30/08/2010
Gupta et les nouveaux médias (3) : Return on Influence
On se souvient des deux premières recommandations adressées par Sunil Gupta aux dirigeants s'interrogeant sur l'intérêt d'un investissement dans les réseaux sociaux : de l'immersion pour prendre la mesure du potentiel des nouveaux médias et de la réflexion pour mettre ce potentiel en perspective avec la stratégie de l'entreprise.
L'étape suivante impose naturellement de définir des objectifs clairs. Trois grands domaines se présentent en matière de web 2.0 appliqué au business. La recherche en marketing d'abord - un terrain sur lequel le patron du marketing de Best Buy a créé un blog qui lui permet non seulement de présenter les nouveautés de la chaîne, mais aussi d'être en prise directe avec le feedback de ses consommateurs.
La construction de la marque ensuite. Même les marques réputées "ennuyeuses" telles que Liberty Mutual ou Best Western Hotels peuvent avoir un intérêt à explorer ce terrain. C'est ainsi qu'avec son "Responsibility Project", Liberty Mutual a engagé un dialogue riche avec ses clients centré sur une réflexion pratique s'appuyant sur des histoires illustrant la notion de responsabilité. Et que Procter & Gamble invite les consommateurs à partager leurs affinités avec les produits de la marque, suscitant ainsi une campagne qui a généré une promotion significative par les consommateurs eux-mêmes.
Des objectifs clairs gagnent enfin à être également définis en matière de déclenchement des comportements d'achat. C'est une stratégie que met par exemple en oeuvre Dell auprès de ses fans sur Twitter en les tenant informé de ses promotions en temps réel. Une initiative qui a permis à la célèbre marque d'ordinateurs de générer $6,5 millions en deux ans. Et Dell estime qu'il ne s'agit là que d'un début.
Quatrième étape : l'engagement, c'est-à-dire la capacité à proposer des contenus qui suscite à la fois l'enthousiasme et le buzz. Ces contenus se doivent d'être à la fois pertinents, personnalisés, interactifs, intégrés et authentiques. C'est ainsi que Ford a invité une centaine de consommateurs à partager l'expérience de la conduite d'une Ford Fiesta pendant six mois sur différents réseaux sociaux. Résultat : la création d'une liste de 50 000 emails à travers une campagne de promotion menée par les utilisateurs eux-mêmes. Idem pour Nike à travers la Nike+ community qui permet à deux millions de consommateurs d'échanger des informations sur les temps de course, en particulier à travers la course The Human race courue dans 27 villes et 16 pays. Résultat de cette initiative qui a accompagné les eforts de repositionnement de la marque : une part de marché passant de 48 à 61% entre 2006 et 2008.
Dernière étape : l'évaluation. Parce qu'à la différence des campagnes s'appuyant sur la recherche de mots clés, il peut être délicat de calculer un retour sur investissement pour les réseaux sociaux, certains managers lui préfèrent la notion de retour sur influence à travers des indicateurs tels que les pages vues, le nombre de fans ou d'affiliés (sur Facebook, Twitter ou LinkedIn) ou le "buzz tracking". En recourant à l'ensemble de ces outils, le fournisseur de logiciels, Hubspot, se donne ainsi les moyens à travers une analyse des données en temps réel d'optimiser ses différentes canaux de distribution.
S'immerger, mettre en perspective les réseaux sociaux avec la stratégie de l'entreprise, définir des objectifs clairs, proposer des contenus attractifs, puis évaluer et ajuster le processus : la démarche proposée par Gupta, Armstrong et Clayton a le grand mérite de donner des idées à la fois expérimentales et concrètes à ceux qui, derrière le potentiel grandissant de ces nouveaux médias, sentent déjà de nouvelles normes se profiler. Si ces arguments ne suffisent pas à convaincre les autres sur le terrain commercial, la montée des nouvelles générations à l'intérieur de l'entreprise pourrait, sur le plan managérial, s'en charger avec encore plus de vigueur.
23:51 Publié dans Communication, Harvard Report | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réseaux sociaux
07/08/2010
Les 3 "ex" du développement ou les RH version Spinoza
Suivons le sens de la formule précédemment évoqué. Les questions souvent complexes de la gestion de carrière et, plus encore, d'un développement de soi qui transcenderait la frontière entre personnel et professionnel, pourraient assez bien se résumer en trois orientations essentielles, soit les trois "ex" pour : explorer, exceller, exister.
En début de carrière tout d'abord, rien de tel que de se frotter à différentes expériences et divers milieux pour mieux identifier ce qui ne nous convient pas et ce que l'on aime au contraire. Les idées a priori en la matière, le plus souvent héritées d'une tradition familiale ou de l'influence des proches, ne valent pas rien. Mais elles ne garantissent pas, à l'inverse, l'adéquation entre une incitation générale et une réalité personnelle. Pas d'autres moyens donc que d'aller se frotter concrètement au réel avec le souci de découvrir et d'apprendre, bref d'explorer.
On peut ainsi partir d'un certain sens de l'intérêt général et découvrir qu'il est parfois mieux pris en charge par une entreprise ou une association inspirée que par une administration archaïque. S'amuser à appliquer une passion pour la philo au marketing qualitatif. Etre fasciné par le prestige de grands groupes avant de découvrir l'agilité et la créativité des start up. Faire d'études ethnologiques une ressource managériale, etc.
Seulement voilà : la vie professionnelle, ce n'est pas les Grandes Découvertes permanentes. C'est assez d'assumer vis-à-vis de l'inquiétude des proches ou de nos propres doutes cette exploration volontaire des débuts. Passé ces premiers tâtonnements, il convient donc de remettre un peu d'ordre dans la maison. Si l'exploration est une l'affaire de trois à cinq ans maximum, il faut alors, dans les dix à quinze années qui suivent, devenir bon - exceller - dans le domaine que l'on s'est choisi et vis-à-vis duquel, en explorant, on s'est normalement prémuni des mauvais choix stratégiques lors de la première manche.
On rejoint ainsi la préconisation d'Howard Gardner dans Les cinq formes d'intelligence à propos de ce qu'il appelle "l'esprit discipliné". Ancrer un talent dans une discipline donnée, c'est se donner les moyens de se développer dans une relative indépendance. Objectif : devenir une réference identifiée dans le domaine que l'on s'est choisi. Concrètement, cela indique que l'on a fait le tour d'un ensemble de problématiques et que l'on est capable d'appliquer à la plupart des problèmes rencontrés les meilleures pratiques de la profession. Il s'agit ici, au-delà de la maîtrise d'un ensemble de techniques, de posséder un mode de raisonnement idéalement adossé au bon comportement, un savoir-faire associé à un savoir-être pour reprendre une expression un peu convenue mais qui a le mérite d'être claire.
Vient la crise de la quarantaine. C'est le temps des remises en cause, accidentelles ou volontaires, et qui mêlent le plus souvent aspects professionnels et personnels. Avant la jubilation du second souffle, l'inconfort de l'inventaire. Comme le souligne Rajiv Lal, directeur du General Management Program à Harvard, cet inconfort est bien une partie nécessaire de l'aventure dans la mesure où l'on ne grandit vraiment qu'en dehors de sa zone de confort. Vient alors le moment d'exister : chemin faisant, on a appris des choses nouvelles, découvert des territoires inédits, fait des rencontres déterminantes, traversé des ruptures, compris différemment ce que l'on croyait savoir - autant d'éléments qui donnent l'occasion de confirmer une voie ou, au contraire, de la faire évoluer différemment.
D'où l'intérêt qu'évoquent aussi bien Howard Gardner que Jean-Claude Noël (Insead) d'avoir su, au cours de la phase précédente, cultiver les bases d'une seconde discipline, une "mineure" à côté d'une "dominante", qui aura alors l'occasion de s'épanouir dans la deuxième partie de la carrière en agissant soit comme un nouveau départ soit comme un renforcement de sa spécialité d'origine. Exister, c'est alors se mettre en situation de redonner sens et cohérence à un parcours mais aussi, dans le meilleur des cas, de passer de l'objectif d'être une référence professionnelle à celui de devenir un modèle. C'est-à-dire un individu capable non plus seulement d'exceller dans son métier mais d'en renouveler la vision et d'en faire évoluer les pratiques et, idéalement, en position aussi bien d'inspirer les plus jeunes que de conseiller les plus confirmés.
La formule magique n'exclut pas l'amélioration de la potion. A l'instar d'une historiographie qui combinerait l'histoire de la longue durée et l'effervescence propre des événements - "l'écume de l'histoire" aurait dit Braudel, il faudrait faire un sort, chemin faisant, à ce qui serait moins une étape longue qu'une addition de moments particuliers, moments qui seraient caractérisés moins par leur sens d'ensemble que par leur intensité conjoncturelle. Cette notion pourrait s'exprimer dans la combinaison s'exposer/exploser. A certains moments en effet, les étapes du développement sont marquées par des périodes de forte croissance dans lesquelles la remise en cause ou la prise de risque sont sensiblement plus élevées qu'à l'accoutumée. Ce sont des moments où l'on s'expose et dans lesquels, plus encore, on "explose", soit que l'on fasse l'expérience d'un échec très réussi soit, à l'inverse, que l'on sente soudain son potentiel tourner à plein régime et entraîner tout sur son passage. Désarçonnante ou jouissive, l'explosion s'applique tout particulièrement aux moments de transition entre les différents paliers de la carrière. Elle renvoie moins en réalité au développement professionnel qu'à une certaine puissance d'exister. Les RH si l'on veut, mais version Spinoza.
Explorer, exceller, exister : ce n'est certainement pas une trilogie scellée dans le marbre, mais à tout le moins un éclairage d'ensemble sur des étapes-clés qu'il revient à chacun de faire vivre à sa main et dont, pour ceux qui sont intéressés, les spécialistes du leadership tels que Bill George ou Richard Leider montrent bien à la fois la profondeur, la complexité - et l'importance décisive pour une vie, peut-être pas apaisée - comment pourrait-elle l'être vraiment avec la perspective de disparaître ? -, mais plus accomplie.
22:21 Publié dans Ressources humaines | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : recrutement, carrière, développement personnel, crise de la quarantaine, howard gardner, jean-claude noël