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02/10/2010

NGO's (2) Le management à la godille

 

Pour saillante et sensible qu'elle apparaisse en période de crise, la question du développement du secteur non lucratif n'est, me semble-t-il, que l'expression d'un problème de management de portée plus générale. Dans les fondations, les fédérations, les associations, le management pêche pour plusieurs raisons.

Il faut d'abord reconnaître la difficulté - réelle - de faire fonctionner des groupes sans pouvoir de contrainte et d'incitation ou avec des moyens limités. L'absence de pouvoir de contrainte ne devrait pas constituer un obstacle dans l'absolu. En théorie, l'intérêt intrinsèque de la cause, le leadership normalement attendu des responsables et un brin d'attention à l'ambiance d'ensemble devraient en effet suffire à motiver les troupes. Dans la réalité, la conception souvent aussi généreuse dans les intentions que peu rigoureuse dans la pratique du bénévolat rend l'exercice délicat. Un contrat social sans contraintes n'est pas plus facile à imaginer (sauf peut-être dans les écrits des anthropologues hostiles à la raison d'Etat moderne) qu'à mettre en oeuvre.

Nombre de NGO's disposent toutefois d'un personnel salarié, tantôt modestement comme dans le secteur éducatif, tantôt plus généreusement comme dans l'industrie, ce qui rend la dialectique passion/discipline propre au bénévolat pour le coup inopérante. Notons au passage qu'en lien avec la problématique du développement et sous l'angle des ressources humaines, la capacité à s'attacher les services de gens plus qualifiés et expérimentés, donc plus chers, est aussi un point clé généralement sous-estimé du développement des NGO's. Ce développement ne s'obtient pas pas un mélange de magie et de bricolage : il est le résultat d'un investissement. Il n'empêche que l'extension du salariat au secteur non lucratif fait ainsi apparaître en creux une réalité plus triviale : le management de la plupart de ces entités représente en lui-même un point critique.

Cela met d'abord en cause le système de sélection ou de compétence. Dans l'entreprise, ce n'est pas tant qu'un dirigeant nul est viré (il est vrai qu'on en éjecte aussi de bons pour de mauvaises raisons), c'est qu'un élément nul peut difficilement espérer devenir dirigeant, sauf peut-être dans le secteur public où l'on raisonne parfois encore davantage en termes de statut que de compétence. Sauf scandale majeur, le secteur non lucratif est donc généralement plus tolérant. En quoi le mode de sélection s'y apparente à celui majoritairement en vigueur au sein des appareils politiques, soit la promotion par la médiocrité sous ses nombreuses variantes : démagogie, idéologie, alliances, services, loyauté, recasage, etc. De délicats équilibres politiques au niveau des conseils d'administration peuvent aussi conduire à des compromis par défaut. Et l'on voit parfois des gens nommés à ces fonctions soit parce qu'ils deviennent un problème pour leur entité d'origine soit parce qu'ils y sont en situation de transition vers autre chose. Ce qui, en général, finit par se voir.

Il y a ensuite un problème de culture ou de méthodologie. Faiblement dirigées, que ce soit au niveau de leur conseil d'administration, de leur leader ou de leur équipe de management, un certain nombre de ces entités naviguent à vue. La stratégie y est perçue le plus souvent comme un luxe, au fond, inutile ou bien elle se résume à une documentation aussi joliment présentée qu'intellectuellement confuse. A l'inverse, les entités les plus soumises à la pression de leurs actionnaires sont capables de changer de stratégie tous les trimestres ce qui, à tout prendre, représente une situation pire encore dans laquelle l'illusion des présentations et les vicissitudes de la politique triomphent des exigences du bon sens et des vertus de l'action. Dans un tel contexte, la capacité à animer un projet avec les qualités requises - clarté de la communication, soutien aux équipes, suivi des actions - oscille alors le plus souvent entre inexistence et approximations.

Si l'on applique à ces situations la grille d'analyse - les fameux "7 S" - de Peters & Philips : structure, strategy, systems, skills, staff, shared values, style, reste alors la question du style. Pour quelques bons exemples de proximité et d'exemplarité, combien de styles de management marqués par un mélange de suffisance et d'insuffisance ? Faible constance, absence de réactivité, généralités inopérantes, amateurisme, désordre... La liste de ces insuffisances serait longue. La plupart du temps, l'absence de pilotage réel dénote en réalité l'absence d'un leader ou d'une équipe de direction à la hauteur de la tâche.

On l'aura compris : au-delà d'un petit nombre d'exemples remarquables et de quelques honnêtes réussites, de larges pans du secteur non lucratif apparaissent en déshérence. Son utilité sociale évidente comme son potentiel de mobilisation rendent pourtant cette situation aussi choquante qu'inacceptable. Ils doivent conduire les conseils d'administration, les instances de conseil mais aussi les populations concernées et les donateurs à jouer pleinement leur rôle de sanction, d'orientation, de critique et de contrôle pour faire en sorte que l'objet social de ces associations retrouve sa portée et sa force et que leur action renoue avec le sens des responsabilités et de l'efficacité sans lequel leur légitimité ne saurait être établie.

Il est hors de portée pour la plupart d'entre nous de changer le monde. Il est en revanche possible et nécessaire de mettre les instances associatives dans lesquelles nous sommes impliqués en situation d'accomplir de réels progrès pour les communautés qu'elles représentent.

 

23/09/2010

NGO's (1) Le développement à la peine

Pour avoir un peu côtoyé le secteur non lucratif sous des formes diverses - fédérations professionnelles, institutions universitaires, fondations et associations diverses -, je vois deux enjeux de progrès évidents pour ce secteur : le développement et le management.

En temps de crise, le problème du développement de ces entités non lucratives est évidemment posé avec acuité. Les donateurs - entreprises, institutions, particuliers - étant eux-mêmes soumis à une contrainte budgétaire renforcée, l'effet du resserrement des ressources se répercute naturellement sur ce secteur. Et avec d'autant plus de violence qu'elles ne disposent, au sens du marché, d'aucun levier de ressource propre.

Cela conduit dans la plupart des cas à une mise en berne de la plupart des programmes menés. C'est la mauvaise option, celle dans laquelle on veut continuer de tout faire à un niveau d'intervention moindre : moins de confort au sens matériel s'accompagne alors d'un confort intellectuel renforcé qui oscille en réalité entre léthargie et cécité. La bonne approche, c'est celle de la remise en cause. On ajuste la voilure, mais on le fait d'une façon cohérente et porteuse au plan stratégique en se reposant les questions de fond : quelle est notre mission fondamentale, notre valeur ajoutée propre, sur quoi devons-nous impérativement nous concentrer et comment être plus efficace dans la mise en oeuvre de ces missions ? de façon à simultanément passer la crise et préserver l'avenir.

Au-delà de la crise, une logique malthusienne aussi étrange que bien ancrée est pourtant à l'oeuvre dans la plupart de ces entités. Or rien ne permet de penser que les dons soient durablement limités à environ 2 % du revenu des donateurs (en moyenne aux Etats-Unis selon une étude récente) ni que la "bonne gestion" implique de ne pas dédier plus de 15 % des ressources associatives aux activités de fundraising. Du côté des dons d'abord, la moyenne cache des disparités importantes : les faibles revenus, comme l'a montré de façon spectaculaire la campagne d'Obama, contribuent davantage proportionnellement que les hauts revenus ; et les personnes engagées et de conviction, religieuse par exemple, sont aussi généralement plus généreuses.

Bref, rien ne doit conduire à auto-limiter l'effort de levée de fonds en fonction à la fois d'un plafond général supposé de donation et d'un montant limite à investir dans ces activités, dont la seule justification réside dans les abus qui ont pu être commis par le passé et la nécessité corrélative d'un contrôle public renforcé. Si le fundraising est le marketing du secteur non lucratif, alors il y a bien un enjeu de dynamisation et d'élargissement du marché ou du territoire social des dons.

A l'évidence, les Pouvoirs publics ne peuvent tout faire et l'impôt tout prendre en charge. Par ailleurs, dans une société fragmentée et complexe, l'action proche du terrain, décentralisée si l'on veut, de la société civile prend autant de sens que son potentiel d'engagement retrouve de la vigueur - notre pays se calera bientôt là-dessus sur les pratiques américaines.

Or cette approche nécessite d'autant plus de passer à la vitesse supérieure que l'objet-même de ces associations relève souvent d'un certain degré d'urgence (les causes humanitaires par exemple) ou d'importance (la recherche contre telle maladie, l'éducation de telle population cible, etc). Viser des progrès limités ne présente dans ce contexte qu'un intérêt lui aussi limité : ce n'est pas une amélioration incrémentale qu'il faut viser c'est la pleine éradication d'un fléau ou le plein exercice d'un droit !