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27/12/2007

The Republican Noise Machine (entretien n°8/8 avec Douglas Smith)

Politique.com

Douglas Smith a été un des conseillers en communication de l’équipe Clinton de 1994 à 1999. Après avoir conseillé un cabinet d’avocats dans une procédure de « class action » victorieuse contre un grand fabricant de tabac en 1999, Smith a fondé en 2000 une agence spécialisée sur les questions politiques sur internet (voters.com), dont l’audience aurait rivalisé avec CNN Politics.

Il est aujourd’hui consultant chez Hill & Knowlton, agence de communication, relations publiques et affaires publiques, au sein de laquelle il travaille notamment à la promotion de Chicago pour les Jeux olympiques de 2016. Smith livre ici un éclairage davantage orienté bataille électorale que communication de réforme.

Prems !

La première règle de communication à observer en politique, c’est de définir le terrain en premier. C’est cette stratégie qui a par exemple permis à Bush de triompher plus facilement d’Al Gore lors de l’élection présidentielle de 2000 parce que l’équipe Bush a été la première à proclamer dans les medias : « On a gagné ! », position qui plaçait Al Gore dans le rôle, inconfortable, du mauvais joueur qui conteste le résultat pour tenter de lui substituer le sien propre.

The « Big Mo »

Deuxième précepte : déclencher, puis cultiver ce que Douglas Smith appelle le «momentum » (le « Big Mo »), sorte de mix entre la vitesse et la dynamique, ce moment qui, dans un débat, dans une campagne, fait soudain entrer dans une logique à la fois d’accumulation et d’accélération. C’est cette dynamique qu’a par exemple suscitée John Kerry en 2004 après le caucus de l’Iowa.

L’intendance suivra (ceci n’est pas qu’un précepte gaullien)

Cela ne va pas, derrière, pour entretenir le mouvement et se positionner à la hauteur des attentes suscitées, sans une forte ténacité et une très solide organisation. Contre-exemple d’actualité : c’est le problème que rencontre aujourd’hui Mike Huckabee chez les Républicains à la suite d'une progression aussi forte qu'inattendue dans les sondages.

Il faut donc une armée à la bataille, des tonnes de spots publicitaires, ciblés selon les enjeux géographiques du moment, puis une production de mailings à grande échelle qui tournent 24/24 h. Objectif recherché, le «GOTV », Get Out The Vote, consistant à déclencher le passage de l’adhésion au vote lui-même en faveur du candidat.

D'abord dégainer

Troisième règle : ne jamais laisser une attaque sans réponse. Kerry s’est montré, de ce point de vue, bien trop tendre face à l’équipe Bush en 2004. Il faut aussi savoir parfois ne pas laisser une accusation sans démenti lorsqu’elle émane… de son propre camp sans avoir reçu l’aval officiel du leader : ainsi des allusions à la consommation de marijuana d’Obama lorsqu’il était adolescent en provenance d’un membre du staff d’Hilary Clinton, retirées par la candidate dans les jours qui ont suivi.

Ensuite bombarder

Prolongement logique de cette confrontation : le matraquage. Bush, à cet égard, n’est pas le meilleur communiquant qui soit. Mais il peut s’appuyer sur une remarquable organisation qui, de ses secrétaires d’Etat jusqu’au moindre comité local en passant par la plupart des medias, peut relayer ses messages de façon très efficace. Il y a là un double effet de bombardement et d’amplification qui, associé au « bully puppet » (ce privilège du Président d’être suivi et relayé dans ses moindres propros), donne une puissance considérable à sa communication – on le voit bien en la comparant, ces temps-ci, à celle, fût-elle très active, de la Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, pourtant troisième personnage du pays.

The « Republican Noise Machine »

L’un des anciens conseillers du camp républicain, David Brock, a raconté certaines des pratiques en vigueur dans ce domaine, qui vont plus loin que ce qui était déjà connu avec Karl Rove… Brock est d’ailleurs un cas : journaliste, puis activiste au service du camp républicain, il a fini par tourner le dos à cet engagement et aux excès commis en son nom. Il est notamment l’auteur de « The Republican Noise Machine », ouvrage dans lequel il critique la mécanique médiatique républicaine. Il est aussi le fondateur de l’ONG « Media Matters For America » dont l’objectif est de contrer le travail de désinformation des Républicains dans les medias.

Réformes, quelles réformes ?

Pour Douglas Smith, démocrate convaincu, peu de réformes sortent du lot au cours des dernières années. Succès initial, No Child Left Behind s’est peu à peu transformé en échec - et, sous la pression des enseignants, la réforme est d'ailleurs vivement critiquée aujourd'hui par les candidats démocrates. Le projet de réforme des retraites a été détruit par l’AARP (le lobby des seniors), qui dispose d’un potentiel de mobilisation considérable dans le pays à travers sa capacité à mener de front stratégies « grasstops » et «grassroots » (avec notamment des retraités souvent très disponibles) pour renforcer indirectement le message vers les décideurs. L’immigration, tout au long de ces derniers mois, a donné lieu à une foire d’empoigne dans les deux camps. C’est donc l’augmentation du salaire minimum, il y a 6 mois, avec l’accord des Républicains, qui pourrait faire office de réforme réussie…

Globalement, l’affaire est pourtant entendue : il est beaucoup plus facile de détruire que de proposer. Et, à ce jeu-là, les politiques américains – avec leurs conseillers – sont passés maîtres.

23/12/2007

La société contre l'Etat (entretien n°6/8 avec Jonathan Rauch à la Brookings)

Jonathan et les pouvoirs

Résident de la Brookings Institution, Jonathan Rauch est journaliste (National Journal, Atlantic Monthly) et essayiste, spécialiste de la politique intérieure américaine. Il est notamment l’auteur de : « Government’s End : Why Washington Stopped Working ». Jonathan est aussi un militant engagé de la cause homosexuelle.

Quant à la Brookings Institution, elle est le plus ancien think tank américain (1916) et l’un des principaux think tanks démocrates bien que souvent considérée comme centriste ; elle compte aussi des conservateurs dans ses rangs. Dirigée par Steve Talbott, un ancien de l’administration Cliton, elle se focalise sur les politiques publiques en matière institutionnelle, socio-économique et internationale.

Une confiance en déclin

La confiance des Américains dans le gouvernement fédéral a complètement basculé entre les années 60 et la décennie 80. En 1965, les ¾ des Américains déclaraient avoir confiance en leur gouvernement pour résoudre les problèmes. Au début des années 80, le rapport s’inverse : seuls 25 % des personnes interrogées déclarent continuer à faire confiance au gouvernement, majoritairement perçu comme une instance de suppression plutôt que de résolution des problèmes.

En fait, entre les années 80 et 2000, le pays n’a connu que 3 grandes vagues de réforme.

Reagan sur la scène : primat de l’image sur le réel

La première vague a été conduite sous Ronald Reagan, qui s’est appuyé pour ce faire sur un homme clé : David Stockman. Reagan a certes laissé l’image d’un communiquant efficace : on se souvient notamment du moment où, à la télévision, il s’était saisi du très épais projet de budget qu’on lui demandait de signer en bloc en expliquant, gestes à l’appui, qu’il n’accepterait de signer qu’un document beaucoup moins épais mais beaucoup plus clair et qu’il ne signerait, en tout état de cause, le projet de budget qu’après avoir soigneusement passé en revue les programmes les uns après les autres.

Mais, contrairement aux idées reçues sur le sujet et à l’expérience qui fut menée dans le même temps par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, l’expérience a donné, en réalité, peu de résultats concrets. Seuls quelques programmes symboliques ou très anciens ont en effet été alors supprimés.

Bill, Hilary et les ennuis

La deuxième vague est intervenue au début de la présidence Clinton en 1993. L’objectif majeur fut alors de faire évoluer l’administration plutôt que de la réduire. La logique des monopoles publics a ainsi peu à peu laissé la place à une compétition ouvrant à l’usager le choix entre plusieurs offres. Des avancées ont été réalisées, mais la réforme s’est aussi heurtée à la difficulté de réduire l’importance de l’administration. Simultanément, la tentative d’Hilary Clinton de réformer le financement du système de santé s’est soldée par un complet fiasco.

Le « Contract With America » de Gingrich

La troisième vague a commencé juste après avec le « Contract with America » lancé par Newt Gingrich, d’ailleurs avec le conseil du Dr Luntz, qui permit aux Républicains de revenir au pouvoir (pm. L’expression a été caricaturée par Clinton sur le mode mafieux en substituant « on » à « with »). Gingrich voulait alors aller plus loin que Stockman et entama avec le Président un bras de fer sur la mise en œuvre d’un important programme de suppression d’agences gouvernementales. Un bras de fer qu’il finit par perdre après avoir tenté un coup de force en essayant de faire passer Clinton pour responsable aux yeux de l’opinion de la fermeture des agences gouvernementales qu’il avait ordonnée pour protester contre le refus du Président de signer ses projets de lois.

Globalement, les réformes qui ont été tentées au cours de cette période se sont donc plutôt soldées par des échecs. Trois exceptions notables sont cependant à mentionner : la réforme des retraites en 1983 du fait d’une situation de crise financière ; la réforme des impôts en 1986, les Démocrates s’associant alors au nettoyage d’un système devenu opaque et complexe, réclamé par l’opinion ; la réforme de la lutte contre la pauvreté en 1995 enfin, qui s’est traduite par moins d’assistance et plus d’emplois.

L’heure du « compassionate conservatism »

Aparaissant sur la scène en 1999, Bush tire les leçons de ces échecs répétés des tentatives de réformes : ce sera l’heure du « compassionate conservatism ». Il se concentre alors sur quelques sujets populaires en baissant les impôts et en augmentant le rôle du gouvernement et les subventions à divers secteurs d’activité.

Sorti de ces sujets faciles, les autres actions sont elles aussi marquées par des échecs ou demi-échecs. Ainsi de la réforme du programme Medicare, dédié à la santé des personnes âgées, qui ne modifia le système qu’à la marge, de la tentative de réforme des retraites début 2005 ou, plus récemment, des projets de réforme de l’immigration qui s’est traduit non seulement par un échec, mais aussi par de profondes divisions.

Seule exception, de nouveau : l’éducation avec « No Child Left Behind ». Cette loi est d’ailleurs intervenue au début du premier mandat de Bush, lorsque le nouveau Président se montrait encore ouvert à travailler avec les Démocrates. 9/11, puis la guerre en Irak ont ensuite complètement changé la donne et radicalisé l’opposition idéologique.

Petits blocages entre ennemis

En réalité, toute réforme d’ampleur est polémique par essence dans la mesure où elle touche à des intérêts établis prêts à se défendre. De ce point de vue, on peut rapprocher la rue en France de la minorité institutionnelle aux Etats-Unis : chacune, avec ses moyens propres, a le pouvoir de bloquer les réformes (là-dessus, l’école du «public choice » a dit des choses qui restent pertinentes à beaucoup d’égard pour éclairer le comportement des acteurs institutionnels). Et rien n’est en effet possible, dans ce contexte, sans un minimum d’accord bi-partisan.

Au total, d’un point de vue pratique, le système socio-institutionnel américain ne paraît guère capable d’intégrer plus d’une réforme majeure tous les dix ans, période nécessaire pour laisser le temps au système de digérer le changement introduit – deux, lorsque les circonstances sont exceptionnellement favorables.

Toute tentative de modifier l’équilibre du système se heurte ainsi à une résistance intense des opposants, ce qui oblige à étayer toute action d’ampleur par un sérieux élargissement des soutiens possibles. Beaucoup de facteurs sont en réalité requis pour avancer parmi lesquels, outre une coopération entre les partis, l’appui des organisations concernées, des moyens financiers et un fort leadership du Président.

L’exception incrémentale

Faute de pouvoir réunir ces ingrédients, le changement ne peut être que modeste et progressif. Cette approche est d’ailleurs intéressante sur le plan de l’action (voir les analyses de… Michel Rocard sur le sujet à la fin des années 80) ; la difficulté est qu’elle est invendable politiquement pour gagner une élection du fait de sa posture modeste et laborieuse, aux antipodes des exigences imposées tant par le fonctionnement des medias que par la mécanique politique. Ce type de réforme, dans le cadre de laquelle rentre dans une large mesure la modernisation de l’administration engagée sous Clinton dans les années 90, reste donc assez rare.

Il s’agirait ainsi d’un « sticky system » dans lequel il est beaucoup plus facile de créer des services, des subventions ou des avantages supplémentaires que d’en supprimer – tout nouveau service créé, en créant simultanément une clientèle, s’installant lui aussi dans la durée. De la même façon que l’on a parlé « d’eurosclerosis » pour l’Europe à la fin des années 70, Rauch évoque aujourd’hui une « demosclerosis » du pays, 95 % du système visant selon lui au statu quo.

Changer, pour quoi faire ?

Ce qui se révèle au total, c’est une opposition systémique très forte entre un système politique tendant à l’immobilisme et une société dynamique et innovante. Et c’est ce dynamisme à l’œuvre dans la société et l’économie qui permet dans une large mesure de contourner les obstacles institutionnels tandis que l’opinion semble, quant à elle, être passée en deux décennies de la colère à la résignation.

Traduction para-institutionnelle : en cinquante ans, notamment entre 1945 et 1995, le nombre des lobbies de toute nature a complètement explosé aux Etats-Unis, explosion qui révèle l’âpreté d’une sorte de combat pour la rente. Et qui atteste que les systèmes institutionnels ont souvent moins vocation, voire intérêt, au changement qu’à la continuité.

19/12/2007

Extension du domaine du discours (entretien n°3/8 avec Carolyn Bartholomew, au Tabard Inn)

Margaret Mead à la Chambre ?

Membre du barreau de Californie et diplômée d’anthropologie, Carolyn Bartholomew a notamment été directeur juridique, puis chef de cabinet de Nancy Pelosi. Représentante du 8ème district de Californie (San Francisco), Nancy Pelosi a été la chef de file du parti démocrate à partir de 2002 et est présidente de la Chambre des Représentants depuis début 2007.

Spécialiste des questions internationales, Carolyn Bartholomew a par ailleurs présidé la commission USA-Chine pour les affaires économiques et de sécurité. Elle se consacre à diverses activités socio-économiques : elle est ainsi membre du conseil d’administration de Kaiser Aluminium Corporation et participe à une association en faveur de l’éducation des enfants dans les pays en voie de développement.

L'art du compromis

Le processus de réforme normal dans le système américain consiste, à partir d’une idée de départ, à établir la carte de ses alliés et de ses opposants. Il est marqué par une intense activité d’élaboration-négociation qui peut parfois prendre très longtemps (cf infra l’action de sensibilisation menée par Patricia Schroeder en matière sociale sur une dizaine d’années). Ce processus souligne également l’importance des connexions interpersonnelles dans une stratégie d’alliance qui procède par élargissements successifs.

Le système institutionnel s’appuie sur des équipes politiques très étoffées si on les compare aux moyens dont disposent les parlementaires français (souvent guère plus de deux ou trois attachés). A la Chambre des Représentants par exemple, chaque élu dispose de 18 personnes à plein temps, plus 4 personnes à mi-temps. La présidente de la Chambre s’appuie quant à elle sur une équipe de 50 personnes.

Strange bedfellows...

La recherche d’alliances peut parfois déboucher sur la formation de coalitions hétéroclites. C’est ainsi qu’une mobilisation relative aux droits de l’Homme en Chine a permis d’associer, outre les supporters traditionnels de ce type de combats (Démocrates, syndicalistes…) des groupes chrétiens plutôt conservateurs. Ces étranges liaisons (« strange bedfellows ») présentent également l’intérêt de susciter l’intérêt de la presse et de favoriser la médiatisation du sujet.

Le système américain témoigne d’une certaine capacité à passer des compromis. Ce fut le cas pour la loi « No Child Left Behind » qui, au-delà de l’appui de personnalités démocrates, a également été négociée avec le syndicat des enseignants.

En sens inverse, les positions intransigeantes mènent clairement à l’échec. Ainsi le projet, lancé par les Démocrates, d’améliorer la protection des droits de la communauté gay et lesbienne s’est-il heurté à la volonté de cette communauté de faire également bénéficier les trans-genres de ces droits renforcés.

Une capitale, des capitaux

L’argent reste une donnée centrale dans le système institutionnel américain. Il rend notamment compte de la puissance de quelques grands lobbies (groupes pharmaceutiques, compagnies d’assurance, médecins) dans le cas de la tentative de réforme du système de santé (*).

Un exemple de cette agitation politique sans traduction en actions a été donné tout récemment par l’adoption par la Chambre des Représentants d’un texte sur l’énergie présenté comme un cadre qui « tranformera le futur ». Chacun sait pourtant que le texte sera bloqué au Sénat. De surcroît, le Président a par ailleurs indiqué qu’il lui opposerait son veto.

Cela se traduit notamment par des dons lors des campagnes électorales : la rémunération d’un membre du Congrès est, à titre indicatif, de l’ordre de 150 000 dollars par an quand il faut dépenser des millions de dollars pour chaque campagne ; et les enjeux se chiffrent naturellement en milliards pour l’élection présidentielle.

Dans le cas du système de santé, cela se manifeste également par la puissance de communication considérable de cette industrie aux Etats-Unis. Aux heures de grande écoute sur les grandes chaînes d’information (par exemple sur CBS vers 18h30) les spots publicitaires sont l’apanage quasi exclusif des groupes pharmaceutiques.

La puissance financière est également avérée dans des cas d’une tout autre nature. Ainsi la Turquie a-t-elle récemment mobilisé des millions de dollars pour empêcher l’adoption d’un texte reconnaissant le génocide arménien. Cette stratégie est passée par la publication par des personnalités de renom, tel Henry Kissinger, d’éditoriaux dans les grands medias de référence (New York Times, Washington Post, etc).

Inflation du discours

Une situation comme celle qui prévaut actuellement (présidence républicaine, majorité démocrate au Congrès) rend extrêmement difficile l’adoption de réformes. L’adoption d’un texte requiert en effet 60 voix au Sénat alors que les Démocrates en détiennent 51 aujourd’hui ; en sens inverse, le Président peut opposer son veto aux projets lancés par les Démocrates.

Dans ce contexte, beaucoup de tentatives de projets de loi ou de réformes sont affichées pour occuper le terrain et préparer les prochaines élections, mais ne débouchent quasiment jamais sur des réformes effectives. Les seules exceptions notables sont constituées de sujets neutres touchant à la vie quotidienne de tous les Américains concernant par exemple les infrastructures.

Cette situation se traduit par la publication de très nombreux communiqués de la part de la présidence de la Chambre des Représentants. Mais c’est bien d’une bataille de communication et de postures dont il s’agit, plus que d’affrontements liés à des tentatives réelles de réforme. Dans ce contexte, il est même régulièrement d’usage que la Chambre communique par avance sur des déclarations et/ou des déplacements du Président Bush de façon à préempter le débat en donnant le ton et en définissant le cadre dans les medias.

- Ou quand, au lieu de servir la réforme, la communication sert à en masquer l'absence.

__________
(*) Un contre-exemple peu connu et intéressant de cet échec à réformer le système de financement de la santé est donné par le Family and Medical Leave Act de 1993 qui, à l’initiative de Patricia Schroeder (National Partnership for Women and Families), première femme élue au Congrès dans le Colorado et qui sera un moment candidate à l’élection présidentielle de 1988, a donné la possibilité aux salariés, à l’issue d’un long travail de sensibilisation, de prendre des congés non rémunérés pour s’occuper de leurs proches pour raisons médicales

18/12/2007

Words That Works : démonstration (entretien n°2/8 avec Larry Moscow et Nick Wright, chez Luntz & Maslansky)

Bienvenue chez les Spin Doctors

Larry Moscow est Senior Vice President de Luntz & Maslansky. Ce cabinet hautement spécialisé dans l’analyse de discours et les recommandations lexicales est dirigé par Frank Luntz, conseiller en communication et l’un des gourous du camp républicain (le cabinet conseille également le Labour en Grande-Bretagne).

Luntz est notamment l’auteur de « Words that Works », un best-seller dans le domaine de la communication politique aux Etats-Unis. Larry Moscow était assisté pour cet entretien de Nick Wright, Strategic Project Director, également en charge des relations internationales et notamment de la partie conseil en Grande-Bretagne.

Sondages en direct

Luntz est un spécialiste de l’animation de focus groups inhabituellement larges (jusqu’à 30 personnes). Il analyse de façon instantanée les réactions des participants à différents discours politiques (équipés d’une télécommande, les gens sanctionnent ou valorisent instantanément ce qu’ils entendent). Il permet ainsi de mieux calibrer les discours mais aussi, à partir d’études lexicales approfondies, de les élaborer en propre en maximisant leur efficacité.

Dans un monde de la communication généralement coupé entre spécialistes de l’opinion publique et experts des relations publiques, Luntz occupe une place à part qui se situe au carrefour de ces deux spécialités. S’agissant de l’analyse de l’opinion publique, le cabinet ne se borne pas à faire ressortir des tendances, mais identifie aussi des mots précis à fort impact dans l’opinion. Le cabinet pratique également les analyses de discours à travers internet, en particulier pour mieux cerner le language et les références des opposants à telle ou telle réforme.

What's the story ?

Pour Larry Moscow, aucune communication ne peut sauver une mauvaise politique, mais une mauvaise communication peut tuer une bonne politique. Du point de vue de l’opposant, on pourrait ajouter qu’une communication efficace peut aussi largement contribuer à tuer une bonne politique.

Le cabinet a par exemple conseillé l’AARP dans son opposition au projet de réforme des retraites lancé par George Bush, un exemple qui semble attester d’une efficacité certaine.

En fait, dans ces configurations de combat, il ne s’agit pas seulement pour Luntz de recommander les mots et les messages qui font mouche, mais aussi de valoriser les mots qui induisent un passage à l’action (« call to action ») en passant d’une attitude de complainte passive à un comportement engagé (pm. sur le plan théorique cela est à rapprocher des théories tant de la psychologie de l’engagement aux Etats-Unis que de la socio-dynamique en France, très proches dans leur souci de convertir du language en énergie concrète et en action).

Un seul souci de ce point de vue : « What’s the story ? ». Autrement dit, quelle est l’histoire à raconter, le récit à dérouler et quel champ lexical lui associer. Une approche recherchant l’adéquation avec le mode de fonctionnement des medias qui restent classiquement intéressés par trois ressorts majeurs : « conflicts, processes and polls » (J. Surrell).

La campagne Bush/Kerry

Sur le papier, c’est Kerry qui, par ses études, son action pendant la guerre puis au retour, par son dévouement au pays depuis de longues années, devait l’emporter de loin. La jeunesse passablement dissolue de Bush Jr en faisait, par opposition, un piètre président potentiel.

La mise en œuvre du scénario contraire a reposé en grande partie sur la capacité du camp républicain à définir Kerry très en amont dans l’opinion comme un type indécis (« flip-flopper »), ne sachant pas très bien où il allait et apparaissant en conséquence peu en mesure de conduire le pays de façon fiable.

Par extension, un des facteurs clés de réussite d’une réforme publique consiste, pour Larry Moscow à installer, non seulement le lexique, mais aussi le cadre du débat. L’accent mis dans le camp conservateur dès la fin des années 90 sur les valeurs participe de cette stratégie consistant à préempter le terrain du débat. Bush s’est par la suite largement appuyé sur ce capital. « At the end, principle trumped polish » résume une étude du cabinet sur l’élection de 2004.

Comment flinguer une réforme ?

Le cas des retraites, pour lequel Luntz a procédé à plusieurs focus groups, est un bon exemple de l’efficacité des méthodes lexicales mises en œuvre. Celles-ci ont en effet permis d’identifier les thèmes et expressions à forte portée émotionnelle sur ce sujet de société par excellence (le sujet étant clos et pour répondre à mon intérêt pour cet exemple, Moscow me remet même le dossier des focus groups sur le sujet).

La contre-attaque qui a suivi a pu ainsi s’appuyer sur un positionnement original qui pouvait se résumer à cette proposition : le but n’est pas de donner plus aux retraités, mais de protéger l’avenir de nos enfants. Ce positionnement a donné lieu à des dizaines de spots télévisés soutenus, comme on sait, par une campagne téléphonique intensive auprès des élus.

La tentative de réforme du système de santé proposée par Hilary Clinton il y a quelques années a été largement mise en échec par l’assimilation d’un système « universel » à une médecine « socialisée », un concept totalement repoussoir aux Etats-Unis (cf « Sicko »). L’évolution possible vers une réforme du système passera sans aucun doute, pour Larry Moscow, par l’invention d’un autre vocable de référence pour désigner une future réforme de ce système.

L’immigration est un sujet très sensible qu’a ravivé, il y a peu, le projet de l’administration Bush d’une légalisation des immigrés illégaux. Les études conduites par Luntz font apparaître que toutes les argumentations développées sur le thème de la sécurité nationale ont peu d’effets sur ce sujet pour toucher les gens. En revanche, les argumentaires qui font référence, sur ce sujet, à des thèmes comme ceux de la santé, de l’éducation ou des impôts, ont beaucoup plus d’impact dans l’opinion parce qu’elles font écho à des préoccupations concrètes.

Des formules qui tuent

Par l’impact concentré que lui confère sa concision et qui la rend à la fois synthétique et facile à retenir, la formule va souvent plus loin que le message. Luntz est ainsi connu pour avoir inventé ou relayé quelques exemples célèbres dans le domaine socio-politique.

Ainsi de l’impopulaire « estate tax », perçue comme une taxe légitime portant sur les biens des plus riches, en « death tax » concernant potentiellement tout le monde et à la connotation négative. De même, dans un domaine concernant davantage le secteur privé mais qui n’est pas sans conséquence politique en ces temps de réchauffement climatique, les activités de forage pétrolier, perçues par le public comme très polluantes, sont devenues une activité d’exploration en eaux profondes (« deep water exploration »). Le remplacement, déjà identifié, dans le domaine des retraites de « privatizing » par « personalizing » lui devrait aussi beaucoup.

De telles formules, faciles à reprendre dans les titres de la presse ou les interviews à la télévision, sont très utiles pour fixer l’opinion dans le sens souhaité comme l'ont montré les mémorables : « socialized medicine », ou « flip-flopper » qui, chacune, dans leur domaine, ont fait l’objet d’un matraquage médiatique impressionnant.

Bref, en sortant de chez Luntz, à Alexandria, de l'autre côté du Potomac, dans l'état de Virginie, on se dit deux choses : 1) ces types, comme on dit sur CBS, sont des experts ; 2) la communication est un métier dangereux...

14/12/2007

L'âne, l'éléphant, le web et les lobbies (entretien n°1/8 avec Jeff Surrell, chez Edelman)

Je commence ici la publication des compte rendus d'entretiens menés à Washington DC pour le compte de l'Institut Montaigne dans le cadre de l'étude que nous réalisons sur le thème : "communiquer la réforme".

La com est son métier

Jeff Surrell est Executive Vice President d’Edelman. Fondée dès 1952 par Daniel J. Edelman, un pionnier des relations publiques qu’il a promues comme domaine d’intervention propre, distinct de la publicité, l’agence est la plus grosse entité indépendante de relations publiques de la place. Elle a notamment compté parmi ses dirigeants Michael Deaver, ancien conseiller en communication de Ronald Reagan.

Edelman a une cinquantaine de bureaux dans le monde et compte 3000 employés, dont 200 travaillent à Washington. L’agence intègre un large spectre de clients (énergie, alimentation, santé, télécommunications…) et d’interventions (lobbying, veille, communication de crise, reputation management…), avec une orientation particulière affaires publiques à Washington.

Artillerie lourde

La communication politique opère aux Etats-Unis dans un cadre contraint du fait en particulier de la nouvelle législation sur le financement de la vie politique mise en place à l’initiative du sénateur MacCain en 2002, qui limite les montants des dons pendant les campagnes électorales.

La pratique consistant à associer les spécialistes de la communication dès l’origine des projets de réforme s’est fortement développée dans les milieux gouvernementaux, à la suite des pratiques aujourd’hui généralisées au sein des grandes compagnies privées (la campagne environnementale de Wall Mart est un cas de référence récent dans ce domaine).

Les développements de la communication politique au sens large peuvent s’appuyer aux Etats-Unis, au-delà des 450 membres du Congrès, des 100 Sénateurs et dizaines de comités et sous-comités institutionnels que compte Washington, sur un personnel politique de quelque 25 000 personnes, dont le quart environ occupe une fonction en relation avec la communication et les medias.

Lobbies contre lobbies

Beaucoup de projets gouvernementaux donnent lieu ici à des batailles de lobbies titanesques. C’est par exemple le cas du projet de loi sur le frêt régulièrement réexaminé par le Congrès, dont les enjeux financiers se chiffrent en milliards de dollars pour les principales parties intéressées, en l’occurrence camionneurs et rail.

Le dernier épisode en date a vu une action intensive des camionneurs auprès du Congrès pour rattraper le terrain perdu, mobilisation qui s’est appuyée sur des études d’opinion fines (notamment à travers des focus groups) permettant de combattre le projet de loi en s’appuyant sur les principaux inconvénients exprimés par les citoyens, en l’espèce les interruptions de circulation qui seraient induites par l’accroissement de la place du rail.

Un consensus sinon rien

Un des facteurs clés de succès d’une réforme gouvernementale aux Etats-Unis tient à la capacité d’une élaboration bi-partisane du projet de loi concerné dans la mesure où elle neutralise par avance les oppositions potentielles.

Ce fut par exemple le cas avec la réforme de l’éducation primaire « No Child Left Behind », à laquelle ont été associées des personnalités démocrates de renom telles que Ted Kennedy ou George Miller. A contrario, le seul engagement du Président permet difficilement de remporter l’adhésion.

Le sens de la formule

L’élaboration de « crafty » messages (à la fois ingénieux et retors) joue un rôle clé. Le cas de la tentative de réforme des retraites en donne un exemple connu avec le remplacement de « privés » par « personnels » à propos des comptes d’épargne (autres exemples à suivre suite à la réunion chez Luntz & Maslansky)

Il est à noter toutefois que l’échec de la tentative de réforme des retraites s’explique aussi par un mauvais timing : alors qu’elle passait par des investissements en bourse plus importants, elle a ainsi été proposée juste après une forte baisse des valeurs à Wall Street.

Au-delà de Washington, localiser les messages peut aussi favoriser les réformes. Classiquement, des débats comme celui portant sur les standards environnementaux (C.A.F.E., Corporate Average Fuel Economy) s’appuient ainsi largement sur des éléments liés aux emplois locaux qui seraient potentiellement concernés par une modification des normes dans tel ou tel Etat. Inversement, c’est parce qu’il n’était pas de la région qu’une personnalité comme Henry Kissinger a pu, dans le Michigan, être récusée pour intervenir sur une question sensible relative au libre-échange agricole.

"A soft bigotry of lower expectation"

L’importance d’une formule juste est aussi avérée dans la réforme de l’éducation. Ainsi la formule de George Bush stigmatisant les travers de la complaisance à l’égard des minorités défavorisées (a « soft bigotry of lower expectation ») a fait mouche et contribué à convaincre qu’il était nécessaire de relever le niveau de l’éducation primaire à travers des standards fédéraux plus exigeants que les normes, diverses et globalement moins élevées, qui étaient fixées par les différents Etats. Condoleezza Rice a même confié que cette formule avait été le déclencheur de son ralliement à George Bush.

Les blogs au centre du débat

L’importance des blogs dans le débat politique s’est cristallisée aux Etats-Unis sur 10 à 15 blogs majeurs (plus quelques sites) qui font l’opinion en ligne. Ces blogs sont de fait suivis chaque jour par 10 à 20 000 lecteurs influents. Parmi ces blogs, on peut par exemple mentionner Daily Kos (démocrate) ou Drudgereport (républicain).

L’importance de la blogosphère s’étend aux grands enjeux de société. Sur les questions environnementales par exemple, un site tel que Treehugger.com est, avec plus de 1 500 000 visiteurs mensuels, une référence centrale capable d’orienter fortement le débat public. De tels blogs sont désormais l’objet de toutes les attentions dans les stratégies d’influence : voyages de presse ou réunions thématiques particulières sont ainsi régulièrement proposés à ses animateurs sur des sujets d’actualité sensibles.

Sécurité sociale, le retour

Dans le domaine de la santé, l’initiative « Divided we fail » illustre certes le pouvoir des lobbies, d’autant plus quand ils s’allient en réunissant, en l’occurrence, à la fois l’AARP, le BRT (Business Roundtable), le SEU (Service Employees Union) et le NFIB (National Federation of Independant Business). Elle atteste, simultanément, de la puissance confirmée des plateformes internet sur les grands sujets du débat socio-politique.

Le logo de cette initiative, déjà médiatisée par ailleurs notamment à la télévision, associe l’âne démocrate et l’éléphant républicain pour appeler à un consensus sur la réforme du système de santé.

Il est intéressant de noter que cette réforme est présentée moins comme un droit social que comme un élément de la compétitivité à long terme du pays. Cela, porté par des lobbies économiques, pourrait de fait contribuer à faire avancer un sujet qui été combattu avec virulence sur le plan idéologique sous la présidence Clinton.

Chères études

Pour analyser l’opinion, de nombreux focus groups sont organisés en permanence. Beaucoup de ces groupes portent d’ailleurs sur des membres du Congrès, du moins de leurs équipes (cf le nombre de personnes dédiées à la communication). Mais ces études sont également de plus en plus réalisées à partir d’investigations sur internet.

La montée en puissance d’internet dans les grandes campagnes de communication en faveur des grandes réformes ou des sujets sensibles est précisément une conséquence directe des études qui montrent que, autant la défiance augmente vis-à-vis des instances (entreprises, institutions) et medias traditionnels (même si la télévision et la presse demeurent des références bien établies), autant la confiance est de plus en plus associée au réseaux sociaux qui, au-delà d’internet, touchent à des communautés de proximité ou d’affinités (collègues, amis et famille).

Confiance et transparence

Il faut souligner à cet égard que le baromètre établi par Edelman dans plusieurs grandes zones culturelles montre une défiance envers les institutions et les medias traditionnels bien plus marquée en Europe, et notamment en France, qu’aux Etats-Unis.

Cela tient sans doute à une transparence institutionnelle culturellement très différente entre les deux pays, ainsi qu’à un rôle régulateur beaucoup plus marqué des contre-pouvoirs en Amérique.