02/04/2011
Harvard (1.1.3) Business, philanthropie & politique (Tarun et le monde)
Tarun Khanna fait une entrée nonchalante dans l'amphi, un gobelet à la main, de petites lunettes derrière lesquelles il parcourt l'assistance d'un regard vif et rieur. La première séance est pour lui : un cas sur la marque de glace Ben & Jerry, une compagnie célèbre pour son identité sociale qui finit, après une vingtaine d'années d'une success story détonnante, par se rendre compte qu'il lui faut s'attacher le concours d'un manager expérimenté. Résultats à l'appui, il est alors temps en effet de remettre un peu d'ordre dans ses affaires, sans que la société se résigne pour autant aux changements qui permettraient à la marque d'assurer à la fois sa croissance et son indépendance. C'est Robert Holland, un ancien de McKinsey, qui s'y colle et qui devra d'ailleurs rapidement tirer les conclusions de son audace. C'était aussi un des credos de Herbemont & Cesar autrefois (1) : n'en déplaise aux héros, il y a des situations où les conditions du changement ne sont pas réunies et qu'il est généralement préférable de détecter avant de descendre dans l'arène.
Le problème avec les types surdoués
Face au sourire qui gagne progressivement les bancs de l'amphi au cours d'une introduction de tonalité plutôt personnelle au cours de laquelle Tarun raconte la soirée de la veille au cinéma avec ses enfants, l'un d'entre nous finit par lui signaler qu'une jambe de son pantalon est restée coincée dans sa chaussette. Même à Cambridge, l'usage du vélo n'a pas que des avantages. Aurions-nous à faire à une sorte de professeur Tournesol ? Rien de moins sûr. Tarun est le prototype-même du type brillant. Il décroche un diplôme d'ingénieur de Princeton avant d'obtenir son Ph.D à Harvard et fait ses premières armes comme analyste financier junior à Wall Street. Pourquoi vient-il donc quelque temps plus tard enseigner à Harvard ?
Quand je l'interroge un jour à ce sujet entre deux cours, il me répond, en arborant un large sourire, qu'il a un fort "esprit de compétition". Wall Street, ça devait être navrant. Est-ce mieux ici ? De son aveu-même, il lui arrive parfois de s'ennuyer en cours, ce qu'il masque en général plutôt bien en jonglant entre l'analyse du réel et sa modélisation, une idée lumineuse et une boutade de derrière les fagots. Un tel aveu mettrait fin aux jours pédagogiques de la plupart des enseignants, qui se gardent donc bien d'en faire la confidence à leurs élèves. Lui ne s'embarrasse guère des formes.
En réalité, Tarun n'est jamais là où on l'attend, trop mobile pour se laisser enfermer dans un espace prévisible, à la fois d'une intelligence rare, d'une franchise déconcertante et d'un commerce agréable comme l'attestera d'ailleurs un dîner amical que mon groupe de travail partagera avec lui dans un restaurant de la place - une tradition de l'Ecole. Bref, un type étonnant, qui rappelle qu'il ne faut jamais méjuger de l'apparente supériorité des types surdoués : elle n'est arrogante pour ainsi dire que par malentendu et révèle souvent, sous la maladresse, une réelle difficulté à s'intégrer, sinon une vraie solitude. Si tout cela passe chez lui, c'est sans doute par cette combinaison singulière du respect intellectuel qu'il suscite et de la concession joyeuse qu'il fait au folklore social ambiant. Je crois aussi que c'est parce que l'on sent chez lui quelque chose de différent. Mais quoi au juste ?
Nouveau modèle de développement
Son intuition de départ à l'époque, c'était de développer la recherche sur les pays émergents, en particulier la Chine et l'Inde, dont il est d'ailleurs natif et qu'il a quitté à l'âge de dix-huit ans. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à l'époque, le le sujet n'était pas vraiment à la mode. Et qu'il en est aujourd'hui l'un des experts les plus en vue qui associe à une connaissance approfondie de ces problèmes une compétence solide en matière de stratégie et de gouvernance. Il a notamment publié un ouvrage de référence sur la montée en puissance des pays émergents (2). Il en publiera un autre, au cours du programme, sur les conditions d'une implantation réussie dans ces pays (3). Sa thèse centrale, c'est que dans des pays où le degré de maturité des institutions comme de qualité des infrastructures reste significativement en deçà des standards des grands pays développés, les entreprises occidentales qui veulent s'y implanter doivent non seulement apprendre à composer avec ces lacunes qui pénalisent le développement économique dans tous les domaines, mais plus encore s'engager à combler une partie de ces vides.
Tout se passe comme si les grands pays émergents montraient aux pays occidentaux la voie d'une autre manière d'envisager le développement travaillant davantage à réconcilier l'économie et la société qu'à les séparer. L'évolution inverse, en somme, de la tendance à l'oeuvre dans les pays développés depuis une trentaine d'années dans lesquels, sous l'effet des crises, d'une concurrence accrue et des exigences déraisonnables de la création de valeur (4), les entreprises se sont progressivement, et souvent brutalement, désengagées de la société et notamment des communautés dans lesquelles elles s'inséraient au profit d'un recentrage plus strict sur leur coeur de métier. Cette évolution est spectaculaire dans le cas de l'industrie minière : les crises violentes des années 80 ont ainsi conduit une société comme la SLN qui intervenait jadis en Nouvelle-Calédonie aussi bien dans la construction des routes que dans l'édification des écoles en passant par la gestion des approvisionnements de toute nature à liquider la plupart de ces activités à vocation sociale au profit d'un recentrage sur le coeur de son activité minière.
C'était alors une question de survie - le groupe avait même emprunté au milieu des années 80 pour payer les salaires - mais dont les gens, dix ans plus tard, avaient oublié la raison tout en conservant la mémoire des effets. Pour un concurrent aux aguets, ce fut un boulevard. Or, c'est une évolution inverse que nous a montré la Chine depuis que, portée par ses besoins considérables en matières premières, elle investit en Afrique en prenant en charge, sans rechigner, les infrastructures qui serviront à la fois ses investissements comme le développement des pays dans lesquels elle s'implante. Voilà ce que nous apprennent les pays émergents à la conquête du monde : que toute stratégie ambitieuse doit se réinscrire dans une logique de long terme et dans un co-développement mutuellement bénéfique pour les entreprises et les populations. Une logique de puissance revisitée en somme par les exigences du développement.
Idée + réseau + gouvernance : l'équation magique
L'inspiration de Tarun Khanna précisément, c'est que, partant des problèmes gigantesques qu'il a à résoudre, le monde émergent non seulement s'émancipe des figures imposées et à bout de souffle du capitalisme occidental en s'appuyant sur des logiques de puissance nationale, mais est aussi en passe de réinventer la notion même de développement. Or, de ce phénomène, Tarun ne se borne pas à être l'analyste éclairé : il en est également un acteur engagé. Sa grande idée, c'est de chercher à faire naître des projets à la fois économiquement rentables et socialement utiles en jouant d'un positionnement optimal sur l'échelle de la création de valeur entre, d'un côté, ce que les fournisseurs sont prêts à être rémunérés et, de l'autre, ce que les consommateurs sont prêts à payer.
Cette approche l'a conduit à monter plusieurs projets d'investissement remarquables en Inde. Dans le domaine de l'éducation, pour faire face à l'arrivée de dizaines de millions de jeunes sur le marché du travail dans les toutes prochaines années, il a ainsi conçu un modèle d'éducation assurant une formation de base solide à des diplômés opérationnels qui coûteront, en fin de formation, beaucoup moins chers que les jeunes gens qui sortent des meilleures universités indiennes. Le développement y gagne dans les deux sens : du côté de la croissance des entreprises et du côté de l'intégration des jeunes. Dans le domaine de la santé, il a proposé un système de détection du cancer basé sur un simple examen de la bouche capable, selon les spécialistes, de détecter 90 % des cancers. Les millions de gens qui étaient exclus de la prévention y entrent ainsi en masse en permettant l'éclosion d'un business aussi accessible que florissant. A chaque fois, la mécanique est la même : une idée innovante justement positionnée sur l'échelle de la création de valeur en jouant d'une effet de masse et vendue à un réseau d'investisseurs qui participent au montage du projet. Une fois le tour de table bouclé, une équipe de management se met en place et le projet se développe tandis que Tarun ne s'implique que dans la gouvernance de l'affaire, ce qui lui permet de veiller au bon développement de l'entreprise comme, le cas échéant, à l'évolution de ses placements.
Voilà l'équation magique qui lui permet de multiplier les initiatives (5) tout en conservant une capacité à explorer de nouveaux champs d'action. C'est comme si, du point de vue des stratèges, le management était une perte de temps, une contrainte pesante, ou pire encore, un exercice aléatoire. Le contraire, en somme, d'un directeur d'usine qui, chez les meilleurs d'entre eux, associent un sens réaliste de la performance avec une attention sincère aux gens. Mais son champ naturel d'investigation, de n'est pas l'usine, c'est le monde. Et sa grande idée, c'est de mettre en relation un grand problème avec une solution. Exemple : un problème d'alimentation colossal va se poser dans les années à venir en Asie. Où trouve-t-on les conditions qui vont permettre de produire des denrées de base à grande échelle ? Typiquement, dans les pays disposant encore d'immenses superficies agricoles non utilisées, par exemple au Brésil. Conclusion : il faut investir dès maintenant aussi bien dans l'agroalimentaire que dans les infrastructures du géant sud-américain. Elémentaire. Avec lui, le business devient une construction intellectuelle limpide. Une sorte de "Richesses du monde" grandeur nature.
Etre, avoir ou faire ?
Un autre exemple, qui n'est plus anecdotique qu'en apparence, me semble intéressant à un double égard. Constatant au cours d'un footing à Dehli que la tranquillité était sans doute l'un des biens les plus rares auxquels la population indienne ait accès, il conçoit l'ouverture de petites centres urbains dans lesquels on sert du thé, à très bas prix mais à grande échelle, pour offrir à chacun un moment de répit propre à l'extraire un moment à la fois de la foule et de la pollution. Cette idée me semble remarquable à un double égard. D'une part, elle est à la fois révolutionnaire et juste tant il est vrai qu'en matière de développement, on commet souvent l'erreur de se focaliser "sur le lourd" en oubliant cette sorte de supplément d'âme qui permet de ne pas traiter les gens uniquement comme des producteurs ou des consommateurs, mais aussi comme des êtres humains. Elle révèle, d'autre part, une mécanique intellectuelle sans cesse en mouvement, à l'affût de ce qui peut réellement faire une différence et créer de la valeur socio-économique là où les schémas de pensée en vigueur mènent à une impasse.
Cette mécanique est-elle le propre des esprits brillants ? Il faudrait d'abord s'entendre sur les mots. Il y a beaucoup plus de gens intelligents que nous ne le pensons ordinairement avec des formes d'intelligence différentes (5), qu'ils soient diplômés ou non et, inversement, beaucoup plus d'imbéciles qui, sans leur diplôme, aparaîtraient avec plus de netteté encore pour ce qu'ils sont. Mais il y aussi beaucoup moins, pour ne pas dire un nombre très limité, de gens brillants que ne le donnent à penser les facilités que nous prenons avec le langage. Un certain nombre de gens peuvent, par exemple, développer une vision du monde plus ou moins intéressante, mais qui se révèle le plus souvent sans prise sur le réel. Un responsable industriel rappelait à cet égard qu'il y a dans la vie trois grands types de motivation : être, avoir ou faire. A un moment ou à un autre, il me semble que la ligne de partage passe en effet par un certain rapport à la fois visionnaire et engagé à la transformation du monde ou, pour le dire plus simplement, par un rapport particulier au faire. C'est d'ailleurs le mot célèbre de Marx que Rajiv Lal avait cité, sans rire, dans sa séance inaugurale : "Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe, c'est de le transformer"...
Pour remettre ce fatras idéologique en perspective, il faut rappeler que, dans le modèle américain, on cherche d'abord à faire fortune avant de passer à la philantropie, ce qui présente l'avantage d'une approche pour ainsi dire plus détendue de l'intérêt général et finit par réunir l'aisance matérielle avec les joies de l'influence (6). Une telle perspective n'est pas absente chez Tarun Khanna, qui imagine très bien jouer un rôle similaire d'ici quelques années avec, disons, une quinzaine de millions en poche. Modeste (à l'échelle américaine), sans être pour autant ridicule. Mais il y a davantage chez lui : sa vocation secrète - qu'il s'excusera presque d'avoir confiée un jour à la cantine et sur laquelle il reviendra par la suite pour la relativiser en public -, c'est de revenir jouer un rôle politique dans son pays si possible, au moins dans un premier temps, sur une fonction sénatoriale qui lui permettrait, dans la mesure où il s'agit d'une fonction soumise non à élection mais à nomination, d'éviter les petits tracas démocratiques ordinaires.
D'ailleurs, entre sa participation à plusieurs boards de grands groupes mondiaux, ses responsabilités académiques - président des activités d'Harvard en Inde, il vient aussi d'être nommé directeur de l'Ecole pour l'Initiative Asie du Sud -, son rôle de mentor vis-à-vis de jeunes start-ups, mi-entreprises, mi-ONG, dans lesquels il accompagne aussi quelques uns de ses étudiants (7), ses affaires et ses projets, il rencontre aussi volontiers à l'occasion des personnalités politiques diverses un peu partout dans le monde. Il nous confiera même, hilare, le soir de la clôture des devoirs de stratégie, qu'au cours d'une mission qu'il fit en 2004 en France sur les questions d'immigration qui l'amena à errer dans les quartiers Nord de Marseille (en se liant au passage d'amitié avec la population), il traita au retour le ministre de l'Intérieur de l'époque d'imbécile. Il se pourrait que pour Tarun, le chemin vers la politique fût encore un peu long et semé d'embûches.
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(1) Voir sur ce blog (à la rubrique "communication"), la série "Dircom, un métier qui se transforme (12) Animer : le terrain, des opposants aux alliés".
(2) Tarun Khanna : "Billions of entrepreneurs - How China and India Are Reshaping Their Futures and Yours" (Des milliards d'entrepreneurs : comment la Chine et l'Inde refaçonnent leur avenir et le nôtre), HBS Press (2007).
(3) Tarun Khanna & Krishna G. Palepu with Richard J. Bullock : "Winning in Emerging Markets - A Road Map for Strategy and Execution" (Gagner dans les marchés émergents : une feuille de route stratégique et opérationnelle), HBS Press (2010).
(4) Il est intéressant de noter à cet égard que ce point relatif à une recherche irrationnelle de rentabilité excédant le rendement moyen du capital sur longue période est également avancé par Mihir Desai, le professeur de finance, un libéral pur et dur, comme un facteur essentiel de la crise financière de 2008.
(5) Relire à ce sujet le livre remarquable de Howard Gardner : "Les cinq formes d'intelligence pour affronter l'avenir", Odile Jacob (2006). Le cours introductif, d'ailleurs curieusement plutôt recommandé aux non-anglophones comme s'il ne s'agissait que d'une question linguistique alors qu'elle me semble essentiellement de méthode, s'appuiera en grande partie sur les thèses de Gardner.
(6) Voir par exemple : "L'argent de l'influence : les fondations américaines et leurs réseaux européens", Ludovic Tournès, Autrement (2010).
(7) Tarun est membre de plusieurs conseils d'administration de grands groupes dans les secteurs de l'énergie, des transports et des sciences de la vie. Il est un administrateur actif de Parliamentary Research Services, une organisation gouvernementale visant à offrir aux parlementaires indiens une expertise indépendante en vue d'améliorer la qualité des choix démocratiques, et de Primary Source, une autre ONG ayant pour objectif de proposer des programmes permettant de mieux prendre en compte la notion de société globale dès l'enseignement primaire.
21:16 Publié dans Business, Harvard Report, Management | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : harvard, management, tarun khanna, ben & jerry, industrie minière, sln, création de valeur, nouvelle-calédonie, ong, philantropie, inde, faim dans le monde, intelligence, marx
22/11/2009
L'intelligence selon Gardner
Howard Gardner est professeur de sciences cognitives et de pédagogie à Harvard et spécialiste international reconnu de ces questions à travers notamment sa théorie des intelligences multiples. Il dirige le projet "Harvard Zero", un ensemble de recherches visant à approfondir la compréhension et à améliorer les modes d'apprentissage, de réflexion et de créativité aussi bien dans les arts et les humanités que dans les disciplines scientifiques.
Il est l'auteur, chez Odile Jacob, d'un petit essai stimulant intitulé : Les 5 formes d'intelligence pour affronter l'avenir. Un sujet sur lequel, au milieu de l'aimable bricolage contemporain qui gouverne tant la profusion des savoirs que le désordre des pédagogies, la remise en ordre s'impose autant que la remise en perspective.
Il y a d'abord, nous dit Gardner, l'esprit discipliné, qui suppose la maîtrise d'au moins une manière de réfléchir, un mode non pas seulement de connaissance mais aussi de réflexion caractérisant une discipline intellectuelle ou un métier. Il faut au moins dix ans pour accéder à ce niveau de maîtrise, et cela ne va pas sans rechercher en continu les moyens d'améliorer ses compétences et sa compréhension. "S'il ne possède pas au moins une discipline, souligne l'auteur, l'individu sera forcément réduit à se plier aux exigences d'un autre". Bref, la discipline, c'est la liberté.
Vient ensuite l'esprit synthétique. Il s'agit de collecter, comprendre et évaluer des informations à différentes sources et d'être capable de les présenter d'une façon qui fait sens pour soi et les autres. Une forme d'intelligence d'autant plus cruciale que tant la masse que les sources d'informations disponibles croissent à une vitesse vertigineuse.
Troisième forme d'intelligence : l'esprit créatif. L'objectif est ici d'innover, d'avancer de nouvelles idées, de poser des questions inhabituelles, d'inventer de nouveaux modes de pensée et d'arriver, si possible, à des réponses inattendues, qui peuvent déboucher sur des concepts innovants ou des produits d'avant-guarde.
Discipline, synthèse, créativité ne suffisent pas. Il est aussi nécessaire selon Gardner de développer, au-delà "de sa coquille ou des limites de son territoire", un esprit respectueux capable de repérer et d'accueillir les différences entre les individus et les groupes, de s'efforcer de comprendre l'autre et de chercher à collaborer efficacement avec lui.
Plus encore, une cinquième forme d'intelligence s'impose : il s'agit de l'esprit éthique, ouvrant à une réflexion sur la nature de son travail et aux besoins et désirs de la société dans laquelle on vit. Un domaine qui relève davantage cette fois d'un mode d'action désintéressé capable de s'impliquer et d'apporter une contribution au bien commun.
"Ces cinq esprits sont ceux qui jouent un rôle de premier plan dans le monde actuel, dit Gardner au terme de sa recherche, et qui auront encore plus d'importance demain". On peut en discuter. Il y avait aussi, nous dit l'auteur, l'esprit technologique et l'esprit numérique, le mercantile et le démocratique, l'esprit nuancé et l'esprit émotionnel, le stratégique et le spirituel... Mais pas plus qu'une typologie exhaustive ne fait une théorie stimulante, un détail ne fait une perspective ni une dissection un projet.
Comprendre, c'est changer et changer, c'est agir. C'est bien là l'intérêt d'une démarche qui combine focalisation et ouverture, connaissance et réflexion, analyse et mouvement, mais aussi savoir et morale selon une perspective qui donne des clés à chacun pour progresser et devenir à la fois plus intelligent et plus efficace, plus utile et plus épanoui, dans une approche dépoussiérée qui valorise moins le cumul des titres que l'éveil des curiosités. Après tout, n'est-ce pas seulement une fois ses études terminées que l'on commence son véritable apprentissage ?
L'approche proposée par Gardner se définit ainsi davantage par son mouvement que par son héritage. L'on pourrait dire de même qu'il en va des acquis pédagogiques comme des acquis sociaux : ils valent le temps que durent les mondes anciens, nous laissant aussi acrimonieux qu'impuissants au milieu du désastre si nous n'avons pas su échafauder autre chose que la collection de fadaises qui nous tient ordinairement lieu de pensée. En ce sens, le monde n'est pas un champ de massacres lointain : il est, selon la belle expression d'Hannah Arendt, une oeuvre de nos mains et c'est en quoi il est aussi urgent d'y investir des neurones que des fonds et de mettre si possible, à cette affaire, un peu de coeur à l'ouvrage.
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(1) Un projet qui n'est pas sans faire écho à "l'Oxford Muse Foundation" développé à l'initiative de Theodore Zeldin, qui fut une brillante incarnation, au sein de la Commission pour la libération de la croissance française, d'une prise en compte en profondeur de la culture comme paramètre clé du changement.
23:47 Publié dans Innovation | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : intelligence, éducation, culture, harvard, créativité, gardner, zeldin