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25/03/2008

Media business (fin) Le "tout à l'ego" ou le sens commun ?

Fin du compte rendu de "Mediabusiness, le nouvel eldorado" de Danièle Granet et Catherine Lamour sous la forme de faits et de chiffres clés.
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En permettant à chacun de s'exprimer librement et de s'adresser à une audience sans frontières, les nouvelles technologies accélèrent la remise en cause d'une organisation pyramidale de la société. Sans être ignoré, cet aspect de la "révolution internet" est peu abordé parce qu'extrêmement polémique. Sans aller jusqu'à dire que le schéma du "top down" est condamné, il est clair qu'il est fortement remis en cause. En Chine même où le nombre des internautes dépassait les 300 milions en 2006, une nouvelle révolution culturelle, très différente de la précédente, se prépare en sourdine.

Certains analystes évoquent, cela dit, à travers ces évolutions des modes de communication, le danger d'un populisme rampant qui mettrait en péril les principes d'organisation de la démocratie représentative. Ils y voient une forme de contestation des élites traditionnelles dont le rôle d'encadrement ne serait plus reconnu, tandis que d'autres au contraire y voient un renouvellement des modes d'exercice de la citoyenneté à travers une démocratie plus "participative". "Le cyber-militant oblige les démocraties à bouger", affirme le consultant en stratégie politique américain, Steven Clift, qui considère qu'internet va profondément changer les pratiques d'exercice du pouvoir.

De ce point de vue, les multiples "blogs" créés par les partis ou les hommes politiques et qui ne changent guère le schéma "top down" en ne s'inscrivant qu'à la marge dans une démarche d'interactivité manquent la demande citoyenne à l'oeuvre à travers l'essor d'Internet. Régis Debray s'interroge de son côté sur la finalité d'une société du "tout à l'ego". Avec cette "perte du nous, notre société est une société sans transcendance, sans lien entre les individus qui, par voie de conséquence, n'a plus de sens commun".

Malgré de timides tentatives, de la part de la Chine ou de l'Iran par exemple, les clefs de la gouvernance mondiale de l'Internet via l'Incann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), où s'enchevêtrent quelques 250 000 réseaux restent encore aux mains des Américains, dont la défense a financé et mis au point le système dans les années 70 et dont la puissance fixe aujourd'hui les normes. L'actuel Internet protocol, IPv4, a une taille suffisante pour répondre aux besoins des pays qui s'ouvrent à Internet. Le suivant, IPv6 est prêt ; il permettra de nous connecter et de nous faire communiquer partout, tout le temps et désormais sans rupture.

Paul Saffo, qui dirige l'Institut pour le Futur à Palo Alto, évoque les chagements mais aussi les dangers de la révolution de l'information en cours : "Avec l'évolution d'Internet, l'intimité, le respect de la vie privée seront de moins en moins un droit et de plus en plus un produit qu'il faudra acheter, et de plus en plus cher. Aujourd'hui aux Etats-Unis, il faut payer pour ne plus être dérangé le soir par des sociétés de marketing direct, demain vous aurez un portable gratuit mais vous devrez accepter une publicité avant de recevoir un appel ou accepter que vos coordonnées téléphoniques soient transmises à des tiers".

A côté du développement de la mise en ligne gratuite de nombreux savoirs, la bataille fait ainsi rage en matière d'information et de publicité. A côté des médias traditionnels qui rassemblent les citoyens de chaque pays, les médias personnels apportent le monde là où chacun se trouve, en faisant de chacun un citoyen universel. Un citoyen sans frontières, s'interrogent les auteures en conclusion de "Médiabusiness", mais peut-être aussi un citoyen sans repères ?

29/04/2007

Fort Boyard ou la Silicon Valley ? (parler vrai, création de valeur et travail en réseau)

Je prolonge ici un échange récent qui a fait suite à la note "Favorisons les émergences !" sur deux questions de communication : la culture du parler vrai et le travail en réseau.

La capacité à exprimer une idée dissidente, nouvelle, originale - et surtout à l'entendre - reste en effet difficile en France. Si elle progresse dans les entreprises, c'est plus lent dans la sphère publique, au-delà des affrontements syndicaux et caricaturaux d'usage.

Cela dit, la façon dont se pose la question de la liberté de parole dans les organisations françaises est, en un sens, révélatrice de la différence franco-américaine sur ce sujet : les Américains sont attentifs à ne pas rejeter brutalement celui qui exprime une idée nouvelle. Surtout, la question ne se pose pas en termes de conflits interpersonnels, mais elle est gérée dans le cadre du travail d'équipe et de règles du jeu claires qui rendent sans objet un tel positionnement conflictuel.

Celui-ci est au contraire favorisé chez nous (sauf encore une fois dans quelques micro-cultures privilégiées, essentiellement du fait de l'apport du leader) par des relations encore féodales, ou du moins verticales, qui ne laissent souvent guère le choix qu'entre le silence poli et l'altercation bruyante. Dans les deux cas, on détruit - du lien, de l'implication, de la créativité, de la coopération - au lieu de créer de la valeur.

Et c'est bien ce dernier risque qui conduit les entreprises françaises à s'engager dans cette voie - ce qui montre, au passage, que la gouvernance par la création de valeur a aussi des effets positifs sur les façons de travailler. Il n'est d'ailleurs pas impossible que la question de la dette publique finisse par avoir un effet similaire sur le mode de gouvernance correspondant. Proverbe chinois du jour : la LOLF est un premier pavé, mais la marre est encore grande.

Complément culturel : les Scandinaves, et les Suédois en particulier, sont aussi très frappés par cette sorte de respect formel des hiérarchies, qui empêche bien souvent dans la culture française non seulement l'émergence, mais aussi la discussion d'idées différentes. Le point de vue aurait pu être glacial, il est rafraîchissant dans les entreprises françaises qui développent leurs modes de management en un sens plus interculturel.


Concernant le développement du travail en réseau, il passe, avant la mise en place des outils, par l'évolution de la culture - l'exemple donné par les hiérarchies surtout, et la promotion concrète du travail d'équipe avec les nouvelles règles du jeu qui l'accompagnent. Faute de quoi on est en effet dans l'incantation creuse, dans le "double bind" mis en évidence de longue date par les gens de Palo Alto qui empêche le passage à l'action. Les outils de communication suivent, dans le meilleur des cas, en accompagnant dans une espèce de fine tuning, la prise de conscience et les expérimentations, en veillant à ne pas être trop en avance pour générer une appropriation progressive, en cohérence avec la culture de l'organisation, ses inerties certes, mais aussi ses facteurs de renouvellement.

Beaucoup de directions de la communication corporate me semblent cela dit encore assez bloquées sur le sujet des outils du web 2.0 par opposition aux supports plus institutionnels - qu'ils soient d'ailleurs print ou web, cela ne change rien à la question essentielle qui est de déterminer quelle degré de participation et d'ouverture réelles on crée dans l'organisation et vis-à-vis de l'extérieur. Quant au secteur public, le sujet n'y est souvent agité qu'à la mesure de son côté cache-misère new look de relations de travail statutaires et figées.

Je crois beaucoup sur ce plan de l'évolution des pratiques de management et de communication à la puissance de renouvellement amenée par les nouvelles générations. On ne les attirera pas, et on les conservera encore moins, par des cultures et des outils d'un autre âge - et ce point très concret, et stratégique, sera décisif dans le rythme des changements à venir. Il l'est déjà pour la génération des 20-30 ans, et ce sera plus sauvage encore pour la suivante.

Tout ceci étant naturellement à bien doser avec la dimension humaine des organisations. Rien de plus effrayant que l'appareillage "robocop" de certaines grandes entreprises, en particulier d'origine américaine d'ailleurs, qui lamine littéralement le temps social de l'échange dans les entreprises (un peu comme les trente-cinq heures l'auraient fait en France, selon la thèse de Michel Godet) et, accessoirement, accroît la pression de façon quasi illimitée sur les managers.

Mon interrogation à la fin de cette note sur l'émergence était, cela dit, différente, de portée plus personnelle : de même que chaque salarié est désormais en passe de devenir son propre DRH, au sens de son propre gestionnaire de carrière, mais que cette prise de conscience est encore inégale, de même nous devrions, je crois, être des animateurs plus actifs de nos réseaux.

Mais combien de temps, quelle énergie, quelle attention en continu consacrons-nous en réalité à cet espace, au-delà de nos obligations d'usage ?

Nous sommes à la vérité peu préparés et peu formés à l'animation de nos réseaux, qui restent principalement perçus en France sur un mode négatif, soit comme des clans opaques (grandes écoles, confréries diverses, etc), soit encore comme des exercices suspects (les relations publiques à l'ancienne, le commercial de base, etc). Nous pratiquons le réseau avec parcimonie, parce que nous le percevons comme créant un système d'obligations qui s'oppose à la fois à un certain individualisme et à une "culture de la gratuité" de la relation, conçue chez nous davantage comme un investissement affectif que comme un "contrat de service" - conception plus naturelle pour une culture utilitariste comme l'est la culture américaine.

Nous le comprenons mal aussi parce que nous l'appréhendons à travers la grille de la frontière (la cloison, la catégorie), qui est précisément aux antipodes de l'esprit et du fonctionnement du réseau. Je note d'ailleurs sur ce plan - davantage ici la culture du réseau elle-même que ses ressources technologiques -, que le monde océanien a autant à nous apprendre que la Californie, et les Kanaks que les Américains ! - mais c'est, j'en conviens, un autre sujet.

10/04/2007

Autour de palo Alto (1) Le diagnostic contre le changement ?

Il est généralement admis que tout plan d'action efficace résulte en premier lieu de la qualité du diagnostic de la situation. Une évidence mécaniste porté aussi bien par les sciences de l'ingénieur que par les préceptes les plus élémentaires du bon sens, par la pensée managériale autant que par la culture politique, et que la communication corporate range parmi ses antiennes ordinaires.

Figure majeure de l'Ecole de Palo Alto et spécialiste mondialement reconnu de la thérapie familiale, Paul Watzlawick raconte l'anecdote suivante.

A la fin des années 80, une femme napolitaine dut être admise à l'hôpital de Grosseto à l'occasion de son passage dans cette bourgade, suite à un état de schizophrénie aiguë. Comme il n'y avait pas de place dans la section de psychiatrie, on la renvoya à Naples pour qu'elle y reçoive les soins appropriés. Lorsque les ambulanciers sont arrivés dans la chambre, ils ont bien trouvé une femme habillée et prête à partir ; mais, lorsqu'ils l'ont invitée à les suivre, celle-ci a présenté un comportement de refus extrêmement belliqueux, laissant même entrevoir des signes marqués de dépersonnalisation. Il s'est du coup avéré nécessaire d'administrer une dose de tranquillisants à la patiente pour pouvoir la transporter jusqu'à l'ambulance.

Ce n'est que par la suite que le personnel de l'hôpital s'est rendu compte qu'il y avait une erreur : la femme n'était pas la patiente, mais une habitante de la localité venue rendre visite à un parent. Dans la réalité créée par cerre erreur, conclut Watzlawick, tout comportement adopté par cette femme, même le plus adapté à la situation, devenait une confirmation de sa pathologie.

Sur un plan plus expérimental cette fois, huit étudiants en psychologie, collaborateurs du psychologue américain Rosenhan, et parfaitement sains d'esprit, avaient demandé un jour à être internés dans différents hôpitaux psychiatriques pour suivre un traitement au motif qu'ils déclaraient entendre des voix. Aussitôt après leur admission, ils ont déclaré ne plus entendre de voix et ont alors adopté un comportement qui aurait été considéré comme normal en dehors de l'hôpital. Le traitement de ces faux patients n'en a pas moins duré entre sept et cinquante-deux jours, et tous, sans exception, sont sortis de l'hopital avec un diagnostic de schizophrénie en rémission. Chacun de leur comportement, par exemple le fait de prendre de nombreuses notes pendant leur internement, a été considéré comme une preuve supplémentaire de la justesse du diagnostic qui avait été établi. Au lieu d'être le reflet de faits observables, le diagnostic a créé une réalité - et seuls les vrais patients, précise Watalawick, sont restés à l'écart de cette situation en faisant part à plusieurs reprises aux faux patients que, selon eux, ils n'étaient pas fous, mais journalistes ou professeurs.

C'est de ce type d'expérience que l'Ecole de Palo Alto, et en particulier le courant du "constructivisme radical" (soit l'analyse des processus à travers lesquels nous créons des réalités), a tiré un de ses principes de base : le refus du diagnostic en tant que celui-ci crée la situation plus qu'il ne l'éclaire, et l'aggrave plus qu'il ne se donne les moyens de la soigner ; et ce d'autant plus qu'il n'existe pas de définition claire de ce que l'on appelle la santé mentale.

Ces travaux ont également connu des prolongements intéressants dans ce que l'on a appelé les "prophéties autoréalisatrices". Dans une des premières expériences réalisées sur le sujet, des étudiants en psychologie assistent à un cours sur les performances réalisées par un groupe de rats en fonction de leurs caractéristiques génétiques. La moitié d'entre eux reçoivent des rats qui leur sont présentés comme performants, l'autre moitié reçoit un autre groupe de rongeurs dont on souligne au contraire les limites cognitives au démarrage de l'expérience.

Si, dans la réalité, tous les rats étaient issus de la même lignée génétique, dans le cadre de l'expérience, les rats présentés aux étudiants comme les plus intelligents ont obtenu des performances supérieures aux autres, tandis que ceux présentés comme moins performants ont fait l'objet d'un rapport négatif. Les étudiants du premier groupe ont précisé qu'ils avaient, à l'occasion de l'expérience, trouvé les rats qui leur avaient été amicaux et intelligents, qu'ils les avaient même carressés et avaient joué avec eux - ce qui avait encouragé d'autant la vivacité et la coopération de ce groupe de rongeurs. Un processus qui a souvent, par la suite, été mis en évidence dans le domaine de l'enseignement.

De quelle "réalité" parlons-nous quand nous désignons ce qui ne va pas : s'agit-il de faits objectifs et observables (réalité "du premier ordre" pour Watzlawick), ou bien de l'interprétation que nous en faisons (réalité du "deuxième ordre") et qui a tôt fait de nous tenir lieu de réalité ? Et dans quelle mesure pointer le dysfonctionnement de l'autre ne sert-il pas d'abord à masquer notre responsabilité propre ?