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10/04/2007

Autour de Palo Alto (2) Du bon usage de l'injonction paradoxale

C'est une telle approche, d'ailleurs pluridisciplinaire, autour de Gregory Bateson, Don Jackson puis de Paul Watzlawick, qu'a mise en oeuvre l'école de Palo Alto en se basant notamment sur les notions de feed back et de système.

Avec la prise en compte du feed back, c'est l'ensemble de la conception mécaniste et linéaire de la communication qui se trouvait profondément remise en cause : loin de se limiter à l'émission d'un message, la communication prenait alors la forme d'un processus en boucle dans lequel la réaction de l'interlocuteur devenait partie intégrante du message. Avec la systémique, c'est le principe même du diagnostic et de la désignation du problème (ou de celui supposé poser problème) qui se voyait mis hors-jeu. Pour le constructivisme radical, il faudrait ainsi renoncer à poser un diagnostic car celui-ci porte davantage l'interprétation biaisée (sinon confortable) de celui qui l'énonce qu'il ne prépare celui qui est supposé le recevoir à "guérir" ; et toujours prendre davantage en compte les contextes ou les systèmes que les individus ou les éléments du "problème" en eux-mêmes.

De là la mise en évidence des impasses de la communication ordinaire, en particulier dans la sphère familiale ou le monde de l'entreprise, telle celle bien connue du "double bind" (double contrainte) dont l'injonction fameuse : "soyez autonome !" reste le modèle : si j'obéis à une telle injonction, je ne suis pas autonome ; si je m'y refuse au contraire, je nie mon autonomie... Des constats qui ont conduit à la mise en oeuvre de solutions qualifiées d'"injonctions paradoxales" : dans une situation de ce type, il s'avère ainsi plus efficace de répondre par l'absurde que par le conflit. Ainsi, face à un manager trop tâtillon, on multipliera les éléments de reporting jusqu'aux plus infimes détails jusqu'à ce que celui-ci en vienne, de lui-même, à appeler à plus d'autonomie de la part de son collaborateur.

Cela fonctionne aussi au bénéfice du détenteur de l'autorité : plutôt que de multiplier les demandes du type "range ta chambre", le plus souvent en vain, un parent serait surpris de la réaction de son enfant en venant lui-même en rajouter au désordre ambiant dans la chambre concernée : la reprise en main, et en ordre par la même occasion, de son propre espace par l'enfant pourrait bien surgir par miracle.

De là encore l'accent mis sur les processus d'échanges dans les situations de changement ou les thérapies familiales. Watzlawick donne à cet égard deux exemples devenus classiques. Un fils schizophrène revient de l'hôpital psychiatrique et présente un comportement qui devrait réjouir sa famille. Le résultat est pourtant que les parents divorcent dans la foulée : la focalisation sur le trouble de l'enfant avait masqué l'absence de véritables relations entre les époux. Second exemple : une femme se bat pendant de longues années aux côtés de son mari pour que celui-ci cesse de boire. Lorsque ses efforts sont enfin couronnés de succès, elle finit par tomber en dépression : l'unique lien qui existait entre eux avait disparu en même temps que la pathologie de son mari.

De sorte que, partant du bon sens, on y revient : la prise en compte de tels éclairages devrait favoriser une approche élargie et plus lucide des "situations à problèmes", notamment dans leur composante humaine. Et réhabiliter l'exemplarité, la capacité à se remettre en cause, bref, l'intelligence de la situation, de celui qui veut être à l'origine d'un changement réel, en s'interdisant les facilités de l'héroïsme tout autant que les trompe-l'oeil de la médiatisation.

La communication se tirerait-elle une fois de plus ici une balle dans le pied ? Rien n'est moins sûr, car force est bien de constater qu'elle ne s'est jamais aussi bien portée qu'en ces temps qui invoquent le changement tous azimuts comme si, à l'incantation, entre la posture des uns et le confort des autres, chacun trouvait son intérêt. Et le modèle français, de crises des banlieues en restructurations économiques, la confirmation de sa difficulté profonde à dépasser son balancement permanent entre l'immobilisme et la révolution.