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28/02/2011

Dircom, un métier qui se transforme (9) Capter (l'héritage et le creuset)

Après les deux premières caractéristiques fondamentales du métier - la passion et la relation -, on entre avec la troisième, la transformation, dans le vif du sujet. Il s'agit cette fois de capter, de structurer et d'animer.

Le dircom fait un métier à la fois étrange, contesté et fragile. Etrange ? Demandez donc à des gens qui ne sont pas de la partie de vous dire en quoi consiste cette fonction ; la plupart du temps, ils vous poseront d'ailleurs la question d'eux-mêmes. Ce métier est aussi contesté en particulier lorsqu'il est assimilé à une mise en scène, mi-vaine mi-trompeuse, qui aurait au fond davantage pour fonction de faire écran que de contribuer à la transparence. De ce point de vue, les communicants ont généralement aussi mauvaise presse chez les journalistes - c'est le syndrome de l'écran et de la manipulation - que les journalistes sont souvent mal perçus par le corps social de l'entreprise - c'est le syndrome du scoop, du raccourci ou de la déformation que l'on oppose à des réalités techniques et économiques plus complexes qui requièrent une profondeur que l'on estime souvent difficilement compatible avec le format et le tempo des médias. C'est là un point important sur lequel on reviendra.

Mais ce n'est pas tout : le directeur de la communication fait aussi un métier fragile parce que la source de sa légitimité est plus complexe que pour les autres fonctions. Dire que sa justification fondamentale est de servir le projet de l'organisation qui l'emploie et qu'il en rend donc compte essentiellement à un président et à une direction générale est à la fois évident et insuffisant. Car ce travail, il ne peut le faire correctement que s'il est solidement ancré dans le corps social de l'entreprise, capable de développer avec intégrité des réseaux divers et vivants à travers lesquels il peut faire passer des messages dans les deux sens.

En forçant un peu le trait, dans la mesure où il est à la fois un homme du siège et un homme de terrain, où il représente simultanément la direction générale et l'opinion interne, on peut dire qu'il est à la fois stratège et syndicaliste. D'ailleurs, l'une des méthodes les plus efficaces de conduite du changement s'inspire en partie du savoir-faire des organisations syndicales en termes de maîtrise du terrain et de canalisation de l'opinion. Bref, le voilà dans une position relativement inconfortable, suspecté par chaque partie de n'être que le porte-voix de l'autre et condamné à convaincre que sa légitimité profonde ne vient en réalité ni d'un bord ni de l'autre, mais de sa capacité à faire le lien, qu'elle n'est pas d'abord une question d'allégeance personnelle mais de contribution à l'intelligence collective.

Une source supplémentaire de complexité vient alors de ce qu'il a à la fois un pied dedans et un pied en dehors de l'entreprise. Source de complexité ? Sans aucun doute : si l'on admet que la frontière entre l'interne et l'externe a vécu, alors cette dichotomie commode mais de moins en moins opératoire le cède à l'approche plus complexe d'un écosystème incluant des acteurs clés, qu'ils soient internes ou externes, et dont il faut tâcher de rendre les intérêts convergents ou, à tout le moins, compatibles. C'est dire que cette complexité est en même temps une source de fragilité, en particulier dans les entreprises dont la culture forte s'est en partie construite contre cet environnement.

Jeune dircom, j'ai fait l'expérience de la difficulté de faire valoir en profondeur le point de vue d'un adversaire au coeur-même de la direction générale, démarche dont l'objectif était de donner à voir différemment un acteur que des mois de conflit avaient naturellement fini par caricaturer (inutile de dire que j'ai passé davantage de temps à faire l'inverse en passant des heures, nuits incluses, à faire comprendre le point de vue de l'entreprise à des décideurs qui avaient fini par cesser de dialoguer avec elle et par la mettre dans une situation de quasi quarantaine).

Avec le recul, je ne sais pas si je referais la même chose ; probablement pas en tout cas de la même manière. Pour dire les choses autrement, il y avait une certaine audace à partager assez largement ces réflexions non seulement avec la direction générale mais aussi avec l'encadrement qui, dans une culture fermée et en situation de crise aiguë, aurait pu me coûter mon job. Il s'agissait pour moi en réalité de raisonner moins en termes d'audace que de partage, de provocation que de décryptage. C'est ce qui fait la différence entre un comportement partisan et une démarche engagée et qui a sans doute permis à cette démarche d'être non seulement acceptée mais aussi intégrée.

A un autre niveau, je crois qu'il y avait aussi le pari de montrer que la communication, dont la nécessité était a priori challengée par une partie de la direction locale, pouvait être autre chose qu'une vulgate commode mais sans grande portée, c'est-à-dire un outil de compréhension, de relation et de transformation au service du management et de l'entreprise dans son ensemble selon une trilogie qui, de fait, continue encore de marquer en profondeur ma vision du métier.

C'est dire que la faiblesse liée au double ancrage du dircom, à la fois dans l'entreprise et hors de ses murs, est en réalité une force. De l'agent double, il a la mobilité sans la duplicité. Ce qui définit alors son statut, c'est en effet moins le confort d'une position qu'une capacité de mouvement - physique, intellectuel, psychologique - qui lui permet, osons le rapprochement, sur un mode quasi baudelairien de comprendre la diversité des rôles et, fondamentalement, d'être à l'affût de ce qui émerge, de capter les tendances en développement, à l'intérieur de l'entreprise en termes de compréhension des besoins du corps social, mais aussi à l'extérieur en termes de points d'appui, de ce que François Jullien appelle la compréhension du "potentiel de la situation" et qui inclut en particulier le repérage des "facteurs porteurs" - bref, de mettre en place les éléments d'un creuset.

La difficulté est qu'il faut alors convaincre d'avancer en évitant un double écueil : renier ce qui a été fait par le passé et plaquer ce qui a marché ailleurs - attitude qui est, par définition, difficilement acceptable par les équipes, sauf peut-être dans le cas où la direction prise précédemment a mené l'entreprise à la catastrophe - et encore. Et c'est précisément l'intérêt de partir du terrain pour asseoir la légitimité, c'est-à-dire la spécificité, de la démarche. Capter en ce sens, c'est toujours un peu adapter. Peter Druker dit qu'en matière de management, 90 % des actions peuvent se décliner à peu près partout sans difficulté majeure et que seuls 10 % de l'approche doivent être spécifiques. Je crois que c'est juste à condition de bien comprendre que ces 10 % ont une portée qualitative décisive, en particulier dans les environnements les plus réticents au changement.

L'ensemble des moteurs du métier : la passion de s'engager et la capacité à développer des réseaux, peut alors tourner à plein régime au service de la transformation de l'entreprise. Tout cela n'irait pourtant pas loin si cette aventure collective ne s'adossait pas à une méthode solide pour canaliser la dynamique, structurer la démarche et concrétiser le projet.

18/02/2011

Dircom, un métier qui se transforme (8) Note sur le paradoxe de la cogestion (surtout, ne montrez pas l'exemple)

Que la communication soit d'abord un métier attaché à développer les relations par l'écoute, c'est tout sauf évident. Et cela pour une raison simple : de la même manière que l'ingénieur est fasciné par les objets techniques, le dircom (quoi qu'on en dise des "capitaines analphabètes") aime les mots. De son point de vue, dire quelque chose est toujours préférable à ne rien dire. Tout sauf le silence, qui vaut pour lui (surtout en début de carrière) reconnaissance d'une défaite ou aveu de faiblesse.

Je me souviens ainsi au plus fort d'une crise politique dans laquelle, il y a de cela plusieurs années, mon entreprise se trouvait jour après jour jetée en pâture à l'opinion publique avoir longuement tenté de convaincre au téléphone le président du groupe d'intervenir comme invité du journal télévisé local lors de sa prochaine visite. Ce fut un beau combat (dont je n'avais pas conscience qu'il était perdu d'avance) et qui me semble surtout, rétrospectivement, lui avoir permis de jauger ce que j'avais dans le ventre sur ces questions sérieusement emberlificotées - et vice-versa d'ailleurs, si j'en juge par quelques expressions fleuries utilisées au cours de cet entretien.

En bref, il y a des sujets qui sont de conviction autant que de raison, mais aussi des circonstances dans lesquelles l'effacement est préférable à l'apparition. Une communication de terrain patiente, qui construit les conditions d'un dialogue raisonnable, vaut alors bien mieux qu'une apparition médiatique sans lendemain, qui peut même avoir pour effet principal de donner du grain à moudre - et une cible à écumer - à des opposants qui ont les coudées plus franches (1).

Hors crises, cette relation entre l'écoute et la construction du groupe présente une difficulté qui, pour être moins intense, n'en est pas moins réelle. Le groupe a certes besoin d'une parole pour se retrouver (et ce n'est pas là la moindre des considérations pour une entreprise de taille significative attaquée avec virulence dans la presse) ; mais il a aussi besoin d'une écoute pour s'engager. Or, comment quelqu'un qui aime par vocation occuper l'espace de la parole peut-il aider ce processus d'intégration ?

L'inspiration pourrait venir en la matière de l'univers de la musique. Dans un atelier récent consacré au personal branding et à l'influence, Pierre-Michel Durand, chef d'orchestre de l'ensemble Prométhée, lance ainsi l'idée que construire un ensemble harmonieux, composé qui plus est de personnalités fortes et talentueuses, passe pour l'essentiel par un accompagnement plus que par une direction au sens autoritaire du terme. Son idée centrale pour transformer les individus en membres d'un groupe, c'est de faire émerger la conscience de la supériorité du groupe sur les individus qui le composent, de leur faire sentir en posant le son souhaité sur la production de l'orchestre, qu'ils participent à quelque chose de plus grand que chacun d'entre eux pris individuellement.

Or, et Durand insiste là-dessus, il s'agit de faire passer cette idée en peu de mots. En somme, pour que le collectif se crée et que la parole porte, il faut aussi savoir se taire. Fantaisiste ? Essayez de vous souvenir de deux responsables avec lesquels vous avez travaillé, l'un sachant tout sur tout et occupant tout l'espace, l'autre plus à l'écoute et faisant progressivement émerger une position qui reflète le groupe et en même temps le met en tension vers quelque chose à accomplir. Le premier suscite un respect teinté d'agacement, le second produit un engagement pénétré du sens des responsabilités qu'il vous refile - moins spectaculaire, mais plus puissant.

De l'art de l'écoute, on en vient ainsi à la question de la cogestion. Pour nombre de managers, le terme même apparaîtrait presque comme un aveu d'impuissance. Les plus placides composent tant bien que mal, les plus énergiques tentent d'inverser la tendance. Rares sont ceux qui l'utilisent efficacement. Il n'est pas inintéressant d'écouter de nouveau Claude Onesta là-dessus, au retour d'un quatrième titre de champion du monde de handball obtenu en Suède fin janvier.

Que le dit le coach de l'équipe de France de handball ? Qu'il a progressivement renoncé à imposer une stratégie à ses joueurs. Au départ, cela n'a rien à voir avec une quelconque théorie managériale en vogue. Onesta était simplement agacé, après chaque défaite, de voir tel ou tel joueur refaire dans la presse la stratégie qui aurait été gagnante... Résultat ? "Nous sommes passés à la cogestion : ils participent au programme de préparation, à l'analyse et à la tactique de jeu. Ce n'est pas facile de laisser empiéter sur sa zone d'autorité. Mais c'est un deal de responsabilité : je te fais confiance, à toi de me prouver que tu as raison. Du coup, quand ça sent mauvais, ils préféreront combattre plutôt que de se planquer"...

On ne saurait être plus clair : à l'apparent abandon de pouvoir personnel correspond une responsabilisation collective accrue. Ce que confirme à sa manière Luc Albert lorsqu'il lance à une assemblée de dircoms héberlués (moi le premier) : "Surtout, ne montrez pas l'exemple !" Parce que montrer l'exemple, c'est occuper l'espace qui doit idéalement être occupé par les autres. Cela revient à créer une sorte d'équilibre subtil entre la force et le retrait, la direction et la composition - ce qu'Herbemont et César ont appelé "le projet latéral" et qui consiste à laisser de l'espace aux autres pour qu'ils rentrent dans un projet qui devient du coup aussi le leur et qui, partant, n'est plus tout à fait le vôtre, ce qui fait une différence notable entre manipulation et intelligence collective.

Voilà qui, après la passion et la relation, nous mène tout droit au troisième des fondamentaux du métier : la transformation.

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(1) En énonçant cette règle empirique, je pense immédiatement à une exception notable sur un sujet dont j'ai d'ailleurs eu à traiter antérieurement en tant que diplomate et qui me parait singulière à un double égard : vis-à-vis de la culture de la communication qui prévalait précédemment dans le même groupe et vis-à-vis de l'attitude généralement plus réservée qui prédomine dans l'industrie. Il s'agit de l'implication personnelle forte qu'a montrée Christophe de Margerie lorsque Total s'est de nouveau trouvé attaqué, il y a un an ou deux, sur la question de ses activités en Birmanie à la suite notamment d'une prise de position publique anti-Total de Jane Birkin. Il y eu là-dessus un choix délibéré, de raison aussi bien que d'affect, de s'engager personnellement sur un terrain qui pouvait pourtant paraître perdu d'avance en termes d'image. Or je crois précisément que si la stratégie s'est révélée payante (autant que je me souvienne, la polémique ne s'est guère éternisée en effet), c'est qu'elle a moins procédé d'une stratégie en chambre laborieuse que d'un engagement personnel fort.

Une leçon à méditer en tout état de cause, même s'il faut bien sûr soigneusement choisir ses combats en la matière compte tenu du caractère de dernier recours dont procède une défense comme celle-ci. Un peu à la manière d'un gardien de but qui ne sort de sa surface de réparation que lorsqu'il y a nécessité absolue de le faire - ce qui amène au passage un constat et une question : 1°) tous les gardiens de but ne sont pas capables de le faire ; 2°) quel est au juste le territoire du gardien de but : la surface de réparation ou le terrain lui-même ? Et, face à un tireur de pénalty, ce terrain s'arrête-t-il vraiment là où commencent les tribunes ? La réponse que l'on apporte à cette question ne porte pas du tout la même conception du champ d'intervention de l'entreprise et de sa politique de communication. Elle donne aussi, accessoirement, des profils de gardiens de but sensiblement différents.

07/02/2011

Dircom, un métier qui se transforme (7) Faire agir (le périmètre et le territoire)

Le vrai terrain, celui où l'on doit pouvoir à la fois vibrer et se dépasser, c'est l'action. On écoute les individus pour sentir ce que le collectif a dans le ventre. On crée entre eux les bonnes connexions pour faire émerger les dynamiques porteuses. Et puis on les fait agir ensemble. Mais, dira-t-on entre un communiqué de presse et un séminaire managérial, en quoi au juste ce faire-agir ensemble est-il le sujet du directeur de la communication ?

La question ne se pose évidemment pas en ce qui concerne le périmètre de la direction de la communication elle-même. Le dircom est un responsable comme les autres qui doit fixer à la fois un cap, un cadre et un canevas pour l'action de ses équipes en faisant en sorte d'atteindre un certain nombre de résultats. Et comme partout ailleurs, le style d'intervention sera d'autant moins directif que le niveau de compétences et d'engagement, l'alignement stratégique et le degré de confiance, seront élevés.

Ces équipes peuvent d'ailleurs atteindre des tailles significatives dans un certain nombre d'organisations - de dix à cent personnes pour prendre une maille large dans les groupes de taille significative. Une des spécificités de la fonction toutefois est qu'elle est amenée à développer un certain nombre de relations qui vont au-delà de son périmètre hiérarchique.

Communiquer de ce point de vue, c'est se retrouver au centre d'un ensemble de relations qui, au-delà de l'équipe elle-même, englobent la direction générale, les directions opérationnelles et fonctionnelles, les sites et, bien sûr, tout l'éventail des parties prenantes externes : médias, investisseurs, décideurs, influenceurs, agences, associations et partenaires divers - toutes essentielles à la réussite du projet de communication de l'entreprise. Il s'agit au minimum de s'assurer que les informations pertinentes circulent de façon efficace dans les deux sens, entre l'interne et l'externe, vers le bas et vers le haut et, de façon plus transversale, entre les différents services de l'entreprise.

Cette spécificité s'estompe certes sous l'effet du développement général de la transversalité et de l'intégration croissante des parties prenantes dans toutes les fonctions de l'entreprise. Une direction industrielle coordonne un nombre significatif d'interfaces dans un cadre d'organisation souvent complexe. De même, les directions financières sortent elles aussi de plus en plus de leur périmètre naturel d'intervention, que ce soit pour améliorer la qualité de leur reporting ou pour s'assurer que les fondamentaux économiques et financiers sont à la fois compris et partagés par les autres acteurs, notamment opérationnels, de l'entreprise.

Il y a cependant quelque chose de différent dans le cas de la communication, inscrit pour ainsi dire dans son ADN-même. Elle est par nature en relation avec l'ensemble de l'entreprise. D'une certaine manière, rien de ce qui relève de la vie de l'entreprise ne peut lui être étranger puisqu'elle a vocation in fine à faire entendre la voix de la firme dans sa diversité - une diversité qui, bien comprise, c'est-à-dire approchée dans le contexte d'un organisme vivant qui ne cesse d'évoluer au contact de son environnement, décuple davantage son impact qu'elle ne répond à une contrainte.

Voilà la clé. Par son positionnement singulier au milieu d'un ensemble d'acteurs souvent différents et parfois opposés, elle a compris avant les autres que l'efficacité collective passerait de moins en moins par l'autorité et de plus en plus par l'influence, et que les logiques antagoniques de périmètres distincts finiraient bientôt par le céder à la dynamique d'un territoire commun.

Voyez ce que dit là-dessus la recherche en psychologie sociale : cette capacité de conviction et d'entraînement tient pour une part non négligeable au fait que ce qui définit une relation non hiérarchique, ce n'est pas le pouvoir mais la liberté, ce n'est pas la contrainte mais l'envie. Or seules la liberté et l'envie conjuguées peuvent à la fois permettre une confrontation stimulante des arguments et faire émerger le désir personnel de s'engager.

Sur ce terrain et à condition qu'elle soit menée avec diplomatie et dans un cadre managérial cohérent, la capacité de la fonction à mener avec tous des échanges informels s'avère décisive : cette capacité lui permet d'apporter à la substance parfois attendue de canaux installés ou d'échanges plus ritualisés dans la vie de l'entreprise une matière vivante qui peut faire une véritable différence.

La communication n'a donc évidemment pas autorité pour dire ce qu'il convient de faire techniquement dans tous les domaines - et, dans son périmètre-même, elle gagne d'ailleurs à faire en sorte que ses choix soient régulièrement challengés par les autres acteurs. Par son positionnement original au milieu de l'entreprise, la qualité de son écoute et par son rôle naturel de mise en relation des acteurs, elle est en revanche parfaitement fondée à porter une dynamique collective de progrès.

En somme, la primauté de l'influence sur l'autorité qui a pu être perçue comme une faiblesse originelle lui confère aujourd'hui, par une sorte de ruse de l'histoire, une nouvelle puissance collective.

01/02/2011

Dircom, un métier qui se transforme (6) L'anachorète ou le capitaine (ce que le management doit au handball)

Le dircom, nouveau psy de l'entreprise ? C'est un terrain risqué : ils ne sont généralement pas formés pour ça au-delà de leurs qualités relationnelles ou de leurs intuitions personnelles. Et ce n'est peut-être pas non plus la définition la plus pertinente que l'on puisse donner du métier quand tout alentour s'accélère et commande d'agir dans tous les sens.

Précisément, il y a des endroits où l'on s'agite et d'autres où l'on agit. Dans le premier cas, il ne faut surtout pas lever la tête du guidon et prendre le temps d'écouter, mais continuer de foncer et de disperser son énergie sur tous les fronts en même temps sans se soucier réellement de savoir si les wagons suivent et si les résultats sont réellement en ligne avec les objectifs poursuivis (on n'a d'ailleurs pas le temps non plus de se soucier des objectifs, ils sont aussi nombreux que contradictoires). Qu'importe les priorités dans ce contexte puisque tout, par définition, est prioritaire.

Le second cas de figure relève d'une approche différente, aussi peu pétaradante sur le court terme qu'elle se révèle intéressante sur la durée. Il s'agit d'abord de bâtir un collectif, de relier entre eux des gens qui, au-delà de leurs fonctions respectives et en-deçà de l'appartenance générique à l'entreprise, aient une vraie raison de se parler. A y regarder de près d'ailleurs, l'entreprise, et l'entreprise industrielle un peu plus que les autres, pourrait bien être l'un des derniers lieux ouverts à la diversité collective. On serait même tenté de parler de mélange tant cette diversité, au-delà des distinctions de genre ou d'ethnie, fait ici d'abord référence aux différences de base que dessinent les statuts et les métiers.

Quand Daniel Constantini, l'ancien entraîneur de l'équipe de France de handball, décide au milieu des années 90 de bâtir la préparation de l'équipe en trois temps, il déconcerte. Le premier mois pour la préparation physique ? Une bonne idée dans un sport dont la puissance physique reste l'arme principale. Le troisième pour les répétitions techniques ? Rien de moins extraordinaire lorsqu'il s'agit de développer des combinaisons et des réflexes collectifs entre des joueurs qui officient d'ordinaire chacun dans leur club respectif.

Mais le deuxième mois, centré sur la construction du collectif ? Cette innovation a d'abord pour effet de décontenancer des joueurs qui, soit dit en passant, avant d'être qualifiés de "Costauds" ou "d'Experts", s'étaient autoproclamés "Barjots" ce qui a priori ne facilite pas la tâche. Tout le monde perçoit cette approche comme une lubie d'entraîneur un peu obscure, du temps perdu d'avance - bref, du gaspillage. A l'arrivée, l'équipe décroche pourtant le premier titre mondial français obtenu dans un sport collectif.

Quelques années plus tard, Jacquet, notamment lorsqu'il fait le choix d'exclure le génie ombrageux de Cantona ou de mettre au centre de son dispositif un Deschamps aussi mauvais footballeur que bon capitaine, n'a pas suivi au fond une voie différente. Ce qui fait d'ailleurs que le titre en vue de champion du monde de football doit beaucoup à celui méconnu mais pionnier de champion du monde de handball.

L'écoute dans ce contexte, c'est l'étape individuelle d'une démarche de construction d'un collectif toujours à bâtir ou à remodeler en s'attachant à ce qui, au-delà des différences, peut relier et rassembler les gens, c'est-à-dire transformer des individus en équipiers.

Constantini reconnaissait récemment qu'une fois sa formation de combat en place, il n'avait pas su faire évoluer son style de management en s'en tenant à la manière directive qui avait permis à l'équipe de décrocher son premier titre. Onesta a parachevé le dispositif, en gardant la rigueur mais en misant simultanément sur la maturité, la solidarité et le sens des responsabilités des joueurs. Et ça a donné quelques années plus tard un triplé historique et, à ma connaissance, inégalé de champion d'Europe, champion du monde et champion olympique, qui vient juste d'être parachevé par un quatrième titre de champion du monde en Suède. Le secret de cette réussite n'en est pas un et est reconnu aussi bien par le directeur technique national que par ses principaux adversaires : ces gars-là forment "une vraie bande".

L'équipe, c'est la forme active que prend la mise en relation des gens. C'est tout sauf un verbiage de dircom en mal d'inspiration pour faire joli dans une plaquette corporate sur les valeurs de l'entreprise, qui ne font d'ailleurs illusion pour personne, et pas davantage en externe qu'en interne quand elles ne sont pas plus portées que concrètes. A l'usage, on finit d'ailleurs par très bien faire la différence à cet égard entre le babillage et la substance : ce ne sont pas les mêmes formulations, ce n'est pas la même syntaxe, ce n'est pas la même énergie.

En clair, ce ne sont pas les mêmes entreprises.

Cette histoire d'équipe est une affaire sérieuse. La plus sérieuse de l'entreprise, une fois que les fondamentaux stratégiques et financiers sont en place, pour lui permettre de bien faire ce qu'elle a à faire ou plutôt de le faire mieux que ses concurrents. Tout cela relève donc en réalité davantage du management que de la communication, du faire ensemble que du bien dire. Le dircom peut y avoir son mot à dire s'il sait sentir ça : ce que c'est qu'un collectif.

C'est pourquoi il vaut mieux recruter un dircom analphabète qui fut capitaine sur un terrain de handball qu'un anachorète cultivé qui ne sait pas ce que c'est que de se faire respecter sur un terrain hostile.

28/01/2011

Dircom, un métier qui se transforme (5) Ce qu'écouter veut dire (Vauban ou l'Espagne)

Dans la vie quotidienne, beaucoup de choses peuvent conduire le directeur de la communication à perdre de vue l'essentiel de sa fonction. La gestion des événements exceptionnels au premier rang desquels il faut bien sûr compter des crises devenues peu ou prou permanentes, mais aussi la montée en puissance de coordinations multiples et, plus insidieusement encore, l'extension de ce qui ressemble bien à une forme de technocratisme auquel la fonction a assez mal résisté dans l'ensemble, affairée qu'elle était ces dernières années à convaincre les comités exécutifs de passer de l'ancien régime aux nouveaux outils tout en tombant dans le piège de la justification et de la mesure permanentes (1).

Cela vaut pour tout responsable, mais c'est moins pardonnable dans le cas du dircom. On trouve heureusement des dirigeants dans les sièges et des managers sur les sites qui ont davantage le sens de la relation que ceux qui font profession de communiquer. Cette situation, qui n'est pas mauvaise en soi si l'on pense que la communication est une affaire qui a précisément vocation à être largement partagée, doit néanmoins conduire le directeur de la communication à se recentrer sur l'essentiel de son métier. Or - et c'est la deuxième caractéristique fondamentale à mon sens de ce job -, ce métier reste essentiellement un métier de relation.

De relation et non de relations. Des relations, chacun en compte naturellement un bon nombre dans l'exercice de ses fonctions, mais ce n'est pas tout à fait la même chose d'entretenir des relations et d'avoir la relation pour objet-même de son métier. Et puis, ce que l'on a appelé "les relations publiques" et qui se résumait le plus souvent à un mélange un peu vain de presse et de paillettes (agrémenté  parfois d'un vernis de Palo Alto pour faire conceptuel) a trop marqué le métier dans les années 80 pour que ne s'impose pas aujourd'hui une distinction qui emporte un certain nombre de conséquences pratiques.

Cette focalisation sur la relation a trois objectifs : écouter, relier et faire agir.

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Au seuil de ma première mission, je rencontre un ancien patron de la société que je m'apprête à rejoindre - un homme respecté qui marqua positivement l'entreprise - et lui demande son avis sur l'ordre des priorités au milieu d'une situation qui semblait passablement compliquée. Sur l'interne, il me répond : " Mettez les mains dans vos poches et allez discuter avec les gens"... Ecouter ? Quoi de plus simple ! Cela fait-il seulement un métier ? J'ai crû qu'il me prenait pour un imbécile et il avait raison. Peut-être pas de me prendre pour un imbécile, mais d'attirer en tout cas mon attention sur le fait que le terrain compte pour une part significative du job.

Je peux dire aujourd'hui que deux ou trois des meilleures idées que j'ai proposées et mises en oeuvre par la suite, je les ai tenues d'échanges à bâtons rompus sur le terrain - avec un chef d'atelier, un responsable informatique ou un directeur d'usine - à l'occasion de visites informelles sur sites. C'est d'ailleurs là un des domaines sur lequel la communication et la politique se rejoignent à travers un sens partagé, souvent d'ailleurs pragmatique et intuitif (2), de la formation des opinions.

Rien de plus difficile en réalité que le terrain et l'écoute. D'abord, parce que l'on a toujours le sentiment d'avoir autre chose de plus important à faire : les créneaux que l'on se réserve pour les tournées des popotes finissent en virée express quand ce n'est pas en tourisme industriel avant de sombrer tout à fait dans l'oubli. Ma chance sur ce terrain, ce fut de faire mes classes dans un environnement culturel dans lequel gagner la confiance des gens prend, disons, un certain temps. Combien de fois suis-je revenu de ces premières tournées, tantôt perplexe, tantôt furieux, d'échanges qui, pour être aimables, me paraissaient sans consistance...

Tjibaou pratiquait avec les Occidentaux le test du silence, on me faisait passer celui de la méfiance. C'est un autre point clé de cet apparentissage : écouter, c'est tout à la fois se décentrer de soi et sortir du cadre. Une écoute véritable participe ainsi d'un double mouvement de décentrage psychologique et de décadrage intellectuel.

C'est parce que nous ne sortons pour ainsi dire jamais de nous-mêmes que nous ne savons pas écouter. On peut de ce point de vue définir l'écoute comme un oubli de soi qui consisterait à substituer l'autre à soi au centre du cercle qui forme la représentation de nos relations sociales. Une concentration totale, décentrée, sur ce que l'autre essaie de communiquer au plan non seulement verbal, mais aussi vocal et non-verbal, et dans laquelle le questionnement l'emporterait sur le point de vue. Rien de plus stimulant. Rien de plus rare.

La situation n'est guère plus favorable sur le terrain intellectuel. Combien de conversations se bornent à la juxtaposition d'opinions qui ne font en réalité que suivre le déroulement d'une logique intérieure ? C'est une histoire que l'on raconte, souvent au fond toujours la même, plus qu'un échange que l'on risque et c'est aussi en quoi la tâche du dircom se rapproche de celle de l'analyste. Les uns et les autres peuvent sauver plus ou moins bien les apparences, le résultat ne change pas : partant de son quant-à-soi, on y revient inmanquablement et l'art difficile du dialogue ne désigne alors pour l'essentiel qu'une série de ruminations aussi bornées qu'inutiles (3) plutôt que l'acceptation d'une saine remise en cause de ce que l'on tenait pour acquis. A l'auberge espagnole, on préfère les forteresses Vauban : c'est plus sécurisant, mais cela peut aussi assez rapidement transformer une pensée en vestige, une organisation en musée - et, partant, un dircom en fossile.

Un an après cette entrée en matière, c'est à peu près la même réponse que me fit le DRH du groupe en marge d'un séminaire pour les nouveaux embauchés alors que je l'interrogeais sur la qualité qui lui semblait fondamentale dans l'exercice de son métier : "L'écoute" me répondit-il. Pour les deux hommes, la simplicité de la réponse n'allait pas sans une part de défiance vis-à-vis des modes de l'époque. Mais la modestie revendiquée du propos n'était pas seulement de défiance générationnelle : elle valait aussi, au-delà du testament humaniste, à travers un mélange de conviction et de roublardise qui me paraissait aussi léger hier qu'il me semble savoureux aujourd'hui, comme prise de position managériale.

Le problème est que l'on confond prise de parole et intelligence des situations. Mais le leadership n'est pas le bavardage. L'écoute est le fondement de toute communication ou plutôt de toute négociation réussie pour des raisons qui sont autant de respect que d'efficacité. Car le boulot du dircom, sauf exception, ce n'est pas de noyer de poisson. C'est de le faire nager en bande.

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(1) On ne peut piloter que ce que l'on mesure, c'est entendu. Dans ce domaine sensible et qualitatif par bien des aspects, en matière par exemple de gestion des crises et de la réputation et de mobilisation interne plus encore, la mesure quantitative a cependant ses limites. Par ailleurs, comme pour les autres fonctions de l'entreprise, il existe bien dans un certain nombre d'organisations un danger de l'accaparement par une forme de reporting généralisé au détriment de l'action réelle sur le terrain. Il revient là-dessus à chaque dircom de mettre en place le tableau de bord le plus efficace possible de façon à libérer davantage de temps pour l'action plutôt que pour le compte rendu.

(2) C'est pourquoi une expérience politique est aussi souhaitable dans ce métier, de préférence en début de parcours. Rien de tel que d'apprendre la dynamique des groupes auprès d'un élu, local si possible, ou encore d'un  responsable syndical ou associatif. C'est une formation appliquée qui vaut bien un master de socio-psychologie ou de relations sociales.

(3) C'est en tout cas vrai sur le plan intellectuel à défaut de l'être tout à fait sur le plan psychologique : il est en effet des situations, les contextes de changement par exemple, dans lesquels la nécessité de l'expression l'emporte en tant que telle sur l'intérêt du propos. On cherche alors davantage à communiquer une émotion qu'à infléchir un point de vue.