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20/06/2007

Danger immédiat (Harrison Ford, une praxis de la catastrophe)

Que faire face à l'imprévu ? Et comment agir quand les circonstances sont si défavorables que le combat semble perdu ? Un trait remarquable des approches managériales de la crise est qu'elles font généralement l'impasse sur les facteurs psychologiques. La culture du process et la finesse stratégique y gagnent, du coup, ce que l'analyse perd en réalisme.

Explosion, conflit, agression, accident, pollution... La première conséquence d'une crise, ce n'est pas l'évaluation des dégâts, la mise en oeuvre des moyens d'urgence ou l'impact sur l'opinion : c'est la peur. Naturellement rare au plan managérial sous la forme de la peur-panique, celle-ci prend bien des visages différents - appréhension, excitation, colère, mise en cause, stress, etc - qui, tous, traduisent une exposition personnelle à la menace ou au danger.

Si cette dimension paralysante de la crise est peu traitée, c'est sans doute que l'on part du principe que cette maîtrise personnelle est, à un certain niveau de responsabilité, considérée comme acquise par expérience, sinon par formation (la formation, au sens classique de ce terme, n'étant pourtant, de ce point de vue, que d'un faible secours face au surgissement d'une crise).

Il n'en est pourtant rien. Il est certes aisé, dans ces circonstances, de masquer cette appréhension sous toute une gamme de réflexes tirés du premier manuel d'intervention venu. Mais, au-delà de la nécessité de circonscrire le danger, la question est bien de faire face personnellement à la situation.

Qu'on choisisse de jouer le jeu ou de ne faire aucun commentaire, les médias le rappellent au demeurant avec force à tout responsable qui l'ignorerait encore : loin de s'appréhender d'abord comme un ensemble de process et de discours, la crise se vit, à son origine, comme une mise en cause personnelle.

On y est simultanément saisi par les événements, projeté dans la situation et exposé à leurs conséquences. Encore convient-il pour cela, au-delà des automatismes, de rester en mesure de réfléchir et capable d'agir.

Dans le scénario catastrophe de la crise, prenons un peu de champ et autorisons-nous un détour : n'est-ce pas ce modèle que donne à voir Harrison Ford avec constance dans quelques uns de ses rôles majeurs ?

Ce qui importe ici, ce n'est pas tant la figure contemporaine du héros d'aventure en soi, qu'Indiana Jones a tant popularisée. S'il en va certes autrement de James Marshall, le président de Air Force One, après tout, Richard Kimble (Le fugitif) ou Jack Ryan (Jeux de guerre) s'apparentent plus à des types ordinaires qu'à des héros programmés.

Comme dans la structure du conte mise en évidence par Walter Propp, il ne le devient progressivement qu'à mesure qu'il surmonte les épreuves qui lui sont imposées. Et cette trajectoire permet de faire coïncider in fine un combat personnel et un résultat juste, selon un paradigme culturel que ne cesse d'ailleurs de rejouer le cinéma hollywoodien autour de deux idées de base : on a raison de se battre fût-ce dans la plus grande adversité, et il est toujours possible de rétablir la justice quand les institutions font défaut.

Et alors, objectera-t-on à juste titre, la crise n'exige-t-elle pas davantage d'efficacité collective que d'héroïsme individuel ? Sauf le cas du sauveur dans des circonstances exceptionnelles, la figure du héros y serait même déplacée dans la mesure où elle passe par une exposition volontaire au risque qui va précisément à l'encontre de ce que s'efforce de circonscrire l'entreprise.

Et si tout était dans la manière ? Ce qu'il y a de remarquable chez Marshall, Kimble ou Ryan, c'est que, brutalement projetés dans une situation menaçante, ils ne cessent de réfléchir. Dans la poursuite, l'attaque ou la menace, Harrison n'est pas davantage paralysé par la peur que guidé par des automatismes - que son statut d'homme ordinaire lui rend, au demeurant, étrangers.

Ce qu'il donne à voir, c'est la capacité, à tout instant, de mobiliser une intelligence en mouvement, à l'affût de tout ce qui peut constituer une ressource, une brèche, un recours, voire une issue dans les cas les plus désespérés - et cela en dépit d'une tension omniprésente, simultanément vécue avec empathie et sang-froid. Côté pile, Harrison cherche à convaincre ; côté face, il prépare une alternative.

Mieux : ce que révèle plus encore l'archétype du héros fordien, c'est une dialectique serrée entre la réflexion et l'action, une sorte de praxis de la catastrophe, une aptitude à dérouler la réflexion lorsque les circonstances semblent adverses ou paralysantes jouant, de surcroît, avec un ou deux coups d'avance sur l'adversaire.

Ainsi la visée stratégique s'accompagne-t-elle toujours d'une remarquable plasticité tactique, fût-ce au prix de détours imprévus utilisés ici comme autant de ressources potentielles.

Voilà, en somme, un portrait du manager en héros ordinaire. Stanford ou Hollywood ? Pour le prochain séminaire de gestion de crise sur la côte Ouest, il faudra bien choisir. Mais, pour une fois, la première option ne sera pas la moins accessible.

18/06/2007

"Great job !" (ça va mieux en le disant sobrement)

S'il est une singularité remarquable de la culture américaine, c'est bien la pratique de l'emphase, cette tendance permanente à tout qualifier de façon exagérément positive. Au-delà des techniques ordinaires d'une publicité omniprésente, cette tendance spontanée à l'hyperbole contamine l'ensemble des relations sociales, et notamment le domaine des affaires.

Que la publicité se l'autorise, passe encore. C'est là, après tout, une conséquence attendue de sa vocation à vanter produits et services, même si émerge, ça et là, un langage publicitaire différent, pratiquant volontiers l'autodérision, comme l'a montré récemment la campagne télévisée de l'assureur Geiko.

Cela devient plus problématique dans le monde de l'entreprise, non seulement pour les fonctions opérationnelles ou financières, mais aussi dans le domaine du marketing, des ventes, des ressources humaines ou des relations publiques, dans lesquels cette pratique peut se réveler tout autant contre-productive.

Cette caractéristique n'est pourtant pas sans effets bénéfiques. Elle constitue, dans les entreprises américaines, un levier ordinaire de reconnaissance du travail accompli et de motivation des individus. Un "great job !" opportunément prononcé viendra ainsi utilement ponctuer la suite des travaux et des jours, et relancer du même coup l'ardeur à la tâche de celui qui en est gratifié.

Cela ne va pourtant pas sans créer quelques difficultés. Dans une perspective interculturelle d'abord, cette pratique oblige de fait à un ajustement constant de la communication, et en particulier au décodage des appréciations qui sont formulées. Un compliment un peu moins appuyé pourra être ainsi interprété comme une opinion mitigée. Quant au silence, il signifiera, selon les circonstances, la réprobation... ou l'ennui.

Communiquer selon un tel système de référence n'en contraint pas moins à user soi-même peu ou prou de cette échelle de valeur, faute de quoi l'on sera perçu au pire comme critique, au mieux comme peu enthousiaste.

Au-delà des réglages interculturels, cette enflure du discours finit cependant par poser problème au sein de la culture américaine elle-même. C'est ainsi que, dans une tribune récente de Business First, John Heckers, coach et professeur de communication et d'éthique des affaires au Magellan Center de Denver (Colorado), encourage ces compatriotes à plus de mesure dans l'usage des superlatifs.

Et d'en profiter pour rappeler deux ou trois règles élémentaires : faire court, direct et simple - ce qui, de surcroît, favorise la mémorisation lorsqu'il s'agit de discours -, limiter l'usage des adjectifs et des adverbes et choisir ceux que l'on utilise avec soin, et n'user qu'avec modération et sobriété des compliments comme des mots de reconnaissance.

Quant à l'auto-célébration, elle est épinglée dans des excès qui, au lieu de susciter l'adhésion, conduisent au scepticisme et à la défiance - soit le contraire d'un contexte favorable au développement des affaires. S'il est parfois utile, écrit Heckers, d'utiliser son klaxon, il n'est pas utile de faire sonner les cuivres avec assuidité.

En un mot, l'art de la communication ne se réduit pas plus aux ficelles grossières des vendeurs de voitures d'occasion qu'au style médiatique des grands patrons flamboyants, dont la réussite est parfois éphémère et la chute souvent rude, comme l'ont montré ces dernières années quelques exemples retentissants de part et d'autre de l'Atlantique.

Cultivez une parole juste, nous dit en substance John Heckers, et votre carrière continuera à prospérer... tandis que les beaux parleurs ressasseront leur rhétorique de camelot derrière les barreaux.

La mise au point en elle-même dit certes combien de chemin il reste à parcourir sur ce plan dans un modèle de communication qui reste autant influencé par l'exagération publicitaire qu'obnubilé par les apparences de la paix sociale.

L'évocation des barreaux n'est pourtant pas là par hasard : comme souvent aux Etats-Unis, ce que la culture peine à corriger, le droit pourrait le prendre en charge en s'appuyant sur une conscience, pour le coup très aiguë, des risques associés aux proclamations intempestives.

16/06/2007

Changer, pour quoi faire ? Le marketing interne contre la vengeance démocratique

Rien de plus éloigné, en apparence, que les fonctions marketing et ressources humaines au sein de l'entreprise. Par quel miracle pourtant pourrait-on se dispenser d'une connaissance fine des attentes internes au moment de lancer des changements d'ampleur quand celles du consommateur font l'objet de toutes les attentions à l'heure du lancement de nouveaux produits ?

Si la règle n°1 du marketing est de connaître son client, force est de constater que peu de temps et d'énergie sont investis dans cette connaissance fine des cibles d'un projet de changement. A quoi bon ? Il suffirait ainsi de s'en remettre à la précarité du contrat de travail aux Etats-Unis ou à l'exercice imposé de la concertation sociale en France pour satisfaire à ses obligations en la matière, selon un minimalisme de moyens qui suffirait à établir la rationalité de ses buts.

Prenant ce parti, on mésestime pourtant la capacité de résistance, explicite ou implicite, du corps social de l'entreprise. Qui n'a expérimenté cette sorte de vengeance démocratique ? Une telle résistance peut vite se charger de transformer un projet conquérant en piteux échec. Si les équipes n'achètent pas le projet parce que celui-ci ne leur donne aucune raison de le faire, comment, hors les cas-limites de licenciements massifs ou de fermetures de sites, espérer réaliser les gains affichés ?

Autre règle d'or du marketing : segmenter la clientèle en cibles spécifiques parce que les groupes différents ont des besoins différents et qu'une approche uniforme échouerait à tirer tout le parti possible d'un nouveau produit à travers des déclinaisons adaptées. Il en va de même des projets de changement : si un socle de référence commun est nécessaire pour donner sa cohérence voire son équité au projet, comment imaginer le vendre de la même manière à la diversité des groupes - de métiers, de statuts, de générations, de cultures, d'histoires - qui composent l'entreprise ?

Dans le cas d'une réforme d'ampleur dans un hôpital américain, Stacy Aaron, partner chez LLC, identifie ainsi ainsi une vingtaine de groupes susceptibles de faire l'objet de stratégies de communication distinctes - ce qui ne va pas sans la mise en place d'une véritable ingénierie sociale du changement.

Un autre précepte de l'approche marketing consiste à rechercher le moyen de satisfaire les besoins non encore satisfaits de ses clients. C'est là sans doute, au plan conceptuel, la part la plus délicate du management du changement. Comment en effet transformer des objectifs business en quelque chose qui, identifié comme un besoin par les employés, puisse du coup susciter engagement et attention de leur part ?

La configuration la plus favorable est certes donnée dans ce domaine par les cas de crise grave ou de problématique de survie : le point important n'est pas alors qu'elles ne laissent objectivement guère le choix - dans les cultures marquées par la faiblesse du compromis social et de la culture économique, cette situation peut toujours se trouver contestée au plan sinon des faits, du moins de l'idéologie, et mener à pire issue - mais qu'elles fournissent de puissantes justifications collectives, de raisons pour le corps social d'acheter le projet, et de s'y engager.

Après de nombreuses difficultés et divers tâtonnements stratégiques, la construction au Canada de la réforme publique s'est ainsi appuyée, ces dernières années, sur une dialectique citoyenne assimilant la croissance de l'endettement public à une perte effective de souveraineté ; le sujet, au départ financier, devenait une affaire d'Etat et, plus encore, un problème civique.

Cet exemple dit assez combien l'intérêt général de la collectivité, que celle-ci soit publique ou privée, doit être sollicité à l'origine de tout projet de changement, à charge d'être ensuite décliné plus finement auprès des différentes parties au projet. L'exigence sociologique le cède encore trop souvent sur le terrain du changement au sous-investissement intellectuel, au prix de fiascos retentissants ou de résultats médiocres. En irait-il autrement sur le terrain du marché ?