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26/06/2007

New Deal au sommet (3) Le président est (presque) un homme comme les autres

Michael Mankins a déjà prévenu : rien de plus facile pour les équipes que de gaspiller le temps qu'elles passent ensemble ("Stop Wasting Valuable Time"). Une fois le nouveau modèle en place et les conditions réunies pour un travail réellement coopératif au sommet, seule une pratique adaptée permettra au système de fonctionner correctement. Et d'éviter de s'enrayer comme ce fut le cas chez IBM, dans les années 80 : l'entreprise renonça alors à exploiter ses interdépendances en partie parce qu'elle avait perdu la capacité à manager le système.

Pour faire vivre cette nouvelle dynamique de groupe - au double sens de l'équipe et de l'entreprise -, une approche souvent pratiquée est de privilégier les sujets commun au détriment des différentes business units. A partir de 1993, Lou Gerstner, chez IBM, a poussé cette logique assez loin. Pas question pour les patrons d'unités de faire remonter les problèmes au niveau du dessus, pas plus que de passer en revue les activités des différentes branches en comité de direction. Les comités exécutifs se consacrèrent alors exclusivement aux questions transversales impactant l'ensemble des activités. Dans le même ordre d'idées, les équipes en charge du développement stratégique chez Nokia se sont vues assigner pour mission de proposer une liste d'une dizaine de sujets régulièrement actualisés pour alimenter la réunion mensuelle consacrée à la stratégie. Une méthode qui a favorisé la créativité collective du comité de direction.

Autre clé de la dynamique coopérative : créer les conditions d'un dialogue direct et informel entre les membres de l'équipe - dialogue classiquement favorisé par de larges open spaces, comme c'est encore le cas chez HP, IBM ou EasyGroup. Une réunion de ce type est organisée tous les matins de 8 à 9h00 chez Canon sous l'égide de son PDG, Fujito Mitarai. Aucun ordre du jour ici, mais des échanges d'information très riches. Un grand nombre de décisions y sont quasiment prises. Dans de telles entreprises, les réunions officielles elles-mêmes fonctionnent largement sur un mode informel.

Se ménager des plages de temps pour la réflexion ? La plupart des entreprises en rêvent, les compagnies qui fonctionnent en mode New Deal le font. N'est-ce pas ce temps-là qui manque le plus, pris que sont les uns et les autres par la gestion des affaires courantes - et qui représente pourtant l'une des contributions majeures du top management au développement de l'entreprise ? De fait, nombre d'entreprises de ce type programment très régulièrement, tous les trimestres dans le cas de SAP, des réunions stratégiques, de préférence à l'extérieur des murs de l'entreprise.

Rester ouvert à des approches nouvelles est une nécessité. Dans beaucoup de firmes qui fonctionnent avec succès sur le mode du New Deal, la durée dont bénéficient souvent les dirigeants développe certes la confiance mutuelle et réduit les phénomènes de territoires ; mais elle peut aussi générer une forme de pensée unique. Pour s'en préserver, SAP s'appuie sur son équipe de consultants internes en stratégie, non seulement pour préparer les décisions à prendre sur les grands dossiers de développement, mais aussi pour présenter de nouvelles idées et challenger la pensée de l'équipe de tête. Pour Henning Kagermann, son président, faire jouer ce rôle à des consultants internes, qui lui sont d'ailleurs directement rattachés, permet de dépassionner les débats et d'apporter la rigueur nécessaire à une amélioration continue du travail et des décisions de l'équipe de direction.

Le président dans un rôle subalterne, un contre-emploi ? Voire. Face à un PDG fort, la déférence peut représenter un risque. Pour l'éviter, certains patrons assument délibérément un rôle subordonné. Ainsi de Sam Palmisano à la tête d'IBM. Pour obtenir le meilleur de ses équipes, Palmisano s'est habitué à jouer plusieurs rôles dans les réunions... réunions, au reste, qu'il ne préside jamais. Il y joue même le plus souvent le rôle d'un participant ordinaire de façon à ne pas étouffer les débats - une posture qu'il n'abandonne avec réticence que quand vient le moment de la prise de décision. A mesure que le leadership de ses équipiers se développe, le président peut alors prendre du recul vis-à-vis des opérations courantes pour se consacrer davantage aux enjeux de long-terme.

La mise en place d'un reporting transparent et d'un système de la performance adapté permet enfin à la fois d'accompagner le système et de le légitimer. Les relations d'interdépendance et de coopération sont, de fait, souvent complexes : elles peuvent favoriser les jeux politiques, ou susciter le scepticisme de la part de collaborateurs que la disponibilité réduite de leur patron peut conduire à se désengager. Un reporting s'attachant à valoriser la contribution de ce travail imbriqué au sommet peut éviter de tels effets pervers. De même, l'installation de "contre-pouvoirs", tels que la création de directions fonctionnelles fortes, peut aussi prévenir le risque d'un retour des jeux politiques au sein de l'équipe de direction. De façon plus générale d'ailleurs, l'exposition personnelle qui résulte de l'ensemble des habitudes des entreprises réorganisées - réunions fréquentes, séminaires externes, organisation en open-space, ordres du jour partagés - a pour effet de limiter ces risques.


Entre process révolutionnaires et nouveaux comportements, le passage de l'ancienne à la nouvelle donne, on le voit, n'est pas sans embûches. Même s'il y est plus nécessaire, il n'est pas non plus réservé aux industries les plus exposées à des marchés en constante et forte évolution. Un groupe qui souhaite se redonner de la visibilité à partir d'un socle commun tourné vers l'avenir s'interrogera ainsi avec profit sur quelques unes au moins de ces pistes.

Quant à savoir si, dans un tel processus, le président peut en effet apparaître en "homme comme les autres", il y a là un défi managérial indéniable. Cette approche du travail collectif en équipier ou, disons, en capitaine, exige en effet paradoxalement plus de force que de faiblesse, mais prend aussi à rebours le mode d'exercice du pouvoir courant de bien des entreprises françaises.

Une telle posture suscite aussi une interrogation sérieuse. Comme vient de le montrer l'étude Booz Hamilton (Le Monde du 26/06), la fonction de président devient elle aussi de plus en plus précaire : le nombre de présidents limogés a ainsi crû de près de 60% ces dix dernières années et, pour la seule année 2006, c'est un président sur trois qui a dû quitter son poste sur les 2500 premières entreprises mondiales. Certes, mais toutes choses égales par ailleurs comme disent les économistes, les équipes New Deal sont aussi celles qui obtiennent les meilleures performances. Et qui en retirent un surcroît de durée.

13/04/2007

La communication est-elle soluble dans le management ? (Eramet)

Pour le comité de pilotage du projet "Leaders", le contrat, à l'automne 2006, est rempli. Voilà six mois que l'équipe travaillait en effet d'arrache-pied sur l'organisation de ce séminaire des Vaulx de Cernay (une abbaye cistercienne de la région parisienne) conçu comme une étape clé d'une démarche managériale de progrès lancée, il y a un an et demi, au sein du groupe Eramet.

A l'origine de la démarche, une intuition, partagée avec le président du groupe à l'automne 2004 : après les restructurations lourdes que nous avions engagées en 2003 (l'année de l'arrivée à la présidence de Jacques Bacardats, qui succédait ainsi aux trente années passées à la tête du groupe par Yves Rambaud), puis les résultats historiques enregistrés en 2004, une nouvelle dynamique était à insufler aux équipes, basée sur une vision partagée de l'avenir du groupe, et intégrant les nouveaux outils (stratégie, politiques RH, dispositifs de communication,...) à mettre en place pour la réaliser avec les 1200 cadres d'Eramet - la démarche ayant désormais vocation à être élargie à l'ensemble du personnel.

Après une phase d'étude exploratoire, que Jacques Bacardats m'a demandé de mener, le projet s'est appuyé sur la méthodologie dite de la confiance mise au point par le cabinet Stratorg et son président Jean-Luc Fallou. Hypothèse de base : la mobilisation des équipes passe par un diagnostic approfondi et partagé de la confiance au sein de l'entreprise autour de 6 axes clés : clarté de la stratégie, pérennité de l'entreprise, respect des règles du jeu, sentiment d'appartenance, reconnaissance individuelle et dépassement collectif. Des axes évalués par l'ensemble des cadres (65% ont répondu au questionnaire), et qui ont donné lieu à la mise en place de chantiers sur tous les sujets pour lesquels l'existant était estimé insatisfaisant. Une aventure commençait, assez inédite au sein d'Eramet du fait d'une défiance historique de principe vis-à-vis des modes managériales ; en fait, un changement de culture.

Il reste certes du travail pour s'assurer de la mise en oeuvre des politiques définies - passer en somme du mode projet à des programmes d'actions reposant sur des procédures. Mais enfin, l'affaire semble désormais, sinon entendue, du moins fermement engagée. La visite que nous faisions, trois jours plus tard, avec Jacques Bacardats et Alain Robert, patron de la branche nickel, sur le site de Sandouville, près du Havre, dans une usine en quelque sorte pilote de la démarche, a démontré que la dynamique était bel et bien enclenchée, qu'elle générait de multiples idées concrètes de progrès. Comme le dit le directeur du site, Benoît Bied-Charreton: "un projet qui marche, cela doit se voir".

Je retiens de tout cela qu'il n'y a pas de communication interne réussie - à la fois outil de cohésion et incitation au progrès - sans un détour en profondeur par le management. Ce n'est que par sa "dissolution" dans le management, par une responsabilité partagée de ses buts et de ses moyens, que la communication joue pleinement son rôle.

Elle demeure certes une fonction productrice d'outils d'explication, d'accompagnement et de célébration. Mais les seuls outils techniques qu'elle pourrait apporter dans une logique de métier plus que de projet, de déclaration plus que d'entraînement, ne lui permettrait en aucun cas d'atteindre à cette puissance de mobilisation. Et ce qui est nouveau dans cette affaire, ce n'est évidemment pas l'événement en tant que tel - une vieille idée, à laquelle on revient sur le mode, plus intimiste, de l'atelier -, mais la posture de celui qui communique, et la redécouverte de l'exigence du projet.

Un portrait en somme du communicant contemporain, non en kamikaze... mais en aventurier, au sens noble d'une action collective d'envergure réalisée avec les autres, dans laquelle la démarche elle-même, et sa méthode, concourent à construire l'objectif, et à le dépasser.