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24/12/2007

Comment on réinvente l'administration (entretien n°7/8 avec William Galston)

Un artisan de la reconquête démocrate

William A. Galston est un résident de la Brookings Institution, spécialiste lui aussi des questions politiques et électorales. Il a notamment été un membre actif de l’équipe qui, au sein du Democratic Leadership Council et du Progressive Policy Institute, a préparé, dès la fin des années 80, l’avènement de l’équipe Clinton au pouvoir.

Il a conseillé, par la suite, aussi bien Bill Clinton que Al Gore. Il est aussi membre du conseil d’administration du Council for Excellence in Government, association qui a pour but d’encourager les meilleures pratiques publiques.

L’exception administrative américaine

Du point de vue de la place et du statut des services publics au sein de la société américaine, la période qui va des années 30 aux années 60 est tout à fait exceptionnelle. L’extension alors à l’œuvre a été favorisée à la fois par le modèle d’organisation bureaucratique en vigueur au sein des grandes compagnies américaines et par l’expérience productive de l’économie de guerre au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

Or, plusieurs études d’opinion ont fait apparaître, à la fin des années 80, que les citoyens américains souhaitaient une modernisation en profondeur de leur administration. De nombreuses critiques étaient formulées à l’encontre de l’administration : lenteur, routine, absence d’innovations, manque d’efficacité, etc.

Confronté à cet empilement administratif, les citoyens américains avaient le sentiment de perdre, vis-à-vis du gouvernement fédéral, une liberté individuelle qui constitue un concept central de la culture politique américaine. Reagan avait cherché au début des années 80 à réduire la place de l’administration. Mais les études d’opinion montraient aussi qu’il y avait une attente réelle à l’égard des services publics, à la condition toutefois que ceux-ci soient améliorés. Une équipe démocrate s’est alors mise au travail à la fin des années 80 sur le sujet en visant une modernisation de l’administration, et cela dans la perspective de la conquête du pouvoir par Bill Clinton.

« Reinventing Government »

Sur le plan de la communication, un moment fondateur de cette dynamique fut lié à la publication d’un livre qui, au début des années 90, a fait date sur le sujet, en rencontrant d’ailleurs dans le public un succès inattendu. Il s’agit de « Reinventing Government » de David Osborne et Ted Gaebler. La préparation de la modernisation de l’administration effectivement conduite au cours de la décennie 90 s’est ainsi appuyée à la fois sur un effort de renouveau théorique et sur une préparation du terrain socio-politique.

Il est à noter, sur le plan de la communication du changement, que des entreprises de cette nature, aux Etats-Unis, s’habillent souvent de concepts ou d’expression ambitieux et porteurs qui ont vocation à populariser le changement dans l’opinion bien au-delà de leurs aspects concrets.

Clinton – et Gore, qui allait par la suite être plus directement en charge du programme –, ont alors sillonné le pays, visitant des services publics, rencontrant les acteurs administratifs, participant à des conférences, etc. De sorte que, le moment venu, non seulement le pays et l’administration avaient été préparés, mais les nouveaux dirigeants démocrates étaient aussi prêts à passer à l’action. Ils l’étaient d’autant plus qu’ils bénéficièrent, entre 1992 et 1994, d’une période de « united governement » en ayant alors en main tous les leviers du pouvoir institutionnel.

« It was not like people singing around a camp fire »…

Commença alors un processus de modernisation à travers lequel on visait moins de bureaucratie et plus d’efficacité, en remplaçant le culte des règles par la culture du résultat, notamment par une meilleure définition des objectifs poursuivis par les différentes administrations. Ce processus s’inspira en partie du « reegineering » qui se développait alors dans le secteur privé, échange favorisé par la structure de la société civile qui, aux Etats-Unis, voit les gens circuler aisément entre l’Université, le conseil, la politique, le secteur privé et les think tanks – think tanks qui constituent d’ailleurs un carrefour privilégié de cette mobilité professionnelle et intellectuelle.

La modernisation de l’administration qui a alors été engagée dans le cadre du National Partnership for Reinventing Government a, par la suite, non seulement été poursuivie par les Républicains, mais aussi encouragée au sein de la société civile par différentes institutions telles que la Fondation Ford ou encore le Council for Excellence in Government. Ces institutions encouragent les meilleures pratiques par une communication soutenue qui passe notamment par des remises de prix, divers articles dans les medias ainsi que par la publication d’études et d’enquêtes d’opinion.

Le mouvement n’en a pas moins suscité de fortes résistances ici ou là au sein de l’administration (« It was not like people singing around a camp fire » résume Galston). Plusieurs sujets posèrent naturellement problème : la réduction des postes aux employés, l’accroissement de l’autonomie des employés aux supérieurs ou l’affaiblissement de la représentation collective aux syndicats. Le processus n’en avança pas moins en s’appuyant sur le Government Performance and Results Act selon lequel chaque agence fédérale devait, chaque année, rendre compte de ses résultats, sous l’égide en particulier du General Accountability Office du Congrès. Et, comme les rapports de la Cour des Comptes, les publications du GAO formulaient souvent des avis critiques, et médiatisés, des résultats de telle ou telle agence.

Médiatisation et efficacité

Al Gore, qui était plus directement en charge de la supervision de ce programme, n’a pas ménagé ses propres efforts pour rendre populaire l’action entreprise. L’animation du programme reposait en effet sur une politique de récompenses et de prix régulièrement attribués aux meilleures réalisations. Le vice-président déploya aussi une communication régulière qui visait à frapper les esprits pour matérialiser les progrès réalisés. On se souvient ainsi l’avoir vu à la télévision jeter à la poubelle des piles de documents administratifs que l’effort considérable d’informatisation des services publics avait permis de supprimer comme autant de tâches et de dépenses inutiles.

Il se pourrait que cette réforme qui représente dans son domaine un modèle du genre et qui, pourtant, n’a guère été médiatisée aussi bien en Amérique qu’à l’extérieur, entre bien dans le cadre de ce que Jonathan Rauch appelait « incremental change », le changement progressif - un changement peu spectaculaire mais réel. Et, finalement, perçu comme tel par l'opinion : cet effort de modernisation s’est en effet traduit par une forte hausse de la confiance des citoyens américains dans leur administration, hausse qui, en retour, encourageait la poursuite du mouvement dans un cercle devenu vertueux entre une communication positive et une action, du coup, dynamisée.

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