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08/01/2008

Réinventer l'administration : l'expérience américaine (2) Un gouvernement engagé, des agents impliqués

A travers les « Reaganomics », les années 80 ont été marquées, aux Etats-Unis, par d’importantes mesures de déréglementation, de privatisation et de révision des politiques sociales. Dans un contexte politique différent, marqué moins par une volonté de rupture que par un certain consensus socio-politique sur la nécessité d’améliorations au sein de la sphère publique, les années 90 ont vu, autour du National Partnership for Reinventing Government, la mise en œuvre d’une réforme administrative de grande ampleur, aussi bien par les résultats obtenus que par la méthodologie mise en oeuvre.

La réforme générale de l’administration engagée en 1993 aux Etats-Unis par le gouvernement Clinton a eu pour origine l’image déplorable de l’administration qui prévalait alors au sein de l’opinion américaine. Selon un sondage de l’époque, seuls 21% des personnes disaient en effet avoir confiance dans le gouvernement fédéral. C’était le taux le plus faible jamais enregistré depuis une quarantaine d’années, dans un pays dans lequel la conjonction du libéralisme économique et de la culture du process suscitait pourtant un mouvement d’amélioration quasi continu depuis les années 50 – période qui coïncida également avec l’essor de la culture managériale.

Une importante modernisation de l’administration fut alors engagée sous l’autorité du Vice-président Al Gore et d’un groupe d’action intergouvernemental créé pour la circonstance, le National Performance Review à travers une loi, le Governement Performance and Results Act. Cette loi demandait aux agences d’améliorer le service aux usagers en s’inspirant des meilleures pratiques du secteur privé. La réforme a été entreprise en s’appuyant sur une vaste enquête de satisfaction réalisée auprès des agents eux-mêmes au sein des différentes administrations.

Les fonctionnaires américains ont ainsi pu, non seulement donner leur sentiment sur leur administration, mais aussi se positionner comme partie prenante des changements à réaliser pour en redresser l’image. Cela d’autant plus que la définition d’objectifs et la responsabilisation étaient a priori ouvertes à tous les acteurs au sein des agences concernées. Des plans de formation à l’accueil et au service furent aussi mis en œuvre.

Au total, grâce à cette approche impliquante, la mise en œuvre de la réforme n’a pas suscité la résistance des agents, pas plus qu’elle n’a donné lieu à la mobilisation des syndicats de fonctionnaires.

Quel en était le contenu ?

07/01/2008

France/Amérique : un éclairage anthropologique sur la gestion du changement

Une trame de réflexion sur le thème : que peut apporter de plus intéressant, au regard des problématiques françaises, le cas de l’Amérique du Nord à une étude comparative à vocation pratique sur le sujet : "communiquer la réforme" ?

1°) Un éclairage anthropologique
La prise en compte de la culture comme enjeu essentiel de la réforme

Aspects culturels

- une culture de la responsabilité (« accountability » vs indifférenciation)
- le positivisme des comportements (pro-activité vs esprit critique)
- un rapport conquérant au temps (avenir vs passé)

Aspects socio-politiques

- la confiance dans des institutions équilibrées, facteur de compromis
- forte capacité de remise en cause de ce qui ne marche pas (New Deal, Reaganomics)
- approche partenariale et régulatrice de l’action publique

2°) Une recherche appliquée
Un management caractérisé par une recherche organisée et pragmatique de l’efficacité

Apports théoriques

- la psychologie de l’engagement ou la communication par l’action
- Palo Alto et la gestion de la dimension thérapeutique du changement
- l’apport de la recherche managériale appliquée (P. Drucker, etc)

pm. A noter aussi l’existence d’une école canadienne de la communication de changement autour de Collerette, Schneider, Legris et Giroux qui préfère l’approche socio-managériale aux techniques du marketing.

Atouts managériaux

- une culture pragmatique centrée sur l’action et la mesure des résultats
- l’efficacité collective d’une approche organisationnelle conçue comme un process
- le moteur du leadership et les politiques de reconnaissance et de motivation

3°) Des techniques éprouvées
La mise en œuvre de techniques de marketing socio-politique innovantes

Elaboration

- la portée facilitatrice de la culture de la gouvernance : règles, contrôle et pédagogie
- l’apport des think tanks et des lobbies (idées et réseaux) en amont
- l’élaboration et la gestion des marques politiques (moteurs, résistances, dynamique)

Déploiement

- un management interne du changement emprunté aux méthodes de l’entreprise
- la force de pénétration des approches multimedias
- la culture du client et de l’évaluation transposées du consommateur au citoyen

4°) Des illustrations significatives
Des exemples différenciés entre USA et Canada, avec des points forts partagés

Réformes récentes

- aux Etats-Unis, une réforme de l’administration s’appuyant sur la nécessité de redresser l’image de celle-ci dans le cadre du Government and Performance Act (1993) et du National Partnership for Reiventing Government (1998)
- une réforme de l’Etat au Canada essentiellement commandée, dans les années 90, par la nécessité de redresser les finances publiques, et qui s’est étendue à l’ensemble des structures et modes d’action publics à travers un discours souverainiste et citoyen

Points forts

- construction d’une communication préparatoire adaptée aux cibles et aux acteurs
- un pilotage volontariste mais pragmatique, s’appuyant sur l’expérimentation
- une large utilisation du web comme outil de communication et de productivité


Cette trame constituait une sorte de point de départ au travail mené pour le compte de l'Institut Montaigne en Amérique du Nord (pm. L'Institut publiera son rapport sur cette question au début du printemps). Les travaux qui ont suivi ont été pour l'essentiel des analyses de réformes spécifiques, que je publierai également dans la foulée car elles apportent un éclairage, cette fois technique, aux entretiens que j'ai mené en décembre, à Washington, sur ce sujet.

Cela vous inspire ? D'autres pistes à suggérer ?

On est souvent marqué par ce préjugé que les modèles français et américains seraient trop différents pour être rapprochés ; mais, au terme de cette étude, je n'en suis pas si sûr. Et vous, que pensez-vous de tout cela ? La résistance française au changement et la passion des Américains pour le nouveau : mythes ou réalités ?

27/12/2007

The Republican Noise Machine (entretien n°8/8 avec Douglas Smith)

Politique.com

Douglas Smith a été un des conseillers en communication de l’équipe Clinton de 1994 à 1999. Après avoir conseillé un cabinet d’avocats dans une procédure de « class action » victorieuse contre un grand fabricant de tabac en 1999, Smith a fondé en 2000 une agence spécialisée sur les questions politiques sur internet (voters.com), dont l’audience aurait rivalisé avec CNN Politics.

Il est aujourd’hui consultant chez Hill & Knowlton, agence de communication, relations publiques et affaires publiques, au sein de laquelle il travaille notamment à la promotion de Chicago pour les Jeux olympiques de 2016. Smith livre ici un éclairage davantage orienté bataille électorale que communication de réforme.

Prems !

La première règle de communication à observer en politique, c’est de définir le terrain en premier. C’est cette stratégie qui a par exemple permis à Bush de triompher plus facilement d’Al Gore lors de l’élection présidentielle de 2000 parce que l’équipe Bush a été la première à proclamer dans les medias : « On a gagné ! », position qui plaçait Al Gore dans le rôle, inconfortable, du mauvais joueur qui conteste le résultat pour tenter de lui substituer le sien propre.

The « Big Mo »

Deuxième précepte : déclencher, puis cultiver ce que Douglas Smith appelle le «momentum » (le « Big Mo »), sorte de mix entre la vitesse et la dynamique, ce moment qui, dans un débat, dans une campagne, fait soudain entrer dans une logique à la fois d’accumulation et d’accélération. C’est cette dynamique qu’a par exemple suscitée John Kerry en 2004 après le caucus de l’Iowa.

L’intendance suivra (ceci n’est pas qu’un précepte gaullien)

Cela ne va pas, derrière, pour entretenir le mouvement et se positionner à la hauteur des attentes suscitées, sans une forte ténacité et une très solide organisation. Contre-exemple d’actualité : c’est le problème que rencontre aujourd’hui Mike Huckabee chez les Républicains à la suite d'une progression aussi forte qu'inattendue dans les sondages.

Il faut donc une armée à la bataille, des tonnes de spots publicitaires, ciblés selon les enjeux géographiques du moment, puis une production de mailings à grande échelle qui tournent 24/24 h. Objectif recherché, le «GOTV », Get Out The Vote, consistant à déclencher le passage de l’adhésion au vote lui-même en faveur du candidat.

D'abord dégainer

Troisième règle : ne jamais laisser une attaque sans réponse. Kerry s’est montré, de ce point de vue, bien trop tendre face à l’équipe Bush en 2004. Il faut aussi savoir parfois ne pas laisser une accusation sans démenti lorsqu’elle émane… de son propre camp sans avoir reçu l’aval officiel du leader : ainsi des allusions à la consommation de marijuana d’Obama lorsqu’il était adolescent en provenance d’un membre du staff d’Hilary Clinton, retirées par la candidate dans les jours qui ont suivi.

Ensuite bombarder

Prolongement logique de cette confrontation : le matraquage. Bush, à cet égard, n’est pas le meilleur communiquant qui soit. Mais il peut s’appuyer sur une remarquable organisation qui, de ses secrétaires d’Etat jusqu’au moindre comité local en passant par la plupart des medias, peut relayer ses messages de façon très efficace. Il y a là un double effet de bombardement et d’amplification qui, associé au « bully puppet » (ce privilège du Président d’être suivi et relayé dans ses moindres propros), donne une puissance considérable à sa communication – on le voit bien en la comparant, ces temps-ci, à celle, fût-elle très active, de la Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, pourtant troisième personnage du pays.

The « Republican Noise Machine »

L’un des anciens conseillers du camp républicain, David Brock, a raconté certaines des pratiques en vigueur dans ce domaine, qui vont plus loin que ce qui était déjà connu avec Karl Rove… Brock est d’ailleurs un cas : journaliste, puis activiste au service du camp républicain, il a fini par tourner le dos à cet engagement et aux excès commis en son nom. Il est notamment l’auteur de « The Republican Noise Machine », ouvrage dans lequel il critique la mécanique médiatique républicaine. Il est aussi le fondateur de l’ONG « Media Matters For America » dont l’objectif est de contrer le travail de désinformation des Républicains dans les medias.

Réformes, quelles réformes ?

Pour Douglas Smith, démocrate convaincu, peu de réformes sortent du lot au cours des dernières années. Succès initial, No Child Left Behind s’est peu à peu transformé en échec - et, sous la pression des enseignants, la réforme est d'ailleurs vivement critiquée aujourd'hui par les candidats démocrates. Le projet de réforme des retraites a été détruit par l’AARP (le lobby des seniors), qui dispose d’un potentiel de mobilisation considérable dans le pays à travers sa capacité à mener de front stratégies « grasstops » et «grassroots » (avec notamment des retraités souvent très disponibles) pour renforcer indirectement le message vers les décideurs. L’immigration, tout au long de ces derniers mois, a donné lieu à une foire d’empoigne dans les deux camps. C’est donc l’augmentation du salaire minimum, il y a 6 mois, avec l’accord des Républicains, qui pourrait faire office de réforme réussie…

Globalement, l’affaire est pourtant entendue : il est beaucoup plus facile de détruire que de proposer. Et, à ce jeu-là, les politiques américains – avec leurs conseillers – sont passés maîtres.

24/12/2007

Comment on réinvente l'administration (entretien n°7/8 avec William Galston)

Un artisan de la reconquête démocrate

William A. Galston est un résident de la Brookings Institution, spécialiste lui aussi des questions politiques et électorales. Il a notamment été un membre actif de l’équipe qui, au sein du Democratic Leadership Council et du Progressive Policy Institute, a préparé, dès la fin des années 80, l’avènement de l’équipe Clinton au pouvoir.

Il a conseillé, par la suite, aussi bien Bill Clinton que Al Gore. Il est aussi membre du conseil d’administration du Council for Excellence in Government, association qui a pour but d’encourager les meilleures pratiques publiques.

L’exception administrative américaine

Du point de vue de la place et du statut des services publics au sein de la société américaine, la période qui va des années 30 aux années 60 est tout à fait exceptionnelle. L’extension alors à l’œuvre a été favorisée à la fois par le modèle d’organisation bureaucratique en vigueur au sein des grandes compagnies américaines et par l’expérience productive de l’économie de guerre au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

Or, plusieurs études d’opinion ont fait apparaître, à la fin des années 80, que les citoyens américains souhaitaient une modernisation en profondeur de leur administration. De nombreuses critiques étaient formulées à l’encontre de l’administration : lenteur, routine, absence d’innovations, manque d’efficacité, etc.

Confronté à cet empilement administratif, les citoyens américains avaient le sentiment de perdre, vis-à-vis du gouvernement fédéral, une liberté individuelle qui constitue un concept central de la culture politique américaine. Reagan avait cherché au début des années 80 à réduire la place de l’administration. Mais les études d’opinion montraient aussi qu’il y avait une attente réelle à l’égard des services publics, à la condition toutefois que ceux-ci soient améliorés. Une équipe démocrate s’est alors mise au travail à la fin des années 80 sur le sujet en visant une modernisation de l’administration, et cela dans la perspective de la conquête du pouvoir par Bill Clinton.

« Reinventing Government »

Sur le plan de la communication, un moment fondateur de cette dynamique fut lié à la publication d’un livre qui, au début des années 90, a fait date sur le sujet, en rencontrant d’ailleurs dans le public un succès inattendu. Il s’agit de « Reinventing Government » de David Osborne et Ted Gaebler. La préparation de la modernisation de l’administration effectivement conduite au cours de la décennie 90 s’est ainsi appuyée à la fois sur un effort de renouveau théorique et sur une préparation du terrain socio-politique.

Il est à noter, sur le plan de la communication du changement, que des entreprises de cette nature, aux Etats-Unis, s’habillent souvent de concepts ou d’expression ambitieux et porteurs qui ont vocation à populariser le changement dans l’opinion bien au-delà de leurs aspects concrets.

Clinton – et Gore, qui allait par la suite être plus directement en charge du programme –, ont alors sillonné le pays, visitant des services publics, rencontrant les acteurs administratifs, participant à des conférences, etc. De sorte que, le moment venu, non seulement le pays et l’administration avaient été préparés, mais les nouveaux dirigeants démocrates étaient aussi prêts à passer à l’action. Ils l’étaient d’autant plus qu’ils bénéficièrent, entre 1992 et 1994, d’une période de « united governement » en ayant alors en main tous les leviers du pouvoir institutionnel.

« It was not like people singing around a camp fire »…

Commença alors un processus de modernisation à travers lequel on visait moins de bureaucratie et plus d’efficacité, en remplaçant le culte des règles par la culture du résultat, notamment par une meilleure définition des objectifs poursuivis par les différentes administrations. Ce processus s’inspira en partie du « reegineering » qui se développait alors dans le secteur privé, échange favorisé par la structure de la société civile qui, aux Etats-Unis, voit les gens circuler aisément entre l’Université, le conseil, la politique, le secteur privé et les think tanks – think tanks qui constituent d’ailleurs un carrefour privilégié de cette mobilité professionnelle et intellectuelle.

La modernisation de l’administration qui a alors été engagée dans le cadre du National Partnership for Reinventing Government a, par la suite, non seulement été poursuivie par les Républicains, mais aussi encouragée au sein de la société civile par différentes institutions telles que la Fondation Ford ou encore le Council for Excellence in Government. Ces institutions encouragent les meilleures pratiques par une communication soutenue qui passe notamment par des remises de prix, divers articles dans les medias ainsi que par la publication d’études et d’enquêtes d’opinion.

Le mouvement n’en a pas moins suscité de fortes résistances ici ou là au sein de l’administration (« It was not like people singing around a camp fire » résume Galston). Plusieurs sujets posèrent naturellement problème : la réduction des postes aux employés, l’accroissement de l’autonomie des employés aux supérieurs ou l’affaiblissement de la représentation collective aux syndicats. Le processus n’en avança pas moins en s’appuyant sur le Government Performance and Results Act selon lequel chaque agence fédérale devait, chaque année, rendre compte de ses résultats, sous l’égide en particulier du General Accountability Office du Congrès. Et, comme les rapports de la Cour des Comptes, les publications du GAO formulaient souvent des avis critiques, et médiatisés, des résultats de telle ou telle agence.

Médiatisation et efficacité

Al Gore, qui était plus directement en charge de la supervision de ce programme, n’a pas ménagé ses propres efforts pour rendre populaire l’action entreprise. L’animation du programme reposait en effet sur une politique de récompenses et de prix régulièrement attribués aux meilleures réalisations. Le vice-président déploya aussi une communication régulière qui visait à frapper les esprits pour matérialiser les progrès réalisés. On se souvient ainsi l’avoir vu à la télévision jeter à la poubelle des piles de documents administratifs que l’effort considérable d’informatisation des services publics avait permis de supprimer comme autant de tâches et de dépenses inutiles.

Il se pourrait que cette réforme qui représente dans son domaine un modèle du genre et qui, pourtant, n’a guère été médiatisée aussi bien en Amérique qu’à l’extérieur, entre bien dans le cadre de ce que Jonathan Rauch appelait « incremental change », le changement progressif - un changement peu spectaculaire mais réel. Et, finalement, perçu comme tel par l'opinion : cet effort de modernisation s’est en effet traduit par une forte hausse de la confiance des citoyens américains dans leur administration, hausse qui, en retour, encourageait la poursuite du mouvement dans un cercle devenu vertueux entre une communication positive et une action, du coup, dynamisée.

23/12/2007

La société contre l'Etat (entretien n°6/8 avec Jonathan Rauch à la Brookings)

Jonathan et les pouvoirs

Résident de la Brookings Institution, Jonathan Rauch est journaliste (National Journal, Atlantic Monthly) et essayiste, spécialiste de la politique intérieure américaine. Il est notamment l’auteur de : « Government’s End : Why Washington Stopped Working ». Jonathan est aussi un militant engagé de la cause homosexuelle.

Quant à la Brookings Institution, elle est le plus ancien think tank américain (1916) et l’un des principaux think tanks démocrates bien que souvent considérée comme centriste ; elle compte aussi des conservateurs dans ses rangs. Dirigée par Steve Talbott, un ancien de l’administration Cliton, elle se focalise sur les politiques publiques en matière institutionnelle, socio-économique et internationale.

Une confiance en déclin

La confiance des Américains dans le gouvernement fédéral a complètement basculé entre les années 60 et la décennie 80. En 1965, les ¾ des Américains déclaraient avoir confiance en leur gouvernement pour résoudre les problèmes. Au début des années 80, le rapport s’inverse : seuls 25 % des personnes interrogées déclarent continuer à faire confiance au gouvernement, majoritairement perçu comme une instance de suppression plutôt que de résolution des problèmes.

En fait, entre les années 80 et 2000, le pays n’a connu que 3 grandes vagues de réforme.

Reagan sur la scène : primat de l’image sur le réel

La première vague a été conduite sous Ronald Reagan, qui s’est appuyé pour ce faire sur un homme clé : David Stockman. Reagan a certes laissé l’image d’un communiquant efficace : on se souvient notamment du moment où, à la télévision, il s’était saisi du très épais projet de budget qu’on lui demandait de signer en bloc en expliquant, gestes à l’appui, qu’il n’accepterait de signer qu’un document beaucoup moins épais mais beaucoup plus clair et qu’il ne signerait, en tout état de cause, le projet de budget qu’après avoir soigneusement passé en revue les programmes les uns après les autres.

Mais, contrairement aux idées reçues sur le sujet et à l’expérience qui fut menée dans le même temps par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, l’expérience a donné, en réalité, peu de résultats concrets. Seuls quelques programmes symboliques ou très anciens ont en effet été alors supprimés.

Bill, Hilary et les ennuis

La deuxième vague est intervenue au début de la présidence Clinton en 1993. L’objectif majeur fut alors de faire évoluer l’administration plutôt que de la réduire. La logique des monopoles publics a ainsi peu à peu laissé la place à une compétition ouvrant à l’usager le choix entre plusieurs offres. Des avancées ont été réalisées, mais la réforme s’est aussi heurtée à la difficulté de réduire l’importance de l’administration. Simultanément, la tentative d’Hilary Clinton de réformer le financement du système de santé s’est soldée par un complet fiasco.

Le « Contract With America » de Gingrich

La troisième vague a commencé juste après avec le « Contract with America » lancé par Newt Gingrich, d’ailleurs avec le conseil du Dr Luntz, qui permit aux Républicains de revenir au pouvoir (pm. L’expression a été caricaturée par Clinton sur le mode mafieux en substituant « on » à « with »). Gingrich voulait alors aller plus loin que Stockman et entama avec le Président un bras de fer sur la mise en œuvre d’un important programme de suppression d’agences gouvernementales. Un bras de fer qu’il finit par perdre après avoir tenté un coup de force en essayant de faire passer Clinton pour responsable aux yeux de l’opinion de la fermeture des agences gouvernementales qu’il avait ordonnée pour protester contre le refus du Président de signer ses projets de lois.

Globalement, les réformes qui ont été tentées au cours de cette période se sont donc plutôt soldées par des échecs. Trois exceptions notables sont cependant à mentionner : la réforme des retraites en 1983 du fait d’une situation de crise financière ; la réforme des impôts en 1986, les Démocrates s’associant alors au nettoyage d’un système devenu opaque et complexe, réclamé par l’opinion ; la réforme de la lutte contre la pauvreté en 1995 enfin, qui s’est traduite par moins d’assistance et plus d’emplois.

L’heure du « compassionate conservatism »

Aparaissant sur la scène en 1999, Bush tire les leçons de ces échecs répétés des tentatives de réformes : ce sera l’heure du « compassionate conservatism ». Il se concentre alors sur quelques sujets populaires en baissant les impôts et en augmentant le rôle du gouvernement et les subventions à divers secteurs d’activité.

Sorti de ces sujets faciles, les autres actions sont elles aussi marquées par des échecs ou demi-échecs. Ainsi de la réforme du programme Medicare, dédié à la santé des personnes âgées, qui ne modifia le système qu’à la marge, de la tentative de réforme des retraites début 2005 ou, plus récemment, des projets de réforme de l’immigration qui s’est traduit non seulement par un échec, mais aussi par de profondes divisions.

Seule exception, de nouveau : l’éducation avec « No Child Left Behind ». Cette loi est d’ailleurs intervenue au début du premier mandat de Bush, lorsque le nouveau Président se montrait encore ouvert à travailler avec les Démocrates. 9/11, puis la guerre en Irak ont ensuite complètement changé la donne et radicalisé l’opposition idéologique.

Petits blocages entre ennemis

En réalité, toute réforme d’ampleur est polémique par essence dans la mesure où elle touche à des intérêts établis prêts à se défendre. De ce point de vue, on peut rapprocher la rue en France de la minorité institutionnelle aux Etats-Unis : chacune, avec ses moyens propres, a le pouvoir de bloquer les réformes (là-dessus, l’école du «public choice » a dit des choses qui restent pertinentes à beaucoup d’égard pour éclairer le comportement des acteurs institutionnels). Et rien n’est en effet possible, dans ce contexte, sans un minimum d’accord bi-partisan.

Au total, d’un point de vue pratique, le système socio-institutionnel américain ne paraît guère capable d’intégrer plus d’une réforme majeure tous les dix ans, période nécessaire pour laisser le temps au système de digérer le changement introduit – deux, lorsque les circonstances sont exceptionnellement favorables.

Toute tentative de modifier l’équilibre du système se heurte ainsi à une résistance intense des opposants, ce qui oblige à étayer toute action d’ampleur par un sérieux élargissement des soutiens possibles. Beaucoup de facteurs sont en réalité requis pour avancer parmi lesquels, outre une coopération entre les partis, l’appui des organisations concernées, des moyens financiers et un fort leadership du Président.

L’exception incrémentale

Faute de pouvoir réunir ces ingrédients, le changement ne peut être que modeste et progressif. Cette approche est d’ailleurs intéressante sur le plan de l’action (voir les analyses de… Michel Rocard sur le sujet à la fin des années 80) ; la difficulté est qu’elle est invendable politiquement pour gagner une élection du fait de sa posture modeste et laborieuse, aux antipodes des exigences imposées tant par le fonctionnement des medias que par la mécanique politique. Ce type de réforme, dans le cadre de laquelle rentre dans une large mesure la modernisation de l’administration engagée sous Clinton dans les années 90, reste donc assez rare.

Il s’agirait ainsi d’un « sticky system » dans lequel il est beaucoup plus facile de créer des services, des subventions ou des avantages supplémentaires que d’en supprimer – tout nouveau service créé, en créant simultanément une clientèle, s’installant lui aussi dans la durée. De la même façon que l’on a parlé « d’eurosclerosis » pour l’Europe à la fin des années 70, Rauch évoque aujourd’hui une « demosclerosis » du pays, 95 % du système visant selon lui au statu quo.

Changer, pour quoi faire ?

Ce qui se révèle au total, c’est une opposition systémique très forte entre un système politique tendant à l’immobilisme et une société dynamique et innovante. Et c’est ce dynamisme à l’œuvre dans la société et l’économie qui permet dans une large mesure de contourner les obstacles institutionnels tandis que l’opinion semble, quant à elle, être passée en deux décennies de la colère à la résignation.

Traduction para-institutionnelle : en cinquante ans, notamment entre 1945 et 1995, le nombre des lobbies de toute nature a complètement explosé aux Etats-Unis, explosion qui révèle l’âpreté d’une sorte de combat pour la rente. Et qui atteste que les systèmes institutionnels ont souvent moins vocation, voire intérêt, au changement qu’à la continuité.