04/08/2007
Crise et chuchotement (vers un nouveau modèle publicitaire ?)
TF1 vient d'annoncer une diminution significative de ses recettes publicitaires pour le deuxième trimestre, soit une baisse de 5 % par rapport à la même période de 2006, alors que ces mêmes recettes avaient augmenté de plus de 6 % au cours du premier trimestre. Pour l'ensemble de l'année en cours, ce n'est plus qu'une "légère croissance" qui est envisagée. Par ailleurs, Publicis a également prévenu que des annulations significatives de campagnes publicitaires impacteraient son chiffre d'affaires cette année.
En parallèle, selon les dernières données fournies par Médiamétrie, les chiffres de l'audience de la grande chaîne généraliste française commencent également à baisser : ils perdent 3,6 points sur un an. Une baisse qui affecte, dans une moindre mesure, la plupart des autres chaînes généralistes (à l'exception de France 2 qui enregistre un léger gain, mais à un niveau de 10 points inférieur), et qui profite aux autres chaînes locales, étrangères ou thématiques à hauteur de + 3,7 %. Il faut également noter que la durée moyenne d'écoute de la télévision enregistre, pour la première fois, une baisse, de l'ordre de 12 minutes par jour pour les personnes de... 4 ans et plus, la durée journalière d'écoute s'établissant ainsi à 3h11.
Il y a peu, Acrimed, un observatoire critique des medias, avait déjà signalé que la perspective pour certains annonceurs de voir la Suède prendre la présidence de l'Union européenne, alors même que sa législation en ce domaine, très restrictive, commençait à séduire d'autres gouvernements européens, commençait à inquiéter certains annonceurs.
Au-delà d'un possible accident de parcours, il est pourtant tentant de voir dans cette baisse le signe de l'essouffflement d'un modèle économique fondé sur une publicité de masse de plus en plus agressive. Ces dernières années, le mouvement "antipub" avait déjà incarné, notamment à travers le détournement de la publicité par affichage dans les grandes agglomérations, le rejet d'une certaine forme de communication publicitaire.
Celle-ci était jugée à la fois mensongère et intrusive, véhiculant l'image d'un monde découplé de la réalité, une sorte de conte de fée dont le dénouement idéal aurait été : "Ils furent heureux, ils consommèrent beaucoup" - et, ajouterait-on en Amérique, ils s'endettèrent jusqu'au cou. Une sorte de retour aux Choses qui aurait perdu la poésie pionnière des années 60. Ou de plongée dans les Giant Billboards sans la féerie de Sunset Boulevard.
Excès de jeunesse, militantisme émotionnel, rébellion romantique ? Dans les années récentes, le mouvement a parfois atteint une certaine ampleur collective, comme l'ont par exemple montré les manifestations de l'automne 2003 dans le métro parisien. Il demeurait tentant cependant de voir dans ce mouvement contestataire une collection d'actes marginaux, peu susceptibles de remettre en cause le modèle dominant.
Et cela, en un sens, fut vrai : en soi, le mouvement fut très loin d'avoir un impact significatif. L'intérêt de l'émergence de cette contestation est plutôt de l'ordre du signe avant-coureur. Au-delà de ses rejets de base, il portait la logique d'autres messages et d'autres approches propres à la génération internet. Cela empêcherait-il de "vendre du temps de cerveau humain disponible" ? Personne ne le pensait sérieusement, au-delà des protestations convenues.
Sauf que l'allergie à la publicité commence à toucher la ménagère de 50 ans elle aussi - c'est ce que laisse entendre le recul de la machinerie publicitaire de la Une, s'il se confirme. Mais c'est aussi le cas aux Etats-Unis. Ici en effet, la communication publicitaire, quasiment libérée de toute contrainte dans la patrie qui en a inventé et raffiné le modèle, atteint son paroxysme : spots extrêmement serrés qui aboutissent à doubler le temps d'écoute d'un film ou d'une émission, utilisation systématisée du télémarketing, spams audio se déployant de force sur les ordinateurs individuels, envois de courriers massifs faisant monter les enchères de toutes natures... L'arsenal est devenu impressionnant et, chaque jour, dans chaque foyer, il fait feu de tout bois.
Au point de tuer le modèle lui-même ? Certains acteurs commencent à le penser. On aurait ainsi atteint le point au-delà duquel, comme le montre la courbe de Laffer pour la fiscalité, trop de publicité revient à tuer la publicité. L'affaire est au demeurant prise très au sérieux par quelques grands annonceurs américains. C'est ainsi que news.com annonçait en avril dernier que plusieurs annonceurs prévoyaient de diminuer de 20 % leurs dépenses publicitaires dans les 5 prochaines années. Motif principal invoqué : Tivo, ce petit programme permettant de sauter les spots publicitaires, dont le nombre d'adeptes - 3 millions aujourd'hui - devrait être multiplié par 10 dans les toutes prochaines années. Voilà le nouvel ami revendiqué de la ménagère américaine !
Parallèlement, c'est bien un nouveau modèle publicitaire qui émerge sur le net et qui a la faveur croissante des annonceurs. Plus ludique, suggestif plus qu'imposé, davantage personnalisé, interactif par nature, il tient mieux compte des affinités, est plus respectueux, sans doute par la force des choses, d'un mode de connaissance plus actif, faisant davantage appel à l'intelligence qu'à l'abrutissement (positionnement délibérément revendiqué par quelques grandes marques américaines, par exemple dans le domaine sensible du crédit), et de mieux en mieux protégé, lui-aussi, des communications agressives.
Un modèle qui contamine, en retour, les formes générales du message publicitaire à travers les autres medias : on note de fait un certain retour à la vérité du produit dans nombre de publicités américaines récentes, accompagné d'un certain sens de la dérision ou d'un ancrage marqué dans le quotidien. Cela devrait aussi finir par conduire le système à réajuster ses modes de mesure pour acter un basculement progressif - même s'il ne s'agit encore que d'un chuchotement - d'un modèle devenu de propagande vers un nouveau paradigme fondé sur la conversation ? Mad Men, la série à succès du moment aux Etats-Unis, rappelle les heures de gloire des publicitaires de Madison Avenue dans les années sixties. Nostalgie ? Voire. Il s'agit sans doute davantage d'un retour aux sources pour repartir de plus belle. Comme en 60.
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31/07/2007
Media Business (3) Sur les mutations de l'industrie du divertissement
Suite d'une sélection de faits et de réflexions tirés de l'enquête de Danièle Granet et Catherine Lamour, "Mediabusiness, le nouvel eldorado" (les citations non précisées émanent des auteures).
Aux Etats-Unis, la télévision occupe l'Américain moyen un peu plus de cinq heures par jour. Mais le temps consacré à internet a augmenté de 77 % en 2004 et celui passé en visionnage de films DVD a fait un bond de 53 %. Les jeux video ont connu, pendant la même période, une croissance de 20 % (Etude de l'Ambassade de France). Ce marché des jeux video représentait environ 25 milliards de dollars en 2005 en prenant en compte les appareils et les programmes ; les perspectives pour 2008 dépassent les 40 milliards (à titre d'exemple, World of Warcraft s'est vendu à 6 millions d'utilisateurs dans le monde) ; Les Français sont les plus téléphages des Européens : 70 % d'entre eux regardent la télévision presque tous les jours pendant au moins deux heures (enquête UPC Broadband). Les sonneries musicales installées sur les téléphones portables représentent à elles seules un chiffre de ventes de plus de 3 milliards d'euros dans le monde.
Chaque année, en mai, les acheteurs de toutes les télévisions européennes se précipitent aux "screenings" de Los Angeles où sont montrées en avant-première les nouvelles séries de fiction des studios américains. Les grands studios américains - Warner, Fox, Universal, MGM, Paramount et Disney - font monter les enchères et imposent des accords à long terme ; Ces programmes ne font que refléter la progression de l'uniformisation des goûts au niveau planétaire, qu'on retrouve là, comme dans le vin, la mode ou l'art contemporain. Les goûts, les aspirations, les habitudes d'un monde sans frontières. "Si on zappe sur les chaînes étrangères d'une plate-forme satellitaire, on a l'impression de voir les mêmes programmes partout, avec des présentatrices "copiées-collées" qui ne se différencient que par la langue qu'elles parlent" (Bibiane Godfroid, Pdg de Fremantle, filiale du groupe Bertelsmann).
Un film de cinéma conçu pour une exploitation mondiale coûte en moyenne 58 millions d'euros à fabriquer, auxquels s'ajoutent 33 millions d'euros pour "l'installer" auprès du public à coup de campagnes de publicité et de marketing ; C'est en 1996, aux Etats-Unis, que les ventes de DVD ont dépassé les recettes tirées des salles de cinéma, jusqu'à repésenter huit ans plus tard le triple des entrées en salles ; La video représentait, fin 2005, 60 % des revenus des studios américains. Ces sociétés engrangent chaque année 40 milliards de dollars, ce qui justifie amplement les termes "d'industries de programmes" qu'on emploie généralement pour parler des contenus. L'ensemble de l'audiovisuel constitue d'ailleurs la première source de revenus à l'exportation aux Etats-Unis ; Pour pouvoir accéder aux séries et aux films américains qu'ils convoitent, les groupes de communication anglais, français, espagnols ou japonais doivent accepter de faire de la place sur leurs satellites ou leurs systèmes de câbles à des chaînes américaines ; Quatre studios américains sont maintenant solidement installés sur le territoire audiovisuel français avec plus de dix chaînes (Nickelodeon, Sci-Fi, 13ème Rue...).
Le sport a détrôné le cinéma en termes d'attractivité du public. En France, un spot publicitaire de trente secondes est estimé, en cas de présence de l'équipe de France en finale de la Coupe du monde, à 300 000 euros. Canal + a obtenu l'intégralité des droits de retransmission des matches de Ligue 1 de football pour trois saisons jusqu'à 2008 en payant 1,8 milliard d'euros. Pour être colossal, ce montant est cependant comparable à la somme, 1,5 milliard d'euros, qu'a déboursée le bouquet satellitaire anglais BSkyB en 2003 pour l'acquisition des droits de retransmission de trois saisons de la "Premier League".
82 % des 15-25 ans sont branchés sur internet qu'ils utilisent déjà plus que la télévision. Aux Etats-Unis, 95 % des blogs sont créés par des lycéens ; Avec une moyenne de 30 % de part de marché, Le Journal de Sophie (une série interactive diffusée sous forme de très courts programmes via les téléphones portables) répond à une "demande d'émotions partagées" qui fondent l'appartenance à une communauté; En termes d'information aussi, "on est en train de muter de l'info grand-messe à news is conversation" (Catherine Lottier, chargée de la veille chez Canal+).
Sur le marché de la musique, 5 majors se partagent 75 % des ventes planétaires : Universal Music, Warner Music, Sony, BMG et EMI ; La généralisation de l'évolution vers la "dématérialisation" de la musique est considérée comme inéluctable : "Le CD est une espèce en voie de disparition" (un chroniqueur sur France Inter, janvier 2005). En cinq ans, de 2001 à 2005, c'est plus du quart des ventes de détail des éditeurs de CD qui s'est volatilisé au niveau mondial. Les ventes de musique en ligne représentent désormais au niveau mondial un marché d'un milliard d'euros, à comparer malgré tout à un chiffre d'affaires global des ventes de musique de l'ordre de 24 milliards d'euros en 2005.
Les Français sont au premier rang des Européens les plus dynamiques en matière d'adoption de l'internet à haut débit. Ils adorent le téléchargement : 10 % des foyers, soit 2,5 millions de personnes s'approvisionnent en musique sur internet. Sur un an, un milliard de chansons ont été téléchargées en France, mais 2 % seulement ont été achetées en ligne, soit 20 millions de titres. Les autres 980 millions ont été échangées gratuitement avec d'autres internautes ; Les ventes de musique numérique en ligne devraient représenter 25 % du chiffre d'affaires de la musique en 2010 (estimation Ifpi).
22:57 Publié dans Communication | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : télévision, internet, cinéma, publicité, musique, sport, Etats-Unis
28/07/2007
"Business Beach" (les grands cabinets américains à l'assaut du marché français)
Les uns veulent en découdre, les autres usent de moyens plus feutrés. Il n'empêche : les cabinets d'avocats américains commencent à déferler sur Paris à la faveur de l'ouverture des frontières du conseil juridique en Europe. Et en profitent pour brûler la politesse aux Britanniques, pourtant bien représentés en France depuis une dizaine d'années.
A l'origine de ce boom, le développement du droit des affaires en parallèle aux vagues successives de fusions-acquisitions en Europe qui représentaient, pour le premier semestre 2007, selon le New York Times, près de 1400 milliards de dollars, à comparer à environ 1600 pour l'ensemble de l'année 2006... Parmi les firmes américaines les plus présentes sur ce nouveau marché, on compte notamment Sullivan & Cromwell, et Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom.
Ces incursions ne vont pas sans susciter quelques tensions parmi les cabinets européens auxquels les Américains, "avec leurs poches pleines et leurs plans agressifs" écrit John Tagliabue, proposent fusions, ou rachats. Alarmé par le rapport d'un économiste d'Harvard, Andrei Schleifer, le gouvernement français avait même organisé, il y a trois ans de cela, une série de discussions avec Washington sur la valeur du code napoléonien. L'initiative n'a guère ralenti le recours croissant à l'anglais, et au droit coutumier, comme instruments courants du droit des affaires.
Quant à savoir ce qu'il en adviendra au juste de l'industrie juridique en Europe, les hypothèses restent ouvertes. "Il y a des montagnes d'argent et de la matière grise à revendre dans le secteur" souligne un observateur de Deloitte à Londres. Certains pays comme la Grande-Bretagne encouragent le mouvement, d'autres, comme l'Allemagne, sont plus réticents.
Les mouvements en cours transcendant pourtant les frontières. Ainsi, quand Mayer Brown & Platt, un cabinet de Chicago, fusionne avec le cabinet britannique Rowe & Matt, c'est l'ensemble du marché européen qu'il s'ouvre dans la mesure où Rowe venait d'acquérir Lambert & Lee à Paris et Gaerdertz à Francfort. Paul Hastings (San Francisco) s'est également ouvert les portes du marché français avec le rachat de Moquet, Borde & Associés.
Certaines structures américaines s'appuient sur une croissance organique comme Davis Polk (New York) qui développe depuis les années 80 le nombre de ses avocats parisiens, pour la plupart américains. Les effectifs ont par la suite diminué, mais recommencent aujourd'hui à augmenter, en favorisant cette fois davantage les recrutements français. "C'est un gros marché, un marché mondial - et il y a des firmes mondiales ici" souligne Margaret Tahyar, Partner chez Davis Polk.
D'autres encore préfèrent développer des partenariats respectant davantage la liberté des intervenants, comme Bredin Prat et Slaughter & May. Ces partenariat s'insèrent le plus souvent dans des réseaux européens. Bredin Prat, conseil du projet d'acquisition par Danone du néerlandais Royal Numico - une opération de 17 milliards -, s'est ainsi appuyé sur un cabinet ami dans ce pays, Brauw Blackstone Westbroek.
Si la concentration d'avocats américains et britanniques est en France la plus élevée d'Europe, les cabinets français n'en continuent pas moins de préférer des avocats français pour les affaires s'inscrivant dans le cadre du droit français. La pratique du droit des deux côtés de l'Atlantique est bel et bien différente. Et les Français préfèrent par tradition rester discrets et modestes - point de site internet ici, même chez les plus grands - quand les Américains se montrent généralement plus pushy.
Quelques grands intervenants américains n'en ont pourtant cure. Ainsi de la stratégie très agressive poursuivie par Latham & Watkins qui, après avoir démarré des discussions n'ayant pas abouti avec Ashurst, s'est mis à mettre la main sur quelques unes de ses meilleures équipes, non seulement à Paris, mais aussi à Munich. Même méthode avec les équipes parisiennes du cabinet néerlandais Stibbe. Sans poser pour autant de problèmes majeurs de fonctionnement pour les intéressés. "La plupart avait déjà une expérience américaine et chacun sait que les Américains sont durs à la tâche" témoigne ainsi l'un d'entre eux.
Une opération qui a en tout cas permis à Latham d'être partie à quelques grosses opérations négociées dernièrement, comme la vente de Kaufman & Broad, filiale française de la firme californienne KB, ou encore l'acquisition d'Intelsat par BC Partners, cette dernière opération ayant atteint 5 milliards de dollars.
De fait, la connaissance de la réglementation française reste critique et voit son importance renforcée notamment en matière de droit des sociétés et de droit de la propriété. Pour J-P. Martel, il est indispensable de s'appuyer sur des avocats français prêts à délivrer un conseil opérationnel au bon moment.
Une compétence qui pourrait bien voir son importance stratégique renforcée sous l'effet de la bonne santé d'ensemble des grandes entreprises françaises. Et des subtilités,
pas toujours extrêmement claires outre-Atlantique, du patriotisme économique made in France.
23:44 Publié dans Business | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cabinets d'avocats, Europe, Etats-Unis, fusions-acquisitions, patriotisme économique
29/05/2007
Most Admired Companies (la révolution verte est en marche)
Pour la vingt-cinquième année consécutive, Fortune vient de faire connaître son nouveau classement des vingt meilleures entreprises mondiales. Et ne rechigne guère, pour l'occasion, aux comparaisons épiques : "Comparé aux 13 milliards d'années qui se sont écoulées depuis le Big Bang, le dernier quart de siècle n'est rien, constate Anne Fisher, qui s'empresse cependant d'ajouter : mais ici, sur terre, à l'âge d'internet, nous pourrions bien assister à une révolution géologique comparable à en juger par les bouleversements apportés par ces deux dernières décennies".
Au coeur de ces ruptures, la révolution du développement durable intégré, de fait, à une vitesse remarquable dans le business modèle des compagnies les plus performantes, notamment les trois premières du classement : General Electric, Starbucks et Toyota.
La chaîne de coffee shops dirigée par Howard Schultz, qui s'inscrit depuis des années dans une logique de commerce équitable, se voit érigée en réussite emblématique de cette performance verte. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 1 000 dollars investis dans la compagnie en 1992 rapportaient fin 2006 près de 55 fois la mise, contre un peu plus de trois fois pour l'index Standard & Poor's. Et Schultz de mettre cependant en garde son management face à ce qu'il appelle une "banalisation de l'expérience Starbucks"
Toyota figure également au rang des réussites spectaculaires, en demeurant le leader reconnu de l'industrie automobile américaine sans discontinuer depuis cinq ans. La Prius a passé l'an dernier les 100 000 unités vendues et devient du même coup... le véhicule de référence d'Hollywood.
GE demeure cependant la référence américaine pour sa capacité d'adaptation inégalée. N'est-elle pas la seule des douze initialement retenues par Charles Dow en 1896 pour constituer le premier index boursier domestique ? Depuis Jack Welsh, et sous la direction aujourd'hui de Jeffrey Immelt, la major américaine n'a cessé de se réinventer.
Dernière réussite en date : la division infrastructures (aviation, énergie, rail, eau...) qui atteint aujourd'hui les 65 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel en s'appuyant - "ecomagination" oblige - sur un business vert qui, de l'aveu de John Rice, son président, existait à peine il y a encore cinq ans. Au prix d'un effort de R&D de l'ordre 700 millions de dollars, qui rivalise désormais avec les grands groupes pharmaceutiques.
Principal changement vécu par Rice depuis son entrée à 21 ans dans l'entreprise : une évolution remarquable du management supérieur vers une très grande accessibilité, obsédé par l'idée de casser tout tropisme bureaucratique, à l'affût de toutes les bonnes idées et encourageant l'apprentissage permanent. "We really are a team, résume Rice, qui ajoute : This is the ultimate team sport".
Faut-il être plus réservé sur l'évolution du business mondial vue par le leader américain ? Pas si sûr. Pour GE, la perspective est claire : "Le monde entier devient américain, ce qui signifie que, partout, les consommateurs veulent ce que les consommateurs américains ont toujours exigé : tout, tout de suite et au meilleur prix".
Mais la révolution en marche ne serait qu'un début si l'on en croit Ed Zore, président d'une Northwestern Mutual spécialisée depuis 150 dans les produits financiers, et qui figure sans discontinuer au classement de Fortune depuis les origines. "Dans vingt-cinq ans, prédit Zore, nous regarderons notre époque comme le lointain bon vieux temps". Un optimisme révolutionnaire qui résume à lui seul l'articulation à l'oeuvre dans la dynamique économique américaine, entre enjeux de société et innovation technologique.
Il n'est que de jeter un oeil au reste du classement (établi sur la base de votes de 1500 cadres dirigeants et analystes dans 26 pays à partir de 8 critères tels que l'innovation, le management, la performance financière, la qualité des produits et services ou encore la responsabilité sociale) qui retient 35 entreprises américaines sur les 50 premières et truste 80% des vingt-cinq premières places, pour s'en persuader.
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PS : Le top 20 s'établit cette année comme suit : 1) General Electric ; 2) Starbucks ; 3) Toyota Motor ; 4) Berkshire Hathaway (assurances, agro-alimentaire, textile...) ; 5) Southwest Airlines ; 6) FedEx ; 7) Apple ; 8) Google ; 9) Johnson & Johnson ; 10) Procter & Gamble ; 11) Goldman Sachs ; 12) Microsoft ; 13) Target (grande distribution) ; 14) 3M (matériel de bureau, électronique,...) ; 15) Nordstrom (grande distribution) ; 16) United Parcel Service (services postaux) ; 17) American Express ; 18) Costco Wholesale (commerce de gros) ; 19 ex-aequo : PepsiCo et Wal-Mart Stores (grande distribution).
23:37 Publié dans Leadership | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entreprises, Etats-Unis, développement durable, Google, Apple, Starbucks
15/05/2007
La puissance ou la grandeur ? Une perspective franco-américaine sur le changement
Dans son entreprise de déchiffrage en miroir des deux cultures et, plus encore, dans sa tentative de poser les bases d'une cohabitation fructueuse entre elles, Pascal Baudry esquisse une liste des points forts respectifs des cultures américaine et française - ce qui constituerait en quelque sorte leur "génie culturel" propre.
Côté américain, quels seraient ces points forts ?
Des objectifs peu dispersés et d'une grande constance, une orientation vers le futur et l'action, un intérêt marqué pour l'innovation considéré comme un process qui peut être managé, un optimisme foncier, une croyance dans les capacités de l'individu et une grande sûreté en soi ("a can-do attitude"), la capacité d'identifier et de nommer ce qui ne va pas sans tourner à l'attaque personnelle et de faire des changements abrupts s'il le faut, l'habitude de voir grand et de mettre le paquet sans aucune énergie perdue en lamentations stériles, une glorification du travail et une grande attention portée à la tâche, des relations non féodales, la recherche préférentielle du "win-win", la préférence donnée au dynamique sur le statique, un contraste fort entre récompense et punition, un système juridique fait pour fonctionner et constant, des valeurs claires et explicites, un accent mis sur "l'accountability", une idéologie qui pousse à l'effort, et un sens développé de l'intérêt national.
Et côté français, quels seraient ces atouts culturels ?
Une culture riche en contexte, la variété, le sens critique, la finesse, l'art de vivre, l'esthétique, la dimension historique, le sens des racines, la grandeur passée, la fidélité, la dimension affective, le capital intellectuel, la tradition scientifique, la créativité, le système D, une certaine forme d'adaptabilité, l'héroïsme, le sens de l'honneur, sa situation géographique, l'appartenance à l'Europe, sa diversité ethnique et culturelle, l'ouverture sur la francophonie, la réussite de certaines entreprises.
Et l'auteur d'appeler de ses voeux "un sursaut collectif surprenant, une vraie refondation, qui puiserait non pas sur la capacité révolutionnaire destructrice mais sur cette énorme affectivité, celle qui saisit le pays au soir de l'importante et symbolique victoire en Coupe du Monde de footbal, mais en allant au-delà de l'événementiel et de l'éphémère. Quand je vois, ajoute-t-il, le génie culturel à l'oeuvre chez un Aimé Jacquet - sens du don et dépassement de soi, astuce, opiniâtreté, "niaque", confiance dans son intuition qui n'empêche pas le professionnalisme, sens de l'équipe, humilité, autorité, coeur, résistance à l'adversité (...), je suis fier d'être né français".
En réfléchissant plus avant au blocage français, Baudry, qui est à la fois manager et psychothérapeute, réintroduit dans cette approche une perspective freudienne, d'ailleurs lancinante ces derniers temps parmi les analyses de la campagne présidentielle (voir par exemple les points de vue récents et opposés d'Alain Touraine et Laurent Cohen-Tanugi autour de ce sujet dans le Monde du 2/03).
Pour lui, dans le prolongement d'un mode d'éducation déjà évoqué ici (voir la note "De quelques différences entre Français et Américains"), la société française serait victime de son maternage, d'un glissement net ces dernières années des figures paternelles vers des représentations plus maternelles (il s'agit bien ici de postures psychologiques, et non d'individus particuliers). Conséquence : la priorité donnée à l'écoute sur l'action, et la difficulté à assumer un rôle d'autorité ou, disons plutôt, de direction tant le père dans l'inconscient collectif français ne saurait être que tyrannique ou absent. Exception notable de ces dernières années selon l'auteur : Sarkozy qui, place Beauvau, s'est "réellement pris" pour le ministre de l'Intérieur et a commencé à appliquer la loi, et à le dire - et l'on a vu alors, pour prendre un exemple relativement incontesté, les automobilistes, certes d'abord en rechignant, finir par rentrer dans le rang.
Aux Etats-Unis, où le sevrage social est plus précoce et où l'exploration de la réalité extérieure par l'enfant se fait aussi de façon plus positive et responsabilisante (au rebours d'une éducation maternelle française souvent surprotectrice), ce sont au contraire les figures paternelles qui prévalent - les plus maternels se voyant qualifiés de "wimps" (poules mouillées). "Issus de l'acte courageux de leurs pères fondateurs, constate notre analyste, les Américains souhaitent un leadership politique fort, tant en entreprise que dans le monde politique, et ils adulent leurs dirigeants".
Finalement, dans un système français qui à défaut d'avoir changé déjà, se transforme peu à peu, le véritable affrontement à venir aurait moins lieu entre la gauche et la droite qu'entre les partisans du statu quo et ceux qui oeuvreront pour que le pays en sorte. Ce qui, au passage, est d'ailleurs aujourd'hui le positionnement politique de Bayrou, qui légitime l'analyse qu'avait déjà faite Olivier Duhamel il y a une quinzaine d'années, au moment du référendum sur Maastricht, en notant que la recomposition politique française se construirait sur la question européenne en tant que question politique moderne.
Et si les femmes ont un rôle le à y jouer, ce serait alors moins sur un mode maternel, à la manière des mères sévères que furent Edith Cresson ou Martine Aubry ("des dirigeantes de première génération qui sont temporairement acceptables pour les hommes car elles les rassurent en ayant l'air comme eux, et les infantisent en même temps"), que proprement féminin, dans une voie qui éviterait le double écueil de la réforme à la hussarde et de la frilosité impuissante - mieux à même, peut-être, de porter à la fois une vision de l'avenir et l'exigence de l'effort qui permet de la construire.
04:27 Publié dans Interculturel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : changement, Etats-Unis, droite, gauche, Sarkozy, femmes, politique