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02/10/2007

De la croissance avant toute chose (1) Education : des outils pour apprendre

L'éducation, bien sûr, pour commencer, même si les effets de tels changements se font, par définition, sentir sur la longue durée. Mais il s'agit moins ici, dans un point de vue au demeurant très ramassé sur le sujet, de réinventer les méthodes ou de bousculer les programmes que de mettre le doigt, de façon pragmatique, sur des sujets qui pourraient améliorer concrètement notre capacité collective, plus qu'à apprendre - à entreprendre.


1.1 – Intégrer dans le secondaire un enseignement de psychologie

Les grands cadres de référence, les structures collectives, les communautés sont faibles. Les individus n’ont, du coup, jamais été autant exposés sur le plan personnel dans des environnements à la fois moins charpentés, plus incertains et souvent angoissants. Un minimum de compréhension des mécanismes psychologiques individuels et sociaux serait une aide utile pour mieux affronter choix, ruptures, remises en cause et épreuves diverses, en particulier sur le plan socio-économique.

1.2 – Changer l’enseignement des langues

Notre enseignement des langues est trop académique. Trop d’importance donnée à la forme, à l’écrit, à la dimension littéraire. Des résultats médiocres, notamment mais pas seulement en anglais (cf espagnol, langues orientales…). Mettre en place un enseignement plus axé sur la pratique, la prise de parole, la mise en situation, la compréhension au moins autant que la locution, bref : le réel.

1.3 – Développer les tutorats intergénérationnels

D’un côté des jeunes en difficulté ou désorientés, de l’autre des seniors en forme, disponibles, souvent soucieux de s’investir dans la vie sociale. Ces tutorats personnalisés marchent (cf soutien scolaire dans les quartiers sensibles, Juvénat en Nouvelle-Calédonie,etc). Un marché à développer. Les quadras peuvent aussi y trouver une façon simple et ajustable – une à plusieurs heures/semaine – d’équilibrer leur vie professionnelle ou de retrouver un peu d’utilité sociale. Un investissement socialement très utile que l’on peut aussi encourager au plan fiscal.

1.4 – Créer une université de l’innovation et du changement

Il y a des compétences éparses, principalement sociologiques et managériales (stratégie des alliés, psychologie de l’engagement, méthodologie de la confiance, etc) sur ce thème clé. Mais elles ne font pas l’objet d’un cursus identifié, structuré, valorisé. Benchmark international à intégrer (ex : réforme publique en Amérique du Nord, notamment au Canada). La capacité à comprendre, à conduire et à accompagner le changement est pourtant devenue une compétence aussi clé que négligée. Elle fait aussi appel à des qualités comportementales (persévérance, exemplarité, empathie, créativité… ) peu cultivées par notre système culturel et pourtant décisives dans le management des projets de changement concrets.


Une formation à la psychologie qui aide les individus à affronter les épreuves nombreuses d'un monde difficile, en particulier pour les plus jeunes générations ; une pratique des langues ramenée à sa vocation première : permettre de communiquer concrètement avec des personnes de cultures différentes ; des tutorats pour permettre aux liens de solidarité entre les générations de se retisser à travers un intérêt général focalisé sur une priorité forte et un peu mieux partagé avec la société civile ; une formation d'excellence enfin pour contribuer à une meilleure insertion de notre pays dans une mondialisation qui comporte autant de menaces que d'opportunités...

Voici donc quelques pistes esquissées pour ouvrir la réflexion. Vous paraissent-elles de nature à lever quelques freins culturels à une activité plus forte et aussi plus conquérante dans notre pays ? En matière d'éducation, quels autres freins vous paraîtrait-il utile de débloquer ? Par exemple, mon père parle souvent d'une "école des parents" qui gagnerait à être mise en place pour les milieux les plus défavorisés, à destination des parents à la fois débordés par les événements et désarmés par la brutalité de l'époque : cela n'introduit-il pas à une réflexion pratique sur la dimension sociale de la croissance, et à un nouveau chapitre "cohésion" que l'on pourrait aborder ici comme élément de compétitivité sur le long terme ?

22/06/2007

Coopération, réciprocité, pardon (les risques du métier)

A la fin des années 70, un mathématicien, Robert Axelrod, organisa une sorte de tournoi de logiciels de comportement, les programmes mis au point devant être équipés de la capacité de communiquer pour entrer en relation avec les autres. Chaque logiciel fut conçu avec des règles différentes, plus ou moins nombreuses, plus ou moins agressives - le but du jeu étant, dans ce jeu de relations, d'accumuler le plus de points possibles.

Toute la gamme des comportements était représentée dans cette arène moderne : certaines stratégies étaient très prédatrices, d'autres cultivaient une collaboration apparente pour mieux trahir par la suite ; d'autres comportements encore, plus solitaires, privilégiaient la débrouillardise, etc. Chaque programme fut opposé deux cents fois à tous les autres pour tenter de déterminer le programme qui émergerait de cette confrontation d'un genre nouveau.

Au début, les logiciels agressifs prirent le dessus, et de façon très nette. Au fur et à mesure de l'expérience pourtant, après une première période très rude face aux programmes les plus agressifs, c'est le logiciel mis au point par Anatol Rapaport qui commença d'émerger, puis s'imposa comme le logiciel vainqueur, moins par destruction des autres que par une sorte d'effet de contagion au fur et à mesure que les autres logiciels intégraient le fait qu'il s'avérait le plus performant.

Le logiciel de Rapaport était conçu sur la base de trois règles simples : toujours coopérer a priori ; continuer la coopération si elle est partagée par l'autre, mais réagir au même niveau en cas d'agression si, au contraire, l'autre ne joue pas le jeu ; enfin, empêcher toute escalade par la capacité à remettre en quelque sorte les pendules à l'heure en proposant, de nouveau, des règles de coopération se basant sur les leçons de l'expérience malheureuse de l'affrontement.

Coopération, réciprocité et pardon (modèle CRP) : cette théorie fait figure aujourd'hui encore de "modèle" de comportement d'une insolente simplicité, à l'heure d'un certain pan-psychologisme ; elle a, à tout le moins, le mérite de proposer une réconciliation opératoire de la morale et de l'efficacité. Elle constitue un modèle intéressant, capable de produire sa propre auto-régulation, en particulier pour tous ceux qui, dans l'entreprise ou la vie sociale, ont pour fonction de créer du lien ou d'ouvrir des espaces de créativité collective, et qui considèrent que cela ne doit pas être fait à n'importe quel prix, en privilégiant l'auto-régulation sur la demande d'arbitrage.

Le modèle est en revanche beaucoup moins adapté pour faire face à des jeux psychologiques plus complexes, qu'il parvient tout au plus à neutraliser. Ce n'est pas sa fonction, et c'est très bien ainsi : s'il constitue en quelque sorte un modèle de gestion du "risque relationnel" sur un plan socio-managérial, il ne saurait, en revanche, permettre de "faire l'économie" du risque inhérent à toute rencontre, sur un plan plus personnel.

21/04/2007

De quelques différences entre Français et Américains (Le Gaulois, le Shérif et leurs mamans)

A l'origine des différences entre Français et Américains, nous dit Pascal Baudry, il y a une relation de nature très différente entre la mère et l'enfant. "Go, have fun !". La mère américaine encourage tôt sa progéniture à faire son apprentissage, à explorer le monde avec confiance. Dans une situation similaire, une maman française multipliera au contraire les mises en garde préalables : "Fais attention à ci, ne fais pas ça, ne t'éloigne pas trop", etc. Et les complaintes de suivre au premier pépin : "Je te l'avais bien dit", "Tu n'écoutes pas !", "Ah, tu es bien comme ton père, tiens !".

Dans le premier cas, un sevrage social précoce, dans lequel le droit à l'erreur existe - l'erreur y est même considérée comme une opportunité d'apprentissage - dans un système où l'être est d'ailleurs étroitement associé au faire (le "You can do it !" est un quasi "You must do it !"). Du coup, la question qui travaillera par la suite l'enfant américain, tôt constitué en individu autonome, est : "Suis-je réellement aimé ?". Et la nation américaine aussi bien qui, de façon tout à fait singulière dans le concert des nations, se demande régulièrement si elle est estimée des autres nations. Ou plutôt, ces temps-ci, pourquoi elle n'en est guère aimée... Comme le souligne Stanley Hoffmann, professeur à Harvard : "La déception est inévitable, la gratitude n'entrant pas dans le registre des sentiments caractéristiques du comportement des Etats".

Souvent freîné dans son élan, materné à l'excès, surprotégé, mais sûr d'être aimé, l'enfant français sera de son côté travaillé par une question de nature différente : "Suis-je vraiment capable d'être indépendant ?", oscillant en permanence entre le confort du maternage et la propension à la révolte. Voyez de même, à l'échelle de la nation, le gaullisme ou, aussi bien, le non-respect du code de la route et la fraude fiscale... Du coup, l'adolescence du jeune Américain, déjà sevré, sera généralement plus calme que pour son alter et go français, qui profitera de cette transition pour se dépêtrer comme il le pourra, souvent sur le mode de la rébellion, des attachements excessifs dont il a hérité.

Même extrapolation possible au niveau des institutions. En France, dans le prolongement d'un système affectif marqué par l'association d'une mère trop possessive et d'un père trop autoritaire, on se défie et l'on cherche à se protéger de la loi, d'ailleurs omniprésente. Aux Etats-Unis en revanche, dans la perspective bien connue de l'éthique protestante, les institutions et le système d'équilibres ("checks and balances") dans lequel elles s'inscrivent, sont perçues avec confiance, comme un prolongement naturel d'un couple parental équilibré avec lequel les règles du jeu sont explicites (et non arbitraires ou variables), au service du bien collectif, protégeant l'individu contre les abus de pouvoir.

L'individuation précoce de l'enfant américain s'accompagne en effet de règles plus explicites, qui favorisent une appréhension claire de l'environnement et des règles du jeu qui le structurent. Si l'acte de nommer fonde l'identité dans une relation avec l'autre appréhendée à travers une séparation claire, alors le maintien d'une relation fusionnelle avec la mère propre à la culture française, entretiendra à l'inverse une approche plus implicite de l'environnement, et plus brouillée des règles du jeu. On y apprend alors très tôt, non à respecter la règle, mais à s'en accommoder, à négocier, voire à tricher chaque fois que possible dans un consensus social qui l'admet volontiers, voire l'encourage.

D'où encore une différence radicale dans l'approche des faits. Pour l'Américain, comprendre consiste à séparer clairement les éléments ; pour un Français, comprendre - et, pour une bonne part aussi, manager - consiste à relier en s'attachant aux situations et aux interactions entre les personnes et les groupes. Cela crée un contexte de nature clanique dans lequel tout changement dérange l'ordonnancement de liens déjà installés, et toute innovation représente une menace potentielle - le clan renvoyant aux attachements du passé et à la tradition dans une optique de stabilisation. Aux Etats-Unis, on gère des individus ; en France, on dirige des groupes - du moins, on essaie.

"Les Américains, diagnostique Aubry, ont fait de leur révolution un acte transformationnel ; les Français en ont fait une révolte sanglante, mais débouchant sur une perpétuelle répétition névrotique, constamment tiraillés qu'ils sont entre l'appartenance et la rupture". D'un côté, la clarté de l'équité, évaluée à l'aune de l'action des individus ; de l'autre, le syndrôme de l'égalité, collective et clanique, moins différenciante et responsabilisante.

Le terme "accountable" (comptable de ses actions), dont l'équivalent n'existe pas en français, traduit d'ailleurs bien la difficulté, dans notre culture, à évaluer l'individu à l'aune de ses actions propres, et non d'une quelconque responsabilité de groupe. Il est possible et aisé d'identifier la part propre de l'individu à un process collectif dans une culture clairement individualisée, privilégiant le faire, et attentive aux tâches. Cela est rendu passablement plus compliqué, en revanche, dans une culture éminemment relationnelle, dans laquelle on parvient mal à distinguer l'action de la personne.

Dans ce contexte, comme la reconnaissance, positive ou négative, touche la personne dans son ensemble au lieu de se concentrer sur des actions distinctes et spécifiques, le système préfère le ventre mou de la non-reconnaissance - poussant ainsi les individus à compenser dans la chaleur du clan (syndicats et corporations diverses) cette tiédeur peu engageante des relations hiérarchiques.

Cette culture, fondamentalement bipolaire, du clan trouverait également son origine dans une contradiction historique majeure. La France serait ainsi caractérisée par une oscillation permanente entre la cacophonie gauloise et l'ordonnancement romain (Villon vs Descartes), entre plus de loi et plus de désobéissance, plus de règlement et plus de laxisme. Quel que soit le sujet, le pays se divise - et le clivage droite-gauche n'est certes pas l'une des moindres de ces coupures. Le Français serait ainsi "un être groupal qui se soucie d'autrui, soit par confort d'appartenance ou de suivisme, soit pour se distinguer des autres en se rassurant ainsi sur sa propre individualité".

De même, ajoute notre psychothérapeute, "pour rester bien au chaud et ne pas se confronter à l'inconnu, le Français normal rechignera à aller voir chez les autres comment ils font". On aura précisément bien des occasions ici de revenir sur cet ouvrage remarquable ("French and Americans - The Other Shore"), qui ouvre de très riches perspectives à ceux qui se passionnent pour la compréhension en profondeur des systèmes culturels et les problématiques du changement.

10/04/2007

Autour de palo Alto (1) Le diagnostic contre le changement ?

Il est généralement admis que tout plan d'action efficace résulte en premier lieu de la qualité du diagnostic de la situation. Une évidence mécaniste porté aussi bien par les sciences de l'ingénieur que par les préceptes les plus élémentaires du bon sens, par la pensée managériale autant que par la culture politique, et que la communication corporate range parmi ses antiennes ordinaires.

Figure majeure de l'Ecole de Palo Alto et spécialiste mondialement reconnu de la thérapie familiale, Paul Watzlawick raconte l'anecdote suivante.

A la fin des années 80, une femme napolitaine dut être admise à l'hôpital de Grosseto à l'occasion de son passage dans cette bourgade, suite à un état de schizophrénie aiguë. Comme il n'y avait pas de place dans la section de psychiatrie, on la renvoya à Naples pour qu'elle y reçoive les soins appropriés. Lorsque les ambulanciers sont arrivés dans la chambre, ils ont bien trouvé une femme habillée et prête à partir ; mais, lorsqu'ils l'ont invitée à les suivre, celle-ci a présenté un comportement de refus extrêmement belliqueux, laissant même entrevoir des signes marqués de dépersonnalisation. Il s'est du coup avéré nécessaire d'administrer une dose de tranquillisants à la patiente pour pouvoir la transporter jusqu'à l'ambulance.

Ce n'est que par la suite que le personnel de l'hôpital s'est rendu compte qu'il y avait une erreur : la femme n'était pas la patiente, mais une habitante de la localité venue rendre visite à un parent. Dans la réalité créée par cerre erreur, conclut Watzlawick, tout comportement adopté par cette femme, même le plus adapté à la situation, devenait une confirmation de sa pathologie.

Sur un plan plus expérimental cette fois, huit étudiants en psychologie, collaborateurs du psychologue américain Rosenhan, et parfaitement sains d'esprit, avaient demandé un jour à être internés dans différents hôpitaux psychiatriques pour suivre un traitement au motif qu'ils déclaraient entendre des voix. Aussitôt après leur admission, ils ont déclaré ne plus entendre de voix et ont alors adopté un comportement qui aurait été considéré comme normal en dehors de l'hôpital. Le traitement de ces faux patients n'en a pas moins duré entre sept et cinquante-deux jours, et tous, sans exception, sont sortis de l'hopital avec un diagnostic de schizophrénie en rémission. Chacun de leur comportement, par exemple le fait de prendre de nombreuses notes pendant leur internement, a été considéré comme une preuve supplémentaire de la justesse du diagnostic qui avait été établi. Au lieu d'être le reflet de faits observables, le diagnostic a créé une réalité - et seuls les vrais patients, précise Watalawick, sont restés à l'écart de cette situation en faisant part à plusieurs reprises aux faux patients que, selon eux, ils n'étaient pas fous, mais journalistes ou professeurs.

C'est de ce type d'expérience que l'Ecole de Palo Alto, et en particulier le courant du "constructivisme radical" (soit l'analyse des processus à travers lesquels nous créons des réalités), a tiré un de ses principes de base : le refus du diagnostic en tant que celui-ci crée la situation plus qu'il ne l'éclaire, et l'aggrave plus qu'il ne se donne les moyens de la soigner ; et ce d'autant plus qu'il n'existe pas de définition claire de ce que l'on appelle la santé mentale.

Ces travaux ont également connu des prolongements intéressants dans ce que l'on a appelé les "prophéties autoréalisatrices". Dans une des premières expériences réalisées sur le sujet, des étudiants en psychologie assistent à un cours sur les performances réalisées par un groupe de rats en fonction de leurs caractéristiques génétiques. La moitié d'entre eux reçoivent des rats qui leur sont présentés comme performants, l'autre moitié reçoit un autre groupe de rongeurs dont on souligne au contraire les limites cognitives au démarrage de l'expérience.

Si, dans la réalité, tous les rats étaient issus de la même lignée génétique, dans le cadre de l'expérience, les rats présentés aux étudiants comme les plus intelligents ont obtenu des performances supérieures aux autres, tandis que ceux présentés comme moins performants ont fait l'objet d'un rapport négatif. Les étudiants du premier groupe ont précisé qu'ils avaient, à l'occasion de l'expérience, trouvé les rats qui leur avaient été amicaux et intelligents, qu'ils les avaient même carressés et avaient joué avec eux - ce qui avait encouragé d'autant la vivacité et la coopération de ce groupe de rongeurs. Un processus qui a souvent, par la suite, été mis en évidence dans le domaine de l'enseignement.

De quelle "réalité" parlons-nous quand nous désignons ce qui ne va pas : s'agit-il de faits objectifs et observables (réalité "du premier ordre" pour Watzlawick), ou bien de l'interprétation que nous en faisons (réalité du "deuxième ordre") et qui a tôt fait de nous tenir lieu de réalité ? Et dans quelle mesure pointer le dysfonctionnement de l'autre ne sert-il pas d'abord à masquer notre responsabilité propre ?