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29/05/2007

Most Admired Companies (la révolution verte est en marche)

Pour la vingt-cinquième année consécutive, Fortune vient de faire connaître son nouveau classement des vingt meilleures entreprises mondiales. Et ne rechigne guère, pour l'occasion, aux comparaisons épiques : "Comparé aux 13 milliards d'années qui se sont écoulées depuis le Big Bang, le dernier quart de siècle n'est rien, constate Anne Fisher, qui s'empresse cependant d'ajouter : mais ici, sur terre, à l'âge d'internet, nous pourrions bien assister à une révolution géologique comparable à en juger par les bouleversements apportés par ces deux dernières décennies".

Au coeur de ces ruptures, la révolution du développement durable intégré, de fait, à une vitesse remarquable dans le business modèle des compagnies les plus performantes, notamment les trois premières du classement : General Electric, Starbucks et Toyota.

La chaîne de coffee shops dirigée par Howard Schultz, qui s'inscrit depuis des années dans une logique de commerce équitable, se voit érigée en réussite emblématique de cette performance verte. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 1 000 dollars investis dans la compagnie en 1992 rapportaient fin 2006 près de 55 fois la mise, contre un peu plus de trois fois pour l'index Standard & Poor's. Et Schultz de mettre cependant en garde son management face à ce qu'il appelle une "banalisation de l'expérience Starbucks"

Toyota figure également au rang des réussites spectaculaires, en demeurant le leader reconnu de l'industrie automobile américaine sans discontinuer depuis cinq ans. La Prius a passé l'an dernier les 100 000 unités vendues et devient du même coup... le véhicule de référence d'Hollywood.

GE demeure cependant la référence américaine pour sa capacité d'adaptation inégalée. N'est-elle pas la seule des douze initialement retenues par Charles Dow en 1896 pour constituer le premier index boursier domestique ? Depuis Jack Welsh, et sous la direction aujourd'hui de Jeffrey Immelt, la major américaine n'a cessé de se réinventer.

Dernière réussite en date : la division infrastructures (aviation, énergie, rail, eau...) qui atteint aujourd'hui les 65 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel en s'appuyant - "ecomagination" oblige - sur un business vert qui, de l'aveu de John Rice, son président, existait à peine il y a encore cinq ans. Au prix d'un effort de R&D de l'ordre 700 millions de dollars, qui rivalise désormais avec les grands groupes pharmaceutiques.

Principal changement vécu par Rice depuis son entrée à 21 ans dans l'entreprise : une évolution remarquable du management supérieur vers une très grande accessibilité, obsédé par l'idée de casser tout tropisme bureaucratique, à l'affût de toutes les bonnes idées et encourageant l'apprentissage permanent. "We really are a team, résume Rice, qui ajoute : This is the ultimate team sport".

Faut-il être plus réservé sur l'évolution du business mondial vue par le leader américain ? Pas si sûr. Pour GE, la perspective est claire : "Le monde entier devient américain, ce qui signifie que, partout, les consommateurs veulent ce que les consommateurs américains ont toujours exigé : tout, tout de suite et au meilleur prix".

Mais la révolution en marche ne serait qu'un début si l'on en croit Ed Zore, président d'une Northwestern Mutual spécialisée depuis 150 dans les produits financiers, et qui figure sans discontinuer au classement de Fortune depuis les origines. "Dans vingt-cinq ans, prédit Zore, nous regarderons notre époque comme le lointain bon vieux temps". Un optimisme révolutionnaire qui résume à lui seul l'articulation à l'oeuvre dans la dynamique économique américaine, entre enjeux de société et innovation technologique.

Il n'est que de jeter un oeil au reste du classement (établi sur la base de votes de 1500 cadres dirigeants et analystes dans 26 pays à partir de 8 critères tels que l'innovation, le management, la performance financière, la qualité des produits et services ou encore la responsabilité sociale) qui retient 35 entreprises américaines sur les 50 premières et truste 80% des vingt-cinq premières places, pour s'en persuader.

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PS : Le top 20 s'établit cette année comme suit : 1) General Electric ; 2) Starbucks ; 3) Toyota Motor ; 4) Berkshire Hathaway (assurances, agro-alimentaire, textile...) ; 5) Southwest Airlines ; 6) FedEx ; 7) Apple ; 8) Google ; 9) Johnson & Johnson ; 10) Procter & Gamble ; 11) Goldman Sachs ; 12) Microsoft ; 13) Target (grande distribution) ; 14) 3M (matériel de bureau, électronique,...) ; 15) Nordstrom (grande distribution) ; 16) United Parcel Service (services postaux) ; 17) American Express ; 18) Costco Wholesale (commerce de gros) ; 19 ex-aequo : PepsiCo et Wal-Mart Stores (grande distribution).

15/05/2007

La puissance ou la grandeur ? Une perspective franco-américaine sur le changement

Dans son entreprise de déchiffrage en miroir des deux cultures et, plus encore, dans sa tentative de poser les bases d'une cohabitation fructueuse entre elles, Pascal Baudry esquisse une liste des points forts respectifs des cultures américaine et française - ce qui constituerait en quelque sorte leur "génie culturel" propre.

Côté américain, quels seraient ces points forts ?

Des objectifs peu dispersés et d'une grande constance, une orientation vers le futur et l'action, un intérêt marqué pour l'innovation considéré comme un process qui peut être managé, un optimisme foncier, une croyance dans les capacités de l'individu et une grande sûreté en soi ("a can-do attitude"), la capacité d'identifier et de nommer ce qui ne va pas sans tourner à l'attaque personnelle et de faire des changements abrupts s'il le faut, l'habitude de voir grand et de mettre le paquet sans aucune énergie perdue en lamentations stériles, une glorification du travail et une grande attention portée à la tâche, des relations non féodales, la recherche préférentielle du "win-win", la préférence donnée au dynamique sur le statique, un contraste fort entre récompense et punition, un système juridique fait pour fonctionner et constant, des valeurs claires et explicites, un accent mis sur "l'accountability", une idéologie qui pousse à l'effort, et un sens développé de l'intérêt national.

Et côté français, quels seraient ces atouts culturels ?

Une culture riche en contexte, la variété, le sens critique, la finesse, l'art de vivre, l'esthétique, la dimension historique, le sens des racines, la grandeur passée, la fidélité, la dimension affective, le capital intellectuel, la tradition scientifique, la créativité, le système D, une certaine forme d'adaptabilité, l'héroïsme, le sens de l'honneur, sa situation géographique, l'appartenance à l'Europe, sa diversité ethnique et culturelle, l'ouverture sur la francophonie, la réussite de certaines entreprises.

Et l'auteur d'appeler de ses voeux "un sursaut collectif surprenant, une vraie refondation, qui puiserait non pas sur la capacité révolutionnaire destructrice mais sur cette énorme affectivité, celle qui saisit le pays au soir de l'importante et symbolique victoire en Coupe du Monde de footbal, mais en allant au-delà de l'événementiel et de l'éphémère. Quand je vois, ajoute-t-il, le génie culturel à l'oeuvre chez un Aimé Jacquet - sens du don et dépassement de soi, astuce, opiniâtreté, "niaque", confiance dans son intuition qui n'empêche pas le professionnalisme, sens de l'équipe, humilité, autorité, coeur, résistance à l'adversité (...), je suis fier d'être né français".

En réfléchissant plus avant au blocage français, Baudry, qui est à la fois manager et psychothérapeute, réintroduit dans cette approche une perspective freudienne, d'ailleurs lancinante ces derniers temps parmi les analyses de la campagne présidentielle (voir par exemple les points de vue récents et opposés d'Alain Touraine et Laurent Cohen-Tanugi autour de ce sujet dans le Monde du 2/03).

Pour lui, dans le prolongement d'un mode d'éducation déjà évoqué ici (voir la note "De quelques différences entre Français et Américains"), la société française serait victime de son maternage, d'un glissement net ces dernières années des figures paternelles vers des représentations plus maternelles (il s'agit bien ici de postures psychologiques, et non d'individus particuliers). Conséquence : la priorité donnée à l'écoute sur l'action, et la difficulté à assumer un rôle d'autorité ou, disons plutôt, de direction tant le père dans l'inconscient collectif français ne saurait être que tyrannique ou absent. Exception notable de ces dernières années selon l'auteur : Sarkozy qui, place Beauvau, s'est "réellement pris" pour le ministre de l'Intérieur et a commencé à appliquer la loi, et à le dire - et l'on a vu alors, pour prendre un exemple relativement incontesté, les automobilistes, certes d'abord en rechignant, finir par rentrer dans le rang.

Aux Etats-Unis, où le sevrage social est plus précoce et où l'exploration de la réalité extérieure par l'enfant se fait aussi de façon plus positive et responsabilisante (au rebours d'une éducation maternelle française souvent surprotectrice), ce sont au contraire les figures paternelles qui prévalent - les plus maternels se voyant qualifiés de "wimps" (poules mouillées). "Issus de l'acte courageux de leurs pères fondateurs, constate notre analyste, les Américains souhaitent un leadership politique fort, tant en entreprise que dans le monde politique, et ils adulent leurs dirigeants".

Finalement, dans un système français qui à défaut d'avoir changé déjà, se transforme peu à peu, le véritable affrontement à venir aurait moins lieu entre la gauche et la droite qu'entre les partisans du statu quo et ceux qui oeuvreront pour que le pays en sorte. Ce qui, au passage, est d'ailleurs aujourd'hui le positionnement politique de Bayrou, qui légitime l'analyse qu'avait déjà faite Olivier Duhamel il y a une quinzaine d'années, au moment du référendum sur Maastricht, en notant que la recomposition politique française se construirait sur la question européenne en tant que question politique moderne.

Et si les femmes ont un rôle le à y jouer, ce serait alors moins sur un mode maternel, à la manière des mères sévères que furent Edith Cresson ou Martine Aubry ("des dirigeantes de première génération qui sont temporairement acceptables pour les hommes car elles les rassurent en ayant l'air comme eux, et les infantisent en même temps"), que proprement féminin, dans une voie qui éviterait le double écueil de la réforme à la hussarde et de la frilosité impuissante - mieux à même, peut-être, de porter à la fois une vision de l'avenir et l'exigence de l'effort qui permet de la construire.