01/02/2011
Dircom, un métier qui se transforme (6) L'anachorète ou le capitaine (ce que le management doit au handball)
Le dircom, nouveau psy de l'entreprise ? C'est un terrain risqué : ils ne sont généralement pas formés pour ça au-delà de leurs qualités relationnelles ou de leurs intuitions personnelles. Et ce n'est peut-être pas non plus la définition la plus pertinente que l'on puisse donner du métier quand tout alentour s'accélère et commande d'agir dans tous les sens.
Précisément, il y a des endroits où l'on s'agite et d'autres où l'on agit. Dans le premier cas, il ne faut surtout pas lever la tête du guidon et prendre le temps d'écouter, mais continuer de foncer et de disperser son énergie sur tous les fronts en même temps sans se soucier réellement de savoir si les wagons suivent et si les résultats sont réellement en ligne avec les objectifs poursuivis (on n'a d'ailleurs pas le temps non plus de se soucier des objectifs, ils sont aussi nombreux que contradictoires). Qu'importe les priorités dans ce contexte puisque tout, par définition, est prioritaire.
Le second cas de figure relève d'une approche différente, aussi peu pétaradante sur le court terme qu'elle se révèle intéressante sur la durée. Il s'agit d'abord de bâtir un collectif, de relier entre eux des gens qui, au-delà de leurs fonctions respectives et en-deçà de l'appartenance générique à l'entreprise, aient une vraie raison de se parler. A y regarder de près d'ailleurs, l'entreprise, et l'entreprise industrielle un peu plus que les autres, pourrait bien être l'un des derniers lieux ouverts à la diversité collective. On serait même tenté de parler de mélange tant cette diversité, au-delà des distinctions de genre ou d'ethnie, fait ici d'abord référence aux différences de base que dessinent les statuts et les métiers.
Quand Daniel Constantini, l'ancien entraîneur de l'équipe de France de handball, décide au milieu des années 90 de bâtir la préparation de l'équipe en trois temps, il déconcerte. Le premier mois pour la préparation physique ? Une bonne idée dans un sport dont la puissance physique reste l'arme principale. Le troisième pour les répétitions techniques ? Rien de moins extraordinaire lorsqu'il s'agit de développer des combinaisons et des réflexes collectifs entre des joueurs qui officient d'ordinaire chacun dans leur club respectif.
Mais le deuxième mois, centré sur la construction du collectif ? Cette innovation a d'abord pour effet de décontenancer des joueurs qui, soit dit en passant, avant d'être qualifiés de "Costauds" ou "d'Experts", s'étaient autoproclamés "Barjots" ce qui a priori ne facilite pas la tâche. Tout le monde perçoit cette approche comme une lubie d'entraîneur un peu obscure, du temps perdu d'avance - bref, du gaspillage. A l'arrivée, l'équipe décroche pourtant le premier titre mondial français obtenu dans un sport collectif.
Quelques années plus tard, Jacquet, notamment lorsqu'il fait le choix d'exclure le génie ombrageux de Cantona ou de mettre au centre de son dispositif un Deschamps aussi mauvais footballeur que bon capitaine, n'a pas suivi au fond une voie différente. Ce qui fait d'ailleurs que le titre en vue de champion du monde de football doit beaucoup à celui méconnu mais pionnier de champion du monde de handball.
L'écoute dans ce contexte, c'est l'étape individuelle d'une démarche de construction d'un collectif toujours à bâtir ou à remodeler en s'attachant à ce qui, au-delà des différences, peut relier et rassembler les gens, c'est-à-dire transformer des individus en équipiers.
Constantini reconnaissait récemment qu'une fois sa formation de combat en place, il n'avait pas su faire évoluer son style de management en s'en tenant à la manière directive qui avait permis à l'équipe de décrocher son premier titre. Onesta a parachevé le dispositif, en gardant la rigueur mais en misant simultanément sur la maturité, la solidarité et le sens des responsabilités des joueurs. Et ça a donné quelques années plus tard un triplé historique et, à ma connaissance, inégalé de champion d'Europe, champion du monde et champion olympique, qui vient juste d'être parachevé par un quatrième titre de champion du monde en Suède. Le secret de cette réussite n'en est pas un et est reconnu aussi bien par le directeur technique national que par ses principaux adversaires : ces gars-là forment "une vraie bande".
L'équipe, c'est la forme active que prend la mise en relation des gens. C'est tout sauf un verbiage de dircom en mal d'inspiration pour faire joli dans une plaquette corporate sur les valeurs de l'entreprise, qui ne font d'ailleurs illusion pour personne, et pas davantage en externe qu'en interne quand elles ne sont pas plus portées que concrètes. A l'usage, on finit d'ailleurs par très bien faire la différence à cet égard entre le babillage et la substance : ce ne sont pas les mêmes formulations, ce n'est pas la même syntaxe, ce n'est pas la même énergie.
En clair, ce ne sont pas les mêmes entreprises.
Cette histoire d'équipe est une affaire sérieuse. La plus sérieuse de l'entreprise, une fois que les fondamentaux stratégiques et financiers sont en place, pour lui permettre de bien faire ce qu'elle a à faire ou plutôt de le faire mieux que ses concurrents. Tout cela relève donc en réalité davantage du management que de la communication, du faire ensemble que du bien dire. Le dircom peut y avoir son mot à dire s'il sait sentir ça : ce que c'est qu'un collectif.
C'est pourquoi il vaut mieux recruter un dircom analphabète qui fut capitaine sur un terrain de handball qu'un anachorète cultivé qui ne sait pas ce que c'est que de se faire respecter sur un terrain hostile.
15:43 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dircom, directeur de la communication, communication, handball, équipe de france de handball, daniel constantini, claude onesta
28/01/2011
Dircom, un métier qui se transforme (5) Ce qu'écouter veut dire (Vauban ou l'Espagne)
Dans la vie quotidienne, beaucoup de choses peuvent conduire le directeur de la communication à perdre de vue l'essentiel de sa fonction. La gestion des événements exceptionnels au premier rang desquels il faut bien sûr compter des crises devenues peu ou prou permanentes, mais aussi la montée en puissance de coordinations multiples et, plus insidieusement encore, l'extension de ce qui ressemble bien à une forme de technocratisme auquel la fonction a assez mal résisté dans l'ensemble, affairée qu'elle était ces dernières années à convaincre les comités exécutifs de passer de l'ancien régime aux nouveaux outils tout en tombant dans le piège de la justification et de la mesure permanentes (1).
Cela vaut pour tout responsable, mais c'est moins pardonnable dans le cas du dircom. On trouve heureusement des dirigeants dans les sièges et des managers sur les sites qui ont davantage le sens de la relation que ceux qui font profession de communiquer. Cette situation, qui n'est pas mauvaise en soi si l'on pense que la communication est une affaire qui a précisément vocation à être largement partagée, doit néanmoins conduire le directeur de la communication à se recentrer sur l'essentiel de son métier. Or - et c'est la deuxième caractéristique fondamentale à mon sens de ce job -, ce métier reste essentiellement un métier de relation.
De relation et non de relations. Des relations, chacun en compte naturellement un bon nombre dans l'exercice de ses fonctions, mais ce n'est pas tout à fait la même chose d'entretenir des relations et d'avoir la relation pour objet-même de son métier. Et puis, ce que l'on a appelé "les relations publiques" et qui se résumait le plus souvent à un mélange un peu vain de presse et de paillettes (agrémenté parfois d'un vernis de Palo Alto pour faire conceptuel) a trop marqué le métier dans les années 80 pour que ne s'impose pas aujourd'hui une distinction qui emporte un certain nombre de conséquences pratiques.
Cette focalisation sur la relation a trois objectifs : écouter, relier et faire agir.
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Au seuil de ma première mission, je rencontre un ancien patron de la société que je m'apprête à rejoindre - un homme respecté qui marqua positivement l'entreprise - et lui demande son avis sur l'ordre des priorités au milieu d'une situation qui semblait passablement compliquée. Sur l'interne, il me répond : " Mettez les mains dans vos poches et allez discuter avec les gens"... Ecouter ? Quoi de plus simple ! Cela fait-il seulement un métier ? J'ai crû qu'il me prenait pour un imbécile et il avait raison. Peut-être pas de me prendre pour un imbécile, mais d'attirer en tout cas mon attention sur le fait que le terrain compte pour une part significative du job.
Je peux dire aujourd'hui que deux ou trois des meilleures idées que j'ai proposées et mises en oeuvre par la suite, je les ai tenues d'échanges à bâtons rompus sur le terrain - avec un chef d'atelier, un responsable informatique ou un directeur d'usine - à l'occasion de visites informelles sur sites. C'est d'ailleurs là un des domaines sur lequel la communication et la politique se rejoignent à travers un sens partagé, souvent d'ailleurs pragmatique et intuitif (2), de la formation des opinions.
Rien de plus difficile en réalité que le terrain et l'écoute. D'abord, parce que l'on a toujours le sentiment d'avoir autre chose de plus important à faire : les créneaux que l'on se réserve pour les tournées des popotes finissent en virée express quand ce n'est pas en tourisme industriel avant de sombrer tout à fait dans l'oubli. Ma chance sur ce terrain, ce fut de faire mes classes dans un environnement culturel dans lequel gagner la confiance des gens prend, disons, un certain temps. Combien de fois suis-je revenu de ces premières tournées, tantôt perplexe, tantôt furieux, d'échanges qui, pour être aimables, me paraissaient sans consistance...
Tjibaou pratiquait avec les Occidentaux le test du silence, on me faisait passer celui de la méfiance. C'est un autre point clé de cet apparentissage : écouter, c'est tout à la fois se décentrer de soi et sortir du cadre. Une écoute véritable participe ainsi d'un double mouvement de décentrage psychologique et de décadrage intellectuel.
C'est parce que nous ne sortons pour ainsi dire jamais de nous-mêmes que nous ne savons pas écouter. On peut de ce point de vue définir l'écoute comme un oubli de soi qui consisterait à substituer l'autre à soi au centre du cercle qui forme la représentation de nos relations sociales. Une concentration totale, décentrée, sur ce que l'autre essaie de communiquer au plan non seulement verbal, mais aussi vocal et non-verbal, et dans laquelle le questionnement l'emporterait sur le point de vue. Rien de plus stimulant. Rien de plus rare.
La situation n'est guère plus favorable sur le terrain intellectuel. Combien de conversations se bornent à la juxtaposition d'opinions qui ne font en réalité que suivre le déroulement d'une logique intérieure ? C'est une histoire que l'on raconte, souvent au fond toujours la même, plus qu'un échange que l'on risque et c'est aussi en quoi la tâche du dircom se rapproche de celle de l'analyste. Les uns et les autres peuvent sauver plus ou moins bien les apparences, le résultat ne change pas : partant de son quant-à-soi, on y revient inmanquablement et l'art difficile du dialogue ne désigne alors pour l'essentiel qu'une série de ruminations aussi bornées qu'inutiles (3) plutôt que l'acceptation d'une saine remise en cause de ce que l'on tenait pour acquis. A l'auberge espagnole, on préfère les forteresses Vauban : c'est plus sécurisant, mais cela peut aussi assez rapidement transformer une pensée en vestige, une organisation en musée - et, partant, un dircom en fossile.
Un an après cette entrée en matière, c'est à peu près la même réponse que me fit le DRH du groupe en marge d'un séminaire pour les nouveaux embauchés alors que je l'interrogeais sur la qualité qui lui semblait fondamentale dans l'exercice de son métier : "L'écoute" me répondit-il. Pour les deux hommes, la simplicité de la réponse n'allait pas sans une part de défiance vis-à-vis des modes de l'époque. Mais la modestie revendiquée du propos n'était pas seulement de défiance générationnelle : elle valait aussi, au-delà du testament humaniste, à travers un mélange de conviction et de roublardise qui me paraissait aussi léger hier qu'il me semble savoureux aujourd'hui, comme prise de position managériale.
Le problème est que l'on confond prise de parole et intelligence des situations. Mais le leadership n'est pas le bavardage. L'écoute est le fondement de toute communication ou plutôt de toute négociation réussie pour des raisons qui sont autant de respect que d'efficacité. Car le boulot du dircom, sauf exception, ce n'est pas de noyer de poisson. C'est de le faire nager en bande.
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(1) On ne peut piloter que ce que l'on mesure, c'est entendu. Dans ce domaine sensible et qualitatif par bien des aspects, en matière par exemple de gestion des crises et de la réputation et de mobilisation interne plus encore, la mesure quantitative a cependant ses limites. Par ailleurs, comme pour les autres fonctions de l'entreprise, il existe bien dans un certain nombre d'organisations un danger de l'accaparement par une forme de reporting généralisé au détriment de l'action réelle sur le terrain. Il revient là-dessus à chaque dircom de mettre en place le tableau de bord le plus efficace possible de façon à libérer davantage de temps pour l'action plutôt que pour le compte rendu.
(2) C'est pourquoi une expérience politique est aussi souhaitable dans ce métier, de préférence en début de parcours. Rien de tel que d'apprendre la dynamique des groupes auprès d'un élu, local si possible, ou encore d'un responsable syndical ou associatif. C'est une formation appliquée qui vaut bien un master de socio-psychologie ou de relations sociales.
(3) C'est en tout cas vrai sur le plan intellectuel à défaut de l'être tout à fait sur le plan psychologique : il est en effet des situations, les contextes de changement par exemple, dans lesquels la nécessité de l'expression l'emporte en tant que telle sur l'intérêt du propos. On cherche alors davantage à communiquer une émotion qu'à infléchir un point de vue.
23:10 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, dircom, directeur de la communication, nouvelle-calédonie
05/12/2010
Dircom, un métier qui se transforme (3) La passion de résoudre (de l'inspiration à l'ingénierie)
On ne le dira jamais assez : prendre un job, c'est offrir de résoudre efficacement un certain nombre de problèmes dans son domaine de compétences. Cette approche fait d'ailleurs plus largement une différence croissante, en termes de leadership, entre ceux qui remontent les problèmes et ceux qui proposent des solutions.
Or la communication au sens large est un domaine qui laisse souvent le management démuni ou sceptique. L'exposition personnelle peut y être forte - la technique s'y efface devant l'engagement - et c'est aussi une matière dans laquelle l'émotionnel ou l'irrationnel ont la part belle, ce qui n'est pas a priori le domaine d'expression naturel de l'ingénieur ou du scientifique.
Il faut avoir côtoyé des responsables qui ont eu une expérience négative marquante avec les médias pour prendre la mesure de cette réticence qui peut du coup tourner à l'aversion. Dans certains cas, cette mauvaise expérience n'est qu'un prétexte : on s'est tellement evertué à vouloir imposer au cadre de l'interview son style et ses règles que le résultat ne constitue guère une surprise. Dans d'autres, elle reflète une défiance sincère issue d'une expérience malheureuse qui peut fort bien, s'agissant d'un domaine par définition visible et impliquant au plan personnel, s'accompagner d'une véritable blessure psychologique.
Dans ce contexte, le dircom a deux missions essentielles : convaincre que la communication peut être, non un champ de mines anti-personnel, mais un levier collectif puissant pour résoudre un certain nombre de problèmes ; mettre en place les dispositifs qui vont permettre de trouver la meilleure adéquation possible entre un problème et un ensemble de solutions.
De ce point de vue, le dircom est un sherpa au double sens du stratège, du conseiller et de l'homme de terrain, du guide au sens concret et parfois escarpé que donne à ce terme l'avant-guarde des équipées en montagne.
Stratège, cela fait belle lurette qu'il a appris à se concentrer sur le problème plus que sur l'outil. Il y a même un certain nombre de situations où la meilleure position consiste à recommander... de ne rien faire ! C'est le cas par exemple d'une crise médiatique puissamment irrationnelle et dépassant l'objet de l'entreprise, dans laquelle il s'agit moins d'entrer que de sortir, qu'il s'agit moins d'alimenter que de faire dévier. Ce n'est pas qu'il s'agit alors de ne rien faire à proprement parler, il s'agit seulement d'envisager et de traiter le problème différemment en se basant sur une analyse stratégique attentive du contexte et en utilisant le rapport des forces en présence. Dans le même registre, il faut aussi parfois mettre un frein aux vélleités de nouveautés totalement déconnectées des besoins et du terrain. Je me souviens ainsi avoir stoppé net sur un site un projet d'intranet d'autant plus fumeux qu'il y avait un besoin criant de présence managériale sur un terrain laissé en déshérence.
Guide, il sait aussi mettre les mains dans le cambouis quand c'est nécessaire. J'ai raconté ailleurs dans quelles circonstances j'ai été amené, quelques mois après avoir pris mon premier job de dircom, à repeindre en pleine nuit une série d'insultes adressées à la direction générale la veille d'une visite du président sur le site... Tandis que le DRH tenait l'échelle, j'effaçais au pinceau les séquelles d'un malentendu persistant. Un collègue dircom disait lors d'un atelier récent : "Mon métier consiste à organiser la convergence des signes". Force est de constater que la peinture d'art est un volet encore trop méconnu de cette noble vocation.
Autre exemple, heureusement moins caricatural celui-là. On lance une démarche de changement d'ampleur et un comité d'ingénieurs exige une plaquette sur le sujet pour convaincre les foules du bien-fondé de ses vues. C'est un travers d'ingénieur précisément, lié à une fascination pour les objets : n'existe que ce qui est tangible. Et il faudra batailler un peu pour promouvoir une autre approche, plus complexe, plus "politique" mais aussi plus efficace de l'ingénierie à mettre en place, dans laquelle les supports de communication auront un rôle d'accompagnement plus que d'amorçage.
"Combien d'exemplaires distribués ?" demande l'ingénieur. "Combien de convaincus prêts à agir ?" lui répond le dircom. Car si le changement doit en effet se traduire progressivement à travers toute une série de signes visuels - et davantage à travers de premières réalisations que des déclarations d'intention -, jamais en ce domaine une plaquette, aussi bien faite soit-elle, ne pourra se substituer au contact direct entre les dirigeants et les équipes pour engager un véritable dialogue aussi bien sur la nécessité du changement et la vision qui le supporte que les actions à mettre en oeuvre et les résultats que l'on en attend - bref, pour créer les conditions d'une véritable adhésion.
La capacité à tester des solutions, à passer du concept à l'outil et de l'effet à la mesure est finalement un cheminement sur lequel l'ingénieur et le communicant - qui représentent sans doute les deux logiques les plus opposées dans l'entreprise - peuvent se rejoindre. Lorsque l'on passe des laboratoires à l'industrie, sciences humaines et sciences dures se retrouvent après tout à la même enseigne. Personne n'a de recette miracle et il y a en effet dans les deux fonctions, au meilleur sens du terme, une science du réel, un art du bricolage, de l'expérimentation et de l'adaptation - technique pour l'un, politique pour l'autre - qui, pour un niveau de maîtrise donné, peuvent se faire écho, le résultat obtenu faisant l'arbitrage. Les meilleurs ingénieurs savent bien que l'on ne fait rien de bien sans adhésion, et les communicants les plus redoutables, sous l'inspiration, n'oublient jamais l'ingénierie. Il y aurait ici en somme une commune esthétique de l'efficacité.
Résoudre, c'est donc faire - les ennuis en sus. Plus spécifiquement, dans le domaine de la communication, résoudre, c'est parfois déminer ; mais c'est le plus souvent ressouder ce qui a été disjoint, recoller ce qui a été déchiré, assembler ce qui a été séparé. De la passion comme moteur, on passe ainsi très sûrement à la relation comme territoire.
23:45 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, dircom, directeur de la communication
04/12/2010
Dircom, un métier qui se transforme (2) La passion de convaincre (l'écosystème ou la guerre)
La passion de comprendre est à la fois un goût et une exigence : elle n'est évidemment pas une finalité en soi. Cela fait une différence au plan des contenus entre l'intellectuel, ou disons plutôt l'expert, qui recherche la maîtrise exhaustive d'un domaine donné et le dircom qui cherche, dans plusieurs domaines, ce qu'il lui est nécessaire de savoir pour bien faire son métier. L'un cherche principalement à comprendre, l'autre à influencer. C'est dire que pour le dircom, la volonté de comprendre ne prend tout son sens qu'au service de la passion de convaincre.
Or si comme le dit Eric Albert, la France est le pays le plus anti-capitaliste au monde, celui qui entretient la relation la plus conflictuelle avec le capitalisme, alors on mesure immédiatement la part de... souffrance qui entre aussi bien dans l'étymologie que dans le déploiement de cette passion. Et la difficulté qui se présente à celui qui a pour mission essentielle de défendre les intérêts de l'entreprise, qui plus est, au beau milieu d'une crise économique et financière ravageuse.
Toutes les fonctions de l'entreprise partagent le poids des décisions difficiles et les soubresauts des crises. Mais sur ces sujets houleux, soit comme porte-parole soit comme conseil - à la manoeuvre dans tous les cas -, le dircom est en première ligne. Dépêché il y a quelques années auprès d'un site dont nous nous apprêtions à annoncer la fermeture, je vois une armée de journalistes s'impatienter devant l'usine tandis que le comité d'entreprise lançant la procédure s'éternise. Toutes les télévisions, la presse régionale bien sûr mais aussi les grands quotidiens nationaux et les radios sont là. Au bas mot, une quarantaine de journalistes attendent.
Je sens que la pression monte et je décide de jouer des obligations juridiques qui s'imposent dans cette situation pour aller à leur rencontre et engager avec eux un dialogue informel. Je commence par être agressé par un journaliste communiste qui me prend à partie en nous accusant de préparer un "nouveau Metaleurop", la société qui a annoncé quelques mois plus tôt une fermeture de site un peu plus loin par trois lignes de fax sans assumer aucune espèce de responsabilité sociale. Un scandale.
C'est d'emblée mouvementé, mais c'est aussi une entrée en matière idéale qui me permet très vite de cadrer le débat. D'abord, en rappelant que nous avons depuis des années fait tout ce que nous pouvions faire pour redresser la situation au prix d'investissements financiers, techniques et humains considérables ; ensuite en soulignant que nous sommes prêts à assumer entièrement nos obligations au plan social et environnemental ; enfin, une fois la tension retombée, en partageant avec eux les fondamentaux économiques du dossier qui mènent à cette conclusion (1).
Du coup, lorsque le directeur de l'usine vient à son tour à leur rencontre une heure plus tard, une relation a été établie, le terrain a été préparé et la position de l'entreprise paraît à la fois solide et responsable. Même si dans l'ensemble, les choses se passeront correctement grâce à la fois à la position de l'entreprise et la mobilisation des dirigeants et des équipes, les semaines qui suivront seront évidemment houleuses en portant une double logique de deuil et de négociation. Convaincre et entrer en conflit ont souvent partie liée, et nous avons d'ailleurs tort, nous disent les psychologues, de vouloir là-dessus éviter le conflit ou l'expression du mécontentement à tout prix : il est une part normale et importante du processus qui doit pouvoir s'exprimer.
Les choses se compliquent à cet égard d'autant plus qu'il faut aussi au dircom, pour faire correctement son job, c'est-à-dire pour avoir un minimum de légitimité et d'impact, avoir à la fois un pied à l'intérieur et un pied à l'extérieur de l'entreprise. Impensable dans ce job de se couper aussi bien du terrain que de son environnement : les déséquilibres, en la matière peuvent être ponctuels mais pas durables. Et je garde d'une erreur de jeunesse en la matière, qui découla alors de la nécessité absolue de sortir au plus vite d'une crise externe ample et générale, l'idée qu'il faut toujours solidement s'ancrer dans l'entreprise elle-même, quelle que soit la puissance de la tempête.
Une parole qui porte est donc à la fois informée - elle apporte un éclairage factuel - et audible - elle est comprise et acceptable. Ce que l'on verrait à tort comme un tiraillement est en réalité une source et même une force. C'est le cas de l'entreprise vers son environnement, mais c'est aussi le cas en sens inverse de la société vers la firme. De sorte que le dircom est aussi celui qui fait passer des messages vers la direction générale et peut ainsi conduire à modifier la perception d'un problème, la façon d'envisager une approche ou la définition d'une stratégie.
Convaincre n'est pas militer : avant de convaincre, il faut d'abord se convaincre ou se forger la meilleure opinion possible en fonction des éléments dont on dispose. Cela ne va ni sans capacité de discernement ni sans liberté de réflexion ou d'évocation. Pourquoi ? Parce qu'une éthique de conviction dans un système fermé, ça ne s'appelle pas plus une éthique qu'une conviction, mais une propagande, et que le sujet de la propagande, ce n'est pas l'écosystème mais sa destruction, ce n'est pas l'intelligence collective, c'est la guerre.
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(1) Au-delà du drame social évident propre à une telle décision - qui ne fait que commencer et où nous nous engagerons jusqu'au reclassement du dernier salarié -, j'ai aussi la certitude après ce que nous avons tenté depuis des années sur ce site, que c'est sans doute l'une des meilleures décisions que l'on pouvait prendre compte tenu à la fois de l'état critique de l'usine et des perspectives de développement nouvelles qu'elle ouvrira à la collectivité.
00:59 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communication, dircom, directeur de la communication, capitalisme
01/12/2010
Dircom, un métier qui se transforme (1) La passion de comprendre (l'architecture et le système)
On l'a longtemps annoncé. Nous y sommes. Le métier se transforme, profondément. Et c'est précisément parce qu'il se transforme qu'il faut partir des fondamentaux. J'en vois trois sur ce job à part qui, à mon sens, commence seulement à donner la mesure de ce qu'il peut faire (il était temps, on commençait presque à s'ennuyer) : la passion, la relation et la transformation.
Commençons par la passion.
On dira : ce que vous dites vaut pour bien d'autres métiers, où il s'agit bien plus de créer que d'annoner quelques leçons mal apprises. Et on aura raison. Sans passion, point d'excellence. Ou alors c'est que l'on confond encore l'intelligence et le talent et je souhaite bien du plaisir à ceux qui, au fond, ne sont pas encore sorti de la farce commode de la méritocratie à la française.
Dans le cas de la communication, la passion me semble, au sens fondamental du métier, prendre pourtant un tour particulier dans au moins trois directions : comprendre, convaincre et résoudre.
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Comprendre. Que disent parfois là-dessus les grands cabinets de recrutement (avec une frustration qui me semble honnête) ? En substance : nous ne sommes pas payés pour être créatifs, mais pour fournir des gens qui rentrent dans des cases et qui, dès le premier jour, à la première heure, sont opérationnels. C'est évidemment une énorme blague. Que celui qui n'a jamais recruté leur jette pourtant la première paie. Par exemple, recruter un chef d'orchestre comme manager, après avoir écouté Pierre-Michel Durand, le chef de l'ensemble Prométhée, je trouve ça à la fois pas idiot et audacieux ; mais j'en laisse le soin à d'autres.
Vous vous souvenez du cinquième principe des Septs habitudes etc, de Covey ? Try to understand, then to be understood : "Cherchez d'abord à comprendre, ensuite à être compris". Or, à l'origine du métier de dircom, il y a la passion de comprendre (les journalistes disent souvent la même chose, mais leur sujet, c'est d'écrire, d'informer, de sensibiliser, non de transformer).
Comprendre ? Mais comprendre quoi, au juste? - Tout (c'est en quoi les dircoms sont de grands farceurs) : les métiers, les produits, la culture, la stratégie, les valeurs, l'histoire, les process, l'organisation... etc. Ce qui fait qu'au départ, le dircom est un type fatiguant. Une sorte de gamin de sept ans qui n'a pas encore compris qu'il y a des questions qui lassent parce que la réponse, somme toute, est relativement évidente (en quoi les dircoms sont parmi les plus grands farceurs de la planète après les dirigeants).
Il y a quelques années, on me confie une mission de relations extérieures dans le Nord de la France auprès d'une usine en piteux état - une partie d'un ensemble que le groupe a racheté quelques années auparavant, qui n'a pas vu passer d'investissement depuis une trentaine d'années de la part d'un type qui donne des leçons de bonne gestion industrielle à la première assemblée générale venue et que le groupe en question essaie de redresser tant bien que mal en bâtissant, autour d'un outil industriel modernisé et d'une équipe renouvelée, un projet industriel digne de ce nom.
Bien. Je fais quelques allers-et-retours entre l'usine et le siège. Sauf qu'au lieu d'aller faire le malin dans les salons du coin, je demande à un agent de maîtrise qui a près de vingt ans dans la boîte de me faire faire le tour de tous les points les plus critiques de l'usine, et il y en a un paquet. Au bout de deux ou trois semaines, je reviens au siège et j'explique au patron de la division, qui me suit, qu'il faut commencer par l'interne.
C'est à la fois une priorité objective, un élément d'engagement collectif et, compte tenu de la porosité évidente entre l'interne et l'externe au plan local (un ancien ministre, devenu le député-maire du coin, que j'ai été voir un peu plus tard, prenait évidemment ses informations dans l'usine), une source de crédibilité importante. Une parole véritable est ancrée dans le réel.
Fini la diplomatie : dans le Pacifique, il fallait être sur le pont ; là il faut mettre les mains dans le cambouis. A mon avis, c'est aussi pour ça que l'on m'y envoie avant de me refiler le job de dircom au siège. Une sorte de mise à l'épreuve parce que l'ambition ne fonctionne vraiment que si elle est au service d'une collectivité et ne peut embrayer sur aucun projet si elle est privée à la fois d'engagement et de légitimité.
Sur la technicité d'un métier ou les difficultés d'un site, un nouveau contexte culturel ou une nouvelle stratégie, un nouvel investissement, un incident majeur, la sortie d'un nouveau produit ou l'émergence de nouvelles tendances sociétales... etc, je ne dis pas qu'il s'agit de devenir expert en tout - ce serait aussi fantaisiste qu'inutile -, mais à tout le moins d'échafauder quelques repères, de bâtir une architecture autour du réel, des représentations, des positionnements, c'est-à-dire en gros, la trame de l'histoire et le système ou le réseau qui va permettre d'en suivre les développements.
Spinoza : "En ce qui concerne les affaires humaines, ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas s'émouvoir, mais comprendre." Le premier boulot d'un dircom, c'est d'ouvrir les yeux, de se taire et d'essayer de comprendre ce que c'est, ce qui se passe et où ça va.
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