07/11/2007
De la croissance... Promotion (suite) : des leviers pour progresser
6.3 - Réouvrir la question du statut des cadres
Pour tous ceux qui n'ont pas atteint le fameux statut bac + 4 ou 5 et qui ont du talent, cette barrière est un barrage. Gérer les fuites au compte-gouttes, c'est bon pour la gestion des barrages, ça ne l'est guère pour les gens, en particulier pour les plus méritants d'entre eux. Ceux qui le veulent vraiment, qui sont portés par quelque chose, finissent par trouver une voie en dépit des obstacles, ou en vertu même de ces obstacles (ce qui ne tue pas, comme on sait...). Mais ceux qui ont besoin d'être encouragés ?
Dans certaines entreprises, notamment dans les secteurs industriels techniques, la question était, il y a encore quelques années, gérée à travers la notion de "cadre technique". Cette possibilité permettait d'ouvrir un espace, de donner une perspective de progrès au milieu de leur carrière à ceux qui avaient fait leurs preuves. Un état de la situation serait utile pour mesurer la réalité de ces passerelles aujourd'hui, et les ouvrir plus largement.
6.4 - Mieux valoriser les expériences
Il faut donc ouvrir davantage, et davantage relativiser les diplômes - comme en Amérique, absolument - pour mieux reconnaître les expériences. D'ailleurs, cette notion de statut, on le sait, est si française qu'il faut passer un peu de temps à s'en expliquer aussi bien avec les Américains qu'avec les Scandinaves (on ne pourra pas dire ainsi que c'est encore une vieille lune inspirée de je-ne-sais-quel libéralisme - "sauvage", naturellement) ; et, autant le dire tout de suite, il vaut mieux renoncer d'emblée à les convaincre du bien-fondé de cette histoire de castes ex diploma.
Le type talentueux sorti d'un obscur institut de gestion ou d'une formation technique de base, il n'a peut-être pas la capacité conceptuelle d'un polytechnicien, mais il peut, souvent mieux que lui quand les enjeux sont plus concrets et localisés, emmener une équipe sur le terrain ou développer une affaire.
Cela ne va pas non plus sans une plus grande attention aux résultats, à l'art de la mise en oeuvre. C'est Carlos Ghosn, dans le charisme disons épuré qui le caractérise, qui rappelait qu'une meilleure performance ne passe pas nécessairement pas de nouvelles idées, mais qu'elle peut simplement résulter d'une plus grande attention portée à l'exécution. Et c'est précisément ce que le système français de sélection des élites, qui ne voit de la noblesse que dans la conception, n'encourage guère. Là aussi, il y a des terrains à reconquérir, avec plus de pragmatisme. Une reconquête qui présenterait également l'avantage de réintroduire plus de proximité sur les lieux de travail, notamment dans les unités de production, entre l'encadrement et les équipes et, partant, d'améliorer la cohésion et de réduire la conflictualité. La persistance d'un syndicalisme d'opposition systématique, c'est aussi le produit d'un management absent ou médiocre.
6.5 - Porter un discours de promotion fort
Il y a eu Mitterrand sur l'Europe, Chirac sur l'environnement - et si Sarkozy était l'homme de la promotion ? Il le porte un peu en lui (voyez ce discours, capté à son insu dans une salle électorale, qu'il avait improvisé sur sa relation ambivalente aux élites - il en est à la fois un leader et un produit atypique) et il peut aussi, là-dessus, porter le verbe haut et l'exemple fort. Cela tombe bien : il nous faut donner un sérieux coup de jeune à notre vieux discours sur l'égalité républicaine, qui ne tient plus guère que dans les manuels d'histoire et les loges maçonniques.
La promotion de la diversité en est un bon exemple. Il y en a d'autres ailleurs - voyez encore Descoing à Sciences-Po, qui réussit à la fois sur le terrain de l'excellence internationale et sur celui de l'espérance dans les quartiers. Je crois à cette communication publique quand elle est portée par une volonté et par un exemple, c'est-à-dire par une relation éprouvée à l'action. De belles et fortes campagnes peuvent d'ailleurs être aussi imaginées sur ce sujet.
Encore une fois, il y a des espaces à ouvrir. C'est possible ? Alors faisons-le, disait en substance l'Institut Montaigne dans sa campagne de communication pré-présidentielle.
D'autres idées ?
On en reparle quand vous voulez. Il me semble qu'il y a là un vrai sujet de passion démocratique et d'engagement personnel. Je rappelle que vous pouvez participer à ces débats à travers ce blog, mais aussi à travers les nombreux forums mis en place sur la plateforme créée par la Commission pour la circonstance.
17:30 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cadres, diversité, politique, syndicalisme, Sarkozy, Carlos Ghosn, Europe
06/11/2007
De la croissance... (6) Promotion : des leviers pour progresser
Après notre entretien avec le président de la Commission de libération de la croissance et son rapporteur général en septembre, puis un travail à distance, depuis l'Asie, sur ces sujets, je retrouve aujourd'hui le cercle de l'Avenue de Ségur. Parallèlement au groupe de travail sur les mentalités et la réforme publique, Jacques Attali m'a également convié à participer à la réflexion, qui démarre ce soir, sur le thème de la mobilité sociale. Une autre façon, plus spécifique, d'aborder le sujet de la cohésion sociale que j'avais évoqué, en démarrant cette série de notes le 2 octobre, comme un complément naturel aux cinq thèmes que j'avais alors proposé de développer (éducation, motivation, création, coopération et communication).
Une réflexion, d'abord, de portée plus générale, avant d'évoquer quelques pistes de discussion. Autant, sur le plan économique, débloquer les freins réglementaires ou culturels qui entravent l'initiative et lui ouvrir de nouveaux espaces de conquête est sans doute ce que nous pouvons faire de plus utile ; autant, sur le plan socio-politique, avancer des propositions efficaces pour retrouver les voies d'une promotion sociale active est sans doute ce que nous pouvons faire de plus noble.
D'ailleurs, sans cette perspective, à quoi bon la politique ? Que ceux qui le peuvent fassent des affaires, que ceux qui se protègent continuent de le faire, et que les autres vaquent à leurs occupations comme ils peuvent avec tantôt un peu plus et tantôt un peu moins d'aide, et que vogue le Titanic - il en va en effet du social comme de l'environnement : on s'en occupe ou on coule.
Ce ne serait pas acceptable : on a raison de ne pas transiger avec la médiocrité ou, pour le dire plus positivement, d'être obsédé par la question des talents - leur maturation, leur émergence, leur repérage et puis les espaces qu'il faut leur ouvrir ; mais on ne peut pas se passer de la justice.
Cela étant dit, comment réouvrir une vraie mobilité sociale au sein de la société française aujourd'hui ? De nouveau, voici quelques pistes pour la discussion.
6.1 - Mieux investir en amont dans l'orientation
L'orientation est souvent abordée de façon trop administrative. Or si, pour les trains, il faut un triage rigoureux, les jeunes gens requièrent plus d'attention et d'imagination. Et cela doit commencer tôt, dès le collège. Passés les rêves d'enfance, n'est-ce pas là que se forgent les premières envies ? Et c'est bien d'envie dont il s'agit. Il faut susciter des étincelles, des lueurs, et leur donner le temps de faire leur chemin : les meilleurs professeurs savent le faire et, au-delà, il faut faire intervenir des chefs d'entreprise, des aventuriers, des élus, des sportifs - bref, placer haut, pour tous, la barre de l'ambition de bien faire ce pour quoi l'on se sent fait, faire émerger le désir de se réaliser et de progresser.
Il faut soutenir l'effort au lycée, trouver les meilleures adéquations possibles entre les personnalités et les possibilités - il y a là-dessus des tests psychologiques bien faits et éclairants. Je vois enfin un troisième niveau, au début de l'Université, pour lutter contre l'échec si marqué des premières années : c'est comme si, une fois que l'on avait amené à ce niveau un maximum d'individus, on les laissait ensuite se débrouiller. Là aussi, il faut investir, pour apporter des pistes complémentaires, certes, si une réorientation s'avère nécessaire, mais surtout pour donner des bases méthodologiques solides.
6.2 - Etendre les soutiens scolaires personnalisés
J'ai vu et parfois participé à quelques exemples concrets : à la Goutte d'Or, en Nouvelle-Calédonie, à Montparnasse, j'en ai aussi entendu parler récemment pour l'Université de Rennes, je crois : partout où un soutien scolaire personnalisé est mis en place, ça marche ! Un rapport moins abstrait se crée avec le savoir, il s'inscrit dans le cadre d'une relation. On ose davantage demander de l'aide ; et puis, au-delà de l'aide, ou même à travers elle, par l'exemple que l'on donne ("to lead by the example" disent les Américains qui ont mille fois raison), on peut, ici aussi, ouvrir des pistes, transmettre des passions, donner envie.
C'est une clé essentielle, et elle peut prendre des formes différentes à différents âges de la vie : il y a là un espace à prendre par tous, pour les juniors vers 20 ans pour incarner l'idéal, pour les adultes vers 40 pour le supplément d'âme et d'utilité sociale qui manque parfois dans une vie à la fois trépidante et bornée, et au-delà de 60 encore parce qu'il y a encore de belles occasions d'être utile. (à suivre)
23:50 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : commission Attali, mobilité sociale, justice, promotion, orientation, politique
02/10/2007
De la croissance avant toute chose (1) Education : des outils pour apprendre
L'éducation, bien sûr, pour commencer, même si les effets de tels changements se font, par définition, sentir sur la longue durée. Mais il s'agit moins ici, dans un point de vue au demeurant très ramassé sur le sujet, de réinventer les méthodes ou de bousculer les programmes que de mettre le doigt, de façon pragmatique, sur des sujets qui pourraient améliorer concrètement notre capacité collective, plus qu'à apprendre - à entreprendre.
1.1 – Intégrer dans le secondaire un enseignement de psychologie
Les grands cadres de référence, les structures collectives, les communautés sont faibles. Les individus n’ont, du coup, jamais été autant exposés sur le plan personnel dans des environnements à la fois moins charpentés, plus incertains et souvent angoissants. Un minimum de compréhension des mécanismes psychologiques individuels et sociaux serait une aide utile pour mieux affronter choix, ruptures, remises en cause et épreuves diverses, en particulier sur le plan socio-économique.
1.2 – Changer l’enseignement des langues
Notre enseignement des langues est trop académique. Trop d’importance donnée à la forme, à l’écrit, à la dimension littéraire. Des résultats médiocres, notamment mais pas seulement en anglais (cf espagnol, langues orientales…). Mettre en place un enseignement plus axé sur la pratique, la prise de parole, la mise en situation, la compréhension au moins autant que la locution, bref : le réel.
1.3 – Développer les tutorats intergénérationnels
D’un côté des jeunes en difficulté ou désorientés, de l’autre des seniors en forme, disponibles, souvent soucieux de s’investir dans la vie sociale. Ces tutorats personnalisés marchent (cf soutien scolaire dans les quartiers sensibles, Juvénat en Nouvelle-Calédonie,etc). Un marché à développer. Les quadras peuvent aussi y trouver une façon simple et ajustable – une à plusieurs heures/semaine – d’équilibrer leur vie professionnelle ou de retrouver un peu d’utilité sociale. Un investissement socialement très utile que l’on peut aussi encourager au plan fiscal.
1.4 – Créer une université de l’innovation et du changement
Il y a des compétences éparses, principalement sociologiques et managériales (stratégie des alliés, psychologie de l’engagement, méthodologie de la confiance, etc) sur ce thème clé. Mais elles ne font pas l’objet d’un cursus identifié, structuré, valorisé. Benchmark international à intégrer (ex : réforme publique en Amérique du Nord, notamment au Canada). La capacité à comprendre, à conduire et à accompagner le changement est pourtant devenue une compétence aussi clé que négligée. Elle fait aussi appel à des qualités comportementales (persévérance, exemplarité, empathie, créativité… ) peu cultivées par notre système culturel et pourtant décisives dans le management des projets de changement concrets.
Une formation à la psychologie qui aide les individus à affronter les épreuves nombreuses d'un monde difficile, en particulier pour les plus jeunes générations ; une pratique des langues ramenée à sa vocation première : permettre de communiquer concrètement avec des personnes de cultures différentes ; des tutorats pour permettre aux liens de solidarité entre les générations de se retisser à travers un intérêt général focalisé sur une priorité forte et un peu mieux partagé avec la société civile ; une formation d'excellence enfin pour contribuer à une meilleure insertion de notre pays dans une mondialisation qui comporte autant de menaces que d'opportunités...
Voici donc quelques pistes esquissées pour ouvrir la réflexion. Vous paraissent-elles de nature à lever quelques freins culturels à une activité plus forte et aussi plus conquérante dans notre pays ? En matière d'éducation, quels autres freins vous paraîtrait-il utile de débloquer ? Par exemple, mon père parle souvent d'une "école des parents" qui gagnerait à être mise en place pour les milieux les plus défavorisés, à destination des parents à la fois débordés par les événements et désarmés par la brutalité de l'époque : cela n'introduit-il pas à une réflexion pratique sur la dimension sociale de la croissance, et à un nouveau chapitre "cohésion" que l'on pourrait aborder ici comme élément de compétitivité sur le long terme ?
02:05 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : commission Attali, politique, psychologie, langues, tutorat, innovation, changement
15/09/2007
Politique et compagnie (1) Je t'aime, moi non plus
Sur un site principalement consacré à l'entreprise, j'ai consacré de longs développements au marketing politique tel que l'a façonné la dernière campagne présidentielle américaine.
Beaucoup des stratégies et des techniques qui s'y sont déployées ont d'ailleurs, soit dit en passant, une portée qui, dépassant le seul champ de la politique, s'imbriquent avec les évolutions les plus récentes des modes de communication qui, depuis lors, ont littéralement explosé. Outil un temps révolutionnaire d'intervention dans le débat public, le blog a ainsi largement essaimé au sein de la société civile dans son ensemble. Il en va de même pour les outils du marketing relationnel dont les techniques s'affinent chaque jour davantage.
Mais, au-delà de ce débordement vers le champ social, la relation elle-même entre la politique et l'entreprise apparaît en pleine mutation.
Certes, ces deux grands domaines d'action ont longtemps entretenu, sinon aux Etats-Unis, du moins en France, des rapports de méfiance, quand ce n'est pas d'affrontement. A l'exception de libéraux isolés ou de colbertistes convaincus, les politiques n'entendaient souvent pas grand chose aux choses de l'économie et méprisaient ordinairement le monde de l'entreprise. François Mitterrand à sa manière, puis Jacques Chirac qui méprisait tant l'industrie, illustrent assez bien ce phénomène, au plus haut niveau de l'Etat, au long des deux décennies qui viennent de s'achever. La figure électorale du terroir l'emportait alors, et de loin, sur la conquête des nouveaux marchés.
Au-delà du cercle restreint de quelques patrons, catholiques de gauche pour l'essentiel, l'entreprise était, de son côté, réputée ne pas entendre grand chose aux considérations d'intérêt général et à l'infléchissement qu'une apparente meilleure prise en compte de celui-ci aurait dû, dans l'esprit de nombres d'élus, apporter à certaines décisions microéconomiques, qu'il s'agisse d'emploi, d'investissement ou de délocalisation. Encore un effort, Messieurs les entrepreneurs ! semblait se lamenter en choeur une bonne partie de la classe politique pour laquelle le monde semblait un assemblage de cantons.
Mais la réciproque n'était pas moins vraie, et parfois même plus virulente. A l'égard de la politique, les dirigeants d'entreprise hésitaient, le plus souvent, entre la raillerie et le procès. Raillerie des petites cuisines électorales, de terroirs précisément, quand il fallait se battre sur des fronts si lointains, souvent hostiles, et si peu familiers. Procès de décisions, mauvaises, et de rapports, approximatifs, qui ne faisaient guère avancer la cause de l'entreprise, quand ils ne la contrecarraient pas plus franchement. Combien de décisions retardées ou au contraire tronquées pour cause de proximité d'échéances électorales ? On s'en accoutumait mais cela finissait, à la longue, par faire des dégâts ici quand on se développait ailleurs. L'on pouvait certes continuer de monter sur les tonneaux pour haranguer la foule, mais ce n'était plus à l'entrée des usines qui se montaient ailleurs.
A la politique, le monde de l'entreprise reprochait ses décisions à crédit et ses illusions douloureuses - son manque, en clair, de courage et d'intégrité, que permettait la possibilité, au moins temporaire, de s'exonérer des rigueurs de la gestion. Rocard pouvait bien dire : "Quand on cesse de compter, c'est la peine des hommes que l'on cesse de compter", cela ne compta guère et l'on continuait, avec les principes de base des finances publiques aussi bien qu'avec les régles les plus élémentaires du capitalisme, à préférer l'illusion qui paie au courage qui coûte. Là encore, cela finirait bien par se payer - nous y sommes presque.
Pourtant, entre ces deux mondes, les lignes bougent.
14:35 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blog, Sarkozy, politique, entreprise, finances publiques, capitalisme, dirigeants
28/08/2007
Le bon, la brute et le petit écran (comment on gagne la bataille de l'opinion, 5)
Point d'orgue de la stratégie de l'équipe Bush fut le plan, révélé début 2004 par le New York Times, qui consista à définir le candidat Kerry dans les médias en 3 mois avant que celui-ci n'ait eu le temps de réunir les fonds suffisants pour générer ses propres spots publicitaires. Deux angles attaques furent mis au points par Rove : faire apparaître Kerry comme un "flip-flopper" (quelqu'un qui change d'avis en permanence), ainsi que comme une personnalité "weak on defense", c'est-à-dire incapable de conduire le pays dans la bataille anti-terroriste.
Face à cette stratégie, on cherchait principalement, en face, à répondre aux attaques ; le point n°4 de la feuille de route stratégique de l'équipe Kerry, intitué "contre-attaquer aussi fort qu'on est attaqué", précisait ainsi : "Répondre impérativement au cours du même cycle d'informations télévisées". On chercha bien aussi à souligner les échecs et les mythes de W (tels les mauvais résultats économiques et l'image du président chef de guerre... à l'expérience militaire inexistante), mais cela passa finalement au second plan dans une stratégie qui demeura fondamentalement défensive.
La main revenait en permanence à l'équipe qui avait cadré le débat la première, et c'est en vain que Kerry chercha, tout au long de la campagne, à orienter le débat sur l'économie, l'éducation ou la santé : la guerre en Irak occupait l'essentiel de la scène politique. Elle permettait à Bush de muscler son temps de parole et de conforter son image de leader. Même quand celui-ci commença à voir sa popularité s'éroder, Kerry rechigna à exploiter les faiblesses de son adversaire, de peur d'apparaître comme soutenant insuffisamment les troupes et l'effort de guerre. Il passa du même coup au second plan dans les médias à un moment de forte cristallisation de la campagne.
Le développement d'une communication politique de fond bâtie autour de slogans tels que "Stronger at home, respected in the world" ou encore "America can do better" permirent cependant, peu à peu, à Kerry de refaire une partie de son retard, et même de finir par devancer légèrement Bush à l'été 2004 au moment de la convention démocrate de Boston. Les faits - difficultés économiques, problèmes en Irak - jouaient en sa faveur. Bush parvient pourtant à reprendre l'ascendant grâce à un mélange d'agressivité et de simplicité.
Le président sortant réussit ainsi à contourner l'injonction, y compris de la part de certains Républicains comme John MacCain, de retirer le spot publicitaire jetant le doute sur le service de Kerry au Vietnam, en soulignant qu'il était produit par un groupe "indépendant" (les "Swift Boat Veterans for Truth", conseillés par le même avocat que l'équipe Bush). Et, tandis que Kerry continuait, sur la lutte contre le terrorisme et le soutien à l'armée en Irak, de s'enfoncer avec des formules du type : "I did actually voted for the 87 billion before I voted against it", qui deviendra une blague républicaine très en vogue, Bush rendait son discours plus compact : "Il n'y a rien de compliqué à soutenir nos troupes en Irak".
Bush a parfaitement intégré deux règles de base de la communication politique : attaquer et simplifier, et il s'y tient fermement. Côté attaque, trois quarts de ses spots publicitaires (soit environ... 50 000 spots) sont, souvent avec férocité, dirigés contre Kerry, contre 27% seulement pour ce dernier. "Vous savez, lui dira alors son conseil, Paul Begala, c'est un boulot important être président. Vous ne pouvez pas risquer de le laisser passer parce que vous voulez montrer que vous êtes le gentil dans l'histoire". Côté simplification, Bush de même n'a guère d'état d'âme. Pour Begala et Carville, un politique doit apprendre à aimer le "soundbite" (la petite phrase) : il doit, en clair, s'entraîner pour être prêt, en toutes circonstances, à exprimer sa position en une phrase de cinq ou six secondes. Phrases courtes, mots simples, métaphore claire et compréhensible par tous : voilà quelques uns des ingrédients du succès.
Le discours portera d'autant qu'il saura s'appuyer sur des valeurs fortes. Comme le rappelle Dick Morris, un consultant républicain : "Si un leader peut arriver à convaincre que les valeurs essentielles de ses électeurs font partie de ce qui se joue, il ou elle a bien plus de chances de l'emporter". Aux Etats-Unis, cela passe nécessairement par la trilogie : patriotisme, optimisme, famille. Un point délicat pour tout candidat contre un président sortant dans ce pays est de parvenir à critiquer la politique suivie précédemment et son bilan sans apparaître comme pessimiste - un défaut suprême avec celui consistant à être taxé de "libéral" sur les sujets de société.
Ainsi, face aux critiques de Kerry sur le terrain économique, un spot républicain rappelait quelques points positifs du bilan et concluait : "La réponse de John Kerry ? Il parle de la Grande Dépression. Une chose est sûre : être pessimiste n'a jamais créé un seul emploi". Dans ce combat sans pitié pour le leadership sur les valeurs, on vit même Kerry se faire prendre en photo en train de tirer au fusil de chasse. Cela ne l'empêcha pourtant pas, au total, d'être clairement devancé par Bush dans l'opinion sur l'ensemble des grandes valeurs de référence. Restait alors à aborder l'élection dont plusieurs spécialistes s'accordaient à penser qu'elle se jouerait au final sur quelque 2 millions d'électeurs concentrés dans les "swing states".
21:35 Publié dans Politiques publiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médias, politique, stratégie, valeurs, Etats-Unis