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13/04/2007

La communication est-elle soluble dans le management ? (Eramet)

Pour le comité de pilotage du projet "Leaders", le contrat, à l'automne 2006, est rempli. Voilà six mois que l'équipe travaillait en effet d'arrache-pied sur l'organisation de ce séminaire des Vaulx de Cernay (une abbaye cistercienne de la région parisienne) conçu comme une étape clé d'une démarche managériale de progrès lancée, il y a un an et demi, au sein du groupe Eramet.

A l'origine de la démarche, une intuition, partagée avec le président du groupe à l'automne 2004 : après les restructurations lourdes que nous avions engagées en 2003 (l'année de l'arrivée à la présidence de Jacques Bacardats, qui succédait ainsi aux trente années passées à la tête du groupe par Yves Rambaud), puis les résultats historiques enregistrés en 2004, une nouvelle dynamique était à insufler aux équipes, basée sur une vision partagée de l'avenir du groupe, et intégrant les nouveaux outils (stratégie, politiques RH, dispositifs de communication,...) à mettre en place pour la réaliser avec les 1200 cadres d'Eramet - la démarche ayant désormais vocation à être élargie à l'ensemble du personnel.

Après une phase d'étude exploratoire, que Jacques Bacardats m'a demandé de mener, le projet s'est appuyé sur la méthodologie dite de la confiance mise au point par le cabinet Stratorg et son président Jean-Luc Fallou. Hypothèse de base : la mobilisation des équipes passe par un diagnostic approfondi et partagé de la confiance au sein de l'entreprise autour de 6 axes clés : clarté de la stratégie, pérennité de l'entreprise, respect des règles du jeu, sentiment d'appartenance, reconnaissance individuelle et dépassement collectif. Des axes évalués par l'ensemble des cadres (65% ont répondu au questionnaire), et qui ont donné lieu à la mise en place de chantiers sur tous les sujets pour lesquels l'existant était estimé insatisfaisant. Une aventure commençait, assez inédite au sein d'Eramet du fait d'une défiance historique de principe vis-à-vis des modes managériales ; en fait, un changement de culture.

Il reste certes du travail pour s'assurer de la mise en oeuvre des politiques définies - passer en somme du mode projet à des programmes d'actions reposant sur des procédures. Mais enfin, l'affaire semble désormais, sinon entendue, du moins fermement engagée. La visite que nous faisions, trois jours plus tard, avec Jacques Bacardats et Alain Robert, patron de la branche nickel, sur le site de Sandouville, près du Havre, dans une usine en quelque sorte pilote de la démarche, a démontré que la dynamique était bel et bien enclenchée, qu'elle générait de multiples idées concrètes de progrès. Comme le dit le directeur du site, Benoît Bied-Charreton: "un projet qui marche, cela doit se voir".

Je retiens de tout cela qu'il n'y a pas de communication interne réussie - à la fois outil de cohésion et incitation au progrès - sans un détour en profondeur par le management. Ce n'est que par sa "dissolution" dans le management, par une responsabilité partagée de ses buts et de ses moyens, que la communication joue pleinement son rôle.

Elle demeure certes une fonction productrice d'outils d'explication, d'accompagnement et de célébration. Mais les seuls outils techniques qu'elle pourrait apporter dans une logique de métier plus que de projet, de déclaration plus que d'entraînement, ne lui permettrait en aucun cas d'atteindre à cette puissance de mobilisation. Et ce qui est nouveau dans cette affaire, ce n'est évidemment pas l'événement en tant que tel - une vieille idée, à laquelle on revient sur le mode, plus intimiste, de l'atelier -, mais la posture de celui qui communique, et la redécouverte de l'exigence du projet.

Un portrait en somme du communicant contemporain, non en kamikaze... mais en aventurier, au sens noble d'une action collective d'envergure réalisée avec les autres, dans laquelle la démarche elle-même, et sa méthode, concourent à construire l'objectif, et à le dépasser.

10/04/2007

Autour de Palo Alto (2) Du bon usage de l'injonction paradoxale

C'est une telle approche, d'ailleurs pluridisciplinaire, autour de Gregory Bateson, Don Jackson puis de Paul Watzlawick, qu'a mise en oeuvre l'école de Palo Alto en se basant notamment sur les notions de feed back et de système.

Avec la prise en compte du feed back, c'est l'ensemble de la conception mécaniste et linéaire de la communication qui se trouvait profondément remise en cause : loin de se limiter à l'émission d'un message, la communication prenait alors la forme d'un processus en boucle dans lequel la réaction de l'interlocuteur devenait partie intégrante du message. Avec la systémique, c'est le principe même du diagnostic et de la désignation du problème (ou de celui supposé poser problème) qui se voyait mis hors-jeu. Pour le constructivisme radical, il faudrait ainsi renoncer à poser un diagnostic car celui-ci porte davantage l'interprétation biaisée (sinon confortable) de celui qui l'énonce qu'il ne prépare celui qui est supposé le recevoir à "guérir" ; et toujours prendre davantage en compte les contextes ou les systèmes que les individus ou les éléments du "problème" en eux-mêmes.

De là la mise en évidence des impasses de la communication ordinaire, en particulier dans la sphère familiale ou le monde de l'entreprise, telle celle bien connue du "double bind" (double contrainte) dont l'injonction fameuse : "soyez autonome !" reste le modèle : si j'obéis à une telle injonction, je ne suis pas autonome ; si je m'y refuse au contraire, je nie mon autonomie... Des constats qui ont conduit à la mise en oeuvre de solutions qualifiées d'"injonctions paradoxales" : dans une situation de ce type, il s'avère ainsi plus efficace de répondre par l'absurde que par le conflit. Ainsi, face à un manager trop tâtillon, on multipliera les éléments de reporting jusqu'aux plus infimes détails jusqu'à ce que celui-ci en vienne, de lui-même, à appeler à plus d'autonomie de la part de son collaborateur.

Cela fonctionne aussi au bénéfice du détenteur de l'autorité : plutôt que de multiplier les demandes du type "range ta chambre", le plus souvent en vain, un parent serait surpris de la réaction de son enfant en venant lui-même en rajouter au désordre ambiant dans la chambre concernée : la reprise en main, et en ordre par la même occasion, de son propre espace par l'enfant pourrait bien surgir par miracle.

De là encore l'accent mis sur les processus d'échanges dans les situations de changement ou les thérapies familiales. Watzlawick donne à cet égard deux exemples devenus classiques. Un fils schizophrène revient de l'hôpital psychiatrique et présente un comportement qui devrait réjouir sa famille. Le résultat est pourtant que les parents divorcent dans la foulée : la focalisation sur le trouble de l'enfant avait masqué l'absence de véritables relations entre les époux. Second exemple : une femme se bat pendant de longues années aux côtés de son mari pour que celui-ci cesse de boire. Lorsque ses efforts sont enfin couronnés de succès, elle finit par tomber en dépression : l'unique lien qui existait entre eux avait disparu en même temps que la pathologie de son mari.

De sorte que, partant du bon sens, on y revient : la prise en compte de tels éclairages devrait favoriser une approche élargie et plus lucide des "situations à problèmes", notamment dans leur composante humaine. Et réhabiliter l'exemplarité, la capacité à se remettre en cause, bref, l'intelligence de la situation, de celui qui veut être à l'origine d'un changement réel, en s'interdisant les facilités de l'héroïsme tout autant que les trompe-l'oeil de la médiatisation.

La communication se tirerait-elle une fois de plus ici une balle dans le pied ? Rien n'est moins sûr, car force est bien de constater qu'elle ne s'est jamais aussi bien portée qu'en ces temps qui invoquent le changement tous azimuts comme si, à l'incantation, entre la posture des uns et le confort des autres, chacun trouvait son intérêt. Et le modèle français, de crises des banlieues en restructurations économiques, la confirmation de sa difficulté profonde à dépasser son balancement permanent entre l'immobilisme et la révolution.

Autour de palo Alto (1) Le diagnostic contre le changement ?

Il est généralement admis que tout plan d'action efficace résulte en premier lieu de la qualité du diagnostic de la situation. Une évidence mécaniste porté aussi bien par les sciences de l'ingénieur que par les préceptes les plus élémentaires du bon sens, par la pensée managériale autant que par la culture politique, et que la communication corporate range parmi ses antiennes ordinaires.

Figure majeure de l'Ecole de Palo Alto et spécialiste mondialement reconnu de la thérapie familiale, Paul Watzlawick raconte l'anecdote suivante.

A la fin des années 80, une femme napolitaine dut être admise à l'hôpital de Grosseto à l'occasion de son passage dans cette bourgade, suite à un état de schizophrénie aiguë. Comme il n'y avait pas de place dans la section de psychiatrie, on la renvoya à Naples pour qu'elle y reçoive les soins appropriés. Lorsque les ambulanciers sont arrivés dans la chambre, ils ont bien trouvé une femme habillée et prête à partir ; mais, lorsqu'ils l'ont invitée à les suivre, celle-ci a présenté un comportement de refus extrêmement belliqueux, laissant même entrevoir des signes marqués de dépersonnalisation. Il s'est du coup avéré nécessaire d'administrer une dose de tranquillisants à la patiente pour pouvoir la transporter jusqu'à l'ambulance.

Ce n'est que par la suite que le personnel de l'hôpital s'est rendu compte qu'il y avait une erreur : la femme n'était pas la patiente, mais une habitante de la localité venue rendre visite à un parent. Dans la réalité créée par cerre erreur, conclut Watzlawick, tout comportement adopté par cette femme, même le plus adapté à la situation, devenait une confirmation de sa pathologie.

Sur un plan plus expérimental cette fois, huit étudiants en psychologie, collaborateurs du psychologue américain Rosenhan, et parfaitement sains d'esprit, avaient demandé un jour à être internés dans différents hôpitaux psychiatriques pour suivre un traitement au motif qu'ils déclaraient entendre des voix. Aussitôt après leur admission, ils ont déclaré ne plus entendre de voix et ont alors adopté un comportement qui aurait été considéré comme normal en dehors de l'hôpital. Le traitement de ces faux patients n'en a pas moins duré entre sept et cinquante-deux jours, et tous, sans exception, sont sortis de l'hopital avec un diagnostic de schizophrénie en rémission. Chacun de leur comportement, par exemple le fait de prendre de nombreuses notes pendant leur internement, a été considéré comme une preuve supplémentaire de la justesse du diagnostic qui avait été établi. Au lieu d'être le reflet de faits observables, le diagnostic a créé une réalité - et seuls les vrais patients, précise Watalawick, sont restés à l'écart de cette situation en faisant part à plusieurs reprises aux faux patients que, selon eux, ils n'étaient pas fous, mais journalistes ou professeurs.

C'est de ce type d'expérience que l'Ecole de Palo Alto, et en particulier le courant du "constructivisme radical" (soit l'analyse des processus à travers lesquels nous créons des réalités), a tiré un de ses principes de base : le refus du diagnostic en tant que celui-ci crée la situation plus qu'il ne l'éclaire, et l'aggrave plus qu'il ne se donne les moyens de la soigner ; et ce d'autant plus qu'il n'existe pas de définition claire de ce que l'on appelle la santé mentale.

Ces travaux ont également connu des prolongements intéressants dans ce que l'on a appelé les "prophéties autoréalisatrices". Dans une des premières expériences réalisées sur le sujet, des étudiants en psychologie assistent à un cours sur les performances réalisées par un groupe de rats en fonction de leurs caractéristiques génétiques. La moitié d'entre eux reçoivent des rats qui leur sont présentés comme performants, l'autre moitié reçoit un autre groupe de rongeurs dont on souligne au contraire les limites cognitives au démarrage de l'expérience.

Si, dans la réalité, tous les rats étaient issus de la même lignée génétique, dans le cadre de l'expérience, les rats présentés aux étudiants comme les plus intelligents ont obtenu des performances supérieures aux autres, tandis que ceux présentés comme moins performants ont fait l'objet d'un rapport négatif. Les étudiants du premier groupe ont précisé qu'ils avaient, à l'occasion de l'expérience, trouvé les rats qui leur avaient été amicaux et intelligents, qu'ils les avaient même carressés et avaient joué avec eux - ce qui avait encouragé d'autant la vivacité et la coopération de ce groupe de rongeurs. Un processus qui a souvent, par la suite, été mis en évidence dans le domaine de l'enseignement.

De quelle "réalité" parlons-nous quand nous désignons ce qui ne va pas : s'agit-il de faits objectifs et observables (réalité "du premier ordre" pour Watzlawick), ou bien de l'interprétation que nous en faisons (réalité du "deuxième ordre") et qui a tôt fait de nous tenir lieu de réalité ? Et dans quelle mesure pointer le dysfonctionnement de l'autre ne sert-il pas d'abord à masquer notre responsabilité propre ?