28/08/2007
Le bon, la brute et le petit écran (comment on gagne la bataille de l'opinion, 5)
Point d'orgue de la stratégie de l'équipe Bush fut le plan, révélé début 2004 par le New York Times, qui consista à définir le candidat Kerry dans les médias en 3 mois avant que celui-ci n'ait eu le temps de réunir les fonds suffisants pour générer ses propres spots publicitaires. Deux angles attaques furent mis au points par Rove : faire apparaître Kerry comme un "flip-flopper" (quelqu'un qui change d'avis en permanence), ainsi que comme une personnalité "weak on defense", c'est-à-dire incapable de conduire le pays dans la bataille anti-terroriste.
Face à cette stratégie, on cherchait principalement, en face, à répondre aux attaques ; le point n°4 de la feuille de route stratégique de l'équipe Kerry, intitué "contre-attaquer aussi fort qu'on est attaqué", précisait ainsi : "Répondre impérativement au cours du même cycle d'informations télévisées". On chercha bien aussi à souligner les échecs et les mythes de W (tels les mauvais résultats économiques et l'image du président chef de guerre... à l'expérience militaire inexistante), mais cela passa finalement au second plan dans une stratégie qui demeura fondamentalement défensive.
La main revenait en permanence à l'équipe qui avait cadré le débat la première, et c'est en vain que Kerry chercha, tout au long de la campagne, à orienter le débat sur l'économie, l'éducation ou la santé : la guerre en Irak occupait l'essentiel de la scène politique. Elle permettait à Bush de muscler son temps de parole et de conforter son image de leader. Même quand celui-ci commença à voir sa popularité s'éroder, Kerry rechigna à exploiter les faiblesses de son adversaire, de peur d'apparaître comme soutenant insuffisamment les troupes et l'effort de guerre. Il passa du même coup au second plan dans les médias à un moment de forte cristallisation de la campagne.
Le développement d'une communication politique de fond bâtie autour de slogans tels que "Stronger at home, respected in the world" ou encore "America can do better" permirent cependant, peu à peu, à Kerry de refaire une partie de son retard, et même de finir par devancer légèrement Bush à l'été 2004 au moment de la convention démocrate de Boston. Les faits - difficultés économiques, problèmes en Irak - jouaient en sa faveur. Bush parvient pourtant à reprendre l'ascendant grâce à un mélange d'agressivité et de simplicité.
Le président sortant réussit ainsi à contourner l'injonction, y compris de la part de certains Républicains comme John MacCain, de retirer le spot publicitaire jetant le doute sur le service de Kerry au Vietnam, en soulignant qu'il était produit par un groupe "indépendant" (les "Swift Boat Veterans for Truth", conseillés par le même avocat que l'équipe Bush). Et, tandis que Kerry continuait, sur la lutte contre le terrorisme et le soutien à l'armée en Irak, de s'enfoncer avec des formules du type : "I did actually voted for the 87 billion before I voted against it", qui deviendra une blague républicaine très en vogue, Bush rendait son discours plus compact : "Il n'y a rien de compliqué à soutenir nos troupes en Irak".
Bush a parfaitement intégré deux règles de base de la communication politique : attaquer et simplifier, et il s'y tient fermement. Côté attaque, trois quarts de ses spots publicitaires (soit environ... 50 000 spots) sont, souvent avec férocité, dirigés contre Kerry, contre 27% seulement pour ce dernier. "Vous savez, lui dira alors son conseil, Paul Begala, c'est un boulot important être président. Vous ne pouvez pas risquer de le laisser passer parce que vous voulez montrer que vous êtes le gentil dans l'histoire". Côté simplification, Bush de même n'a guère d'état d'âme. Pour Begala et Carville, un politique doit apprendre à aimer le "soundbite" (la petite phrase) : il doit, en clair, s'entraîner pour être prêt, en toutes circonstances, à exprimer sa position en une phrase de cinq ou six secondes. Phrases courtes, mots simples, métaphore claire et compréhensible par tous : voilà quelques uns des ingrédients du succès.
Le discours portera d'autant qu'il saura s'appuyer sur des valeurs fortes. Comme le rappelle Dick Morris, un consultant républicain : "Si un leader peut arriver à convaincre que les valeurs essentielles de ses électeurs font partie de ce qui se joue, il ou elle a bien plus de chances de l'emporter". Aux Etats-Unis, cela passe nécessairement par la trilogie : patriotisme, optimisme, famille. Un point délicat pour tout candidat contre un président sortant dans ce pays est de parvenir à critiquer la politique suivie précédemment et son bilan sans apparaître comme pessimiste - un défaut suprême avec celui consistant à être taxé de "libéral" sur les sujets de société.
Ainsi, face aux critiques de Kerry sur le terrain économique, un spot républicain rappelait quelques points positifs du bilan et concluait : "La réponse de John Kerry ? Il parle de la Grande Dépression. Une chose est sûre : être pessimiste n'a jamais créé un seul emploi". Dans ce combat sans pitié pour le leadership sur les valeurs, on vit même Kerry se faire prendre en photo en train de tirer au fusil de chasse. Cela ne l'empêcha pourtant pas, au total, d'être clairement devancé par Bush dans l'opinion sur l'ensemble des grandes valeurs de référence. Restait alors à aborder l'élection dont plusieurs spécialistes s'accordaient à penser qu'elle se jouerait au final sur quelque 2 millions d'électeurs concentrés dans les "swing states".
21:35 Publié dans Politiques publiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : médias, politique, stratégie, valeurs, Etats-Unis
10/04/2007
Recrutement, la pub par les preuves (What It Means to Work Here)
Quel est le moyen le plus efficace d'attirer les talents, les recettes du benchmark ou les ressources de la différence ? Sous le titre : "What It Means to Work Here", Tamara J. Erickson et Lynda Gratton livrent, dans le dernier numéro de la Harvard Business Review de mars, les résultats d'une étude tout à fait intéressante sur les stratégies de recrutement gagnantes. Inutile pour les auteures de multiplier les messages tous azimuts dans la chasse aux talents ; il suffit de se concentrer sur ce qu'elles appellent la "signature de l'expérience".
Whole Foods Market, Trilogy Software, The Container Store : l'étude menées dans ces trois sociétés, très différentes aussi bien par le secteur d'activité que par la culture, fait ressortir tout l'intérêt d'une forte cohérence entre la communication sur l'entreprise faite à l'occasion du recrutement, et les procédures et valeurs réelles de l'organisation telles qu'elles sont expérimentées concrètement par les nouvelles recrues au cours de leur intégration. Une cohérence qui gagne, de fait, à s'appuyer sur les spécificités réelles de l'entreprise : le travail d'équipe chez Whole Foods, la remise en cause chez Trilogy, le développement des compétences chez The Container Store.
A l'arrivée, l'affirmation forte de ces valeurs, non pas à travers les discours corporate mais les pratiques de travail concrètes, joue le rôle d'un filtre efficace pour l'entreprise : elle écarte rapidement ceux qui ne se retrouvent pas dans la culture de la compagnie, et renforce au contraire l'engagement de ceux qui la choisissent - en toute connaissance de cause.
Beaucoup de dirigeants sont capables de dire quels consommateurs achètent leurs produits ; peu semblent en mesure en revanche de dire ce que les candidats à l'emploi sont susceptibles d'acheter dans la culture et l'organisation de leur entreprise. Or, les entreprises qui engagent dans ce domaine un travail méthodique en retirent un avantage significatif. Elles évitent en particulier un fort turnover, des coûts élevés de recrutement et de formation, une productivité faible et, souvent, un engagement critique.
D'autres réussites attestent de l'intérêt de la démarche de vendre, non toutes les qualités possibles, mais un atout fort et réellement structurant pour l'organisation : l'adaptation du temps de travail aux contraintes personnelles chez JetBlue, la coopération entre pairs chez BP, la rapidité de montage des projets chez RBS, l'absence de hiérarchie chez W.L Gore, une culture collaborative exigeante chez Goldman Sachs. Notons sur ce dernier point que, partout où l'accent est mis davantage sur la performance de l'équipe que sur celle de l'individu, les bonus récompensent eux aussi davantage le groupe concerné que les personnes prises individuellement - cohérence et performance d'équipe garanties.
L'étude montre, inversement, que la faiblesse de l'engagement des collaborateurs dans nombre d'entreprises vient du décalage entre la vente du poste et... sa réalité. Une situation encore largement répandue, qui devrait inviter à des révisions à la fois réalistes et passionnées pour développer avec attention sur le long terme, résultats à l'appui, les valeurs fortes de l'organisation. S'attacher, en somme, à cultiver son jardin plutôt qu'à faire des plans sur la comète.
22:40 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : recrutement, communication, image corporate, valeurs, Harvard Business Review, Goldman Sachs, BP