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06/04/2010

"It's not my fault" (Paulson à Harvard : la trajectoire et la crise)

Ancien secrétaire d'Etat au Trésor, "Hank" Paulson intervenait dernièrement dans le cadre des conférences de la Harvard Business School à l'occasion de la parution de son dernier ouvrage : "On the Brink: Inside the Race to Stop the Collapse of the Global Financial System".

Revenant sur sa gestion de la crise financière, Paulson a rappelé que l''économie était alors sur le point de s'effondrer et qu'il fallait alors tout faire pour maintenir le système à flot. Des milliards s'envolaient en fumée, le chômage croissait à des rythmes proches de 25%, et de grandes institutions financières se retrouvaient dans une situation critique, dont plusieurs (Lehman Brothers, Fanny and Freddy, AIG) ont fini soit par sombrer soit par être restructurées à grand renfort de subventions publiques.

Face à cette pression considérable exigeant une action aussi vigoureuse que rapide, l'ancien secrétaire d'Etat au Trésor estime avoir fait au mieux sans avoir eu réellement les moyens de contrôler la situation, compte tenu notamment des pouvoirs partagés en ces domaines aussi bien avec le Congrès qu'avec la FED, et cela en dépit d'un positionnement non partisan cultivé notamment dans ses fonctions de président de Goldman Sachs.

Une gestion de crise qui donna également l'occasion de réflexions plus larges sur le leadership. Construire des relations solides, communiquer pour convaincre, agir vite : ces fondamentaux figurent en bonne place parmi les principes de management de Paulson. S'inspirant de la devise de l'école, il y a ajoute l'ambition de faire une différence en invitant chacun, dans la construction de sa carrière, à s'interroger d'abord ce qu'il aime vraiment faire avant de rechercher titres flatteurs et autres rémunérations coquettes. Le meilleur atout du succès, dans ce contexte, ce serait... de ne pas rechercher le succès en veillant, au passage, à maintenir un équilibre harmonieux entre investissement professionnel et vie privée.

Interrogé sur sa vision de l'avenir, l'ancien secrétaire d'Etat au Trésor n'a par ailleurs pas caché son inquiétude face à la nouvelle concentration de l'industrie financière ou au déclin continu de l'immobilier. Tout cela milite selon lui en faveur de la poursuite de la feuille de route mise en oeuvre par Timothy Geithner combinant auto-régulation et réglementation, en s'attachant d'abord à clarifier et à simplifier le système.

L'intervention restera pourtant marquée de ce défaussement sur la crise. "It's not my fault", conclut en substance Paulson, selon une attitude qui fait singulièrement écho au "responsable mais pas coupable" qui marqua en France, il y a une dizaine d'années, le débat sur l'affaire du sang contaminé et qui repose la question de la responsabilité inhérente aux charges publiques.

C'est en tout état de cause une thèse qui relativise les leçons de leadership de M. Paulson, à l'égard desquelles l'assistance aura été aussi peu dupe que complaisante. Entre la faillite de l'administration Bush et la reconstruction amorcée par l'administration Obama, le tournant du siècle n'a pas seulement représenté un épisode particulièrement agité de plus de la vie politique américaine : il a aussi été le creuset d'un nouveau modèle de leadership - plus volontaire, plus responsable, mais aussi plus humble.

 

20/11/2009

L'art de la jauge (4) Jogging ou basket ?

On l'aura compris, il n'y a pas de bons ni de mauvais patrons : il y en a rarement d'exécrables, il y en a plus souvent de très bons et puis - le monde de l'entreprise ne fait pas exception à la vie ordinaire -, il y entre les deux toute une combinaison possible de qualités et de défauts, de talents et de points faibles qui fait l'essentiel de l'affaire.

La façon dont on définit le défaut peut aussi déterminer une partie du talent. Les Anglo-Saxons l'ont bien compris qui parlent, non de points faibles, mais de "areas for improvement" (domaines d'amélioration). Managérialement correct ? Sans doute, mais c'est aussi psychologiquement juste. Il y a, de fait, une différence non négligeable entre un responsable qui vit sur ses acquis et un autre qui cherche à progresser.

Nombre d'entre eux se sont d'ailleurs engagés dans les démarches dites "360 degrés" qui permettent de s'évaluer à travers les perceptions de son entourage professionnel - pairs et collaborateurs. Le talent du chef, ce n'est pas de savoir tout faire, c'est de savoir s'entourer de compétences complémentaires et de mettre l'attelage au travail et la partition en musique pour aboutir à un résultat aussi efficace (et, ajouterait le communiquant : audible) que possible.

Pour le collaborateur, cette différence entre le chef qui sait tout et celui qui apprend encore n'est pas seulement de principe : elle est aussi de dynamique dans la mesure où elle transmet, au-delà des savoirs, une attitude en mouvement. Le point d'arrivée, ce n'est pas l'aboutissement du projet en cours, le prochain entretien d'évaluation ou la promotion qui suit : c'est l'apprentissage continu du mouvement et, plus encore, de la transformation à l'oeuvre.

Il y a à cela une nuance et une conséquence.

La nuance, c'est que le progrès continu n'est pas la remise en cause permanente. Il y a un temps pour s'arrêter et remettre les choses à plat, un temps pour avancer et les remettre en perspective. Il n'y a rien de plus vain et inefficace à cet égard que de multiplier les réflexions et les plans, qui commencent en fanfare et finissent sur la comète. Leur addition confuse signale seulement la faiblesse de départ ou, diraient les Chinois, son insuffisante plasticité. Le bon patron n'est ni un intellectuel ni un psychologue : c'est un homme d'action dont les équipes attendent (sauf peut-être en Suède où il faut débattre de tout, y compris des orientations du chef) qu'il dirige l'organisation, c'est-à-dire oriente, rassemble, arbitre, aide et évalue.

La conséquence, c'est que le collaborateur doit se mettre lui-même en position de progresser au premier chef, non seulement pour lui-même, mais aussi parce que, s'il devient bon dans son domaine - ce qui, même avec du talent, prend toujours un peu de temps -, il peut aussi contribuer à faire progresser son responsable. Selon les personnalités et les contextes culturels, c'est plus ou moins difficile. Mais c'est faisable, et cela fait même une ambition honnête.

Si bien que le vrai sujet, ce n'est pas plus le chef que le collaborateur - et d'autant moins qu'on est le plus souvent à la fois collaborateur de l'un et chef d'un autre : c'est la capacité de l'un et de l'autre à faire d'une diversité de talents et de défauts une entité plus intelligente et efficace ensemble que ne le sont chacun de ses éléments séparément - en un mot, de faire équipe. On a tort à cet égard de faire du sport une pure hygiène individuelle : c'est une oeuvre sociale. Obama ne fait pas du jogging, il joue au basket.

 

09/11/2008

Leadership, organisation, résultats (l'analyse inachevée de Brent Colburn sur la victoire d'Obama)

"Why did we win or why did we lose?" s'intitulait le programme, fixé avant le résultat de l'élection, de cette rencontre informelle avec Brent Colburn, conseiller pour la campagne d'Obama en Virginie. Après quarante ans d'un soutien constant apporté au camp républicain, "l'Etat du Sud le plus au Nord" s'est tranformé en Etat du Nord le plus sudiste: la Virginie a en effet voté le 4 novembre à 50,9% en faveur de Barack Obama. Une meilleure anticipation, des QG plus nombreux et une meilleure compréhension par le camp démocrate des mouvements démographiques (rajeunissement de la population, afflux d'immigrants en provenance d'Asie et d'Amérique du Sud, souvent d'opinion plus libérale) à l'oeuvre dans cet Etat ont fait in fine la différence.

De fait, Colburn insiste beaucoup dans son analyse sur le facteur organisation et, en particulier, le lien qu'a su établir l'équipe Obama entre cette organisation de terrain et internet. Côté terrain, cela a permis notamment de faire progresser de façon décisive l'inscription sur les listes électorales ("registration vote"), un facteur clé lorsque l'on sait que le taux de participation aux élections aux Etats-Unis est traditionnellement faible, en particulier au sein des minorités et parmi les jeunes électeurs. Côté internet et, plus largement, nouvelles technologies, un succès remarquable a résidé dans la capacité à faire coller la collecte de fond au tempo de l'actualité.

"Organisation, technologie, organisation !" répètent donc à l'envi les commentateurs. Aussi puissante pourtant qu'ait été l'organisation démocrate, on ne peut s'empêcher de penser que ce qui a fait son succès s'explique mieux au travers d'une trilogie plus vaste qui permet de mieux saisir l'efficacité sous le nombre et la dynamique au-delà des forces en présence.

L'organisation, dans ce cas, n'est en effet pas possible sans l'inspiration qui permet de lancer la dynamique. Obama n'a pas commencé avec des bataillons de supporters et des millions de dollars en Iowa, mais avec une vraie stratégie et une bande de types convaincus qu'un succès dans ce premier caucus pouvait ouvrir une percée et mener sur le voie du fameux "momentum". Et c'est en quoi Marc Penn, CEO de Burson-Marsteller et ex-conseiller de Bill puis d'Hillary Clinton, se trompe lorsqu'il n'aborde la question du vote jeune qu'au travers d'une analyse purement quantitative, en rappelant que Bill Clinton avait obtenu les voix d'autant de jeunes gens qu'Obama (soit 63% de leurs suffrages).

Match nul aux points, soit. Mais à l'engagement, à l'énergie, à la mobilisation, au combat, qui fait passer du militantisme ordinaire à la société agissante à travers la responsabilisation et l'autonomisation ("empowerment") des gens - bref, qui fait changer simultanément de siècle et de planète ?

Donc, sans la capacité essentielle du leader à inspirer, et à inspirer puissamment, pas d'organisation - pas d'organisation à ce point engagée et sur-performante. L'autre élément de la trilogie, c'est d'ailleurs la focalisation sur le résultat, ou plutôt le lien affirmé entre l'action et le résultat - un lien puissant parce qu'il permet au plus modeste des acteurs de vérifier concrètement la capacité de l'idéal - "changer le monde", la conclusion du dernier discours électoral d'Obama - à s'incarner dans la réalité.

Un exemple ? Lorsque la convention républicaine a cherché, juste après Denver, à annuler le succès rencontré par la convention démocrate, un mailing personnel de David Plouffe, le directeur de la campagne d'Obama, sur le thème : "Eh les gars, je suis devant mon écran, vous voyez ce que je vois, les Républicains essaient de détruire ce que nous essayons de bâtir, il faut vraiment amplifier notre mobilisation pour les contrer" a permis, rien que dans la nuit qui a suivi, de recueillir dix millions de dollars (soit, de mémoire, pour donner un ordre de grandeur, la moitié environ des dépenses qu'ont engagé à eux deux Sarkozy et Royal en 2007 pendant plusieurs mois de campagne) et, au total, 660 millions de dollars dont 88% avec internet.

Ce qui permet de saisir l'ampleur du succès de la machine Obama, ce n'est donc pas l'organisation en elle-même, mais une trilogie inspiration-organisation-concrétisation, ou pour dire les choses autrement, leadership-organisation-résultat essentielle pour renouveler notre approche des dynamiques de changement.

15/04/2008

Un leader, où ça ? ("Celui qui nous guidera le long de la route que nous avons oublié de suivre depuis si longtemps")

Ce n'est pas ici, on le sait, que l'on trouvera une opposition tranchée entre le monde de l'entreprise et celui de la politique. Certes, ce que l'on gagne ici avec peine, on le dépense souvent là sans compter. Mais après ? Qui croit encore que l'on peut, non certes intéresser, mais mobiliser avec des agrégats financiers ou diriger à base de création de valeur ?

Ce n'est pas non plus ici que l'on fera l'économie d'une pensée du leadership, comme si les organisations ou les processus pouvaient suffire. L'époque récente, de ce point de vue, n'a guère été faste chez nous, mais elle nous a tout de même donné quelques exemples fracassants. Il y a eu Carlos Ghosn, en train de préparer sa confirmation alors que l'appel de la foi l'a cédé au sens, plus ardu, de l'observation. Et puis il y a, bien sûr, l'émergence du sarkozysme, ses débuts tonitruants et sa mutation difficile.

Et si l'Amérique nous donnait de nouveau à penser là-dessus, sur ce qu'un lecteur de la presse américaine résumait de cette formule fleurie : "celui qui nous guidera sur la route que nous avons oublié de suivre depuis si longtemps" ? Et qui croit sérieusement que l'entreprise, elle aussi, après les excès financiers et l'impéritie environnementale du dernier quart de siècle, pourrait en faire l'économie ? Rendez-vous sur New word, new deal (rubrique "de la démocratie vue d'Amérique") ou sur Nonfiction (rubrique "actualité des idées") pour y réfléchir ensemble.

26/03/2008

L'humour paie (petites plaisanteries entre voisins de bureau)

Bout-en-train confirmé avec plusieurs années d'expériences et quelques canulars réputés à votre actif, vous peinez pourtant à trouver votre place dans l'entreprise ? Ne désespérez donc pas. Tandis que, pour beaucoup, le travail reste l'antithèse du plaisir et de la bonne humeur, une étude récente de Adrian Gostick et Scott Christopher, Why It Pays to Lighten Up, établit au contraire un lien entre performance et bonne humeur. Rire prédispose à l'écoute affirment les auteurs. Mieux : une étude réalisée auprès de 737 directeurs généraux de grandes compagnies américaines montre que 98% d'entre eux recruteraient plus volontiers une personne ayant le sens de l'humour plutôt qu'une autre qui en serait dépourvue. L'étude montre, de surcroît, que prendre plaisir à son travail dans une atmosphère détendue est un facteur qui renforce la loyauté des salariés.

S'appuyant sur un sondage Ipsos, les auteurs montrent même que les collaborateurs d'un manager dont le sens de l'humour est jugé au-dessus de la moyenne ont 90% de chance de rester dans leur emploi plus d'un an (on est aux Etats-Unis...), tandis que ce taux passe à 77% avec un manager dont le sens de l'humour est jugé égal ou inférieur à la moyenne. Plus encore : une étude complémentaire de la Harvard Business Review montre que les dirigeants ayant le sens de l'humour gravissent plus vite les échelons que leurs pairs ; ils gagneraient aussi davantage. Quant aux autres avantages, ils sont connus : le rire est bon pour la santé, il améliore en particulier la circulation sanguine, de 22% quantifie une étude de l'Université du Maryland.

Mais que faire alors quand on n'est guère plus drôle que la moyenne ? Pas de panique, rétorquent les auteurs. En fait, il s'agit moins d'être drôle à proprement parler que de savoir faire preuve, de temps à autre, d'un peu de manque de sérieux, d'une certaine légèreté. Une aptitude que les grands leaders maîtriseraient mieux que les autres. Nombre de compagnies américaines se sont d'ailleurs efforcées, ces dernières années, d'améliorer l'ambiance sur le lieu de travail. Tournois de football chez Bain & Company, déplacements en scooter sur le campus de Lego American, parties de hockey, tournois de scrabble ou séances de piano chez Google : les sociétés rivalisent d'imagination pour permettre à tous de se relaxer. Dans les cas les plus avancés, l'agence publicitaire Iris par exemple, une équipe, "the Smile Squad", est même en charge de l'ambiance et du bien-être pour les quelques 475 employés de l'agence. "La clé d'une entreprise prospère, souligne le fondateur, Stewart Shanley, c'est d'attirer les talents. Or, ce que l'on oublie un peu vite, c'est qu'il faut ensuite gérer et retenir ces talents". Et faire en sorte que les gens soient heureux, ce qui les rend à la fois plus loyaux et plus performants.

Pendant ce temps-là, beaucoup de patrons français continuent de réduire les espaces de bureau et à bloquer la création des espaces de détente. Mauvais pour la productivité. Que cela fonctionne encore dans quelques usines et pour les générations les plus âgées, c'est possible. Et encore. Pour les plus jeunes en revanche, l'affaire est entendue : comme l'a très bien établi le sociologue, professeur à HEC, Patrick Lemattre, pour les 20/30 ans (la "génération fun"), un manager triste, c'est pire que tout : pire, en tout état de cause, qu'un travail à l'intérêt mitigé ou qu'un salaire jugé insatisfaisant. Et cela donne bien plus envie de prendre les jambes à son cou que de retrousser ses manches. Pas de quoi rire, en effet.