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21/04/2007

De quelques différences entre Français et Américains (Le Gaulois, le Shérif et leurs mamans)

A l'origine des différences entre Français et Américains, nous dit Pascal Baudry, il y a une relation de nature très différente entre la mère et l'enfant. "Go, have fun !". La mère américaine encourage tôt sa progéniture à faire son apprentissage, à explorer le monde avec confiance. Dans une situation similaire, une maman française multipliera au contraire les mises en garde préalables : "Fais attention à ci, ne fais pas ça, ne t'éloigne pas trop", etc. Et les complaintes de suivre au premier pépin : "Je te l'avais bien dit", "Tu n'écoutes pas !", "Ah, tu es bien comme ton père, tiens !".

Dans le premier cas, un sevrage social précoce, dans lequel le droit à l'erreur existe - l'erreur y est même considérée comme une opportunité d'apprentissage - dans un système où l'être est d'ailleurs étroitement associé au faire (le "You can do it !" est un quasi "You must do it !"). Du coup, la question qui travaillera par la suite l'enfant américain, tôt constitué en individu autonome, est : "Suis-je réellement aimé ?". Et la nation américaine aussi bien qui, de façon tout à fait singulière dans le concert des nations, se demande régulièrement si elle est estimée des autres nations. Ou plutôt, ces temps-ci, pourquoi elle n'en est guère aimée... Comme le souligne Stanley Hoffmann, professeur à Harvard : "La déception est inévitable, la gratitude n'entrant pas dans le registre des sentiments caractéristiques du comportement des Etats".

Souvent freîné dans son élan, materné à l'excès, surprotégé, mais sûr d'être aimé, l'enfant français sera de son côté travaillé par une question de nature différente : "Suis-je vraiment capable d'être indépendant ?", oscillant en permanence entre le confort du maternage et la propension à la révolte. Voyez de même, à l'échelle de la nation, le gaullisme ou, aussi bien, le non-respect du code de la route et la fraude fiscale... Du coup, l'adolescence du jeune Américain, déjà sevré, sera généralement plus calme que pour son alter et go français, qui profitera de cette transition pour se dépêtrer comme il le pourra, souvent sur le mode de la rébellion, des attachements excessifs dont il a hérité.

Même extrapolation possible au niveau des institutions. En France, dans le prolongement d'un système affectif marqué par l'association d'une mère trop possessive et d'un père trop autoritaire, on se défie et l'on cherche à se protéger de la loi, d'ailleurs omniprésente. Aux Etats-Unis en revanche, dans la perspective bien connue de l'éthique protestante, les institutions et le système d'équilibres ("checks and balances") dans lequel elles s'inscrivent, sont perçues avec confiance, comme un prolongement naturel d'un couple parental équilibré avec lequel les règles du jeu sont explicites (et non arbitraires ou variables), au service du bien collectif, protégeant l'individu contre les abus de pouvoir.

L'individuation précoce de l'enfant américain s'accompagne en effet de règles plus explicites, qui favorisent une appréhension claire de l'environnement et des règles du jeu qui le structurent. Si l'acte de nommer fonde l'identité dans une relation avec l'autre appréhendée à travers une séparation claire, alors le maintien d'une relation fusionnelle avec la mère propre à la culture française, entretiendra à l'inverse une approche plus implicite de l'environnement, et plus brouillée des règles du jeu. On y apprend alors très tôt, non à respecter la règle, mais à s'en accommoder, à négocier, voire à tricher chaque fois que possible dans un consensus social qui l'admet volontiers, voire l'encourage.

D'où encore une différence radicale dans l'approche des faits. Pour l'Américain, comprendre consiste à séparer clairement les éléments ; pour un Français, comprendre - et, pour une bonne part aussi, manager - consiste à relier en s'attachant aux situations et aux interactions entre les personnes et les groupes. Cela crée un contexte de nature clanique dans lequel tout changement dérange l'ordonnancement de liens déjà installés, et toute innovation représente une menace potentielle - le clan renvoyant aux attachements du passé et à la tradition dans une optique de stabilisation. Aux Etats-Unis, on gère des individus ; en France, on dirige des groupes - du moins, on essaie.

"Les Américains, diagnostique Aubry, ont fait de leur révolution un acte transformationnel ; les Français en ont fait une révolte sanglante, mais débouchant sur une perpétuelle répétition névrotique, constamment tiraillés qu'ils sont entre l'appartenance et la rupture". D'un côté, la clarté de l'équité, évaluée à l'aune de l'action des individus ; de l'autre, le syndrôme de l'égalité, collective et clanique, moins différenciante et responsabilisante.

Le terme "accountable" (comptable de ses actions), dont l'équivalent n'existe pas en français, traduit d'ailleurs bien la difficulté, dans notre culture, à évaluer l'individu à l'aune de ses actions propres, et non d'une quelconque responsabilité de groupe. Il est possible et aisé d'identifier la part propre de l'individu à un process collectif dans une culture clairement individualisée, privilégiant le faire, et attentive aux tâches. Cela est rendu passablement plus compliqué, en revanche, dans une culture éminemment relationnelle, dans laquelle on parvient mal à distinguer l'action de la personne.

Dans ce contexte, comme la reconnaissance, positive ou négative, touche la personne dans son ensemble au lieu de se concentrer sur des actions distinctes et spécifiques, le système préfère le ventre mou de la non-reconnaissance - poussant ainsi les individus à compenser dans la chaleur du clan (syndicats et corporations diverses) cette tiédeur peu engageante des relations hiérarchiques.

Cette culture, fondamentalement bipolaire, du clan trouverait également son origine dans une contradiction historique majeure. La France serait ainsi caractérisée par une oscillation permanente entre la cacophonie gauloise et l'ordonnancement romain (Villon vs Descartes), entre plus de loi et plus de désobéissance, plus de règlement et plus de laxisme. Quel que soit le sujet, le pays se divise - et le clivage droite-gauche n'est certes pas l'une des moindres de ces coupures. Le Français serait ainsi "un être groupal qui se soucie d'autrui, soit par confort d'appartenance ou de suivisme, soit pour se distinguer des autres en se rassurant ainsi sur sa propre individualité".

De même, ajoute notre psychothérapeute, "pour rester bien au chaud et ne pas se confronter à l'inconnu, le Français normal rechignera à aller voir chez les autres comment ils font". On aura précisément bien des occasions ici de revenir sur cet ouvrage remarquable ("French and Americans - The Other Shore"), qui ouvre de très riches perspectives à ceux qui se passionnent pour la compréhension en profondeur des systèmes culturels et les problématiques du changement.