les ventes de DVD ont dépassé les recettes tirées des salles de cinéma, jusqu'à repésenter huit ans plus tard le triple des entrées en salles ; La video représentait, fin 2005, 60 % des revenus des studios américains. Ces sociétés engrangent chaque année 40 milliards de dollars, ce qui justifie amplement les termes "d'industries de programmes" qu'on emploie généralement pour parler des contenus. L'ensemble de l'audiovisuel constitue d'ailleurs la première source de revenus à l'exportation aux Etats-Unis ; Pour pouvoir accéder aux séries et aux films américains qu'ils convoitent, les groupes de communication anglais, français, espagnols ou japonais doivent accepter de faire de la place sur leurs satellites ou leurs systèmes de câbles à des chaînes américaines ; Quatre studios américains sont maintenant solidement installés sur le territoire audiovisuel français avec plus de dix chaînes (Nickelodeon, Sci-Fi, 13ème Rue...).

Le sport a détrôné le cinéma en termes d'attractivité du public. En France, un spot publicitaire de trente secondes est estimé, en cas de présence de l'équipe de France en finale de la Coupe du monde, à 300 000 euros. Canal + a obtenu l'intégralité des droits de retransmission des matches de Ligue 1 de football pour trois saisons jusqu'à 2008 en payant 1,8 milliard d'euros. Pour être colossal, ce montant est cependant comparable à la somme, 1,5 milliard d'euros, qu'a déboursée le bouquet satellitaire anglais BSkyB en 2003 pour l'acquisition des droits de retransmission de trois saisons de la "Premier League".

82 % des 15-25 ans sont branchés sur internet qu'ils utilisent déjà plus que la télévision. Aux Etats-Unis, 95 % des blogs sont créés par des lycéens ; Avec une moyenne de 30 % de part de marché, Le Journal de Sophie (une série interactive diffusée sous forme de très courts programmes via les téléphones portables) répond à une "demande d'émotions partagées" qui fondent l'appartenance à une communauté; En termes d'information aussi, "on est en train de muter de l'info grand-messe à news is conversation" (Catherine Lottier, chargée de la veille chez Canal+).

Sur le marché de la musique, 5 majors se partagent 75 % des ventes planétaires : Universal Music, Warner Music, Sony, BMG et EMI ; La généralisation de l'évolution vers la "dématérialisation" de la musique est considérée comme inéluctable : "Le CD est une espèce en voie de disparition" (un chroniqueur sur France Inter, janvier 2005). En cinq ans, de 2001 à 2005, c'est plus du quart des ventes de détail des éditeurs de CD qui s'est volatilisé au niveau mondial. Les ventes de musique en ligne représentent désormais au niveau mondial un marché d'un milliard d'euros, à comparer malgré tout à un chiffre d'affaires global des ventes de musique de l'ordre de 24 milliards d'euros en 2005.

Les Français sont au premier rang des Européens les plus dynamiques en matière d'adoption de l'internet à haut débit. Ils adorent le téléchargement : 10 % des foyers, soit 2,5 millions de personnes s'approvisionnent en musique sur internet. Sur un an, un milliard de chansons ont été téléchargées en France, mais 2 % seulement ont été achetées en ligne, soit 20 millions de titres. Les autres 980 millions ont été échangées gratuitement avec d'autres internautes ; Les ventes de musique numérique en ligne devraient représenter 25 % du chiffre d'affaires de la musique en 2010 (estimation Ifpi).

30/07/2007

Media Business (2) Stratégies de communication sous influence

Suite d'une sélection de faits et de réflexions tirées de l'enquête de Danièle Granet et Catherine Lamour, "Mediabusiness, le nouvel eldorado" (pm. les citations non précisées émanent des auteures).


"Nos chaînes nationales sont devenues des bulletins municipaux. C'est Clochemerle à l'heure de la mondialisation, audimat oblige" (Régis Debray, à propos du 20h00). La fonction première des think tanks est de construire une passerelle entre le monde des idées et delui de l'action. Près de 35 000 lobbyistes sont enregistrés à Washington, brassant plus de deux milliards de dollars par an. A Bruxelles, 15 000 lobbyistes défendent les dossiers de leurs clients.

"Des thèmes sont évoqués, des phrases clefs sont rédigées et sont envoyées aux radios et aux chroniqueurs conservateurs. Vous pouvez parfois repérer des bouts de phrase similaires qui reviennent ici et là. Un peu comme dans le film Z, de Costa-Gavras, où l'on voit des généraux défiler devant le juge et utiliser tous la même expression : "souple et féroce comme un tigre" (Richard Clarke, responsable de la lutte anti-terroriste à la Maison Blanche après 9/11, à propos des stratèges en communication).

Greenpeace bénéficie d'un budget de quelque 200 millions d'euros. Les grandes ONG sont des organisations transversales qui passent des alliances entre elles et qui deviennent les véritables porte-parole de la société mondialisée. De fait, elles tendent à prendre la place des politiques et des syndicats. "Les medias sont devenus l'une des principales forces qui président au fonctionnement et à la transformation de nos sociétés" (Marcel Gauchet). "Al Jazira est plus influente que tous les régimes arabes réunis" (Driss Ksikes, Tel Quel).

"Le slogan de Fox News Channel (pm. chaîne créée par Rupert Murdoch, qui défend les idées du Parti Républicain) est génial : "juste et impartial" (Jeff Cohen, producteur de débats télévisés). La production d'information ne cesse de s'accélérer et la concurrence que se livrent journaux, radios, télévisions dans la chasse à l'info et au scoop oblige le journaliste à enfreindre la règle d'or de la profession : la vérification. "Quand on est pris par les cadences, que fait-on ? On recopie ce qui a été fait sur le même sujet. On emploie les mêmes mots (Rebecca Manzoni, productrice du magazine Eclectik).

"Le travail d'un journaliste ne consiste plus à rendre compte de la réalité, mais à faire entrer celle-ci dans le monde de la représentation (...) Les journalistes se sont délivrés du difficile exercice qu'est la médiation par laquelle ils donnaient le monde à voir et à comprendre (Florence Aubenas et Michel Benassayag). Les journalistes sont soumis à un double phénomène : le premier, la puissance des sources officielles ; le second, le respect des conventions établies.

L'audace a un prix, et ce prix est le risque de perdre leur accès privilégié à des ministres et des grands patrons, tandis que des confrères plus dociles continueraient à en bénéficier. En vingt ans, la télévision a perdu 15% de sa crédibilité, passant de 59% à 44% d'indice de confiance. Le media se retrouve en dernière place, derrière la presse quotidienne (48% d'indice de confiance) et la radio (54%) (baromètre La Croix, Le Point, TNS - 2006).

18/06/2007

"Great job !" (ça va mieux en le disant sobrement)

S'il est une singularité remarquable de la culture américaine, c'est bien la pratique de l'emphase, cette tendance permanente à tout qualifier de façon exagérément positive. Au-delà des techniques ordinaires d'une publicité omniprésente, cette tendance spontanée à l'hyperbole contamine l'ensemble des relations sociales, et notamment le domaine des affaires.

Que la publicité se l'autorise, passe encore. C'est là, après tout, une conséquence attendue de sa vocation à vanter produits et services, même si émerge, ça et là, un langage publicitaire différent, pratiquant volontiers l'autodérision, comme l'a montré récemment la campagne télévisée de l'assureur Geiko.

Cela devient plus problématique dans le monde de l'entreprise, non seulement pour les fonctions opérationnelles ou financières, mais aussi dans le domaine du marketing, des ventes, des ressources humaines ou des relations publiques, dans lesquels cette pratique peut se réveler tout autant contre-productive.

Cette caractéristique n'est pourtant pas sans effets bénéfiques. Elle constitue, dans les entreprises américaines, un levier ordinaire de reconnaissance du travail accompli et de motivation des individus. Un "great job !" opportunément prononcé viendra ainsi utilement ponctuer la suite des travaux et des jours, et relancer du même coup l'ardeur à la tâche de celui qui en est gratifié.

Cela ne va pourtant pas sans créer quelques difficultés. Dans une perspective interculturelle d'abord, cette pratique oblige de fait à un ajustement constant de la communication, et en particulier au décodage des appréciations qui sont formulées. Un compliment un peu moins appuyé pourra être ainsi interprété comme une opinion mitigée. Quant au silence, il signifiera, selon les circonstances, la réprobation... ou l'ennui.

Communiquer selon un tel système de référence n'en contraint pas moins à user soi-même peu ou prou de cette échelle de valeur, faute de quoi l'on sera perçu au pire comme critique, au mieux comme peu enthousiaste.

Au-delà des réglages interculturels, cette enflure du discours finit cependant par poser problème au sein de la culture américaine elle-même. C'est ainsi que, dans une tribune récente de Business First, John Heckers, coach et professeur de communication et d'éthique des affaires au Magellan Center de Denver (Colorado), encourage ces compatriotes à plus de mesure dans l'usage des superlatifs.

Et d'en profiter pour rappeler deux ou trois règles élémentaires : faire court, direct et simple - ce qui, de surcroît, favorise la mémorisation lorsqu'il s'agit de discours -, limiter l'usage des adjectifs et des adverbes et choisir ceux que l'on utilise avec soin, et n'user qu'avec modération et sobriété des compliments comme des mots de reconnaissance.

Quant à l'auto-célébration, elle est épinglée dans des excès qui, au lieu de susciter l'adhésion, conduisent au scepticisme et à la défiance - soit le contraire d'un contexte favorable au développement des affaires. S'il est parfois utile, écrit Heckers, d'utiliser son klaxon, il n'est pas utile de faire sonner les cuivres avec assuidité.

En un mot, l'art de la communication ne se réduit pas plus aux ficelles grossières des vendeurs de voitures d'occasion qu'au style médiatique des grands patrons flamboyants, dont la réussite est parfois éphémère et la chute souvent rude, comme l'ont montré ces dernières années quelques exemples retentissants de part et d'autre de l'Atlantique.

Cultivez une parole juste, nous dit en substance John Heckers, et votre carrière continuera à prospérer... tandis que les beaux parleurs ressasseront leur rhétorique de camelot derrière les barreaux.

La mise au point en elle-même dit certes combien de chemin il reste à parcourir sur ce plan dans un modèle de communication qui reste autant influencé par l'exagération publicitaire qu'obnubilé par les apparences de la paix sociale.

L'évocation des barreaux n'est pourtant pas là par hasard : comme souvent aux Etats-Unis, ce que la culture peine à corriger, le droit pourrait le prendre en charge en s'appuyant sur une conscience, pour le coup très aiguë, des risques associés aux proclamations intempestives.

29/04/2007

Fort Boyard ou la Silicon Valley ? (parler vrai, création de valeur et travail en réseau)

Je prolonge ici un échange récent qui a fait suite à la note "Favorisons les émergences !" sur deux questions de communication : la culture du parler vrai et le travail en réseau.

La capacité à exprimer une idée dissidente, nouvelle, originale - et surtout à l'entendre - reste en effet difficile en France. Si elle progresse dans les entreprises, c'est plus lent dans la sphère publique, au-delà des affrontements syndicaux et caricaturaux d'usage.

Cela dit, la façon dont se pose la question de la liberté de parole dans les organisations françaises est, en un sens, révélatrice de la différence franco-américaine sur ce sujet : les Américains sont attentifs à ne pas rejeter brutalement celui qui exprime une idée nouvelle. Surtout, la question ne se pose pas en termes de conflits interpersonnels, mais elle est gérée dans le cadre du travail d'équipe et de règles du jeu claires qui rendent sans objet un tel positionnement conflictuel.

Celui-ci est au contraire favorisé chez nous (sauf encore une fois dans quelques micro-cultures privilégiées, essentiellement du fait de l'apport du leader) par des relations encore féodales, ou du moins verticales, qui ne laissent souvent guère le choix qu'entre le silence poli et l'altercation bruyante. Dans les deux cas, on détruit - du lien, de l'implication, de la créativité, de la coopération - au lieu de créer de la valeur.

Et c'est bien ce dernier risque qui conduit les entreprises françaises à s'engager dans cette voie - ce qui montre, au passage, que la gouvernance par la création de valeur a aussi des effets positifs sur les façons de travailler. Il n'est d'ailleurs pas impossible que la question de la dette publique finisse par avoir un effet similaire sur le mode de gouvernance correspondant. Proverbe chinois du jour : la LOLF est un premier pavé, mais la marre est encore grande.

Complément culturel : les Scandinaves, et les Suédois en particulier, sont aussi très frappés par cette sorte de respect formel des hiérarchies, qui empêche bien souvent dans la culture française non seulement l'émergence, mais aussi la discussion d'idées différentes. Le point de vue aurait pu être glacial, il est rafraîchissant dans les entreprises françaises qui développent leurs modes de management en un sens plus interculturel.


Concernant le développement du travail en réseau, il passe, avant la mise en place des outils, par l'évolution de la culture - l'exemple donné par les hiérarchies surtout, et la promotion concrète du travail d'équipe avec les nouvelles règles du jeu qui l'accompagnent. Faute de quoi on est en effet dans l'incantation creuse, dans le "double bind" mis en évidence de longue date par les gens de Palo Alto qui empêche le passage à l'action. Les outils de communication suivent, dans le meilleur des cas, en accompagnant dans une espèce de fine tuning, la prise de conscience et les expérimentations, en veillant à ne pas être trop en avance pour générer une appropriation progressive, en cohérence avec la culture de l'organisation, ses inerties certes, mais aussi ses facteurs de renouvellement.

Beaucoup de directions de la communication corporate me semblent cela dit encore assez bloquées sur le sujet des outils du web 2.0 par opposition aux supports plus institutionnels - qu'ils soient d'ailleurs print ou web, cela ne change rien à la question essentielle qui est de déterminer quelle degré de participation et d'ouverture réelles on crée dans l'organisation et vis-à-vis de l'extérieur. Quant au secteur public, le sujet n'y est souvent agité qu'à la mesure de son côté cache-misère new look de relations de travail statutaires et figées.

Je crois beaucoup sur ce plan de l'évolution des pratiques de management et de communication à la puissance de renouvellement amenée par les nouvelles générations. On ne les attirera pas, et on les conservera encore moins, par des cultures et des outils d'un autre âge - et ce point très concret, et stratégique, sera décisif dans le rythme des changements à venir. Il l'est déjà pour la génération des 20-30 ans, et ce sera plus sauvage encore pour la suivante.

Tout ceci étant naturellement à bien doser avec la dimension humaine des organisations. Rien de plus effrayant que l'appareillage "robocop" de certaines grandes entreprises, en particulier d'origine américaine d'ailleurs, qui lamine littéralement le temps social de l'échange dans les entreprises (un peu comme les trente-cinq heures l'auraient fait en France, selon la thèse de Michel Godet) et, accessoirement, accroît la pression de façon quasi illimitée sur les managers.

Mon interrogation à la fin de cette note sur l'émergence était, cela dit, différente, de portée plus personnelle : de même que chaque salarié est désormais en passe de devenir son propre DRH, au sens de son propre gestionnaire de carrière, mais que cette prise de conscience est encore inégale, de même nous devrions, je crois, être des animateurs plus actifs de nos réseaux.

Mais combien de temps, quelle énergie, quelle attention en continu consacrons-nous en réalité à cet espace, au-delà de nos obligations d'usage ?

Nous sommes à la vérité peu préparés et peu formés à l'animation de nos réseaux, qui restent principalement perçus en France sur un mode négatif, soit comme des clans opaques (grandes écoles, confréries diverses, etc), soit encore comme des exercices suspects (les relations publiques à l'ancienne, le commercial de base, etc). Nous pratiquons le réseau avec parcimonie, parce que nous le percevons comme créant un système d'obligations qui s'oppose à la fois à un certain individualisme et à une "culture de la gratuité" de la relation, conçue chez nous davantage comme un investissement affectif que comme un "contrat de service" - conception plus naturelle pour une culture utilitariste comme l'est la culture américaine.

Nous le comprenons mal aussi parce que nous l'appréhendons à travers la grille de la frontière (la cloison, la catégorie), qui est précisément aux antipodes de l'esprit et du fonctionnement du réseau. Je note d'ailleurs sur ce plan - davantage ici la culture du réseau elle-même que ses ressources technologiques -, que le monde océanien a autant à nous apprendre que la Californie, et les Kanaks que les Américains ! - mais c'est, j'en conviens, un autre sujet.