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04/12/2010

Dircom, un métier qui se transforme (2) La passion de convaincre (l'écosystème ou la guerre)

La passion de comprendre est à la fois un goût et une exigence : elle n'est évidemment pas une finalité en soi. Cela fait une différence au plan des contenus entre l'intellectuel, ou disons plutôt l'expert, qui recherche la maîtrise exhaustive d'un domaine donné et le dircom qui cherche, dans plusieurs domaines, ce qu'il lui est nécessaire de savoir pour bien faire son métier. L'un cherche principalement à comprendre, l'autre à influencer. C'est dire que pour le dircom, la volonté de comprendre ne prend tout son sens qu'au service de la passion de convaincre.

Or si comme le dit Eric Albert, la France est le pays le plus anti-capitaliste au monde, celui qui entretient la relation la plus conflictuelle avec le capitalisme, alors on mesure immédiatement la part de... souffrance qui entre aussi bien dans l'étymologie que dans le déploiement de cette passion. Et la difficulté qui se présente à celui qui a pour mission essentielle de défendre les intérêts de l'entreprise, qui plus est, au beau milieu d'une crise économique et financière ravageuse.

Toutes les fonctions de l'entreprise partagent le poids des décisions difficiles et les soubresauts des crises. Mais sur ces sujets houleux, soit comme porte-parole soit comme conseil - à la manoeuvre dans tous les cas -, le dircom est en première ligne. Dépêché il y a quelques années auprès d'un site dont nous nous apprêtions à annoncer la fermeture, je vois une armée de journalistes s'impatienter devant l'usine tandis que le comité d'entreprise lançant la procédure s'éternise. Toutes les télévisions, la presse régionale bien sûr mais aussi les grands quotidiens nationaux et les radios sont là. Au bas mot, une quarantaine de journalistes attendent.

Je sens que la pression monte et je décide de jouer des obligations juridiques qui s'imposent dans cette situation pour aller à leur rencontre et engager avec eux un dialogue informel. Je commence par être agressé par un journaliste communiste qui me prend à partie en nous accusant de préparer un "nouveau Metaleurop", la société qui a annoncé quelques mois plus tôt une fermeture de site un peu plus loin par trois lignes de fax sans assumer aucune espèce de responsabilité sociale. Un scandale.

C'est d'emblée mouvementé, mais c'est aussi une entrée en matière idéale qui me permet très vite de cadrer le débat. D'abord, en rappelant que nous avons depuis des années fait tout ce que nous pouvions faire pour redresser la situation au prix d'investissements financiers, techniques et humains considérables ; ensuite en soulignant que nous sommes prêts à assumer entièrement nos obligations au plan social et environnemental ; enfin, une fois la tension retombée, en partageant avec eux les fondamentaux économiques du dossier qui mènent à cette conclusion (1).

Du coup, lorsque le directeur de l'usine vient à son tour à leur rencontre une heure plus tard, une relation a été établie, le terrain a été préparé et la position de l'entreprise paraît à la fois solide et responsable. Même si dans l'ensemble, les choses se passeront correctement grâce à la fois à la position de l'entreprise et la mobilisation des dirigeants et des équipes, les semaines qui suivront seront évidemment houleuses en portant une double logique de deuil et de négociation. Convaincre et entrer en conflit ont souvent partie liée, et nous avons d'ailleurs tort, nous disent les psychologues, de vouloir là-dessus éviter le conflit ou l'expression du mécontentement à tout prix : il est une part normale et importante du processus qui doit pouvoir s'exprimer.

Les choses se compliquent à cet égard d'autant plus qu'il faut aussi au dircom, pour faire correctement son job, c'est-à-dire pour avoir un minimum de légitimité et d'impact, avoir à la fois un pied à l'intérieur et un pied à l'extérieur de l'entreprise. Impensable dans ce job de se couper aussi bien du terrain que de son environnement : les déséquilibres, en la matière peuvent être ponctuels mais pas durables. Et je garde d'une erreur de jeunesse en la matière, qui découla alors de la nécessité absolue de sortir au plus vite d'une crise externe ample et générale, l'idée qu'il faut toujours solidement s'ancrer dans l'entreprise elle-même, quelle que soit la puissance de la tempête.

Une parole qui porte est donc à la fois informée - elle apporte un éclairage factuel - et audible - elle est comprise et acceptable. Ce que l'on verrait à tort comme un tiraillement est en réalité une source et même une force. C'est le cas de l'entreprise vers son environnement, mais c'est aussi le cas en sens inverse de la société vers la firme. De sorte que le dircom est aussi celui qui fait passer des messages vers la direction générale et peut ainsi conduire à modifier la perception d'un problème, la façon d'envisager une approche ou la définition d'une stratégie.

Convaincre n'est pas militer : avant de convaincre, il faut d'abord se convaincre ou se forger la meilleure opinion possible en fonction des éléments dont on dispose. Cela ne va ni sans capacité de discernement ni sans liberté de réflexion ou d'évocation. Pourquoi ? Parce qu'une éthique de conviction dans un système fermé, ça ne s'appelle pas plus une éthique qu'une conviction, mais une propagande, et que le sujet de la propagande, ce n'est pas l'écosystème mais sa destruction, ce n'est pas l'intelligence collective, c'est la guerre.

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(1) Au-delà du drame social évident propre à une telle décision - qui ne fait que commencer et où nous nous engagerons jusqu'au reclassement du dernier salarié -, j'ai aussi la certitude après ce que nous avons tenté depuis des années sur ce site, que c'est sans doute l'une des meilleures décisions que l'on pouvait prendre compte tenu à la fois de l'état critique de l'usine et des perspectives de développement nouvelles qu'elle ouvrira à la collectivité.

 

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