23/09/2010
NGO's (1) Le développement à la peine
Pour avoir un peu côtoyé le secteur non lucratif sous des formes diverses - fédérations professionnelles, institutions universitaires, fondations et associations diverses -, je vois deux enjeux de progrès évidents pour ce secteur : le développement et le management.
En temps de crise, le problème du développement de ces entités non lucratives est évidemment posé avec acuité. Les donateurs - entreprises, institutions, particuliers - étant eux-mêmes soumis à une contrainte budgétaire renforcée, l'effet du resserrement des ressources se répercute naturellement sur ce secteur. Et avec d'autant plus de violence qu'elles ne disposent, au sens du marché, d'aucun levier de ressource propre.
Cela conduit dans la plupart des cas à une mise en berne de la plupart des programmes menés. C'est la mauvaise option, celle dans laquelle on veut continuer de tout faire à un niveau d'intervention moindre : moins de confort au sens matériel s'accompagne alors d'un confort intellectuel renforcé qui oscille en réalité entre léthargie et cécité. La bonne approche, c'est celle de la remise en cause. On ajuste la voilure, mais on le fait d'une façon cohérente et porteuse au plan stratégique en se reposant les questions de fond : quelle est notre mission fondamentale, notre valeur ajoutée propre, sur quoi devons-nous impérativement nous concentrer et comment être plus efficace dans la mise en oeuvre de ces missions ? de façon à simultanément passer la crise et préserver l'avenir.
Au-delà de la crise, une logique malthusienne aussi étrange que bien ancrée est pourtant à l'oeuvre dans la plupart de ces entités. Or rien ne permet de penser que les dons soient durablement limités à environ 2 % du revenu des donateurs (en moyenne aux Etats-Unis selon une étude récente) ni que la "bonne gestion" implique de ne pas dédier plus de 15 % des ressources associatives aux activités de fundraising. Du côté des dons d'abord, la moyenne cache des disparités importantes : les faibles revenus, comme l'a montré de façon spectaculaire la campagne d'Obama, contribuent davantage proportionnellement que les hauts revenus ; et les personnes engagées et de conviction, religieuse par exemple, sont aussi généralement plus généreuses.
Bref, rien ne doit conduire à auto-limiter l'effort de levée de fonds en fonction à la fois d'un plafond général supposé de donation et d'un montant limite à investir dans ces activités, dont la seule justification réside dans les abus qui ont pu être commis par le passé et la nécessité corrélative d'un contrôle public renforcé. Si le fundraising est le marketing du secteur non lucratif, alors il y a bien un enjeu de dynamisation et d'élargissement du marché ou du territoire social des dons.
A l'évidence, les Pouvoirs publics ne peuvent tout faire et l'impôt tout prendre en charge. Par ailleurs, dans une société fragmentée et complexe, l'action proche du terrain, décentralisée si l'on veut, de la société civile prend autant de sens que son potentiel d'engagement retrouve de la vigueur - notre pays se calera bientôt là-dessus sur les pratiques américaines.
Or cette approche nécessite d'autant plus de passer à la vitesse supérieure que l'objet-même de ces associations relève souvent d'un certain degré d'urgence (les causes humanitaires par exemple) ou d'importance (la recherche contre telle maladie, l'éducation de telle population cible, etc). Viser des progrès limités ne présente dans ce contexte qu'un intérêt lui aussi limité : ce n'est pas une amélioration incrémentale qu'il faut viser c'est la pleine éradication d'un fléau ou le plein exercice d'un droit !
20:21 Publié dans Politiques publiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : associations, fondations, secteur non lucratif, ngo's, management, marketing
18/09/2010
Comment ne pas finir en prison (et autres conseils utiles pour travailler et vivre heureux)
Après deux décennies d'hégémonie de Porter, Clayton Christensen est devenu une autorité à Harvard en matière de stratégie en développant la notion de "disruptive innovation" (innovation pertubatrice). Mais aussi significatif soit-il, un apport théorique ne suffit pas à faire d'un professeur brillant une autorité respectée : il y faut aussi, appelons ça comme ça, une dimension morale. C'est précisément à quoi s'attache Christensen en articulant sa dernière session de cours en MBA autour de trois questions : comment faire en sorte d'être heureux dans ma carrière ? Comment faire en sorte que ma relation avec ma femme et ma famille soit une source vivace de bonheur ? Comment, enfin, puis-je faire en sorte de ne pas finir en prison ?
Sur le premier point - la carrière -, le nouveau gourou de la stratégie est aussi simple que clair : le bonheur professionnel - et Herzberg ne dit pas là-dessus quelque chose de très différent -, ce n'est pas l'art de monter des deals financiers juteux mais de développer les autres. Gagner de l'argent et grandir sont deux choses non pas incompatibles (comme on ferait bien de le comprendre en France) mais différentes (comme on gagnerait à se le rappeler en Amérique). Saisir ou créer des occasions d'apprendre, élargir des responsabilités, contribuer au développement des autres en effet et être reconnu pour ses réalisations : cela suffit pour Christensen à (re)faire du management "la plus noble des professions".
Seconde question : la famille. Le problème des gens excellents selon notre stratège, c'est qu'il ont tout autant tendance à sur-investir dans leur carrière qu'à sous-investir dans les relations avec leurs proches. Ce serait même là une des causes majeures d'un certain nombre de désastres survenus dans quelques grandes entreprises ces dernières années et qui s'expliquerait assez simplement. Dans le monde corporate, une action positive est récompensée par une promotion, une augmentation, une reconnaissance, bref, une gratification plus ou moins immédiate. A l'inverse, élever un enfant prend une vingtaine d'années et, pour élever des enfants qui ont une forte confiance et une certaine estime de soi (notion toujours associée pour lui à une bonne dose d'humilité), il faut y penser tôt.
Troisième et dernière question : la prison, ou comment éviter d'y finir ses jours. Christensen établit là-dessus un parallèle avec la notion de coût marginal habituellement utilisée pour calculer la rentabilité de nouveaux investissements. Si le coût marginal du "just this once" (seulement cette fois-ci) peut, isolément, paraître assez faible en matière d'éthique personnelle, il entraîne en réalité vers une pente où les coûts de la répétition inévitable du mauvais comportement finiront par se révéler élevés. Si tout écart est une brèche potentielle, alors il est plus facile de se tenir aux principes que l'on s'est fixés 100% que 98% du temps.
Derrière ces trois questions, et en particulier derrière la seconde d'entre elles, il y au fond chez Christensen une approche guidée par le même principe central : mettre le but de sa vie au centre et, pour cela, penser tôt à ce qui fera pour nous la mesure ultime de notre succès. Etudiant, il confesse avoir consacré une heure chaque jour à réfléchir à ce sujet au lieu de faire davantage d'économétrie. "C'est la chose la plus utile que j'aie jamais apprise, confesse-t-il, et peut-être la chose la plus importante apprise à Harvard".
Il a raison. C'est que cette sorte de gymnastique philosophique finit par donner un gouvernail solide et utile pour allouer son temps, son énergie - son talent propre - et guider vers l'objectif de développement par lequel Christensen commençait son propos : "Don't worry about the level of individual prominence you have achieved, worry about the individuals you have helped become better people".
20:11 Publié dans Harvard Report, Ressources humaines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clayton christensen, bonheur, management, hertzberg, argent