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16/04/2007

Malaise des cadres ? Pistes et limites d'un capitalisme de la connaissance

La littérature managériale a produit, dans la période récente, de nombreuses analyses actant ce qu'il est désormais convenu d'appeler le "malaise des cadres" (voir entre autres "La fatigue des élites - le capitalisme et ses cadres" de François Dupuy, ou encore "Trois leçons sur la société industrielle" de Daniel Cohen).

Perte de sens, reconnaissance aléatoire, fragilité de la relation de travail dans la durée, multiplication des coopérations transversales, accentuation de la pression psychologique, manque de clarté des objectifs, gestion des conflits, manque de temps, difficulté à relayer vers les équipes une stratégie essentiellement centrée sur la création de valeur, accentuation de la coupure entre les cadres dirigeants et les autres...

Tous ces facteurs contribuent à dresser un portrait critique de la situation de l'encadrement dans l'entreprise aujourd'hui. 50 % des managers pensent ainsi que leur rôle est mal défini, 70 % estiment manquer de moyens pour manager, 67 % estiment que leur n+1 n'est pas un modèle, 32 % envisagent de quitter leur entreprise, tandis que 75 % des jeunes et 41 % des managers déclarent ne pas adhérer aux valeurs de l'entreprise.

Les demandes clés des salariés vis-à-vis des hiérarchies se font, elles aussi, plus exigeantes. Elles portent principalement sur le leadership, les opportunités de développement et un certain équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Patrick Lemattre parle à cet égard d'une triple attente : de fond (compétence), de forme (communication) et de tréfonds (engagement).

Si, en termes de générations, ces problématiques sont assez étrangères aux baby-boomers qui n'ont généralement pas rencontré de difficultés majeures dans un parcours porté par les opportunités qu'ouvrait une croissance forte et un climat d'optimisme social, et dans une moindre mesure à la génération 68 qui a su rebondir, elle est en revanche vécue avec brutalité par la plus jeune génération (la fameuse "do-it-yourself-generation.com"), et avec opportunisme par la génération dite "X" aux Etats-Unis, celle des 35-45 ans, qui fonctionnent sur le mode du "donnant-donnant".

Force est de constater dans le même temps une forte demande d'entreprise : c'est évident pour les outsiders, notamment les 20-30 ans, qui aspirent à y entrer, mais c'est tout autant le cas pour ceux qui, à l'intérieur, y cherchent une refondation de leur place. La situation actuelle fait ainsi coexister un individualisme affirmé et assumé, avec un besoin d'ancrage dans une communauté qui ferait de l'entreprise la "dernière paroisse".

Les voies du management seraient-elles devenues impénétrables ?

Or, s'il est vrai que 80 % des emplois ne touchent plus la matière (Renault, par exemple, ne produit plus dans ses propres usines et bureaux d'études que 20 % de la valeur de ses véhicules) et que nous passons d'un capitalisme industriel à un capitalisme de la connaissance, alors la piste d'une certaine reconquête de l'autonomie dans une société fondée sur l'échange et la créativité retrouve une certaine vigueur.

Cette reconstruction d'un lien rénové à l'entreprise peut d'ailleurs s'appuyer sur la réticence croissante de celle-ci à pérenniser le contrat fondateur du salariat : une rémunération dans la durée en échange d'une certaine quantité de travail (Delarbre & Pansard), et sur son recours de plus en plus fréquent à des interventions ponctuelles apportant moins un ensemble de moyens techniques, qu'un engagement focalisé sur le résultat.

Sous l'influence des développements contemporains du web, champ par excellence de l'économie de la connaissance et d'un nouveau commerce, les relations entre l'entreprise et les cadres pourraient être ainsi appelées à évoluer vers des liens nouveaux, ouvrant des espaces de coopération intelligente et souple, et fédérés autour de projets pluridisciplinaires bien identifiés.

Il revient du coup clairement à chacun, dans ce contexte, et à toutes les étapes de sa carrière, d'être en quelque sorte son propre entrepreneur et, en particulier, son propre DRH sous l'angle à la fois de la gestion de sa carrière (parcours), de l'enrichissement de ses compétences (employabilité) et de l'animation de ses réseaux (coopérations). Une piste dont l'observation du sort fait à nombre de quinquas conduit à conclure qu'elle doit se préparer dès trente-cinq ans pour être pleinement opératoire à cinquante.

Mais cette évolution vers de nouveaux liens de travail, à la fois encouragée par l'entreprise et source d'épanouissements nouveaux pour les travailleurs du savoir, laisse cependant une autre question ouverte, de nature plus politique. S'il est vrai comme l'écrit Daniel Cohen "qu'aujourd'hui, les ingénieurs sont dans les bureaux d'études, les emplois d'entretien sont dans des sociétés de service, et les emplois industriels sont sous-traités" - à l'exception notable des fonctions opérationnelles et d'animation, les usines seraient devenues des "lieux vides" -, alors qu'advient-il de la mixité sociale, et le "vivre ensemble" peut-il survivre au "libre ensemble" ?