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26/03/2008

L'humour paie (petites plaisanteries entre voisins de bureau)

Bout-en-train confirmé avec plusieurs années d'expériences et quelques canulars réputés à votre actif, vous peinez pourtant à trouver votre place dans l'entreprise ? Ne désespérez donc pas. Tandis que, pour beaucoup, le travail reste l'antithèse du plaisir et de la bonne humeur, une étude récente de Adrian Gostick et Scott Christopher, Why It Pays to Lighten Up, établit au contraire un lien entre performance et bonne humeur. Rire prédispose à l'écoute affirment les auteurs. Mieux : une étude réalisée auprès de 737 directeurs généraux de grandes compagnies américaines montre que 98% d'entre eux recruteraient plus volontiers une personne ayant le sens de l'humour plutôt qu'une autre qui en serait dépourvue. L'étude montre, de surcroît, que prendre plaisir à son travail dans une atmosphère détendue est un facteur qui renforce la loyauté des salariés.

S'appuyant sur un sondage Ipsos, les auteurs montrent même que les collaborateurs d'un manager dont le sens de l'humour est jugé au-dessus de la moyenne ont 90% de chance de rester dans leur emploi plus d'un an (on est aux Etats-Unis...), tandis que ce taux passe à 77% avec un manager dont le sens de l'humour est jugé égal ou inférieur à la moyenne. Plus encore : une étude complémentaire de la Harvard Business Review montre que les dirigeants ayant le sens de l'humour gravissent plus vite les échelons que leurs pairs ; ils gagneraient aussi davantage. Quant aux autres avantages, ils sont connus : le rire est bon pour la santé, il améliore en particulier la circulation sanguine, de 22% quantifie une étude de l'Université du Maryland.

Mais que faire alors quand on n'est guère plus drôle que la moyenne ? Pas de panique, rétorquent les auteurs. En fait, il s'agit moins d'être drôle à proprement parler que de savoir faire preuve, de temps à autre, d'un peu de manque de sérieux, d'une certaine légèreté. Une aptitude que les grands leaders maîtriseraient mieux que les autres. Nombre de compagnies américaines se sont d'ailleurs efforcées, ces dernières années, d'améliorer l'ambiance sur le lieu de travail. Tournois de football chez Bain & Company, déplacements en scooter sur le campus de Lego American, parties de hockey, tournois de scrabble ou séances de piano chez Google : les sociétés rivalisent d'imagination pour permettre à tous de se relaxer. Dans les cas les plus avancés, l'agence publicitaire Iris par exemple, une équipe, "the Smile Squad", est même en charge de l'ambiance et du bien-être pour les quelques 475 employés de l'agence. "La clé d'une entreprise prospère, souligne le fondateur, Stewart Shanley, c'est d'attirer les talents. Or, ce que l'on oublie un peu vite, c'est qu'il faut ensuite gérer et retenir ces talents". Et faire en sorte que les gens soient heureux, ce qui les rend à la fois plus loyaux et plus performants.

Pendant ce temps-là, beaucoup de patrons français continuent de réduire les espaces de bureau et à bloquer la création des espaces de détente. Mauvais pour la productivité. Que cela fonctionne encore dans quelques usines et pour les générations les plus âgées, c'est possible. Et encore. Pour les plus jeunes en revanche, l'affaire est entendue : comme l'a très bien établi le sociologue, professeur à HEC, Patrick Lemattre, pour les 20/30 ans (la "génération fun"), un manager triste, c'est pire que tout : pire, en tout état de cause, qu'un travail à l'intérêt mitigé ou qu'un salaire jugé insatisfaisant. Et cela donne bien plus envie de prendre les jambes à son cou que de retrousser ses manches. Pas de quoi rire, en effet.

22/06/2007

Coopération, réciprocité, pardon (les risques du métier)

A la fin des années 70, un mathématicien, Robert Axelrod, organisa une sorte de tournoi de logiciels de comportement, les programmes mis au point devant être équipés de la capacité de communiquer pour entrer en relation avec les autres. Chaque logiciel fut conçu avec des règles différentes, plus ou moins nombreuses, plus ou moins agressives - le but du jeu étant, dans ce jeu de relations, d'accumuler le plus de points possibles.

Toute la gamme des comportements était représentée dans cette arène moderne : certaines stratégies étaient très prédatrices, d'autres cultivaient une collaboration apparente pour mieux trahir par la suite ; d'autres comportements encore, plus solitaires, privilégiaient la débrouillardise, etc. Chaque programme fut opposé deux cents fois à tous les autres pour tenter de déterminer le programme qui émergerait de cette confrontation d'un genre nouveau.

Au début, les logiciels agressifs prirent le dessus, et de façon très nette. Au fur et à mesure de l'expérience pourtant, après une première période très rude face aux programmes les plus agressifs, c'est le logiciel mis au point par Anatol Rapaport qui commença d'émerger, puis s'imposa comme le logiciel vainqueur, moins par destruction des autres que par une sorte d'effet de contagion au fur et à mesure que les autres logiciels intégraient le fait qu'il s'avérait le plus performant.

Le logiciel de Rapaport était conçu sur la base de trois règles simples : toujours coopérer a priori ; continuer la coopération si elle est partagée par l'autre, mais réagir au même niveau en cas d'agression si, au contraire, l'autre ne joue pas le jeu ; enfin, empêcher toute escalade par la capacité à remettre en quelque sorte les pendules à l'heure en proposant, de nouveau, des règles de coopération se basant sur les leçons de l'expérience malheureuse de l'affrontement.

Coopération, réciprocité et pardon (modèle CRP) : cette théorie fait figure aujourd'hui encore de "modèle" de comportement d'une insolente simplicité, à l'heure d'un certain pan-psychologisme ; elle a, à tout le moins, le mérite de proposer une réconciliation opératoire de la morale et de l'efficacité. Elle constitue un modèle intéressant, capable de produire sa propre auto-régulation, en particulier pour tous ceux qui, dans l'entreprise ou la vie sociale, ont pour fonction de créer du lien ou d'ouvrir des espaces de créativité collective, et qui considèrent que cela ne doit pas être fait à n'importe quel prix, en privilégiant l'auto-régulation sur la demande d'arbitrage.

Le modèle est en revanche beaucoup moins adapté pour faire face à des jeux psychologiques plus complexes, qu'il parvient tout au plus à neutraliser. Ce n'est pas sa fonction, et c'est très bien ainsi : s'il constitue en quelque sorte un modèle de gestion du "risque relationnel" sur un plan socio-managérial, il ne saurait, en revanche, permettre de "faire l'économie" du risque inhérent à toute rencontre, sur un plan plus personnel.

18/04/2007

Comment manager les meilleurs ?

Dans beaucoup d'industries, et en particulier celles qui requièrent le plus de matière grise, la capacité à attirer les éléments les plus brillants est un paramètre stratégique de premier plan. Mais ce n'est pas la partie la plus difficile de l'exercice, affirment Rob Goffee et Gareth Jones, spécialistes du développement managérial.

Comment en effet retenir des gens qui... ne veulent pas être managés, qui se moquent de leur retraite, connaissent leur valeur et celle qu'ils peuvent apporter à votre organisation et qui sont, qui plus est, extrêmement mobiles ?

La bonne nouvelle est que, si certains d'entre eux peuvent agir en agents libres, généralement dans les domaines les plus créatifs, les cerveaux ont, pour la plupart d'entre eux, besoin d'exercer leurs compétences au sein d'une organisation, qui leur apporte de fait un cadre de référence et une discipline à suivre.

Ce groupe particulier serait-il également indifférent aux statuts et aux promotions ? En apparence, oui, si l'on entend par là un rapport critique et distant au système bureaucratique ordinaire de l'entreprise. Il n'en va pas de même, en revanche, pour ce qui est de la reconnaissance de leur valeur intrinsèque, celle liée par exemple à un titre scientifique ou à une reconnaissance professionnelle par des pairs, et qui s'exprime en une valeur de marché dont ils ont, de surcroît, parfaitement conscience, bonus inclus.

Le besoin d'être adossé à une structure s'accompagne pourtant du besoin concomitant d'être protégé des contraintes bureaucratiques les plus fastidieuses. Une réticence qui doit alors conduire le supérieur hiérarchique à être capable de gérer en direct ce type de contraintes administratives ou politiques ("organizational rain") de sorte que - chercheur réputé, brillant reporter, expert renommé - son "poulain" puisse se concentrer sur l'apport à l'entreprise de ce qui fonde la quintessence de sa valeur.

Mais protéger ici ne suffit pas. Pour se sentir à l'aise au sein de leur organisation, les éléments les plus brillants ont besoin d'un minimum de règles acceptées par tous qui permettent de cadrer le comportement des employés de façon simple et efficace. Ni la bureaucratie, ni la jungle, en quelque sorte. Cette exigence a même conduit certains grands patrons, Herb Kelleher, chez Southwest Airlines, ou Greg Dyke, à la BBC, à se débarrrasser de l'encombrante bureaucratie qui marquait la culture de leur organisation, et qui favorisait le plus souvent l'immobilisme, pour mieux libérer les énergies créatives autour de quelques règles simples orientées production de valeur.

Il importe également, avec de tels éléments, de favoriser une culture qui tolère et même encourage l'exploration et l'échec. Dans un des secteurs économiques qui représente le plus ce type de profil, l'industrie pharmaceutique, en raison de ses investissements considérables en matière de recherche - 5 à 800 millions d'euros par an dans certains cas -, la question est d'autant plus sensible qu'elle touche ici à des enjeux majeurs en termes de business.

Elle va alors jusqu'à conduire de grands patrons du secteur, chez Genentech ou Roche, à laisser à leurs équipes de recherche le soin de décider s'il convient, ou non, de poursuivre tel ou tel programme. En laissant ouverte, le cas échéant, au sein de l'organisation, la possibilité que des équipes différentes explorerent des choix divergents - une approche très opérationnelle de la diversité, qui rompt avec une approche française généralement plus focalisée sur l'aspect social de la question, ce qui explique sans doute le peu d'empressement de nombre de compagnies de l'Hexagone à s'engager dans cette voie.

Chaque échec représente néanmoins, pour un élément de valeur, une expérience difficile à surmonter. Ce qui implique, pour le hiérarchique de référence, de savoir alors accompagner ce passage difficile de façon à créer tout de suite les conditions du rebond, l'essentiel étant de continuer à développer la capacité des équipes à faire émerger des idées productrices de valeur.

Dans certaines entreprises, comme chez 3M ou Lockheed, cette exigence intègre la possibilité offerte aux salariés de mener sur leur temps de travail des projets de recherche personnels - l'exemple le plus poussé étant sans aucun doute celui de Google. Reflet de l'esprit entrepreneurial de ses fondateurs, Sergey Brin et Larry Page, la compagnie californienne va en effet jusqu'à accorder 20% du temps du travail, un jour par semaine, à ses employés pour phosphorer sur leurs propres projets de recherche, ce qui se traduit par une vitesse d'innovation sans comparaison avec les systèmes bureaucratiques.

Le système fait d'ailleurs tâche d'huile, notamment dans le secteur des technologies de l'information et de la communication, et l'on a vu récement Orange commencer à développer cette logique de pépinière à petite échelle basée sur des trinômes associant les gens du marketing, de la recherche et de la production.

Pour ne pas freiner par des décisions maladroites ce potentiel créatif, il est dès lors conseillé aux dirigeants nouvellement arrivés de s'appuyer sur de bons connaisseurs de l'entreprise, des "anthropologues" de l'organisation en quelque sorte, souvent experts eux-mêmes, de façon à bien décoder les comportements des meilleurs éléments, et à ne pas ruiner par une décision maladroite ou une attitude négligente ce potentiel vital de l'entreprise.

L'une des voies les plus caricaturales de ce coaching particulier s'adressant à des gens aussi brillants que rétifs au management, serait même de mettre en oeuvre une sorte de psychologie inversée consistant à leur demander de "tourner à droite quand l'on souhaite qu'ils tournent à gauche", la deuxième voie étant alors naturellement poursuivie avec empressement par les intéressés... Une piste qui vaut sans doute davantage pour ses vertus pédagogiques que pour son efficacité réelle tant la mécanique pourra apparaître quelque peu peu grossière.

Il reste que manager de tels éléments dans l'organisation s'accompagne d'une transformation sensible du rôle de dirigeant, gardien bienveillant plutôt que chef traditionnel, s'attachant à créer en permanence les conditions d'un environnement propice à l'épanouissement des meilleurs, et des meilleures idées, sans pour autant renoncer à démontrer son expertise ou son autorité. Un investisssement qui peut se révéler aussi chronophage pour le dirigeant que payant pour l'entreprise.