Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/08/2007

Renouveau militant ou démocratie de marché ? (comment on gagne la bataille de l'opinion, 2)

On s'en souvient, l'élection de 2000 avait déjà été âprement disputée. Al Gore avait certes remporté une majorité de suffrages (51 millions contre 50,5 à George Bush), mais il arrivait derrière son concurrent en nombre de votes des grands électeurs (avec 267 voix contre 271 pour une majorité requise de 270) - une situation rare, qui ne s'était d'ailleurs produite qu'à trois reprises par le passé. S'en suivirent plusieurs semaines de bataille juridico-politique, focalisée sur l'Etat de Floride. Dans un premier temps, ce fut Al Gore qui fut déclaré élu. Mais ce fut finalement Bush qui remporta le scrutin suite à un ultime arbitrage de la Cour suprême. Chacun attendait donc des élections de 2004 qu'elles apportent un résultat clair et incontestable.

L'élection présidentielle aux Etats-Unis se joue traditionnellement sur l'économie. En 2004 s'y ajouta cependant, pour la première fois depuis la guerre du Vietnam, un enjeu fort de politique étrangère lié à la guerre en Irak. Côté démocrate, c'est Kerry qui remporta l'investiture, contre les candidatures de John Edwards et de Howard Dean. L'équipe de Dean, et notamment son directeur de campagne Joe Trippi, fut d'ailleurs la première au monde à introduire les blogs dans le domaine de la politique ; en France, l'idée sera reprise par la suite par Strauss-Kahn, Copé et Santini.

La candidature de Kerry n'était pas sans points faibles. Le sénateur du Massachusetts apparaissait comme un homme élitiste, doté d'une image intellectuelle et un peu snob (parler français n'arrangeait alors guère les choses), manquant de charisme et d'énergie. L'équipe Bush eut aussi tôt fait d'exploiter l'historique de ses votes en les faisant apparaître comme contradictoires, notamment en mettant en perspective son engagement passé aux côtés des Vétérans du Vietnam dans le contexte de l'après 11 septembre. Face à lui, Bush bénéficiait déjà d'une notoriété établie, ainsi que de l'image d'un Texan proche du peuple - bel exploit pour le fils du président - qui lui assurait un indéniable capital de sympathie, alors même que Bush était également originaire du Nord-Est, où il fit ses études dans des universités parmi les plus prestigieuses des Etats-Unis, Harvard et Yale.

Première tâche des candidats : monter une équipe capable d'animer et de coordonner la campagne pendant de longs mois d'affrontement. Aux Etats-Unis, ce type d'organisation fonctionne comme une véritable entreprise avec ses experts, ses managers, ses budgets, ses ressources humaines, ses relais, etc. Or, tandis que les Républicains mettaient rapidement sur pied un véritable bulldozer bâti autour d'une douzaine de spécialistes chevronnés, l'équipe démocrate pêcha par une certaine incompétence stratégique dans ce domaine, qu'elle finit par payer très cher.

Dautant plus que Kerry était parti à la bataille les premiers mois sans conseiller politique tandis qu'en face Rove était déjà installé auprès de Bush Jr comme un homme clé, reconnu de longue date comme un spécialiste des "dirty tricks" (sales tours) grâce auxquels il était réputé pouvoir ruiner la campagne de concurrents en un éclair (par exemple en invitant des SDF auxquels étaient promis filles et boissons sur cartons du parti démocrate à une convention de campagne du candidat de l'Illinois...). Rove fut en particulier, avec Terry McAuliffe côté démocrate, le pionnier du management de l'e-marketing au service de la politique ; il fut aussi à l'origine de la notion de "compassionate conservatism" qui joua un rôle si important dans la victoire de Bush en 2000, un peu comme le thème de la "fracture sociale" assura à Jacques Chirac le succès de communication politique que l'on sait en 1995.

Finalement, quand Kerry se décida à muscler son équipe autour notamment de Wolfson, Carville et Begala, il était bien trop tard : cela ne parvint pas à modifier le positionnement d'une équipe démocrate plus prompte à réagir qu'à prendre l'initiative. Il faut dire quà l'instar de ce que fut la gauche plurielle en France sous Jospin, le parti démocrate apparait comme une machine emmenée par des leaders concurrents et animée de positionnements différents, parfois contradictoires.

Côté soutiens - capitaux aux Etats-Unis pour le fundraising -, pas de surprises. Bush était essentiellement soutenu par le business (Bloomberg, Dell, Gates... et 122 des 277 milliardaires que comptaient alors le pays), les grandes banques d'affaires et cabinets de conseil, tandis que Kerry bénéficiait du soutien d'Hollywood et des milieux intellectuels, universitaires et médiatiques. Des associations de soutien ad hoc telles que MoveOn.org ou The Media Fund, jouèrent aussi un rôle stratégique dans la campagne démocrate en démultipliant notamment la couverture publicitaire de Kerry.

Au total, ce sont bien de nouvelles formes politiques qui ont alors été mises au point ou affinées et qui, si l'on en croit Pierre Rosanvallon, tournent autour de trois éléments clés : une logique de réseau qui permet de conjuguer citoyenneté et individualisme ; une certaine redéfinition de l'espace publique s'appuyant sur la prise de parole "désintermédiée" rendue possible par internet ; enfin, une organisation en véritable entreprise de communication politique, dans laquelle la capacité à mobiliser des fonds considérables joue un rôle clé.

Et le politologue de s'interroger : assiste-t-on alors à un renouveau militant ou à l'essor d'une démocratie de marché ? Au cours de la campagne présidentielle française de 2007, la promotion du thème de la démocratie participative d'un côté, et le développement de l'e-marketing de l'autre ont beaucoup fait pour attirer l'attention sur le renouvellement des formes d'expression citoyennes. Elles en auraient presque fait oublier la transformation autrement plus décisive de la traditionnelle bataille politique en véritable entreprise de conquête du pouvoir.

14/08/2007

Gourous, marketing et politique (comment on gagne la bataille de l'opinion, 1)

C'est annoncé : celui qui a été l'artisan incontesté de la réélection en 2004 de George Bush, pourtant en très mauvaise posture sur la scène politique intérieure, Karl Rove, quitte la Maison Blanche, aussi vénéré par les uns que détesté par les autres. L'occasion de revenir sur la bataille politique de 2004 dont les observateurs s'accordent à penser qu'elle a réuni les ingrédients désormais essentiels de la conquête du pouvoir - et qui, dans une large mesure, a servi de modèle pour la campagne présidentielle française de 2006-2007. Cela porte un nom : le marketing politique, devenu le nerf de la guerre non seulement des affrontements électoraux, mais aussi de toute grande bataille d'opinion. Modèle ? Peut-être pas. Référence obligée, sans aucun doute, dont les derniers développements aux Etats-Unis ont été judicieusement éclairés par Marie Lora (Marketing politique, mode d'emploi).

On n'aime guère le terme de "marketing politique" en France où on lui préfère l'expression plus pudique de "communication politique". "Ce que nous faisons, disait ainsi Jean-François Copé, c'est plus un travail sur le discours - comment être plus pédagogiques, comment mettre en valeur nos idées pour que les électeurs les comprennent mieux". A l'arrivée, il s'agit bien dans les deux cas de comprendre les besoins du consommateur, ou de l'électeur, puis de développer un produit, ou un programme associé à une personnalité, qui répond à ces besoins. Et cela "même s'il est plus facile de créer artificiellement un désir chez le consommateur que de susciter un véritable intérêt chez l'électeur ou le militant" (J-P. Lassale).

Il y a peu de scrupules, inversement, aux Etats-Unis à appliquer les lois et les techniques du marché à d'autres domaines que ceux de l'économie. Depuis les années 50, toutes les techniques du marketing ont ainsi été appliquées à la politique et font, sans urprise, aujourd'hui une place de plus en plus stratégique à internet. L'utilisation des techniques du relationship marketing (marketing relationnel), que ce soit sous la forme de emailings, de pop-ups ou de blogs, est en particulier très prisée et d'abord, aux Etats-Unis, pour la collecte des fonds (fundraising) destinés à permettre aux candidats de faire campagne.

Tels sont aujourd'hui les nouveaux gourous de la politique : des experts des nouvelles technologies, les spin doctors du web - des personnalités telles que James Carville et Paul Begala, anciens conseillers de Clinton, ou Karl Rove, référence incontestée du camp républicain. Une expertise qui s'enrichit généralement aussi de connaissances très pointues et d'une pratique éprouvée du terrain. Rove est par exemple célèbre pour sa mémoire de toutes les données démographiques des élections-clés depuis un siècle ; on lui a d'ailleurs prêté à plusieurs reprises le statut de "cerveau de Bush".

Un oeil sur les sondages, et quelques fondamentaux socio-psychologiques en tête, soit aux Etats-Unis la trilogie : optimisme, patriotisme et attachement à la famille - à charge pour le consultant de faire en sorte que son candidat incarne le mieux ces valeurs. Voilà qui relativise les débats d'idées si chers à notre pays au profit d'une reconnaissance pragmatique du pouvoir de l'image.

17/07/2007

Des échanges pas si libres sur le libre-échange

C'est Alan S. Blinder, professeur à Princeton et ancien Vice-président de la FED, qui a mis les pieds dans le plat. Selon lui, entre 30 et 40 millions d'Américains pourraient perdre leur job au profit de travailleurs moins chers du fait du jeu naturel de l'économie de marché. Et d'émettre quelques doutes dans la foulée sur les bénéfices de la liberté du commerce - position toujours délicate à assumer dans la patrie du libre-échange.

"Il y a trop d'idéologie dans tout cela" soupire, dans une interview récente au New York Times, Blinder, qui étend le débat au salaire minimu ou à la politique industrielle, quitte à s'attirer les foudres du courant, prépondérant dans les institutions et les universités, des économistes libéraux. " On perd sa qualité d'économiste reconnu si l'on ne dit pas que toute forme de régulation est néfaste et que le libre-échange est bon à tout coup" renchérit David Card, économiste à Berkeley.

La plupart des économistes américains se rallient en effet au modèle néo-classique, dont le temple reste l'Université de Chicago - la ville dans laquelle vient de se créer le Chicago Mercantile Exchange Group, la plus grande bourse du monde, et où Milton Friedman publia les thèses qui inspirèrent la révolution néo-libérale des Reaganomics. Son président, Phillip J. Reny, insiste sur l'importance des preuves factuelles mises en évidence par l'analyse scientifique des données, réputée éviter tout biais personnel.

Les grands sujets lancés par les candidats à l'élection présidentielle - inégalités de revenus, mérites respectifs du protectionnisme et du libre-échange - ont cependant pour effet d'élargir le nombre des personnalités qui s'invitent au débat. Ainsi des contributions récentes de Lawrence H. Summers, ou du prix Nobel George A. Akerlof mettant en évidence ce que les auteurs considèrent comme les défauts du laissez-faire.

Le consensus, qui prévalait sur ces sujets dans le pays depuis trente ans, est en train de se fissurer sous l'effet de l'accroissement des inégalités de revenus et des bouleversements introduits par la globalisation et la révolution des technologies de la communication. Se trouve de même mises en cause les limites de la comptabilité classique dans la mesure des inégalités ou des dommages à l'environnement. Pour tout un courant d'économistes, c'est la réalité elle-même qui conduit à réinterroger quelques unes des hypothèses fondamentales du libéralisme économique.

Pour Frédéric S. Lee par exemple, qui édite une newsletter rassemblant les écrits de tous les économistes américains "hétérodoxes" (soient 5 à 10 % des économistes que compte le pays), ce qui détermine le prix de l'essence, ce n'est pas le jeu du marché, mais la politique des compagnies pétrolières. De même, les travaux de Card et Krueger sur les effets - favorables à l'emploi - du salaire minimum dans le New Jersey n'ont pas été sans susciter quelque émoi.

Pour Alan Blinder, il faut s'intéresser davantage au monde réel plutôt que modéliser dans les laboratoires. Selon lui, "l'économie n'est pas suffisamment scientifique. Les mathématiques sont utiles, mais elles ne sont pas scientifiques parce qu'elles ne génèrent pas d'hypothèses réfutables".

Une chasse aux sorcières (hétérodoxes) se serait-elle donc installée au sein des milieux universitaires ? Sans aller jusque là, la lutte est certes âpre avec le courant dominant, implacable dès lors qu'il s'agit de truster les revues et d'obtenir les subventions.

Mais le problème pourrait être de nature plus culturelle : beaucoup d'économistes, qui admettent que d'autres hypothèses puissent être formulées dès lors qu'elles respectent les règles de l'art, craignent en effet qu'en émettant quelques doutes sur les fondamentaux parmi les cercles autorisés, cela ne finisse par faire boule-de-neige à l'extérieur. Et ne donne, finalement, des munitions aux ennemis du libre-échange, qualifiés de "barbares". A moins que, comme le souligne Rodrick pour encourager le libre-débat, il n'y ait, sur tout sujet, des barbares au sein de chaque camp.

Voilà en tout cas un débat qui montre que les questions qui travaillent périodiquement les Européens - et, singulièrement les Français -, reprennent également vigueur Outre-Atlantique, et ne sont pas sans légimité dès lors qu'elles privilégient les faits en évitant les dogmes. Ce sont aussi, au-delà des cercles académiques, des thèmes suivis de très près, de part et d'autre de l'Atlantique, par les champions nationaux qui, de l'aéronautique à l'agro-alimentaire et des nouvelles technologies à l'industrie du luxe, entendent bien faire entendre leur voix dans le concert des notions.

15/07/2007

Des idées pour demain (Montaigne fait son show)

"La France vient d'élire un nouveau chef de l'Etat qui, pendant 5 ans au moins, dirigera notre pays. Ce quinquennat doit être celui de l'action. Depuis plusieurs mois, il souffle dans notre pays un profond désir de changement, inédit dans la période récente. Cette aspiration est propice à une vraie modernisation de la France" lance l'Institut Montaigne en avant-propos du Vademecum 2007-2012 qu'il vient de rendre public sous le titre : "Moderniser la France".

Contrairement à la situation qui prévaut aux Etats-Unis, qui les voit jouer un rôle souvent puissant et actif - voir la vénérable Hoover Institution, proche du Parti républicain -, les think tanks français sont généralement plus modestes et discrets. Prenant le contrepied de cette situation, l'Institut, fondé en 2000 par Claude Bébéar, descend résolument dans l'arène politique au nom de la société civile.

Un positionnement non partisan, créatif et libre que lui assure un système de financement dans lequel aucune contribution n'excède 2,5 % du budget et qu'encourage une approche plurielle associant chefs d'entreprise, cadres, hauts fonctionnaires et universitaires notamment au sein de nombreux groupes de travail et de publications variées.

En 130 pages denses, Montaigne rend ainsi publics les travaux de sept années d'une recherche à la fois rigoureuse et pragmatique autour de trois thèmes fondamentaux : la cohésion sociale, la modernisation de la sphère publique, la stratégie économique et européenne. Lever les obstacles qui empêchent les PME de grandir, améliorer l'aide aux demandeurs d'emploi par une meilleure synergie des acteurs concernés, réduire la frontière entre secteurs public et privé, muscler les universités et la recherche, améliorer les politiques de ressources humaines de la fonction publique - un rapport présidé par Yves Rambaud a fait sur ce sujet quelques propositions judicieuses (Montaigne, Novembre 2005) -, ou encore remettre le Parlement au coeur du jeu institutionnel et simplifier le fonctionnement de la justice - telles sont quelques unes des pistes explorées, de façon pragmatique, par les groupes de travail.

Pour les dirigeants de l'Institut, s'aventurer sur les chemins de la réforme passe, au fond, dans notre pays par trois conditions centrales : en finir d'abord avec la tradition monarchique qui a trop longtemps en France marqué l'exercice du pouvoir ; mais aussi changer de regard et de discours sur l'Etat et ceux qui le servent en ayant bien conscience qu'aucune réforme d'ampleur ne pourra se faire sans l'adhésion et l'intéressement des acteurs concernés ; changer enfin notre approche de la compétitivité en libérant le potentiel productif du pays et en abordant différemment la mondialisation dans une approche à la fois offensive et équitable.

Pour valoriser cette boîté à idées, le laboratoire d'idées de la rue Mermoz a engagé une politique de communication ambitieuse. Outre l'habitude de présenter sous forme très synthétique ses propositions aux décideurs publics à l'occasion de chaque publication, l'Institut a enrichi son site internet d'un blog, et accompagné la publication de son Vademecum d'un cd-rom qui reprend les videos réalisées au cours de la campagne présidentielle (et diffusées avant le 20h00) sur le thème : "Des idées pour demain", autour du slogan : "C'est possible, alors faisons-le !".

Au total, un ensemble de propositions et de supports cohérent, créatif et percutant qui vient apporter, au-delà des limites et des censures du jeu politique traditionnel, un potentiel remarquable de renouvellement des pratiques françaises dans une approche concrète et responsable. S'il n'était pour Montaigne "de désir plus naturel que le désir de connaissance", il n'est, pour l'Institut de volonté plus ardente que celle de réformer.