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25/11/2010

Management et créativité : avantage aux expatriés (il faut souffrir pour être bon)

C'est bien connu : les voyages forment la jeunesse... mais ce n'est pas tout, nous disent trois chercheurs en management (Maddux à l'INSEAD, Galinsky à Kellogg et Tadmor à l'Université de Tel Aviv) : ils font aussi de meilleurs managers, plus créatifs et plus entreprenants. Cet enseignement résulte d'une série de tests pratiqués auprès d'échantillons d'étudiants et de managers, y compris des professionnels en formation, associant des personnes ayant toujours évolué dans le même environnement culturel et des gens ayant au contraire vécu (et non seulement voyagé) à l'étranger.

Le test dit "de la bougie" par exemple qui oblige à voir et à utiliser autrement un des objets proposés pour fixer une bougie sur un mur de carton a montré un écart d'environ 20 % de bonnes réponses (60 contre 42) en faveur de ceux qui ont vécu à l'étranger. Un autre test appelé le "Remote Associates Task" met les participants en présence de listes de mots qu'il faut relier par un chaînon manquant. Par exemple, les mots "manières", "rond" et "tennis" doivent suggérer le concept de "table" qu'ils ont en commun. Là encore, un avantage net est obtenu par les étudiants ayant vécu à l'étranger.

Fait intéressant, cet écart se révèle plus prononcé encore lorsque les expatriés ont su s'extirper localement des communautés d'expatriés pour mieux aller à la rencontre des gens du pays et faire l'effort de s'adapter réellement à la culture du pays d'accueil. Un élément assez évident mais important à rappeler tant la tentation de reproduire son milieu ou de retrouver des membres de sa communauté d'origine se révèle souvent forte pour l'expatrié perdu au milieu d'un environnement parfois profondément nouveau, avec ce que cela implique de remise en cause. C'est spécialement le cas dans des expatriations "hors cadre", qui se font par exemple en dehors d'une mutation d'un siège vers une filiale au sein d'un même groupe (il faut d'ailleurs avoir connu les deux types de situations pour se faire une idée très concrète de ce qui les sépare radicalement).

Une étude complémentaire portant sur des managers d'origine israëlienne travaillant dans la Silicon Valley a également montré que les expatriés ayant séjourné suffisamment longtemps à l'étranger pour s'approcher d'une identité biculturelle étaient également mieux reconnus en termes de réputation professionnelle et étaient aussi promus plus rapidement que ceux s'inscrivant dans un contexte exclusivement monoculturel. Pourquoi ? Et bien, ces individus montrent une plus grande capacité à intégrer et à synthétiser des perspectives multiples. Cette aptitude particulière se traduit en général par un meilleur niveau de performance ainsi que par une plus grande capacité à proposer de nouveaux produits ou services.

Bref, plus l'on se confronte personnellement et concrètement à des cultures étrangères, plus l'on devient créatif, entreprenant, capable au fond de faire travailler efficacement les gens ensemble et de produire de "l'intelligence collective" selon l'expression qui revenait récemment avec force dans la bouche de participants aux "Danone Communities" qui réunissent des participants bénévoles mobilisés sur la cause du social business. Une autre façon en somme de valider ce que l'on sait déjà depuis longtemps : on ne se développe réellement qu'en sortant de sa zone de confort. Autrement dit : il faut souffrir pour être bon.

06/11/2010

Deux ou trois choses apprises à Harvard (2) La ligne et le mouvement (la stratégie selon Sinofsky)

La deuxième leçon s'impose assez rapidement. On sent là-dessus non pas un retour en arrière mais une révision, un rééquilibrage par rapport aux excès du "tout stratégique" des décennies précédentes. C'est un vrai message opérationnel qui va traverser nombre d'études de cas - Opel, Black & Decker, Dell, Lincoln Electric, Toyota, BP, Dysney, General Electric pour n'en citer que quelques unes - et revenir avec la même force dans les travaux pratiques qu'il remonte des études de terrain. 

C'est ce qui fait la puissance de la recherche dans ce système - ce que j'ai appelé précédemment la beauté des modèles et qui tient à leur capacité à synthétiser des questions souvent complexes en un schéma opérationnel simple. C'est cette recherche qui permet une théorisation en temps réel des enjeux les plus actuels de la vie des organisations, théorisation que l'effet de réseau, le suivi en ligne et les rendez-vous annuels prémunissent ensuite contre le double risque de l'abstraction et de l'obsolescence.

Pourtant, aussi bien dans sa formulation en anglais que dans sa traduction française, cette recommandation apparaît d'emblée sous un intitulé problématique. On parle en effet de "strategic integrity" - en français, il n'y a pas de piège : "intégrité stratégique", mais cela ne nous avance guère. De quoi s'agit-il ? 

La piste morale (la stratégie de l'entreprise devrait être "intègre") n'est pas complètement absurde dans le contexte des scandales récents, mais ce n'est pas la bonne - on ne voit pas très bien malgré tout, au-delà d'aspects légaux évidents et d'un mauvais blabla corporate, ce qu'elle apporterait à la question stratégique. La piste de la rigueur (il faudrait respecter scrupuleusement la ligne stratégique sans jamais en dévier d'une virgule) peut aussi se défendre. Surtout chez ceux qui envient le sort de l'armée prussienne à la bataille d'Iena.

Il faut en réalité comprendre cette notion d'intégrité au sens premier et le plus simple du terme : celui d'entièreté ou de totalité. Cette approche a été formalisée par Marco Iansiti, le spécialiste des nouvelles technologies de l'Ecole, auteur de "One Strategy", co-signé avec Steven Sinofsky, le président de Windows (en privé, Iansiti, qui a une amitié ancienne et une admiration profonde pour Sinofsky, raconte comment la capacité de structuration et, plus encore, de concentration de son camarade de jeu a fait souffrir chez lui un esprit plus créatif et ouvert à la digression).

Accessoirement, le prof le plus sympathique, le plus engagé et le plus engageant de la Faculty. Le premier cours avec lui (j'avais alors été placé au premier rang entre un Belge énigmatique et une Espagnole prometteuse), j'ai attrappé un torticolis entre ses aller-retour permanents entre le haut de l'amphi et le tableau. Un marathon pédagogique qui donne le tournis, mais qui a le mérite d'embarquer dans le sujet, passionnant en l'occurence, d'un jeune type, Lou Hugues, propulsé directeur général de la filiale allemande d'Opel (General Motors) dans la période de la chute du Mur.

Or, que dit Iansiti ? En gros, qu'il y a dans toute organisation deux stratégies : l'une directive qui vient du haut ; l'autre émergente, liée à ses performances, à ses modes de décision, bref intimement mêlée au corps vivant qu'est l'organisation elle-même. Et dans de nombreux cas ces deux approches s'ajustent mal : il n'y a pas alignement entre la stratégie et l'exécution. D'où un double problème : celui posé par une stratégie mal appliquée ; mais aussi celui que pose un modèle stratégique incapable de s'appuyer sur le potentiel de créativité et d'engagement au sein de la firme.

J'ai passé un peu de temps dans un groupe qui a fait de la communication de la stratégie à l'ensemble de l'organisation la priorité de sa communication interne avec un président qui, quand je lui ai proposé d'inclure (dans son agenda de président) la tournée des sites partout dans le monde sur ce thème, m'a dit "oui" tout de suite. Ça donne des bases pour sentir l'effet d'irrigation et de motivation remarquable que peut susciter un partage de la stratégie avec les équipes.

C'est un point important, mais ce n'est pas le seul. Le sujet ne réside pas simplement dans la complémentarité, somme toute assez évidente lorsque sa nécessité est comprise, entre conception et communication, mais aussi dans le rétablissement d'un lien attentif et structuré entre la stratégie et l'exécution. Le premier sujet est technique : c'est l'application pratique d'une bonne idée sur le terrain ; le second est culturel : il touche à la représentation que le responsable se fait de son rôle.

Or rien ne sert d'élaborer une stratégie brillante si l'on n'est pas capable de mettre l'organisation en situation de la mettre en oeuvre et de l'adapter aux circonstances. Comme dit en substance Peter Drucker, les plans ne sont qu'un ensemble de bonnes intentions, à moins que l'on se mette à y travailler dur. Diriger dans ce contexte, c'est non seulement fixer un cap, communiquer une vision, mais c'est aussi investir une bonne partie de son énergie à fédérer, structurer, intégrer, piloter - bref, à animer. Ce qui est finalement une façon créative et pratique de dépasser une opposition qui me semble toujours un peu stérile entre un leadership qui inspire et un management qui organise.

02/10/2010

NGO's (2) Le management à la godille

 

Pour saillante et sensible qu'elle apparaisse en période de crise, la question du développement du secteur non lucratif n'est, me semble-t-il, que l'expression d'un problème de management de portée plus générale. Dans les fondations, les fédérations, les associations, le management pêche pour plusieurs raisons.

Il faut d'abord reconnaître la difficulté - réelle - de faire fonctionner des groupes sans pouvoir de contrainte et d'incitation ou avec des moyens limités. L'absence de pouvoir de contrainte ne devrait pas constituer un obstacle dans l'absolu. En théorie, l'intérêt intrinsèque de la cause, le leadership normalement attendu des responsables et un brin d'attention à l'ambiance d'ensemble devraient en effet suffire à motiver les troupes. Dans la réalité, la conception souvent aussi généreuse dans les intentions que peu rigoureuse dans la pratique du bénévolat rend l'exercice délicat. Un contrat social sans contraintes n'est pas plus facile à imaginer (sauf peut-être dans les écrits des anthropologues hostiles à la raison d'Etat moderne) qu'à mettre en oeuvre.

Nombre de NGO's disposent toutefois d'un personnel salarié, tantôt modestement comme dans le secteur éducatif, tantôt plus généreusement comme dans l'industrie, ce qui rend la dialectique passion/discipline propre au bénévolat pour le coup inopérante. Notons au passage qu'en lien avec la problématique du développement et sous l'angle des ressources humaines, la capacité à s'attacher les services de gens plus qualifiés et expérimentés, donc plus chers, est aussi un point clé généralement sous-estimé du développement des NGO's. Ce développement ne s'obtient pas pas un mélange de magie et de bricolage : il est le résultat d'un investissement. Il n'empêche que l'extension du salariat au secteur non lucratif fait ainsi apparaître en creux une réalité plus triviale : le management de la plupart de ces entités représente en lui-même un point critique.

Cela met d'abord en cause le système de sélection ou de compétence. Dans l'entreprise, ce n'est pas tant qu'un dirigeant nul est viré (il est vrai qu'on en éjecte aussi de bons pour de mauvaises raisons), c'est qu'un élément nul peut difficilement espérer devenir dirigeant, sauf peut-être dans le secteur public où l'on raisonne parfois encore davantage en termes de statut que de compétence. Sauf scandale majeur, le secteur non lucratif est donc généralement plus tolérant. En quoi le mode de sélection s'y apparente à celui majoritairement en vigueur au sein des appareils politiques, soit la promotion par la médiocrité sous ses nombreuses variantes : démagogie, idéologie, alliances, services, loyauté, recasage, etc. De délicats équilibres politiques au niveau des conseils d'administration peuvent aussi conduire à des compromis par défaut. Et l'on voit parfois des gens nommés à ces fonctions soit parce qu'ils deviennent un problème pour leur entité d'origine soit parce qu'ils y sont en situation de transition vers autre chose. Ce qui, en général, finit par se voir.

Il y a ensuite un problème de culture ou de méthodologie. Faiblement dirigées, que ce soit au niveau de leur conseil d'administration, de leur leader ou de leur équipe de management, un certain nombre de ces entités naviguent à vue. La stratégie y est perçue le plus souvent comme un luxe, au fond, inutile ou bien elle se résume à une documentation aussi joliment présentée qu'intellectuellement confuse. A l'inverse, les entités les plus soumises à la pression de leurs actionnaires sont capables de changer de stratégie tous les trimestres ce qui, à tout prendre, représente une situation pire encore dans laquelle l'illusion des présentations et les vicissitudes de la politique triomphent des exigences du bon sens et des vertus de l'action. Dans un tel contexte, la capacité à animer un projet avec les qualités requises - clarté de la communication, soutien aux équipes, suivi des actions - oscille alors le plus souvent entre inexistence et approximations.

Si l'on applique à ces situations la grille d'analyse - les fameux "7 S" - de Peters & Philips : structure, strategy, systems, skills, staff, shared values, style, reste alors la question du style. Pour quelques bons exemples de proximité et d'exemplarité, combien de styles de management marqués par un mélange de suffisance et d'insuffisance ? Faible constance, absence de réactivité, généralités inopérantes, amateurisme, désordre... La liste de ces insuffisances serait longue. La plupart du temps, l'absence de pilotage réel dénote en réalité l'absence d'un leader ou d'une équipe de direction à la hauteur de la tâche.

On l'aura compris : au-delà d'un petit nombre d'exemples remarquables et de quelques honnêtes réussites, de larges pans du secteur non lucratif apparaissent en déshérence. Son utilité sociale évidente comme son potentiel de mobilisation rendent pourtant cette situation aussi choquante qu'inacceptable. Ils doivent conduire les conseils d'administration, les instances de conseil mais aussi les populations concernées et les donateurs à jouer pleinement leur rôle de sanction, d'orientation, de critique et de contrôle pour faire en sorte que l'objet social de ces associations retrouve sa portée et sa force et que leur action renoue avec le sens des responsabilités et de l'efficacité sans lequel leur légitimité ne saurait être établie.

Il est hors de portée pour la plupart d'entre nous de changer le monde. Il est en revanche possible et nécessaire de mettre les instances associatives dans lesquelles nous sommes impliqués en situation d'accomplir de réels progrès pour les communautés qu'elles représentent.

 

23/09/2010

NGO's (1) Le développement à la peine

Pour avoir un peu côtoyé le secteur non lucratif sous des formes diverses - fédérations professionnelles, institutions universitaires, fondations et associations diverses -, je vois deux enjeux de progrès évidents pour ce secteur : le développement et le management.

En temps de crise, le problème du développement de ces entités non lucratives est évidemment posé avec acuité. Les donateurs - entreprises, institutions, particuliers - étant eux-mêmes soumis à une contrainte budgétaire renforcée, l'effet du resserrement des ressources se répercute naturellement sur ce secteur. Et avec d'autant plus de violence qu'elles ne disposent, au sens du marché, d'aucun levier de ressource propre.

Cela conduit dans la plupart des cas à une mise en berne de la plupart des programmes menés. C'est la mauvaise option, celle dans laquelle on veut continuer de tout faire à un niveau d'intervention moindre : moins de confort au sens matériel s'accompagne alors d'un confort intellectuel renforcé qui oscille en réalité entre léthargie et cécité. La bonne approche, c'est celle de la remise en cause. On ajuste la voilure, mais on le fait d'une façon cohérente et porteuse au plan stratégique en se reposant les questions de fond : quelle est notre mission fondamentale, notre valeur ajoutée propre, sur quoi devons-nous impérativement nous concentrer et comment être plus efficace dans la mise en oeuvre de ces missions ? de façon à simultanément passer la crise et préserver l'avenir.

Au-delà de la crise, une logique malthusienne aussi étrange que bien ancrée est pourtant à l'oeuvre dans la plupart de ces entités. Or rien ne permet de penser que les dons soient durablement limités à environ 2 % du revenu des donateurs (en moyenne aux Etats-Unis selon une étude récente) ni que la "bonne gestion" implique de ne pas dédier plus de 15 % des ressources associatives aux activités de fundraising. Du côté des dons d'abord, la moyenne cache des disparités importantes : les faibles revenus, comme l'a montré de façon spectaculaire la campagne d'Obama, contribuent davantage proportionnellement que les hauts revenus ; et les personnes engagées et de conviction, religieuse par exemple, sont aussi généralement plus généreuses.

Bref, rien ne doit conduire à auto-limiter l'effort de levée de fonds en fonction à la fois d'un plafond général supposé de donation et d'un montant limite à investir dans ces activités, dont la seule justification réside dans les abus qui ont pu être commis par le passé et la nécessité corrélative d'un contrôle public renforcé. Si le fundraising est le marketing du secteur non lucratif, alors il y a bien un enjeu de dynamisation et d'élargissement du marché ou du territoire social des dons.

A l'évidence, les Pouvoirs publics ne peuvent tout faire et l'impôt tout prendre en charge. Par ailleurs, dans une société fragmentée et complexe, l'action proche du terrain, décentralisée si l'on veut, de la société civile prend autant de sens que son potentiel d'engagement retrouve de la vigueur - notre pays se calera bientôt là-dessus sur les pratiques américaines.

Or cette approche nécessite d'autant plus de passer à la vitesse supérieure que l'objet-même de ces associations relève souvent d'un certain degré d'urgence (les causes humanitaires par exemple) ou d'importance (la recherche contre telle maladie, l'éducation de telle population cible, etc). Viser des progrès limités ne présente dans ce contexte qu'un intérêt lui aussi limité : ce n'est pas une amélioration incrémentale qu'il faut viser c'est la pleine éradication d'un fléau ou le plein exercice d'un droit !

 

18/09/2010

Comment ne pas finir en prison (et autres conseils utiles pour travailler et vivre heureux)

Après deux décennies d'hégémonie de Porter, Clayton Christensen est devenu une autorité à Harvard en matière de stratégie en développant la notion de "disruptive innovation" (innovation pertubatrice). Mais aussi significatif soit-il, un apport théorique ne suffit pas à faire d'un professeur brillant une autorité respectée : il y faut aussi, appelons ça comme ça, une dimension morale. C'est précisément à quoi s'attache Christensen en articulant sa dernière session de cours en MBA autour de trois questions : comment faire en sorte d'être heureux dans ma carrière ? Comment faire en sorte que ma relation avec ma femme et ma famille soit une source vivace de bonheur ? Comment, enfin, puis-je faire en sorte de ne pas finir en prison ?

Sur le premier point - la carrière -, le nouveau gourou de la stratégie est aussi simple que clair : le bonheur professionnel - et Herzberg ne dit pas là-dessus quelque chose de très différent -, ce n'est pas l'art de monter des deals financiers juteux mais de développer les autres. Gagner de l'argent et grandir sont deux choses non pas incompatibles (comme on ferait bien de le comprendre en France) mais différentes (comme on gagnerait à se le rappeler en Amérique). Saisir ou créer des occasions d'apprendre, élargir des responsabilités, contribuer au développement des autres en effet et être reconnu pour ses réalisations : cela suffit pour Christensen à (re)faire du management "la plus noble des professions".

Seconde question : la famille. Le problème des gens excellents selon notre stratège, c'est qu'il ont tout autant tendance à sur-investir dans leur carrière qu'à sous-investir dans les relations avec leurs proches. Ce serait même là une des causes majeures d'un certain nombre de désastres survenus dans quelques grandes entreprises ces dernières années et qui s'expliquerait assez simplement. Dans le monde corporate, une action positive est récompensée par une promotion, une augmentation, une reconnaissance, bref, une gratification plus ou moins immédiate. A l'inverse, élever un enfant prend une vingtaine d'années et, pour élever des enfants qui ont une forte confiance et une certaine estime de soi (notion toujours associée pour lui à une bonne dose d'humilité), il faut y penser tôt.

Troisième et dernière question : la prison, ou comment éviter d'y finir ses jours. Christensen établit là-dessus un parallèle avec la notion de coût marginal habituellement utilisée pour calculer la rentabilité de nouveaux investissements. Si le coût marginal du "just this once" (seulement cette fois-ci) peut, isolément, paraître assez faible en matière d'éthique personnelle, il entraîne en réalité vers une pente où les coûts de la répétition inévitable du mauvais comportement finiront par se révéler élevés. Si tout écart est une brèche potentielle, alors il est plus facile de se tenir aux principes que l'on s'est fixés 100% que 98% du temps.

Derrière ces trois questions, et en particulier derrière la seconde d'entre elles, il y au fond chez Christensen une approche guidée par le même principe central : mettre le but de sa vie au centre et, pour cela, penser tôt à ce qui fera pour nous la mesure ultime de notre succès. Etudiant, il confesse avoir consacré une heure chaque jour à réfléchir à ce sujet au lieu de faire davantage d'économétrie. "C'est la chose la plus utile que j'aie jamais apprise, confesse-t-il, et peut-être la chose la plus importante apprise à Harvard".

Il a raison. C'est que cette sorte de gymnastique philosophique finit par donner un gouvernail solide et utile pour allouer son temps, son énergie - son talent propre - et guider vers l'objectif de développement par lequel Christensen commençait son propos : "Don't worry about the level of individual prominence you have achieved, worry about the individuals you have helped become better people".