29/10/2010
Deux ou trois choses apprises à Harvard (1) La différence et la finalité (là où les ponts s'écroulent)
Le commentaire a soudain fusé du dernier rang, en haut de l'amphi, au beau milieu d'une étude de cas sur Tesco - un leader mondial de la grande distribution d'origine britannique - de la part de Rajeev, docteur de son état, formé à Edimbourg et Houston, un chercheur au King Faisal Specialist Hospital se préparant à prendre la direction générale de la gestion d'un grand hôpital : "Finalement, lança-t-il, on a un peu l'impression que la plupart des leçons apprises ici sont des leçons de bons sens". Silence. Melissa, une jeune directrice générale experte ès environnement issue de l'industrie chimique, renchérit alors en mettant les frais de scolarité en balance avec le commentaire précédent.
Soudaine hilarité dans la salle, qui peut s'interpréter en partie comme une sorte de relâchement salutaire des tensions, des remises en cause et des apprentissages cumulés au cours des mois précédents. Le directeur du programme, Rajiv Lal, qui anime la discussion rebondit avec humour sur la répartie. Mais l'explosion de bonne humeur retombée, tout le monde sait bien, et le patron des programmes le premier, qu'on vient de toucher un point essentiel.
De quoi s'agit-il ? Les leçons fondamentales se résument souvent à deux ou trois choses assez simples qu'un détour aussi intense que rugueux ne laissait pas présager. Pour moi, quelques mois après le bouclage de ce programme, si je mets de côté ici deux ou trois détails - l'étude intensive d'une centaine d'études de cas, les trouvailles pratiques, une vingtaine d'ouvrages, la puissance de la recherche et, appelons-ça la beauté des modèles -, j'en vois trois.
La première n'a qu'un lointain rapport avec ce que l'on imagine a priori trouver au sein de la première business school du monde. Plus encore, vis-à-vis d'attentes essentiellement centrées sur un approfondissement des disciplines du management, elle relèverait plutôt de la surprise. Elle n'émerge et ne se développe d'ailleurs que dans le tout dernier quart du programme quand, après des étapes plus techniques, vient le temps des choses sérieuses. Il y a, au passage, une puissance pédagogique de la mécanique inductive que manque une Europe qui, en suivant Descartes, aurait oublié Socrate. Cette première leçon, qui aurait pu être hégélienne aussi bien, est formulée de la façon la plus claire au cours du séminaire par Richard J. Leider.
A côté de lui, son acolyte, Ed Rapp, le patron des finances de Caterpillar, censé témoigner de la portée pratique de la démarche, ne fera pas illusion longtemps, dans la deuxième phase de la session, avec son exercice grotesque de stratégie appliquée à la vie personnelle et familiale - une caricature de la culture du process et, pour un type qui revendique pourtant sa foi, d'une religiosité sans âme. A la fin de son topo, Borzou, un architecte passé à Wall Street, le plante d'une question en cinq mots : "Quelle est la part de la spontanéité dans votre système ?", qui est une question juste parce qu'elle souligne combien, dans cette approche, la mécanique a évacué la vie. Et il a raison. Ici, c'est une corrida : le type qui veut jouer ferait mieux d'aller jouer ailleurs. Policé, mais brutal.
Leider : un petit vieux qui ne paie pas de mine. Un type de Saint-Paul, Minnesota. Un bled du Midwest, à l'ouest de Chicago. Là où les ponts s'écroulent. Accessoirement, un des coachs les plus réputés au monde, qui passe chaque année un ou deux mois en Afrique, en Tanzanie, chez les Hadzas. Pour un peu, on bavarderait entre voisins en attendant le vrai prof. Sauf que quand il commence à parler, il faut faire silence, comme dirait Rilke. Fini de rigoler - au choix, avec le marketing, la stratégie, la finance, la communication, les questions d'organisation ou le pilotage du changement. Dans les études de cas, la parole fuse de partout. Là ? Rien. Tout le monde comprend qu'on va passer à autre chose. Mais quoi ?
L'Amérique, l'Afrique : rien de plus éloigné. L'intérêt vient justement de la déflagration née du rapprochement improbable entre la folie de l'abondance et une maigreur ou un dénuement qui donne soudain une épaisseur existentielle. D'instinct, je sens la portée du cheminement. Je le sens depuis qu'un dimanche gris et pluvieux, jeune cadre expatrié parti en courant du Quai d'Orsay à l'autre bout du monde pour le compte d'une compagnie minière, je suis allé, seul, représentant tout désigné du capitalisme colonial, à la rencontre d'une bande de chefs coutumiers kanaks, passablement échauffés par une histoire de massifs miniers qui dégénérait, au beau milieu d'une tribu hostile. Aucun appui. Pas de subterfuge possible. Rien. De loin, une diplomatie de hussard sans le sabre, pour un peu, ça ressemblerait d'assez près à un suicide.
Je ne dis pas qu'en se retrouvant pour de bon au milieu de l'arène, on n'est pas tenté par un : "Ah désolé, j'ai oublié un truc important, je reviens" en ajoutant un : "Je fais vite" qui signale davantage l'envie de décamper que celle de revenir. Impossible de toutes façons de rebrousser chemin. Pas d'échappatoire. Visages fermés, silence pesant. J'attends qu'on me fasse signe d'approcher et de rejoindre la table dressée sous une case ouverte au beau milieu de la tribu. A plusieurs dizaines de mètres, les gens de la tribu observent, en lisière. Un peu plus loin, des types guettent, planqués dans les arbres.
Des menaces de mort fusent même, à un endroit où, quelques années plus tôt comme quelques années plus tard aussi d'ailleurs, on a sorti les flingots et des gens sont tombés. Ici, c'est un peu l'oeil du cyclone de l'insurrection. Mais, au fond, je n'y crois pas. D'abord parce que ce n'est pas crédible : mes interlocuteurs savent très bien jouer sur les peurs issues de l'imaginaire colonial. Ça ne coûte rien d'essayer. Ensuite, parce que le type qui se pointe seul au milieu d'une tribu hostile, soit il est cinglé soit il a un truc à dire et, si on retient la seconde hypothèse, dans une culture de la parole et du respect, ça compte. Et puis enfin, parce que ce n'est pas le sujet.
Le sujet, c'est moins une explication improbable entre adversaires qu'une rencontre, qui me paraît possible, entre hommes. A ce moment-là, je me contrefous de l'industrie minière, comme je me contrefous du droit coutumier, des Indépendantistes et des Loyalistes avec. Ces types sont plus intelligents et, politiquement, plus subtils que moi. Mon avantage, c'est que je le sais et que je suis seul. On peut toujours dézinguer un malheureux à une centaine de supporters, mais on n'est pas chez les hooligans ou les sauvages ici. On est dans l'un des derniers ilôts de civilisation au monde et le comprendre fait une différence assez nette entre le canadien anglophone old English style qui prend les leaders indépendatistes pour des imbéciles et un type dont l'éducation politique s'est faite aussi autour de la figure de Tjibaou.
L'idée de Leider, c'est qu'on peut très bien vivre sans véritable but ou alors en endossant les buts que des conventions puissantes se chargent de fixer pour nous en nous laissant, entre les petites secousses ordinaires des vicissitudes de l'ambition et du bonheur, le terrain de jeu rétréci des existences qui finissent en fanfare - et à la fosse commune, comme tout le monde. Mais trouver sa voie, ou finir par trouver sa voie, fait une différence. We educate leaders who make a difference in the world. C'est le slogan de l'Ecole et ça fait toujours bien, le type qui, en guise d'intitulé de poste, explique sobrement qu'il se voit bien en leader faisant une différence dans les affaires du monde. Evidemment, le premier réflexe qui vient à l'esprit dans un cas pareil dirait l'un de mes anciens présidents, qui ne s'en est d'ailleurs pas privé, ce serait de lui mettre les mains dans le cambouis de la première bourgade venue, histoire de s'assurer qu'il a bien compris, en fait de différence, celle qui sépare le monde en question de Saint-Hilaire-la-Palud.
Mais pas plus que la géographie ne fait une direction, le bricolage ne fait un projet. "Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion", c'est-à-dire au fond, sans travail. A "La raison dans l'Histoire" répond ici la morale de Leider. La surprise du chef, avec lui, c'est qu'on comprend soudain qu'on ne va pas pouvoir vraiment tricher avec ça - poursuivre un but véritable, faire parler si possible moins la poudre que sa différence, accomplir quelque chose - et que cette affaire, solitaire dans une large mesure, a aussi à voir avec la rencontre. Ce n'est pas qu'il faille tout faire en caravane, ou alors en laissant parfois les chiens aboyer - il y a même un certain nombre de cas où c'est l'option la plus recommandable. Mais, dit autrement, quand on sent vraiment un truc, il faut le faire. Avec les autres, autant que possible.
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20/11/2009
L'art de la jauge (4) Jogging ou basket ?
On l'aura compris, il n'y a pas de bons ni de mauvais patrons : il y en a rarement d'exécrables, il y en a plus souvent de très bons et puis - le monde de l'entreprise ne fait pas exception à la vie ordinaire -, il y entre les deux toute une combinaison possible de qualités et de défauts, de talents et de points faibles qui fait l'essentiel de l'affaire.
La façon dont on définit le défaut peut aussi déterminer une partie du talent. Les Anglo-Saxons l'ont bien compris qui parlent, non de points faibles, mais de "areas for improvement" (domaines d'amélioration). Managérialement correct ? Sans doute, mais c'est aussi psychologiquement juste. Il y a, de fait, une différence non négligeable entre un responsable qui vit sur ses acquis et un autre qui cherche à progresser.
Nombre d'entre eux se sont d'ailleurs engagés dans les démarches dites "360 degrés" qui permettent de s'évaluer à travers les perceptions de son entourage professionnel - pairs et collaborateurs. Le talent du chef, ce n'est pas de savoir tout faire, c'est de savoir s'entourer de compétences complémentaires et de mettre l'attelage au travail et la partition en musique pour aboutir à un résultat aussi efficace (et, ajouterait le communiquant : audible) que possible.
Pour le collaborateur, cette différence entre le chef qui sait tout et celui qui apprend encore n'est pas seulement de principe : elle est aussi de dynamique dans la mesure où elle transmet, au-delà des savoirs, une attitude en mouvement. Le point d'arrivée, ce n'est pas l'aboutissement du projet en cours, le prochain entretien d'évaluation ou la promotion qui suit : c'est l'apprentissage continu du mouvement et, plus encore, de la transformation à l'oeuvre.
Il y a à cela une nuance et une conséquence.
La nuance, c'est que le progrès continu n'est pas la remise en cause permanente. Il y a un temps pour s'arrêter et remettre les choses à plat, un temps pour avancer et les remettre en perspective. Il n'y a rien de plus vain et inefficace à cet égard que de multiplier les réflexions et les plans, qui commencent en fanfare et finissent sur la comète. Leur addition confuse signale seulement la faiblesse de départ ou, diraient les Chinois, son insuffisante plasticité. Le bon patron n'est ni un intellectuel ni un psychologue : c'est un homme d'action dont les équipes attendent (sauf peut-être en Suède où il faut débattre de tout, y compris des orientations du chef) qu'il dirige l'organisation, c'est-à-dire oriente, rassemble, arbitre, aide et évalue.
La conséquence, c'est que le collaborateur doit se mettre lui-même en position de progresser au premier chef, non seulement pour lui-même, mais aussi parce que, s'il devient bon dans son domaine - ce qui, même avec du talent, prend toujours un peu de temps -, il peut aussi contribuer à faire progresser son responsable. Selon les personnalités et les contextes culturels, c'est plus ou moins difficile. Mais c'est faisable, et cela fait même une ambition honnête.
Si bien que le vrai sujet, ce n'est pas plus le chef que le collaborateur - et d'autant moins qu'on est le plus souvent à la fois collaborateur de l'un et chef d'un autre : c'est la capacité de l'un et de l'autre à faire d'une diversité de talents et de défauts une entité plus intelligente et efficace ensemble que ne le sont chacun de ses éléments séparément - en un mot, de faire équipe. On a tort à cet égard de faire du sport une pure hygiène individuelle : c'est une oeuvre sociale. Obama ne fait pas du jogging, il joue au basket.
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24/10/2009
L'art de la jauge (3) L'Illuminé, le Palimpseste et le Cynique
On trouve dans la typologie des bons patrons une singulière série de qualités plus ou moins antinomiques, qui dépendent des tempéraments plus souvent que des circonstances, et qui montrent l'intérêt, dans le management aussi, d'une certaine diversité naturelle.
Dans un monde obscur, instable et menaçant, l'Illuminé apporte la lumière. C'est pourquoi il est en particulier utile dans les réunions tardives. D'ailleurs, si on le poussait un peu, il adorerait parler dans le noir pour faire concurrence à l'électricité (l'Hyperactif a parfois une tentation analogue, sous l'angle de l'énergie, mais la refreîne mieux, sûr que son activisme lui fera tôt ou tard faire un pas de trop dans un pas de porte et que, comme l'ont bien diagnostiqués les spin doctors de Fox News, l'incident l'emportera toujours sur la démonstration). L'Illuminé ne se contente pas de voir, il trace une Voie que ses Adeptes ne découvrent qu'en Chemin quand ils croyaient l'avoir un peu inventée eux-mêmes. Car, dans son omniscience, l'Illuminé est aussi un grand meneur d'hommes qui sait bien que l'hypothèse désopilante de Descartes (*) vaut tout de même mieux que la sentence animalière de de Gaulle. De la profondeur de cette vision, il arrive que l'Adepte ne revienne pas. Cela favorise le boulot des DRH dans le domaine de la motivation mais peut aussi, du coup, compliquer le comptage des effectifs. C'est pourquoi il faut, à côté de l'Illuminé, un DRH à l'aise aussi bien dans le planificage stratégicateur que dans le boulot de base.
Super Manager aime à se passer de l'article défini "le". Il a en effet toujours considéré que ce n'est pas à l'article de définir, c'est à lui. Super Manager aime à débarquer au beau milieu des situations désespérées, qui étaient surtout désespérées de ne l'avoir pas encore vu. Avec lui, on passe illico de l'amphigouri à la synecdoque, mais cette rhétorique nouvelle ne se paie pourtant pas de mots : elle procède de l'action et s'illustre par l'exemple. Ce qui compte, c'est l'alignement des figures et leur contribution ordonnée à la réussite du Tout. "Rien de ce que font vos mains ne m'est étranger" aime-t-il à faire comprendre. Il n'est expert d'aucun savoir - il ne connaît même pas le rôle pourtant majeur joué par le Lactobacillus Bulgaricus dans la transformation du lait en yogourt, sans même parler de la différence entre fission spontanée (quand une bombe atomique vous tombe dessus par hasard) et fission induite (lorsque cela suit une altercation avec un voisin) -, mais il n'en a cure : tête de gondole ou explosion atomique, l'essentiel c'est d'arriver au résultat le plus efficacement possible. D'ailleurs, il sait où ça coince et il appuie là où ça fait mal. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas un pincement éthique lorsque la fabrication du yogourt bulgare affame le producteur de lait des Rhodopes : au contraire, Super Manager a une authentique grandeur d'âme, c'est juste que cela ne nous regarde pas. En tout cas, avec Super Manager, ça dépouille.
Ce n'est pas que le Super Manager soit très extraverti, mais le Palimpseste est tout de même comparativement plus effacé. Le Palimpseste ne paie pas forcément de mine : c'est sa façon d'endormir l'adversaire. Il préfère attaquer les sujets au ras des pâquerettes : pour les cîmes, on verra plus tard. Il prend les choses dans l'ordre et, passé l'effet de surprise, ou de déception éventuelle, cette approche méthodique n'apparaît dénuée ni d'efficacité, ni de pédagogie. A l'instar du Super Manager, le Palimpseste n'est pas un expert et ne la ramène donc pas davantage à tout bout de champ. Sa force précisément, c'est de ne pas avoir d'idées arrêtées et donc, d'être à l'écoute. Bref, on peut écrire dessus : si c'est bon, il prend ; si c'est mauvais, c'est mieux de rectifier le coup d'après, surtout si le collaborateur a une famille à nourrir. Le Palimpseste ne fait pas d'esbrouffe : c'est un gars plutôt simple et généralement assez facile d'accès. Il est néanmoins préférable de ne pas trop le pousser dans ses retranchements ou alors uniquement avec le modèle Palimpsieste, après le déjeuner et sans parler trop fort.
Même au repos, on voit bien que le Guerrier est un guerrier. Rien à voir avec la Brute pourtant : quand le fantasme de la brute, c'est de zigouiller jusqu'au dernier de ses collaborateurs pour montrer l'exemple sur le terrain de l'augmentation des coups, le Guerrier se sacrifierait pour sauver les siens. L'un est un suisse, l'autre un Samouraï. De fait, le Guerrier aime le combat, il est d'ailleurs taillé pour. Il est donc préférable avec lui d'avoir quelques rudiments d'escrime pour lui donner un coup de main, les jours de fronts multiples. Le Guerrier ouvre en effet toujours plusieurs fronts à la fois, faute de quoi il s'ennuie. Il créerait même de faux ennemis si sa passion du combat ne lui en créait pas suffisamment comme ça. Avec le Guerrier, on peut fatalement être amené à couper des têtes aussi. Mais c'est pour l'Honneur.
Le Cynique se raréfie. C'est dommage. A ses côtés, on apprend à penser contre les évidences de l'époque, ce qui nous change du blabla ambiant. Avec lui d'ailleurs, pas de baratin - seulement une confidence ou deux de temps en temps, qu'il distille à mesure qu'il donne sa confiance, ce qui lui coûte toujours un peu. Il est souvent cultivé, voire très - et modeste en plus, ce qui constitue toujours un mélange redoutable. C'est un conservateur et un humaniste : pour lui, Lampedusa a commis le traité managérial majeur à côté duquel les élucubrations de Peter Drucker apparaissent comme d'aimables plaisanteries pour bizuths attardés. Il a l'humour grinçant. Ça surprend un peu au début, puis on s'y fait et, bientôt, on ne peut plus s'en passer. Il ne faut pas passer des années auprès d'un Cynique, mais enfin il est assez utile d'en avoir côtoyé un ou deux.
Le Débonnaire se fait rare, lui aussi, dans une époque qui préfère le formatage au style. Et pourtant il aurait réhabilité l'entreprise auprès d'un cén acle de trotzkystes à lui tout seul, avec gourmandise, par un mélange savoureux de malice et d'engagement. Le débonnaire est tout en rondeurs : ce n'est pas qu'il ait du talent pour les relations humaines, c'est qu'il aime les gens et qu'il leur consacre une bonne partie de son énergie. Sa bonhomie ne vas pas sans générosité ; mais elle ne se confond ni avec la complaisance - il a le sens de la justice -, ni avec la mollesse - il a de l'autorité. Pour lui, l'entreprise, c'est d'abord une collectivité humaine et l'élément d'une communauté plus vaste. Avec lui d'ailleurs, on finit par ne plus très bien savoir où s'arrête l'une et où commence l'autre. C'est un meneur d'hommes lui aussi, moins visionnaire mais plus convivial. Et c'est un politique né qui s'est retrouvé là mi par accident, mi par scepticisme. Bref, le débonnaire apporte à l'entreprise ce qu'elle ne sait plus quantifier mais qui lui rapporte tant : un supplément d'âme.
Nous voilà, de nouveau, bien avancés.
(*) "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée".
19:26 Publié dans Management | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : management, ressources humaines
23/06/2009
Toronto, Londres, Bruxelles (3) La perspective et le détail
A l'issue d'une réunion de travail, une discussion critique s'ouvre : n'est-on pas trop entré dans le détail au détriment d'une réflexion collective plus approfondie sur les enjeux de fond ? A-t-on du coup tiré toute la valeur que l'on était en droit d'attendre de cette réunion, ou bien avons-nous tout simplement perdu notre temps - le temps des rémunérations cumulées des participants comme celui de la valeur des expertises croisées autour de la table ?
Nous avons tous suffisamment expérimenté les longues réunions aux résultats incertains pour ne pas s'arrêter un moment sur la question. Dans le pire des cas, c'est la préparation qui laisse à désirer ou bien l'objectif de la réunion qui n'est pas clairement affiché (s'agit-il d'un brainstorming, d'une mise au point, d'une revue de projet ? etc) ; dans le meilleur, c'est un détail qui faisant irruption au beau milieu d'une réunion pourtant bien huilée, soulève des enjeux inattendus ou des réactions épidermiques et, ce faisant, finit par occuper l'essentiel des échanges. Le commentaire, dans ce contexte, a une portée indéniable.
Certes, il revient bien au manager de fixer les orientations et de définir les responsabilités pour faire en sorte que les choses avancent dans le budget et les délais impartis. Sans perspective à laquelle s'adosser, les actions s'additionnent, s'accumulent, voire s'enchevêtrent ou se brouillent, bref, perdent en cohérence et en efficacité. La perspective est, de de ce point de vue, l'aune générale à laquelle s'évaluent les actions particulières. Elle donne, en un mot, une colonne vertébrale à l'ensemble.
Le problème, c'est la vertèbre sensible qui, en se déplaçant, a vite fait de compromettre la bonne marche du plan. A s'en tenir, dans de telles situations, à la perspective stratégique, on perd en efficacité. Micro-management ? Tout est affaire de contexte ici. Oui, s'il s'agit d'une attitude permanente rognant sur les responsabilités des différents acteurs, réduisant leur marge de manoeuvre, faisant enfin de leur autonomie créative un pur rouage de transmission. Non, s'il s'agit d'une nécessité ponctuelle permettant de débloquer une situation en consacrant le temps et l'attention nécessaires au détail gênant.
Il ne s'agit pas seulement là d'une pure question d'opportunité managériale. Un détail problématique est en effet souvent le révélateur d'un problème plus profond : compétences insuffisantes pour mettre en oeuvre une action décidée, responsabilité non tranchée, pilotage insuffisamment clair, voire manque de motivation. En ce sens, l'attention au détail symptomatique peut non seulement débloquer le problème, mais encore autoriser un saut qualitatif de plus grande ampleur pour peu que le problème sous-jacent ait été bien identifié.
De surcroît, et plus encore à l'heure des organisations horizontales, il serait illusoire de penser que le dirigeant puisse tirer sa seule légitimité de son rôle stratégique sans faire la démonstration de sa capacité à descendre dans l'arène quand cela est nécessaire. Après lui avoir permis de mettre le doigt "là où ça fait mal", cette capacité à descendre dans le détail lui permet ensuite de guider concrètement l'action vers le résultat souhaité. Le chef d'orchestre est en quelque sorte mieux respecté lorsqu'il sait se rappeler et démontrer qu'il a été premier violon, ce qui constitue potentiellement à la fois une source de légitimité supplémentaire, un regain de mobilisation et un surcroît d'efficacité collective.
Pour un peu, on lirait une fois de plus dans cette dichotomie caricaturale entre la perspective et le détail, entre la grandeur de la stratégie et la trivialité du détail, l'opposition sous-jacente entre les conceptions française et anglo-saxonne du management. En France, un dirigeant qui s'aventure un peu trop dans le détail déroge fondamentalement à un statut : il manque de hauteur. Dans le monde anglo-saxon, un stratège qui ne serait pas capable de mettre ses vues en application aurait un problème : d'efficacité d'abord, de légitimité ensuite, et d'emploi pour finir.
Dans le cas qui nous occupe ici, la conclusion est assez simple : il était nécessaire de trouver une solution au problème, mais la réunion n'était pas le lieu idéal pour le faire. Dans les situations dans lesquelles, quoi qu'il en soit, le détail s'impose comme problème, ce qui compte en réalité, ce n'est pas la primauté de la stratégie sur l'exécution ou l'inverse, c'est, outre la nécessité d'un déblocage, l'opportunité de transformer un problème particulier en regain de motivation collective.
20:57 Publié dans Communication, Leadership, Management | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stratégie, réunion, manager, efficacité, micro-management
25/11/2008
Un Conseil à Pékin : consensus et transformation
Pour une organisation métallurgique internationale, un conseil d'administration en Chine est forcément un événement marquant en raison aussi bien du potentiel de croissance que du déplacement symbolique qui lui sont associés. C'est encore plus le cas quand, dans une conjoncture médiocre, et qui na pas fini de l'être, le conseil en question avalise une augmentation de plus de 25% du budget de l'Institut pour 2009.
Les exemples existent dans la mode comme dans l'industrie : les justifications stratégiques sont en partie indépendantes des variations du cycle de l'activité dans la mesure où leur fonction touche moins à la variation qu'à l'essence même des activités en question : il s'agit moins, en clair, d'augmenter les ventes dans l'immédiat que de développer les marchés sur le long terme. Cela ne s'accompagne pas moins, fort logiquement, d'exigences accrues en matière de fonctionnement aussi bien que de résultats - rien là que de très habituel.
Ce qui l'est mois est la conciliation de deux approches culturelle, l'une industrielle, l'autre nationale, sensiblement distinctes. D'un côté, dans l'industrie du nickel, une véritable tradition de discussion franche et ouverte qui fait prévaloir l'exigence intellectuelle sur les prévenances de la diplomatie ; de l'autre, une tradition chinoise toujours soucieuse, sauf dans le cas extrême d'un conflit avéré, d'éviter l'affrontement ou le désaccord public au profit d'un réglement amiable, souple, le cas échéant par la bande des différends.
Plus que l'Occident qui opère par déclinaison (par exemple d'une stratégie traduite en plan d'action à travers un cascading que les leaders anglo-saxons adorent autant que les patrons français), la Chine procède par une sorte d'évolution organique, transformant l'existant au fur et à mesure de l'avancée des processus. Ce qui rend dès lors compatible les deux traditions, ce n'est pas la synthèse, mais la juxtaposition. D'un côté, l'Occident exprime une remise en cause stratégique, de l'autre la Chine confirme le potentiel du marché. Si les approches parviennent à se marier, c'est en vertu du mouvement que porte cette coopération émergente.
D'un autre côté, ce rapprochement procède volontiers par contrepied. De même que la rencontre avec l'homme de la rue à Pékin prend totalement à rebours la caricature géo-économique effrayante qu'en forge l'Occident à longueur d'actualité (*), de même la visite d'installations sidérurgiques en Chine, en l'occurence celles de Tisco (l'un des premiers producteurs d'acier au monde avec environ 13 millions de tonnes annuelles) déconcerte par une propreté et une qualité de la protection de l'environnement relativement inattendue dans ce pays qui, s'il vient de se convertir à la notion "d'économie circulaire", n'en affirme pas moins, à juste titre en l'état actuel des choses, le primat du développement économique sur la préservation de l'environnement.
Vitrine ? Sans aucun doute, et ce qui est vrai de l'industrie l'est aussi des grandes infrastructures de prestige du pays - voyez par exemple le nouvel aéroport de Pékin. Mais, tout de même, voilà un écart qui donne à penser, en particulier à l'écart qui separe une réalité en mouvement et des lieux communs que nous ne prenons même plus la peine d'interroger. Ici, du fait certes non seulement de la culture mais aussi du régime, les transformations sont moins bruyantes, mais elles sont à l'oeuvre.
(*) Voir aussi New world, new deal pour une approche plus culturelle.
13:37 Publié dans Management | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : management, interculturel, chine, industrie, nickel