26/05/2010
Gupta et les nouveaux médias (2) Real Beauty, Real Profit
Risquée, l'aventure des nouveaux médias pour l'entreprise ? Qu'en est-il alors d'un candidat à la présidence des Etats-Unis d'Amérique qui a su lever deux tiers des fonds collectés en ligne ? Et qu'ont fait GM, Ford ou Chrysler en pleine tourmente sinon lancer de micro-sites optimisés pour la recherche de mots-clés, investir dans une campagne en ligne ciblée, utiliser YouTube, le video blogging et Twitter ?
Au-delà de ces exemples significatifs en eux-mêmes, Gupta, Armstrong et Clayton suggèrent pour les dirigeants une démarche d'expérimentation en six étapes s'apparentant à l'apprentissage d'un nouveau langage.
Première étape : l'immersion. Indispensable pour aller au-delà des opinions courantes sur le sujet et se forger une opinion de première main, l'immersion passe par une pratique personnelle des réseaux sociaux dans toute leur diversité, avec le double objectif d'écouter et de contribuer. Cette approche expérimentale peut aussi se retrouver au niveau de l'organisation elle-même, comme c'est le cas chez Best Buy avec le réseau Blue Shirt Nation reliant les 25,000 employés de la société.
Au-delà d'une initiative qui a eu pour effet de faire significativement baisser le turnover de l'entreprise (10 % pour les utilisateurs du réseau contre 50 % pour les non-utilisateurs), Best Buy a tiré de cette expérience trois leçons utiles :
1°) commencer modeste, de façon à enregistrer assez rapidement de premiers succès susceptibles de convaincre le management de l'intérêt d'approfondir l'expérience ;
2°) participer régulièrement - une évidence suivie d'effets dans seulement un tiers des entreprises ayant lancé une expérience communautaire (à noter à cet égard que certains logiciels, utilisés notamment par les responsables marketing, permettent de suivre les conversations sur le web autour de sujets bien identifiés) ;
3°) identifier des "champions" des réseaux sociaux à l'intérieur de l'organisation pour impulser la dynamique : ici comme ailleurs, mais davantage encore lorsqu'il s'agit d'introduire de nouveaux modes de fonctionnement, la passion est un ingrédient indispensable à la réussite de l'expérience.
Ensuite ? Réfléchir bien sûr, mettre l'expérience en perspective. L'idée ici est de commencer à aligner la stratégie mise en oeuvre en matière de réseaux sociaux avec celle, plus globale, de l'entreprise. Difficulté principale : accepter une certaine perte de contrôle de la marque auprès des consommateurs, en échange il est vrai d'un degré d'engagement plus élevé de leur part.
Une expérience emblématique à cet égard fut celle menée par Dove dans la campagne "Real Beauty" qui, en dépit des sarcasmes qu'elle a suscité, s'est traduit par des résultats spectaculaires. On estime ainsi que pour chaque dollar dépensé dans la campagne, Unilever a obtenu un retour d'environ 3 dollars. En quelques mois, les ventes de Dove se sont accrues de 13 % aux Etats-Unis et la part de marché de la marque est passée de 19 à 26 % dans la région Asie-Pacifique.
Inversement, des marques telles que Home Depot ou Unicare ont enregistré des résultats mitigés. Chez Home Depot, le développement de plateformes sur Facebook ou Twitter a manqué de continuité et de dynamisme. Chez Unicare, l'absence de suivi s'est même traduit par des conséquences négatives, la société laissant par exemple un certain nombre de critiques sans réponse - une erreur qui ne pardonne guère sur des médias réactifs et spontanés par nature, et qui souligne la nécessité d'une réelle intégration des stratégies 2.0 dans la stratégie et l'organisation de l'entreprise.
Trois séries de questions peuvent être dégagées de cette deuxième étape. Tout d'abord, quel degré de contrôle les société ont-elles encore sur leurs marques ? Simon Clift, le responsable marketing d'Unilever, est très clair là-dessus : "Les marques ne sont tout simplement plus des marques. Elles sont le centre d'un maelström de dialogue politique et social". Fini les communications unilatérales et les spots de trente secondes dans lesquels l'affaire était aussi bouclée que bâclée. Les consommateurs se sont appropriés les marques au point d'en prendre désormais le contrôle.
Une deuxième question tient à ce que révèle la problématique du contrôle : la peur de perdre le contrôle de la communication sur la marque n'est-elle pas le symptôme d'un problème de fond lié au produit ou au service offert lui-même et, finalement, d'un manque de confiance ou d'une fragilité plus profonde ? Là encore, les réseaux sociaux n'ont de sens que connectés aux fondamentaux de l'entreprise dans une démarche d'apprentissage.
Troisième point : s'il apparaît bien nécessaire dans ce contexte de créer une sorte de territoire dans lequel les consommateurs puissent s'exprimer, ce territoire gagne à être clairement défini et déployé de façon complémentaire avec les stratégies médias plus traditionnelles. A travers les thèmes "Change We Can Believe In" et "Yes We Can", la campagne de Barack Obama reste à cet égard un modèle d'articulation permettant simultanément de promouvoir une cause, un homme et une dynamique de participation. Elle souligne aussi l'intérêt d'une approche désormais politique des problématiques de marque.
19:12 Publié dans Communication, Harvard Report | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : communication, nouveaux médias, unilever, obama
17/04/2010
Gupta et les nouveaux médias (1) L'opinion et les marques
Sunil Gupta est un des experts de la Harvard Business School (HBS) en matière de nouveaux médias. En raison du coût et du temps requis, d'une connaissance incertaine des risques, des difficultés de mesure et surtout d'une certaine perte de contrôle, les réticences de nombre de marques ou d'industries à investir ces nouveaux médias - blogs, réseaux sociaux, forums, agrégateurs de contenus, etc - demeurent assez vives.
Leur progression récente dans l'ensemble de la communication reste cependant sans précédent. En moins de 6 ans, Facebook a atteint plus de 350 millions d'utilisateurs qui, chaque semaine, partagent plus de 3,5 milliards de contenus (20 heures de video sont aussi téléchargées chaque minute depuis Youtube). S'il a fallu près de 90 ans pour que le téléphone touche 150 millions d'utilisateurs, le même nombre a été atteint en moins de 5 ans par FB (14 ans pour le téléphone portable, 7 ans pour l'I-Pod) qui, avec 471 millions de membres aujourd'hui, représenterait le troisième plus grand pays au monde.
Or cette évolution se traduit par un impact croissant sur les comportements d'achat des consommateurs. 28 % d'entre eux reconnaissaient fin 2009 que les nouveaux médias avaient eu une influence sur leurs achats de fin d'année. Une étude Nielsen de janvier 2010 révèle que 90 % des consommateurs font confiance aux recommandations d'autres consommateurs, alors que seulement 56 % d'entre eux accordent quelque crédit à la publicité traditionnelle.
Pourtant, les dépenses de marketing dans ce domaine demeurent à un niveau assez faible. La publicité en ligne se chiffrait à 25 milliards de dollars en 2009, soit 12 % du budget marketing global aux Etats-Unis. Sur ce total, les nouveaux médias n'ont représenté que 716 millions de dollars, soit un peu moins de 3 %. Une réalité qui reflète le fait que la plupart des managers se sentent en terrain plus familier avec des mesures tangibles tels que taux de clics ou coût par clic qu'avec les estimations plus incertaines d'une présence sur les nouveaux médias perçue de surcroît comme plus risquée.
Des expériences innovantes et réussies attestent cependant de l'intérêt d'une exploration méthodique de ce domaine pour laquelle Gupta propose une approche en six étapes, de l'apprentissage de ces nouveaux outils à une transformation qui peut aller au-delà du seul domaine de la communication elle-même.
23:58 Publié dans Communication, Harvard Report | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouveaux médias, marketing, publicité
23/06/2009
Toronto, Londres, Bruxelles (3) La perspective et le détail
A l'issue d'une réunion de travail, une discussion critique s'ouvre : n'est-on pas trop entré dans le détail au détriment d'une réflexion collective plus approfondie sur les enjeux de fond ? A-t-on du coup tiré toute la valeur que l'on était en droit d'attendre de cette réunion, ou bien avons-nous tout simplement perdu notre temps - le temps des rémunérations cumulées des participants comme celui de la valeur des expertises croisées autour de la table ?
Nous avons tous suffisamment expérimenté les longues réunions aux résultats incertains pour ne pas s'arrêter un moment sur la question. Dans le pire des cas, c'est la préparation qui laisse à désirer ou bien l'objectif de la réunion qui n'est pas clairement affiché (s'agit-il d'un brainstorming, d'une mise au point, d'une revue de projet ? etc) ; dans le meilleur, c'est un détail qui faisant irruption au beau milieu d'une réunion pourtant bien huilée, soulève des enjeux inattendus ou des réactions épidermiques et, ce faisant, finit par occuper l'essentiel des échanges. Le commentaire, dans ce contexte, a une portée indéniable.
Certes, il revient bien au manager de fixer les orientations et de définir les responsabilités pour faire en sorte que les choses avancent dans le budget et les délais impartis. Sans perspective à laquelle s'adosser, les actions s'additionnent, s'accumulent, voire s'enchevêtrent ou se brouillent, bref, perdent en cohérence et en efficacité. La perspective est, de de ce point de vue, l'aune générale à laquelle s'évaluent les actions particulières. Elle donne, en un mot, une colonne vertébrale à l'ensemble.
Le problème, c'est la vertèbre sensible qui, en se déplaçant, a vite fait de compromettre la bonne marche du plan. A s'en tenir, dans de telles situations, à la perspective stratégique, on perd en efficacité. Micro-management ? Tout est affaire de contexte ici. Oui, s'il s'agit d'une attitude permanente rognant sur les responsabilités des différents acteurs, réduisant leur marge de manoeuvre, faisant enfin de leur autonomie créative un pur rouage de transmission. Non, s'il s'agit d'une nécessité ponctuelle permettant de débloquer une situation en consacrant le temps et l'attention nécessaires au détail gênant.
Il ne s'agit pas seulement là d'une pure question d'opportunité managériale. Un détail problématique est en effet souvent le révélateur d'un problème plus profond : compétences insuffisantes pour mettre en oeuvre une action décidée, responsabilité non tranchée, pilotage insuffisamment clair, voire manque de motivation. En ce sens, l'attention au détail symptomatique peut non seulement débloquer le problème, mais encore autoriser un saut qualitatif de plus grande ampleur pour peu que le problème sous-jacent ait été bien identifié.
De surcroît, et plus encore à l'heure des organisations horizontales, il serait illusoire de penser que le dirigeant puisse tirer sa seule légitimité de son rôle stratégique sans faire la démonstration de sa capacité à descendre dans l'arène quand cela est nécessaire. Après lui avoir permis de mettre le doigt "là où ça fait mal", cette capacité à descendre dans le détail lui permet ensuite de guider concrètement l'action vers le résultat souhaité. Le chef d'orchestre est en quelque sorte mieux respecté lorsqu'il sait se rappeler et démontrer qu'il a été premier violon, ce qui constitue potentiellement à la fois une source de légitimité supplémentaire, un regain de mobilisation et un surcroît d'efficacité collective.
Pour un peu, on lirait une fois de plus dans cette dichotomie caricaturale entre la perspective et le détail, entre la grandeur de la stratégie et la trivialité du détail, l'opposition sous-jacente entre les conceptions française et anglo-saxonne du management. En France, un dirigeant qui s'aventure un peu trop dans le détail déroge fondamentalement à un statut : il manque de hauteur. Dans le monde anglo-saxon, un stratège qui ne serait pas capable de mettre ses vues en application aurait un problème : d'efficacité d'abord, de légitimité ensuite, et d'emploi pour finir.
Dans le cas qui nous occupe ici, la conclusion est assez simple : il était nécessaire de trouver une solution au problème, mais la réunion n'était pas le lieu idéal pour le faire. Dans les situations dans lesquelles, quoi qu'il en soit, le détail s'impose comme problème, ce qui compte en réalité, ce n'est pas la primauté de la stratégie sur l'exécution ou l'inverse, c'est, outre la nécessité d'un déblocage, l'opportunité de transformer un problème particulier en regain de motivation collective.
20:57 Publié dans Communication, Leadership, Management | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stratégie, réunion, manager, efficacité, micro-management
25/03/2009
Toronto, Londres, Bruxelles, New York (2) La mixité et le mouvement
Au Stone Manor, le manoir du Worcestershire qui nous accueille, un décor un peu frustre de monastère (des pannes d'eau froide, d'eau chaude, d'électricité puis une alerte incendie pour finir l'attesteront durant ce séjour) se marie harmonieusement avec le confort cossu d'un vieux manoir anglais. C'est un endroit parfait pour s'isoler un peu du tournis des affaires (même si l'on n'évite jamais tout à fait l'interférence de quelques affaire urgente à l'autre bout du monde) et passer un moment ensemble. Un jour de présentations, un jour de "team building". Je n'ai jamais beaucoup crû à l'efficacité de présentations en enfilade : généralement, les dirigeants pensent retour sur investissement quand les équipes veulent passer un peu de temps ensemble.
Pourtant ici, au-delà de la densité intellectuelle propre à un exercice qui mêle stratégie, affaires publiques, questions scientifiques et développement des marchés, nous parvenons non pas simplement à accumuler de la connaissance (Raleigh et Bruxelles figurent parmi les centres majeurs de talents, ce qui n'est pas le cas de Paris, se désespérait récemment DSK (voir "Un dîner à NY autour de Strauss-Kahn : la crise, le monde, l'éducation" sur New world, new deal) mais à faire connaissance. A nouer quelque chose qui, au-delà de l'information, crée du mouvement, développe un sentiment d'appartenance à une entité commune et suscite un élan collectif vers un changement, que nous menons d'ailleurs à grands pas.
Il faut dire que l'équipe, une quarantaine d'experts, réunit une quinzaine de nationalités : chinois, indiens, britanniques, russes, argentins, américains, italiens, belges, australiens, français, etc. Le premier capital de cette bande, c'est l'intelligence collective. Onesta le disait clairement, la veille de la victoire de l'équipe de France aux championnats du monde de handball, en Croatie : " Nous nous sommes construits avec des gens ayant des profils très différents, avec des origines assez différentes, avec des jeux très différents et donc des cultures du sport très différentes, expliquait-il (...) Souvent, cette mixité nous permet de sortir de difficultés : on ne peut que s'en féliciter aujourd'hui." Ce qui compte, en clair, ce n'est pas la collection des talents, c'est leur combinaison; ce n'est pas l'affirmation d'un point de vue en soi, c'est sa contribution à la réflexion collective.
Le lendemain, un exercice de team building permet à la fois de définir un contrat collectif et de solliciter les membres de l'équipe dans ce qui fait la spécificité tout à la fois de leur rôle et de leur tempérament. A ce genre d'exercice, la culture latine pense généralement manipulation quand l'anglo-saxonne pense mouvement; les délices (un peu stériles) de l'ironie opposées, en somme, aux vertus (un peu caricaturales) de l'action. La synthèse, dynamique et flexible, s'insère dans le mouvement en pariant sur sa capacité à l'adapter aux circonstances. A l'avantage du mouvement répond le potentiel de la mixité : sans que nous en prenions conscience, elle signe peut-être l'apport de la Chine à cette manoeuvre occidentale.
16:35 Publié dans Communication, Leadership | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : management, équipe, strauss-kahn
09/02/2009
Toronto, Londres, Bruxelles, New York (1) L'envol et l'arène
Dans le vol d'Air Canada qui amène l'équipe de Toronto au séminaire interne de l'Institut organisé, cette année, dans un manoir de la région de Birmingham, on porte un toast, vers midi, à Obama qui prête enfin serment comme nouveau président des Etats-Unis.
Embarquer pour un moyen-long courrier, c'est l'occasion de lâcher prise, d'ouvrir une paranthèse assez indéterminée dans le temps et dans l'espace, d'échapper aux tensions et aux sollicitations de toutes sortes, de laisser vagabonder son esprit - bref, de faire relâche (la première fois que j'avais éprouvé cette sensation, c'était lorsque je quittais le chaudron calédonien, alors en pleine crise).
Mais ce transport est aussi une pause créative dans laquelle, comme dans une sorte de rêve éveillé, la mécanique des idées, en prenant de la hauteur, s'agence autrement. Pas de travail (intensif) sans (art de la) pause. Le coaching, en somme, comme prolongement individualiste du syndicalisme de base.
Quand, quelques heures plus tard, ne parvenant pas à trouver le sommeil au beau milieu de la nuit suivante dans un aéroport d'Heathrow, je n'en finis pas de revoir les images de la cérémonie d'inauguration d'une chaîne l'autre, deux choses me frappent.
La première, c'est la présence de Michelle. Elle tient la bible, mène la danse dans la marche improvisée vers la Maison Blanche, impose un style Elle a, vis-à-vis de Barack, un regard profond à la fois plein de bienveillance et d'exigence. Elle est décisive dans ce qui arrive (il faut lire aussi l'excellent papier d'une journaliste du Los Angeles Time repris récemment dans le Courrier international à propos du... derrière de la First Lady pris comme emblème ambivalent, à la fois refoulé et dévoilé, de la culture noire).
Seconde observation, moins intimiste. L'impression qui finit par dominer au bout d'un moment en visionnant et revisionnant ces images, ce n'est pas l'importance de la foule, la grandeur de la cérémonie, la consécration universelle d'un moment d'attente.
Non, ce qui l'emporte dans les interstices de la cérémonie, ce sont les petits ratés - des regards dans le flou, une foule assez peu enthousiaste, un discours qui tourne à vide, le baillement de Craig Robinson, l'ennui des filles, l'hésitation de Barack lui-même. Bref, il y a de la fatigue dans cette cérémonie, presque de la lassitude.
Ce qui fait la clé du changement, ce n'est ni la communication, ni l'action qui, séparément, peuvent produire respectivement du bruit ou de la fureur, c'est leur interaction vertueuse. Ce que l'on pourrait appeler, d'un assez vilain mot, la communic'action.
22:49 Publié dans Communication, Leadership | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, obama, changement, politique