Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/06/2007

"Great job !" (ça va mieux en le disant sobrement)

S'il est une singularité remarquable de la culture américaine, c'est bien la pratique de l'emphase, cette tendance permanente à tout qualifier de façon exagérément positive. Au-delà des techniques ordinaires d'une publicité omniprésente, cette tendance spontanée à l'hyperbole contamine l'ensemble des relations sociales, et notamment le domaine des affaires.

Que la publicité se l'autorise, passe encore. C'est là, après tout, une conséquence attendue de sa vocation à vanter produits et services, même si émerge, ça et là, un langage publicitaire différent, pratiquant volontiers l'autodérision, comme l'a montré récemment la campagne télévisée de l'assureur Geiko.

Cela devient plus problématique dans le monde de l'entreprise, non seulement pour les fonctions opérationnelles ou financières, mais aussi dans le domaine du marketing, des ventes, des ressources humaines ou des relations publiques, dans lesquels cette pratique peut se réveler tout autant contre-productive.

Cette caractéristique n'est pourtant pas sans effets bénéfiques. Elle constitue, dans les entreprises américaines, un levier ordinaire de reconnaissance du travail accompli et de motivation des individus. Un "great job !" opportunément prononcé viendra ainsi utilement ponctuer la suite des travaux et des jours, et relancer du même coup l'ardeur à la tâche de celui qui en est gratifié.

Cela ne va pourtant pas sans créer quelques difficultés. Dans une perspective interculturelle d'abord, cette pratique oblige de fait à un ajustement constant de la communication, et en particulier au décodage des appréciations qui sont formulées. Un compliment un peu moins appuyé pourra être ainsi interprété comme une opinion mitigée. Quant au silence, il signifiera, selon les circonstances, la réprobation... ou l'ennui.

Communiquer selon un tel système de référence n'en contraint pas moins à user soi-même peu ou prou de cette échelle de valeur, faute de quoi l'on sera perçu au pire comme critique, au mieux comme peu enthousiaste.

Au-delà des réglages interculturels, cette enflure du discours finit cependant par poser problème au sein de la culture américaine elle-même. C'est ainsi que, dans une tribune récente de Business First, John Heckers, coach et professeur de communication et d'éthique des affaires au Magellan Center de Denver (Colorado), encourage ces compatriotes à plus de mesure dans l'usage des superlatifs.

Et d'en profiter pour rappeler deux ou trois règles élémentaires : faire court, direct et simple - ce qui, de surcroît, favorise la mémorisation lorsqu'il s'agit de discours -, limiter l'usage des adjectifs et des adverbes et choisir ceux que l'on utilise avec soin, et n'user qu'avec modération et sobriété des compliments comme des mots de reconnaissance.

Quant à l'auto-célébration, elle est épinglée dans des excès qui, au lieu de susciter l'adhésion, conduisent au scepticisme et à la défiance - soit le contraire d'un contexte favorable au développement des affaires. S'il est parfois utile, écrit Heckers, d'utiliser son klaxon, il n'est pas utile de faire sonner les cuivres avec assuidité.

En un mot, l'art de la communication ne se réduit pas plus aux ficelles grossières des vendeurs de voitures d'occasion qu'au style médiatique des grands patrons flamboyants, dont la réussite est parfois éphémère et la chute souvent rude, comme l'ont montré ces dernières années quelques exemples retentissants de part et d'autre de l'Atlantique.

Cultivez une parole juste, nous dit en substance John Heckers, et votre carrière continuera à prospérer... tandis que les beaux parleurs ressasseront leur rhétorique de camelot derrière les barreaux.

La mise au point en elle-même dit certes combien de chemin il reste à parcourir sur ce plan dans un modèle de communication qui reste autant influencé par l'exagération publicitaire qu'obnubilé par les apparences de la paix sociale.

L'évocation des barreaux n'est pourtant pas là par hasard : comme souvent aux Etats-Unis, ce que la culture peine à corriger, le droit pourrait le prendre en charge en s'appuyant sur une conscience, pour le coup très aiguë, des risques associés aux proclamations intempestives.