Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/03/2008

Media business (4) La télé italienne, le fonds américain et le pantalon serbe

Dernière série du compte rendu, sous la forme d'une sélection de faits et chiffres saillants ainsi que de commentaires d'experts, de "Media business, le nouvel Eldorado" de Danièle Granet et Catherine Lamour, paru chez Fayard. Bien que datant de 2006 dans un domaine qui évolue très rapidement, l'ouvrage reste une référence utile pour une approche panoramique et une analyse documentée de la révolution à l'oeuvre au sein des medias depuis une vingtaine d'années ; il ouvre d'ailleurs de nombreuses pistes pour les dix à vingt ans à venir.

________
A la mi-2004, en cumulant la propriété de trois chaînes privées et le contrôle, en tant que chef du gouvernement, des chaînes publiques, Silvio Berlusconi contrôlait de facto 90% du paysage audiovisuel italien, dans un pays où 60% des gens s'informent uniquement par la télévision. En 2005, seuls 25% des Français souscrivaient des chaînes payantes via le câble ou le satellite. "Modestie, détermination et passion doivent être notre règle d'or", Jean-Christophe Thiery, DG de Bolloré Médias Investissements avant le lancement de Direct 8.

"Les Franciliens accèdent à une cinquantaine de radios, un tiers des Français en reçoivent moins de dix", Dominique Baudis. L'extinction du signal analogique est programmé dans toute l'Europe pour 2010/2012. Les 6 grandes chaînes historiques françaises captaient en 2006 93% de l'audience et 95% de la publicité. On compte 1253 radios locales et associatives. Deux opérateurs américains de radio par satellite, Sirius et XM, sont carrément sortis du marché publicitaire en faisant payer aux auditeurs leurs programmes de radios pour environ 15 euros par mois. Une radio sans publicité avec laquelle, fin 2005, ils enregistraient déjà 8 millions d'abonnés. Le seul transfert vers Sirius de l'animateur Howard Stern, dont l'émission rapportait à CBS 100 millions de dollars de publicité par an, a permis d'apporter à cette radio 2 millions d'abonnés et a multiplié par deux son cours de Bourse.

Selon Pascal Dallecoste, le fond d'investissement américain Carlyle est "une véritable machine de guerre : ce n'est pas seulement le fonds d'investissement le plus puissant du monde avec treize milliards de dollars d'actifs en gestion, mais aussi un fonds idéologique qui investit dans tous les secteurs affectés par des changements de politique gouvernementale - industries de défense, aérospatiale, télécommunications et qui montre aussi une attention particulière pour les leaders d'opinion." La cible idéale, ce sont les sociétés à haute technologie du secteur des médias. De 2004 à 2005, les opérations de LBO ont doublé en Europe, passant de 77 à 147 milliards de dollars, soit environ 122 milliards d'euros de 2006. C'est avec l'aide de grands fonds que l'Américain Liberty Global a raflé en Europe les câblo-opérateurs hollandais, belges, français et en partie allemands, en profiant de l'absence de défense de ce secteur par le politique (seule l'Allemagne a mis son veto au rachat d'une partie de Deutsche Telekom).

Assiste-t-on dans ce domaine à un phénomène de bulle financière ? Yves de Kerdrel raconte là-dessus l'anecdote suivante : "Un Serbe vient d'acheter un wagon entier de pantalons sur la base de 20 cents l'unité. Quelques jours plus tard, il revend le wagon à un Libanais au tarif de 40 cents le pantalon. Lui-même le négocie peu de temps après à un Syrien sur la base de 75 cents le pantalon. Qui le cède à un Croate pour un montant unitaire de 1 dollar le pantalon. Lequel, enfin, le rétrocède à un marchand grec au prix de 1,50 dollars l'unité. Le marchand grec propose alors son lot à un Egyptien qui demande à examiner la marchandise avant de l'acquérir. On ouvre le wagon. Et les deux négociants découvrent alors que les pantalons n'ont qu'une jambe. L'Egyptien fulmine qu'on puisse lui proposer ainsi d'acheter des pantalons importables. Mais le Grec le rassure : Ce ne sont pas pantalons destinés à être portés, mais seulement à à être achetés et vendus" . (A suivre)

27/12/2007

The Republican Noise Machine (entretien n°8/8 avec Douglas Smith)

Politique.com

Douglas Smith a été un des conseillers en communication de l’équipe Clinton de 1994 à 1999. Après avoir conseillé un cabinet d’avocats dans une procédure de « class action » victorieuse contre un grand fabricant de tabac en 1999, Smith a fondé en 2000 une agence spécialisée sur les questions politiques sur internet (voters.com), dont l’audience aurait rivalisé avec CNN Politics.

Il est aujourd’hui consultant chez Hill & Knowlton, agence de communication, relations publiques et affaires publiques, au sein de laquelle il travaille notamment à la promotion de Chicago pour les Jeux olympiques de 2016. Smith livre ici un éclairage davantage orienté bataille électorale que communication de réforme.

Prems !

La première règle de communication à observer en politique, c’est de définir le terrain en premier. C’est cette stratégie qui a par exemple permis à Bush de triompher plus facilement d’Al Gore lors de l’élection présidentielle de 2000 parce que l’équipe Bush a été la première à proclamer dans les medias : « On a gagné ! », position qui plaçait Al Gore dans le rôle, inconfortable, du mauvais joueur qui conteste le résultat pour tenter de lui substituer le sien propre.

The « Big Mo »

Deuxième précepte : déclencher, puis cultiver ce que Douglas Smith appelle le «momentum » (le « Big Mo »), sorte de mix entre la vitesse et la dynamique, ce moment qui, dans un débat, dans une campagne, fait soudain entrer dans une logique à la fois d’accumulation et d’accélération. C’est cette dynamique qu’a par exemple suscitée John Kerry en 2004 après le caucus de l’Iowa.

L’intendance suivra (ceci n’est pas qu’un précepte gaullien)

Cela ne va pas, derrière, pour entretenir le mouvement et se positionner à la hauteur des attentes suscitées, sans une forte ténacité et une très solide organisation. Contre-exemple d’actualité : c’est le problème que rencontre aujourd’hui Mike Huckabee chez les Républicains à la suite d'une progression aussi forte qu'inattendue dans les sondages.

Il faut donc une armée à la bataille, des tonnes de spots publicitaires, ciblés selon les enjeux géographiques du moment, puis une production de mailings à grande échelle qui tournent 24/24 h. Objectif recherché, le «GOTV », Get Out The Vote, consistant à déclencher le passage de l’adhésion au vote lui-même en faveur du candidat.

D'abord dégainer

Troisième règle : ne jamais laisser une attaque sans réponse. Kerry s’est montré, de ce point de vue, bien trop tendre face à l’équipe Bush en 2004. Il faut aussi savoir parfois ne pas laisser une accusation sans démenti lorsqu’elle émane… de son propre camp sans avoir reçu l’aval officiel du leader : ainsi des allusions à la consommation de marijuana d’Obama lorsqu’il était adolescent en provenance d’un membre du staff d’Hilary Clinton, retirées par la candidate dans les jours qui ont suivi.

Ensuite bombarder

Prolongement logique de cette confrontation : le matraquage. Bush, à cet égard, n’est pas le meilleur communiquant qui soit. Mais il peut s’appuyer sur une remarquable organisation qui, de ses secrétaires d’Etat jusqu’au moindre comité local en passant par la plupart des medias, peut relayer ses messages de façon très efficace. Il y a là un double effet de bombardement et d’amplification qui, associé au « bully puppet » (ce privilège du Président d’être suivi et relayé dans ses moindres propros), donne une puissance considérable à sa communication – on le voit bien en la comparant, ces temps-ci, à celle, fût-elle très active, de la Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, pourtant troisième personnage du pays.

The « Republican Noise Machine »

L’un des anciens conseillers du camp républicain, David Brock, a raconté certaines des pratiques en vigueur dans ce domaine, qui vont plus loin que ce qui était déjà connu avec Karl Rove… Brock est d’ailleurs un cas : journaliste, puis activiste au service du camp républicain, il a fini par tourner le dos à cet engagement et aux excès commis en son nom. Il est notamment l’auteur de « The Republican Noise Machine », ouvrage dans lequel il critique la mécanique médiatique républicaine. Il est aussi le fondateur de l’ONG « Media Matters For America » dont l’objectif est de contrer le travail de désinformation des Républicains dans les medias.

Réformes, quelles réformes ?

Pour Douglas Smith, démocrate convaincu, peu de réformes sortent du lot au cours des dernières années. Succès initial, No Child Left Behind s’est peu à peu transformé en échec - et, sous la pression des enseignants, la réforme est d'ailleurs vivement critiquée aujourd'hui par les candidats démocrates. Le projet de réforme des retraites a été détruit par l’AARP (le lobby des seniors), qui dispose d’un potentiel de mobilisation considérable dans le pays à travers sa capacité à mener de front stratégies « grasstops » et «grassroots » (avec notamment des retraités souvent très disponibles) pour renforcer indirectement le message vers les décideurs. L’immigration, tout au long de ces derniers mois, a donné lieu à une foire d’empoigne dans les deux camps. C’est donc l’augmentation du salaire minimum, il y a 6 mois, avec l’accord des Républicains, qui pourrait faire office de réforme réussie…

Globalement, l’affaire est pourtant entendue : il est beaucoup plus facile de détruire que de proposer. Et, à ce jeu-là, les politiques américains – avec leurs conseillers – sont passés maîtres.

28/08/2007

Le bon, la brute et le petit écran (comment on gagne la bataille de l'opinion, 5)

Point d'orgue de la stratégie de l'équipe Bush fut le plan, révélé début 2004 par le New York Times, qui consista à définir le candidat Kerry dans les médias en 3 mois avant que celui-ci n'ait eu le temps de réunir les fonds suffisants pour générer ses propres spots publicitaires. Deux angles attaques furent mis au points par Rove : faire apparaître Kerry comme un "flip-flopper" (quelqu'un qui change d'avis en permanence), ainsi que comme une personnalité "weak on defense", c'est-à-dire incapable de conduire le pays dans la bataille anti-terroriste.

Face à cette stratégie, on cherchait principalement, en face, à répondre aux attaques ; le point n°4 de la feuille de route stratégique de l'équipe Kerry, intitué "contre-attaquer aussi fort qu'on est attaqué", précisait ainsi : "Répondre impérativement au cours du même cycle d'informations télévisées". On chercha bien aussi à souligner les échecs et les mythes de W (tels les mauvais résultats économiques et l'image du président chef de guerre... à l'expérience militaire inexistante), mais cela passa finalement au second plan dans une stratégie qui demeura fondamentalement défensive.

La main revenait en permanence à l'équipe qui avait cadré le débat la première, et c'est en vain que Kerry chercha, tout au long de la campagne, à orienter le débat sur l'économie, l'éducation ou la santé : la guerre en Irak occupait l'essentiel de la scène politique. Elle permettait à Bush de muscler son temps de parole et de conforter son image de leader. Même quand celui-ci commença à voir sa popularité s'éroder, Kerry rechigna à exploiter les faiblesses de son adversaire, de peur d'apparaître comme soutenant insuffisamment les troupes et l'effort de guerre. Il passa du même coup au second plan dans les médias à un moment de forte cristallisation de la campagne.

Le développement d'une communication politique de fond bâtie autour de slogans tels que "Stronger at home, respected in the world" ou encore "America can do better" permirent cependant, peu à peu, à Kerry de refaire une partie de son retard, et même de finir par devancer légèrement Bush à l'été 2004 au moment de la convention démocrate de Boston. Les faits - difficultés économiques, problèmes en Irak - jouaient en sa faveur. Bush parvient pourtant à reprendre l'ascendant grâce à un mélange d'agressivité et de simplicité.

Le président sortant réussit ainsi à contourner l'injonction, y compris de la part de certains Républicains comme John MacCain, de retirer le spot publicitaire jetant le doute sur le service de Kerry au Vietnam, en soulignant qu'il était produit par un groupe "indépendant" (les "Swift Boat Veterans for Truth", conseillés par le même avocat que l'équipe Bush). Et, tandis que Kerry continuait, sur la lutte contre le terrorisme et le soutien à l'armée en Irak, de s'enfoncer avec des formules du type : "I did actually voted for the 87 billion before I voted against it", qui deviendra une blague républicaine très en vogue, Bush rendait son discours plus compact : "Il n'y a rien de compliqué à soutenir nos troupes en Irak".

Bush a parfaitement intégré deux règles de base de la communication politique : attaquer et simplifier, et il s'y tient fermement. Côté attaque, trois quarts de ses spots publicitaires (soit environ... 50 000 spots) sont, souvent avec férocité, dirigés contre Kerry, contre 27% seulement pour ce dernier. "Vous savez, lui dira alors son conseil, Paul Begala, c'est un boulot important être président. Vous ne pouvez pas risquer de le laisser passer parce que vous voulez montrer que vous êtes le gentil dans l'histoire". Côté simplification, Bush de même n'a guère d'état d'âme. Pour Begala et Carville, un politique doit apprendre à aimer le "soundbite" (la petite phrase) : il doit, en clair, s'entraîner pour être prêt, en toutes circonstances, à exprimer sa position en une phrase de cinq ou six secondes. Phrases courtes, mots simples, métaphore claire et compréhensible par tous : voilà quelques uns des ingrédients du succès.

Le discours portera d'autant qu'il saura s'appuyer sur des valeurs fortes. Comme le rappelle Dick Morris, un consultant républicain : "Si un leader peut arriver à convaincre que les valeurs essentielles de ses électeurs font partie de ce qui se joue, il ou elle a bien plus de chances de l'emporter". Aux Etats-Unis, cela passe nécessairement par la trilogie : patriotisme, optimisme, famille. Un point délicat pour tout candidat contre un président sortant dans ce pays est de parvenir à critiquer la politique suivie précédemment et son bilan sans apparaître comme pessimiste - un défaut suprême avec celui consistant à être taxé de "libéral" sur les sujets de société.

Ainsi, face aux critiques de Kerry sur le terrain économique, un spot républicain rappelait quelques points positifs du bilan et concluait : "La réponse de John Kerry ? Il parle de la Grande Dépression. Une chose est sûre : être pessimiste n'a jamais créé un seul emploi". Dans ce combat sans pitié pour le leadership sur les valeurs, on vit même Kerry se faire prendre en photo en train de tirer au fusil de chasse. Cela ne l'empêcha pourtant pas, au total, d'être clairement devancé par Bush dans l'opinion sur l'ensemble des grandes valeurs de référence. Restait alors à aborder l'élection dont plusieurs spécialistes s'accordaient à penser qu'elle se jouerait au final sur quelque 2 millions d'électeurs concentrés dans les "swing states".

27/08/2007

Coups bas et produits dérivés (comment on gagne la bataille de l'opinion, 4)

Une des différences notables en matière de bataille électorale entre la France et les Etats-Unis est la possibilité, ici, de recourir à la publicité politique. En ce domaine, les deux candidats en lice en 2004 ont opté pour des stratégies opposées. Côté Bush, on attaque, toujours avec la longueur d'avance prise au départ dans le portrait que l'on a imposé de l'adversaire et dont, semaines après semaines, dans un bombardement systématique, on ne cesse de tirer les dividendes. En clair : un carton. Côté Kerry en revanche, on ne cesse de défendre, en plus de s'efforcer de faire connaître un candidat qui bénéficie naturellement, au départ, d'une notoriété très faible par rapport à celle du président sortant.

Dans l'un de ces spots, Kerry explique ainsi combien son éducation privilégiée a développé en lui le sens du service et la volonté de rendre à son pays ce qu'il a reçu. En face, on tient une cruelle comptabilité des votes. Carburants, impôts sur le revenu des classes moyennes, augmentation des tarifs de l'assurance-maladie :"98 votes en faveur de l'augmentation des impôts. Il y a ce que Kerry dit, et puis il y a ce que Kerry fait". En trente secondes, il faut aller vite et toucher juste - le tout à un coût d'ailleurs moindre pour les spots politiques que pour les publicités commerciales (20 à 40000 contre 3 à 500000 $). La question est encore discutée parmi les spécialistes, mais l'on estime généralement que si les spots ne permettent qu'un gain de voix limité, ils peuvent en revanche, si on laisse le terrain à l'adversaire, se traduire par de lourdes pertes.

Or, à ce jeu-là, comme la publicité politique est peu réglémentée au plan déontologique, les Républicains s'en sont donnés à coeur joie, jusqu'à jeter le discrédit sur le service de Kerry au Vietnam grâce à l'appui du Swift Boat Veterans for Truth en suggérant que celui-ci avait menti (regardez, aujourd'hui encore, le rôle joué par les vétérans dans la campagne en cours et l'importance considérable du facteur "soutien aux troupes" au sein de l'opinion américaine). Tous les politiques savaient que de telles allégations constituaient de purs mensonges ; à aucun moment cela n'a pourtant empêché l'équipe Bush de déployer cette communication qui a, de fait, porté un coup fatal à la popularité de son adversaire. Il y a, sur ces coups, du Rove dans l'air.

Autre différence culturelle importante : l'utilisation aux Etats-Unis d'un éventail impressionnant de produits dérivés. Tee-shirts, autocollants, badges, le "street marketing" de la politique se déploie, au-delà des militants, au sein d'une large population de sympathisants qui voient là un moyen d'expression naturel de leurs préférences ; il est même courant aux Etats-Unis de voir plantés dans les jardins de petites pancartes de soutien à tel ou tel candidat, et ce pour toutes sortes d'élections. Là encore, on continuait d'attaquer côté républicain avec le fameux : "Kerry pour président... de la France", supposé en dire long tout autant sur l'image de Kerry que sur celle de notre pays à ce moment au sein de l'Amérique populaire.

Comme l'écrit Maria Lora, "les Américains, d'une manière générale, adorent faire partie de l'événement et manifestent leur enthousiasme beaucoup plus que les Français". Ils crient plus au stade, rient plus au fort au cinéma, chantent plus spontanément au karaoké, se déguisent pour Halloween, ne ratent aucune occasion de célébration. Et l'auteur de s'interroger : "Pourquoi sont-ils si motivés ? Pourquoi sommes-nous si cyniques et revenus de tout ? C'est peut-être là la différence entre la naïveté d'un peuple jeune et l'ennui d'une vieille Europe qui a déjà tout vu et ne s'enthousiasme plus".

26/08/2007

La théorie de la fosse et l'art de l'attaque (comment on gagne la bataille de l'opinion, 3)

Les medias jouent naturellement dans l'affaire un rôle prééminent, metteurs en scène selon Jean-Pierre Lassalle d'une pièce de théâtre dont les acteurs seraient partis et candidats. Plus encore, Lassalle explique que "tout se passe désormais comme s'il existait une sorte "d'écriture médiatique" d'une campagne, avec, comme règle principale, de livrer à un public qui baigne dans une culture du divertissement un feuilleton à épisodes dont les candidats sont les stars" (Le démocratie américaine à l'épreuve).

Dans ce contexte, la stratégie de l'équipe Bush a été claire et efficace : être la première à définir le candidat démocrate de telle manière que cette image créée s'impose comme l'étalon de référence des faits et gestes de celui-ci d'un bout à l'autre de la campagne. Pour cela, le camp républicain peut s'appuyer sur le relais sans faille de Fox News dont le patron, Roger Ailes, qui conseilla Bush, est à l'origine de la théorie de la fosse selon laquelle l'anecdote l'emporte toujours sur l'information de fond : si un candidat est ainsi amené à annoncer par exemple un effort important en matière de recherche mais qu'il tombe dans la "fosse aux journalistes" en quittant le podium, ce n'est, pour l'essentiel, que cette dernière image qui sera retenue par la presse.

D'après Ailes en effet, "les medias ne sont intéressés que par quatre choses en politique: les scandales, les gaffes, les sondages et les attaques. Trois de ces choses sont mauvaises pour un homme politique. Si l'on veut avoir une couverture médiatique, il faut passer au mode offensif et s'y tenir". Ainsi les relations entre médias et candidats ne sont-elles pas univoques aux Etats-Unis. Elles sont aussi complexes et ambiguës : les médias n'hésitent ainsi pas à critiquer, mais il est également d'usage à travers la pratique de "l'endorsement" que les journalistes prennent position en faveur de l'un ou de l'autre candidat.

En poussant cette logique à l'extrême, on aboutit à la création de canaux dédiés comme ce fut le cas avec la création de Fox News en 1996 par Ruppert Murdoch qui, en 4 ans, parvint à détrôner CNN de l'info en continu. Avec une efficacité incontestable : en 2004, deux tiers des téléspectateurs de cette chaîne étaient convaincus de l'existence d'un lien démontré entre Al Qaeda et l'Irak ; un téléspectateur sur trois était persuadé que des armes de destruction massive avaient bien été trouvées en Irak et que l'opinion publique internationale était majoritairement en faveur des Etats-Unis.

Le slogan de la chaîne annonçant chaque jour : "Nous sommes à J-x jours avant la réélection de George Bush à la Maison Blanche..." ? - "Fair and balanced" (juste et objectif). C'est qu'aux Etats-Unis, l'idéologie conservatrice est aussi populaire qu'un certain nombre de médias comme le New York Times, le Washington Post ou CNN apparaissent comme le reflet d'une élite en décalage avec les préoccupations de la population. Entre les deux idéologies médiatiques, la guerre fait rage et l'affrontement est brutal. C'est dans ce contexte que se positionnèrent les stratégies publicitaires des deux candidats.