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28/01/2011

Dircom, un métier qui se transforme (5) Ce qu'écouter veut dire (Vauban ou l'Espagne)

Dans la vie quotidienne, beaucoup de choses peuvent conduire le directeur de la communication à perdre de vue l'essentiel de sa fonction. La gestion des événements exceptionnels au premier rang desquels il faut bien sûr compter des crises devenues peu ou prou permanentes, mais aussi la montée en puissance de coordinations multiples et, plus insidieusement encore, l'extension de ce qui ressemble bien à une forme de technocratisme auquel la fonction a assez mal résisté dans l'ensemble, affairée qu'elle était ces dernières années à convaincre les comités exécutifs de passer de l'ancien régime aux nouveaux outils tout en tombant dans le piège de la justification et de la mesure permanentes (1).

Cela vaut pour tout responsable, mais c'est moins pardonnable dans le cas du dircom. On trouve heureusement des dirigeants dans les sièges et des managers sur les sites qui ont davantage le sens de la relation que ceux qui font profession de communiquer. Cette situation, qui n'est pas mauvaise en soi si l'on pense que la communication est une affaire qui a précisément vocation à être largement partagée, doit néanmoins conduire le directeur de la communication à se recentrer sur l'essentiel de son métier. Or - et c'est la deuxième caractéristique fondamentale à mon sens de ce job -, ce métier reste essentiellement un métier de relation.

De relation et non de relations. Des relations, chacun en compte naturellement un bon nombre dans l'exercice de ses fonctions, mais ce n'est pas tout à fait la même chose d'entretenir des relations et d'avoir la relation pour objet-même de son métier. Et puis, ce que l'on a appelé "les relations publiques" et qui se résumait le plus souvent à un mélange un peu vain de presse et de paillettes (agrémenté  parfois d'un vernis de Palo Alto pour faire conceptuel) a trop marqué le métier dans les années 80 pour que ne s'impose pas aujourd'hui une distinction qui emporte un certain nombre de conséquences pratiques.

Cette focalisation sur la relation a trois objectifs : écouter, relier et faire agir.

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Au seuil de ma première mission, je rencontre un ancien patron de la société que je m'apprête à rejoindre - un homme respecté qui marqua positivement l'entreprise - et lui demande son avis sur l'ordre des priorités au milieu d'une situation qui semblait passablement compliquée. Sur l'interne, il me répond : " Mettez les mains dans vos poches et allez discuter avec les gens"... Ecouter ? Quoi de plus simple ! Cela fait-il seulement un métier ? J'ai crû qu'il me prenait pour un imbécile et il avait raison. Peut-être pas de me prendre pour un imbécile, mais d'attirer en tout cas mon attention sur le fait que le terrain compte pour une part significative du job.

Je peux dire aujourd'hui que deux ou trois des meilleures idées que j'ai proposées et mises en oeuvre par la suite, je les ai tenues d'échanges à bâtons rompus sur le terrain - avec un chef d'atelier, un responsable informatique ou un directeur d'usine - à l'occasion de visites informelles sur sites. C'est d'ailleurs là un des domaines sur lequel la communication et la politique se rejoignent à travers un sens partagé, souvent d'ailleurs pragmatique et intuitif (2), de la formation des opinions.

Rien de plus difficile en réalité que le terrain et l'écoute. D'abord, parce que l'on a toujours le sentiment d'avoir autre chose de plus important à faire : les créneaux que l'on se réserve pour les tournées des popotes finissent en virée express quand ce n'est pas en tourisme industriel avant de sombrer tout à fait dans l'oubli. Ma chance sur ce terrain, ce fut de faire mes classes dans un environnement culturel dans lequel gagner la confiance des gens prend, disons, un certain temps. Combien de fois suis-je revenu de ces premières tournées, tantôt perplexe, tantôt furieux, d'échanges qui, pour être aimables, me paraissaient sans consistance...

Tjibaou pratiquait avec les Occidentaux le test du silence, on me faisait passer celui de la méfiance. C'est un autre point clé de cet apparentissage : écouter, c'est tout à la fois se décentrer de soi et sortir du cadre. Une écoute véritable participe ainsi d'un double mouvement de décentrage psychologique et de décadrage intellectuel.

C'est parce que nous ne sortons pour ainsi dire jamais de nous-mêmes que nous ne savons pas écouter. On peut de ce point de vue définir l'écoute comme un oubli de soi qui consisterait à substituer l'autre à soi au centre du cercle qui forme la représentation de nos relations sociales. Une concentration totale, décentrée, sur ce que l'autre essaie de communiquer au plan non seulement verbal, mais aussi vocal et non-verbal, et dans laquelle le questionnement l'emporterait sur le point de vue. Rien de plus stimulant. Rien de plus rare.

La situation n'est guère plus favorable sur le terrain intellectuel. Combien de conversations se bornent à la juxtaposition d'opinions qui ne font en réalité que suivre le déroulement d'une logique intérieure ? C'est une histoire que l'on raconte, souvent au fond toujours la même, plus qu'un échange que l'on risque et c'est aussi en quoi la tâche du dircom se rapproche de celle de l'analyste. Les uns et les autres peuvent sauver plus ou moins bien les apparences, le résultat ne change pas : partant de son quant-à-soi, on y revient inmanquablement et l'art difficile du dialogue ne désigne alors pour l'essentiel qu'une série de ruminations aussi bornées qu'inutiles (3) plutôt que l'acceptation d'une saine remise en cause de ce que l'on tenait pour acquis. A l'auberge espagnole, on préfère les forteresses Vauban : c'est plus sécurisant, mais cela peut aussi assez rapidement transformer une pensée en vestige, une organisation en musée - et, partant, un dircom en fossile.

Un an après cette entrée en matière, c'est à peu près la même réponse que me fit le DRH du groupe en marge d'un séminaire pour les nouveaux embauchés alors que je l'interrogeais sur la qualité qui lui semblait fondamentale dans l'exercice de son métier : "L'écoute" me répondit-il. Pour les deux hommes, la simplicité de la réponse n'allait pas sans une part de défiance vis-à-vis des modes de l'époque. Mais la modestie revendiquée du propos n'était pas seulement de défiance générationnelle : elle valait aussi, au-delà du testament humaniste, à travers un mélange de conviction et de roublardise qui me paraissait aussi léger hier qu'il me semble savoureux aujourd'hui, comme prise de position managériale.

Le problème est que l'on confond prise de parole et intelligence des situations. Mais le leadership n'est pas le bavardage. L'écoute est le fondement de toute communication ou plutôt de toute négociation réussie pour des raisons qui sont autant de respect que d'efficacité. Car le boulot du dircom, sauf exception, ce n'est pas de noyer de poisson. C'est de le faire nager en bande.

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(1) On ne peut piloter que ce que l'on mesure, c'est entendu. Dans ce domaine sensible et qualitatif par bien des aspects, en matière par exemple de gestion des crises et de la réputation et de mobilisation interne plus encore, la mesure quantitative a cependant ses limites. Par ailleurs, comme pour les autres fonctions de l'entreprise, il existe bien dans un certain nombre d'organisations un danger de l'accaparement par une forme de reporting généralisé au détriment de l'action réelle sur le terrain. Il revient là-dessus à chaque dircom de mettre en place le tableau de bord le plus efficace possible de façon à libérer davantage de temps pour l'action plutôt que pour le compte rendu.

(2) C'est pourquoi une expérience politique est aussi souhaitable dans ce métier, de préférence en début de parcours. Rien de tel que d'apprendre la dynamique des groupes auprès d'un élu, local si possible, ou encore d'un  responsable syndical ou associatif. C'est une formation appliquée qui vaut bien un master de socio-psychologie ou de relations sociales.

(3) C'est en tout cas vrai sur le plan intellectuel à défaut de l'être tout à fait sur le plan psychologique : il est en effet des situations, les contextes de changement par exemple, dans lesquels la nécessité de l'expression l'emporte en tant que telle sur l'intérêt du propos. On cherche alors davantage à communiquer une émotion qu'à infléchir un point de vue.

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