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15/05/2007

La puissance ou la grandeur ? Une perspective franco-américaine sur le changement

Dans son entreprise de déchiffrage en miroir des deux cultures et, plus encore, dans sa tentative de poser les bases d'une cohabitation fructueuse entre elles, Pascal Baudry esquisse une liste des points forts respectifs des cultures américaine et française - ce qui constituerait en quelque sorte leur "génie culturel" propre.

Côté américain, quels seraient ces points forts ?

Des objectifs peu dispersés et d'une grande constance, une orientation vers le futur et l'action, un intérêt marqué pour l'innovation considéré comme un process qui peut être managé, un optimisme foncier, une croyance dans les capacités de l'individu et une grande sûreté en soi ("a can-do attitude"), la capacité d'identifier et de nommer ce qui ne va pas sans tourner à l'attaque personnelle et de faire des changements abrupts s'il le faut, l'habitude de voir grand et de mettre le paquet sans aucune énergie perdue en lamentations stériles, une glorification du travail et une grande attention portée à la tâche, des relations non féodales, la recherche préférentielle du "win-win", la préférence donnée au dynamique sur le statique, un contraste fort entre récompense et punition, un système juridique fait pour fonctionner et constant, des valeurs claires et explicites, un accent mis sur "l'accountability", une idéologie qui pousse à l'effort, et un sens développé de l'intérêt national.

Et côté français, quels seraient ces atouts culturels ?

Une culture riche en contexte, la variété, le sens critique, la finesse, l'art de vivre, l'esthétique, la dimension historique, le sens des racines, la grandeur passée, la fidélité, la dimension affective, le capital intellectuel, la tradition scientifique, la créativité, le système D, une certaine forme d'adaptabilité, l'héroïsme, le sens de l'honneur, sa situation géographique, l'appartenance à l'Europe, sa diversité ethnique et culturelle, l'ouverture sur la francophonie, la réussite de certaines entreprises.

Et l'auteur d'appeler de ses voeux "un sursaut collectif surprenant, une vraie refondation, qui puiserait non pas sur la capacité révolutionnaire destructrice mais sur cette énorme affectivité, celle qui saisit le pays au soir de l'importante et symbolique victoire en Coupe du Monde de footbal, mais en allant au-delà de l'événementiel et de l'éphémère. Quand je vois, ajoute-t-il, le génie culturel à l'oeuvre chez un Aimé Jacquet - sens du don et dépassement de soi, astuce, opiniâtreté, "niaque", confiance dans son intuition qui n'empêche pas le professionnalisme, sens de l'équipe, humilité, autorité, coeur, résistance à l'adversité (...), je suis fier d'être né français".

En réfléchissant plus avant au blocage français, Baudry, qui est à la fois manager et psychothérapeute, réintroduit dans cette approche une perspective freudienne, d'ailleurs lancinante ces derniers temps parmi les analyses de la campagne présidentielle (voir par exemple les points de vue récents et opposés d'Alain Touraine et Laurent Cohen-Tanugi autour de ce sujet dans le Monde du 2/03).

Pour lui, dans le prolongement d'un mode d'éducation déjà évoqué ici (voir la note "De quelques différences entre Français et Américains"), la société française serait victime de son maternage, d'un glissement net ces dernières années des figures paternelles vers des représentations plus maternelles (il s'agit bien ici de postures psychologiques, et non d'individus particuliers). Conséquence : la priorité donnée à l'écoute sur l'action, et la difficulté à assumer un rôle d'autorité ou, disons plutôt, de direction tant le père dans l'inconscient collectif français ne saurait être que tyrannique ou absent. Exception notable de ces dernières années selon l'auteur : Sarkozy qui, place Beauvau, s'est "réellement pris" pour le ministre de l'Intérieur et a commencé à appliquer la loi, et à le dire - et l'on a vu alors, pour prendre un exemple relativement incontesté, les automobilistes, certes d'abord en rechignant, finir par rentrer dans le rang.

Aux Etats-Unis, où le sevrage social est plus précoce et où l'exploration de la réalité extérieure par l'enfant se fait aussi de façon plus positive et responsabilisante (au rebours d'une éducation maternelle française souvent surprotectrice), ce sont au contraire les figures paternelles qui prévalent - les plus maternels se voyant qualifiés de "wimps" (poules mouillées). "Issus de l'acte courageux de leurs pères fondateurs, constate notre analyste, les Américains souhaitent un leadership politique fort, tant en entreprise que dans le monde politique, et ils adulent leurs dirigeants".

Finalement, dans un système français qui à défaut d'avoir changé déjà, se transforme peu à peu, le véritable affrontement à venir aurait moins lieu entre la gauche et la droite qu'entre les partisans du statu quo et ceux qui oeuvreront pour que le pays en sorte. Ce qui, au passage, est d'ailleurs aujourd'hui le positionnement politique de Bayrou, qui légitime l'analyse qu'avait déjà faite Olivier Duhamel il y a une quinzaine d'années, au moment du référendum sur Maastricht, en notant que la recomposition politique française se construirait sur la question européenne en tant que question politique moderne.

Et si les femmes ont un rôle le à y jouer, ce serait alors moins sur un mode maternel, à la manière des mères sévères que furent Edith Cresson ou Martine Aubry ("des dirigeantes de première génération qui sont temporairement acceptables pour les hommes car elles les rassurent en ayant l'air comme eux, et les infantisent en même temps"), que proprement féminin, dans une voie qui éviterait le double écueil de la réforme à la hussarde et de la frilosité impuissante - mieux à même, peut-être, de porter à la fois une vision de l'avenir et l'exigence de l'effort qui permet de la construire.