04/03/2011
Dircom, un métier qui se transforme (11) Structurer (suite) : l'écosystème, de l'affrontement au partenariat
Sur le terrain externe, l'observation récente de la prospérité de quelques uns des plus grands groupes mondiaux, de Wal-Mart à SAP en passant par Microsoft et Li Fung (1), montre que cette réussite est moins due à un avantage concurrentiel interne qu'à la capacité de tisser, autour de l'entreprise, un réseau de partenaires dûment sélectionnés qui partagent avec elle un intérêt raisonnable au développement du système sur le long terme. Du point de vue de l'entreprise, le potentiel de cette théorie est si vaste et si fécond qu'il faudra y revenir plus en détail par ailleurs (2).
Ce n'est pas moins vrai du point de vue de la communication - et je souscris pour ma part d'autant plus volontiers à cette approche que j'ai, à plusieurs reprises, comme directeur de la communication d'une société industrielle ou d'une fédération professionnelle internationale, toutes deux attaquées notamment sur des questions d'environnement, mis en pratique ces préceptes de façon à la fois intuitive et pragmatique. Je suis parti du principe que, face à un adversaire qui a un pouvoir non seulement de nuire mais encore de déstabiliser, on a le choix entre s'enfermer dans une lutte contreproductive, voire suicidaire, ou bien repenser le positionnement de l'entreprise en termes de partenariat raisonnable avec ses interlocuteurs clés.
La défiance augmentant avec l'éloignement, il faut alors s'attacher à réduire la distance pour accroître la confiance. J'ai ainsi été à la rencontre des principales organisations environnementales qui s'opposaient aux activités de l'entreprise dont je conduisais la communication et les relations extérieures pour mieux les familiariser avec notre métier, nos contraintes mais aussi nos objectifs de progrès. Que pouvait donc bien viser un tel projet : à faire taire les critiques ? Cela aurait été aussi stupide que désastreux. Libre à elles, si elles le souhaitaient, de continuer à se répandre en critiques sur l'entreprise. Une autre voie, plus constructive, s'ouvrait cependant à elles à travers l'instauration d'un dialogue organisé avec l'entreprise dans lequel, en échange d'une approche plus concrète, ces organisations gagnaient un pouvoir, peut-être pas de cogestion, mais en tout cas d'influence sur la politique environnementale mise en oeuvre. Au contact des réalités concrètes d'une industrie, chacun comprend aisément en effet, à l'exception sans doute des opposants irréductibles, que l'on n'évolue pas dans un monde parfait et peut en prendre acte positivement dès lors qu'il constate une intention honnête et une volonté réelle d'amélioration.
Il s'agissait en somme d'échanger un discours d'opposition un peu vain contre une démarche de progrès partagés profitant à l'ensemble des parties prenantes impliquées sur le sujet, et à l'entreprise elle-même non pas tant en termes d'esquive de la critique que d'amélioration de ses performances environnementales. C'est là un point clé : bien communiquer dans un monde imparfait, c'est toujours s'inscrire dans une perspective d'action et de progrès. Inversement, toute communication qui se déconnecte simultanément de son écosystème et de son lien à l'action est vouée à tourner à vide, sinon à produire des effets qui se révéleront tôt ou tard dévastateurs.
Ce ne fut alors qu'un travail embryonnaire, pour ne pas dire expérimental, qui a fait par la suite l'objet d'une approche plus systématique, et qui a d'ailleurs connu des développements significatifs dans l'industrie, minière ou pétrolière notamment, à travers la notion de tiers-partis, ces acteurs compétents et légitimes à qui on donne la possibilité de s'impliquer dans un problème auquel est confrontée l'entreprise.
Dans certains cas, cela ne marche pas : bâtir la confiance à travers une approche nouvelle quand le passé raconte une tout autre histoire, ou bien quand l'une des parties fait le choix de privilégier la posture sur le progrès, cela peut en effet mener à une impasse et, éventuellement pour un temps au moins, relancer la bataille. L'intérêt de raisonner en réseau, c'est précisément de pouvoir alors circonscrire une opposition de cette nature dans une approche plus large.
Bref, entre l'angélisme et le cynisme, il y a place pour une approche raisonnée basée sur un intérêt partagé et c'est toute la portée révolutionnaire de cette notion d'écosystème que d'apporter à cette démarche un cadre de nature à réconcilier l'entreprise et la société, l'intérêt particulier et l'intérêt général d'une façon qui leur soit mutuellement bénéfique. Les recherches menées récemment par Porter & Kramer (3) dans un certain nombre de grands groupes mondiaux tels que GE, Wal-Mart, Nestlé, IBM ou Unilever, mais aussi d'organisations gouvernementales et non gouvernementales sur le passage de la corporate social responsability (responsabililité sociale et environnementale) à la notion de shared value (valeur partagée) ont de ce point de vue une portée pratique considérable.
En substance, il ne s'agit plus dans cette approche de répondre à une pression sociale ou environnementale par des logiques d'affichage. Une collègue dircom me confiait là-dessus son opposition à la tendance des dernières années à combiner dans les grands groupes communication et développement durable et, en l'état actuel des choses, elle a raison. Il s'agit au contraire de construire de véritables partenariats visant à résoudre, d'une façon qui crée de la valeur pour toutes les parties prenantes, un certain nombre de problèmes, qu'il s'agisse d'alimentation, d'habitat, d'emploi, d'information ou d'énergie, en transformant des problèmes sociaux en opportunités de marché.
Danone, par exemple, a joué dans cette approche un rôle pionnier dans le domaine de l'alimentation en mettant au point des produits nutritifs bon marché permettant simultanément d'améliorer l'alimentation de vastes populations d'Afrique ou du subcontinent indien, tout en créant de nouveaux marchés. Le meilleur indicateur des développements à venir de cette démarche révolutionnaire pourrait bien être la transformation déjà amorcée d'ONG en micro-entreprises donnant lieu à l'émergence de nouvelles entreprises sociales (WaterHealth International, Revolution Foods, Waste Concern pour n'en citer que quelques unes) dont le statut apparaît aussi hybride que leur croissance est dynamique et leur capacité à résoudre concrètement les problèmes efficace.
Pour le dircom, ce renversement de perspective qui résulte de cette nouvelle donne combinant confiance et écosystème a, pour simplifier, une double conséquence. En interne, il conduit à passer d'une logique d'information à une logique de coopération et, en externe, d'une logique d'image à une logique de partenariat. En bref, ces nouveaux territoires d'intervention créent des opportunités en même temps qu'ils posent un certain nombre de problèmes. Car ce n'est pas tout d'élaborer le projet, il faut aussi animer la démarche... avec des acteurs qui ont souvent toutes sortes de raisons de s'y opposer.
Bienvenue dans le monde merveilleux de l'écosystème.
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(1) Voir les travaux de Marci Iansiti à la Harvard Business School, en particulier : "The Keystone Advantage: What the New Dynamics of Business Ecosystems Mean for Strategy, Innovation, and Sustainability", HBS Press (2004).
(2) A suivre dans la rubrique "Harvard Report" en cours de structuration sur ce blog (titre provisoire : "Le modèle Harvard ou la réinvention de l'entreprise dans un monde en crise").
(3) Michael E. Porter & Mark R. Kramer : "Creating Shared Value", Harvard Business Review, Janvier-février 2011.
21:45 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, changement, management, écosystème, environnement, problèmes sociaux, iansiti, porter, kramer, danone, nestlé, ibm, wal-mart, ge, unilever, social business, waterhealth, revolution foods, waste concern
26/05/2010
Gupta et les nouveaux médias (2) Real Beauty, Real Profit
Risquée, l'aventure des nouveaux médias pour l'entreprise ? Qu'en est-il alors d'un candidat à la présidence des Etats-Unis d'Amérique qui a su lever deux tiers des fonds collectés en ligne ? Et qu'ont fait GM, Ford ou Chrysler en pleine tourmente sinon lancer de micro-sites optimisés pour la recherche de mots-clés, investir dans une campagne en ligne ciblée, utiliser YouTube, le video blogging et Twitter ?
Au-delà de ces exemples significatifs en eux-mêmes, Gupta, Armstrong et Clayton suggèrent pour les dirigeants une démarche d'expérimentation en six étapes s'apparentant à l'apprentissage d'un nouveau langage.
Première étape : l'immersion. Indispensable pour aller au-delà des opinions courantes sur le sujet et se forger une opinion de première main, l'immersion passe par une pratique personnelle des réseaux sociaux dans toute leur diversité, avec le double objectif d'écouter et de contribuer. Cette approche expérimentale peut aussi se retrouver au niveau de l'organisation elle-même, comme c'est le cas chez Best Buy avec le réseau Blue Shirt Nation reliant les 25,000 employés de la société.
Au-delà d'une initiative qui a eu pour effet de faire significativement baisser le turnover de l'entreprise (10 % pour les utilisateurs du réseau contre 50 % pour les non-utilisateurs), Best Buy a tiré de cette expérience trois leçons utiles :
1°) commencer modeste, de façon à enregistrer assez rapidement de premiers succès susceptibles de convaincre le management de l'intérêt d'approfondir l'expérience ;
2°) participer régulièrement - une évidence suivie d'effets dans seulement un tiers des entreprises ayant lancé une expérience communautaire (à noter à cet égard que certains logiciels, utilisés notamment par les responsables marketing, permettent de suivre les conversations sur le web autour de sujets bien identifiés) ;
3°) identifier des "champions" des réseaux sociaux à l'intérieur de l'organisation pour impulser la dynamique : ici comme ailleurs, mais davantage encore lorsqu'il s'agit d'introduire de nouveaux modes de fonctionnement, la passion est un ingrédient indispensable à la réussite de l'expérience.
Ensuite ? Réfléchir bien sûr, mettre l'expérience en perspective. L'idée ici est de commencer à aligner la stratégie mise en oeuvre en matière de réseaux sociaux avec celle, plus globale, de l'entreprise. Difficulté principale : accepter une certaine perte de contrôle de la marque auprès des consommateurs, en échange il est vrai d'un degré d'engagement plus élevé de leur part.
Une expérience emblématique à cet égard fut celle menée par Dove dans la campagne "Real Beauty" qui, en dépit des sarcasmes qu'elle a suscité, s'est traduit par des résultats spectaculaires. On estime ainsi que pour chaque dollar dépensé dans la campagne, Unilever a obtenu un retour d'environ 3 dollars. En quelques mois, les ventes de Dove se sont accrues de 13 % aux Etats-Unis et la part de marché de la marque est passée de 19 à 26 % dans la région Asie-Pacifique.
Inversement, des marques telles que Home Depot ou Unicare ont enregistré des résultats mitigés. Chez Home Depot, le développement de plateformes sur Facebook ou Twitter a manqué de continuité et de dynamisme. Chez Unicare, l'absence de suivi s'est même traduit par des conséquences négatives, la société laissant par exemple un certain nombre de critiques sans réponse - une erreur qui ne pardonne guère sur des médias réactifs et spontanés par nature, et qui souligne la nécessité d'une réelle intégration des stratégies 2.0 dans la stratégie et l'organisation de l'entreprise.
Trois séries de questions peuvent être dégagées de cette deuxième étape. Tout d'abord, quel degré de contrôle les société ont-elles encore sur leurs marques ? Simon Clift, le responsable marketing d'Unilever, est très clair là-dessus : "Les marques ne sont tout simplement plus des marques. Elles sont le centre d'un maelström de dialogue politique et social". Fini les communications unilatérales et les spots de trente secondes dans lesquels l'affaire était aussi bouclée que bâclée. Les consommateurs se sont appropriés les marques au point d'en prendre désormais le contrôle.
Une deuxième question tient à ce que révèle la problématique du contrôle : la peur de perdre le contrôle de la communication sur la marque n'est-elle pas le symptôme d'un problème de fond lié au produit ou au service offert lui-même et, finalement, d'un manque de confiance ou d'une fragilité plus profonde ? Là encore, les réseaux sociaux n'ont de sens que connectés aux fondamentaux de l'entreprise dans une démarche d'apprentissage.
Troisième point : s'il apparaît bien nécessaire dans ce contexte de créer une sorte de territoire dans lequel les consommateurs puissent s'exprimer, ce territoire gagne à être clairement défini et déployé de façon complémentaire avec les stratégies médias plus traditionnelles. A travers les thèmes "Change We Can Believe In" et "Yes We Can", la campagne de Barack Obama reste à cet égard un modèle d'articulation permettant simultanément de promouvoir une cause, un homme et une dynamique de participation. Elle souligne aussi l'intérêt d'une approche désormais politique des problématiques de marque.
19:12 Publié dans Communication, Harvard Report | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : communication, nouveaux médias, unilever, obama