30/11/2007
Al Gore, la planète et l'opinion (1) Pourquoi vous n'avez (presque) rien retenu de "An Inconvenient Truth"
Je repensais à An Inconvenient Truth l'autre jour, en professionnel laborieux à vrai dire plus qu'en citoyen éclairé, et j'ai trouvé le moyen, du coup, de le revoir. Si vous avez vu le film, vous avez probablement appris deux ou trois choses intéressantes au sujet du réchauffement climatique.
Vous aurez sans doute aussi retenu quelques unes des nombreuses données apportées par le film...
Non ?
Eh bien, c'est que, comme tout le monde, et comme l'ont montré depuis belle lurette les spécialistes de la PNL, vous ne retenez que 10 % environ de ce que vous entendez, le reste étant, pour l'essentiel, constitué d'un ensemble d'impressions dans lesquelles figurent en bonne place la posture, les gestes, le regard, les mimiques, la voix... etc de l'orateur.
Tant pis pour les esprits chagrin et les rationalistes fous : toute communication est d'abord une explosion de messages... sensoriels.
Cela va du pétard au feu d'artifice - c'est selon l'orateur et, on l'a compris, beaucoup plus en raison de la prestation qu'il réalise devant nos yeux que des propos qu'il nous tient.
Ah, Titi ou Becks peuvent bien nous entretenir de cuisine British ou de French laissez faire en fin de match, nous n'y verrions rien à redire. L'essentiel, c'est ce moment de connivence improbable qu'ils nous offrent, là, au beau milieu du salon, rien que pour le plaisir de passer un moment avec nous.
Donc, vous n'avez rien retenu. Ou alors seulement l'essentiel, c'est-à-dire : 1°) que nous avons un vrai problème avec l'environnement ; 2°) que, pour chacun d'entre nous, il est possible : a) de faire quelque chose ; b) dès maintenant (souvenez-vous, c'est juste à la fin, ça me revient parce que, alors que je commençais à m'assoupir délicieusement avec le générique, on a eu une réunion de crise à la maison, dans la foulée, pour commencer à sauver la planète).
Vous n'avez rien retenu de An Inconvenient Truth parce que c'est une parfaite réussite.
Ce qui me frappe avec cet exposé, c'est que, plus qu'un film auquel on peut prendre plus ou moins de plaisir, ou un documentaire qui peut nous apprendre plus ou moins de choses, c'est une performance tout à fait singulière - l'archétype d'une communication remarquable et, pour tout dire, un modèle du genre.
Pour progresser au golf, ce n'est pas mal de regarder Tiger Woods. Pour améliorer votre communication, revoyez donc Al Gore (à suivre).
22:15 Publié dans Environnement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : environnement, communication, PNL, Al Gore, Beckham, Thierry Henry
09/11/2007
Liberté, diversité, mobilité : la devise de l'intelligence collective ?
Sur la mobilité sociale, nous avons eu, l'autre soir, des échanges stimulants dans un atelier à la fois restreint et divers de la Commission de la libération de la croissance française. Il y avait là, entre autres, sous la présidence rebondissante de Jacques Attali, assisté du rapporteur général, Josseline de Clausade, Jihade Belamri, fondateur de Convergence, Jean-Philippe Cotis, nouveau patron de l'INSEE, Stéphane Boujnah, directeur à la Deutsche Bank, Theodore Zeldin, célèbre oxfordien spécialiste de la France et de ses passions, Jean Kaspar, ancien Secrétaire général de la CFDT, Geoffroy Roux de Bezieux, fondateur de Phone House, ou encore l'économiste Philippe Aghion. L'atelier était assisté de nombreux jeunes rapporteurs, consultants ou fonctionnaires.
La commission dévoilera en temps utile les propositions qu'elle aura finalement retenues sur ce sujet après autres investigations, échanges complémentaires et ultimes arbitrages. Je voudrais me borner ici à une réflexion générale sur le style du travail mis en oeuvre dans ces ateliers et dégager en particulier, à la lumière de l'exercice, quelques unes des conditions qui m'ont semblé y favoriser une forme d'intelligence collective :
1°) réunir des expériences différentes et des talents divers - et parier sur la confrontation positive de cette diversité. On utilise aussi cette méthode lorsque l'on veut introduire un projet de changement en entreprise dans une approche sensiblement différente : le but est également d'encourager la créativité collective, mais on cherche, en plus, à faire émerger les conflits latents entre fonctions différentes car il faut qu'un conflit s'exprime pour pouvoir être dépassé et autoriser ainsi le passage à autre chose. A bien y réfléchir d'ailleurs, c'est aussi un des fondements de l'ouverture politique actuelle dont les commissions de réflexion sont à la fois un exemple de brassage et un outil de production de consensus ;
2°) encourager la liberté de proposition et de ton - en laissant s'exprimer les passions et les convictions ; on ne peut que se réjouir à cet égard de la liberté intellectuelle à l'oeuvre chez les membres de la commission, investis d'une mission - proposer les moyens de libérer le potentiel économique du pays - qu'ils entendent mener avec une véritable indépendance intellectuelle ainsi qu'avec des convictions qui s'appuient souvent sur des expériences fortes. Rien de plus réjouissant, ni de plus nécessaire : aux ordres, on fait toujours du mauvais travail.
3°) piloter l'ensemble avec rigueur, en associant écoute approfondie et rebond dynamique, ce qui permet à la fois à la parole de circuler - comme on dit dans les tribus kanak, expertes en délibération - et à la réunion de progresser, en vérifiant régulièrement qu'aucun champ essentiel d'investigation n'a été oublié. Cette double dimension qui définit une écoute active, qui passe souvent par une sorte de jauge et qui ne va jamais sans une grande mobilité d'esprit, se réunit assez rarement chez un même individu. Je crois bien, pour ma part, ne l'avoir réellement vue à l'oeuvre qu'à deux ou trois reprises, guère davantage.
Les conditions pratiques sont sans doute moins spectaculaires mais tout aussi essentielles à la réussite de l'exercice : il y a un horaire et il est fait pour être respecté par tous ; et il est indispensable que les débats soient transcrits avec attention et prolongés par la suite des éclairages documentaires qui s'imposent sur tel et tel point pour passer plus efficacement d'un point A à un point B, et cela d'autant plus que l'on s'inscrit dans un calendrier serré. Une évidence sans aucun doute, mais c'est presque sur ces conditions pratiques que l'on aurait envie d'insister tant cette rigueur dans l'exécution manque souvent à l'approche française du travail collectif.
A moins que ce ne soit la malice anglo-saxonne qui ne finisse par l'emporter. Theodore Zeldin concluait ainsi la réunion en se demandant si ce n'était pas plutôt de mobilité intellectuelle dont la France avait besoin. De l'Amérique, et tandis qu'on y reconquiert les coeurs, c'est la raison de l'étranger en effet, projetée sur un pays dont il ne voit pas combien, se pensant protégé, il rechigne à s'ouvrir, et se croyant instruit, il oublie de s'informer. Liberté d'évocation, diversité des parcours : la mobilité intellectuelle vient quoi qu'il en soit justement compléter cette recette empirique pour favoriser l'intelligence collective.
13:55 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : démocratie, intelligence collective, diversité, créativité, Kanaks, Theodore Zeldin, économie
07/11/2007
De la croissance... Promotion (suite) : des leviers pour progresser
6.3 - Réouvrir la question du statut des cadres
Pour tous ceux qui n'ont pas atteint le fameux statut bac + 4 ou 5 et qui ont du talent, cette barrière est un barrage. Gérer les fuites au compte-gouttes, c'est bon pour la gestion des barrages, ça ne l'est guère pour les gens, en particulier pour les plus méritants d'entre eux. Ceux qui le veulent vraiment, qui sont portés par quelque chose, finissent par trouver une voie en dépit des obstacles, ou en vertu même de ces obstacles (ce qui ne tue pas, comme on sait...). Mais ceux qui ont besoin d'être encouragés ?
Dans certaines entreprises, notamment dans les secteurs industriels techniques, la question était, il y a encore quelques années, gérée à travers la notion de "cadre technique". Cette possibilité permettait d'ouvrir un espace, de donner une perspective de progrès au milieu de leur carrière à ceux qui avaient fait leurs preuves. Un état de la situation serait utile pour mesurer la réalité de ces passerelles aujourd'hui, et les ouvrir plus largement.
6.4 - Mieux valoriser les expériences
Il faut donc ouvrir davantage, et davantage relativiser les diplômes - comme en Amérique, absolument - pour mieux reconnaître les expériences. D'ailleurs, cette notion de statut, on le sait, est si française qu'il faut passer un peu de temps à s'en expliquer aussi bien avec les Américains qu'avec les Scandinaves (on ne pourra pas dire ainsi que c'est encore une vieille lune inspirée de je-ne-sais-quel libéralisme - "sauvage", naturellement) ; et, autant le dire tout de suite, il vaut mieux renoncer d'emblée à les convaincre du bien-fondé de cette histoire de castes ex diploma.
Le type talentueux sorti d'un obscur institut de gestion ou d'une formation technique de base, il n'a peut-être pas la capacité conceptuelle d'un polytechnicien, mais il peut, souvent mieux que lui quand les enjeux sont plus concrets et localisés, emmener une équipe sur le terrain ou développer une affaire.
Cela ne va pas non plus sans une plus grande attention aux résultats, à l'art de la mise en oeuvre. C'est Carlos Ghosn, dans le charisme disons épuré qui le caractérise, qui rappelait qu'une meilleure performance ne passe pas nécessairement pas de nouvelles idées, mais qu'elle peut simplement résulter d'une plus grande attention portée à l'exécution. Et c'est précisément ce que le système français de sélection des élites, qui ne voit de la noblesse que dans la conception, n'encourage guère. Là aussi, il y a des terrains à reconquérir, avec plus de pragmatisme. Une reconquête qui présenterait également l'avantage de réintroduire plus de proximité sur les lieux de travail, notamment dans les unités de production, entre l'encadrement et les équipes et, partant, d'améliorer la cohésion et de réduire la conflictualité. La persistance d'un syndicalisme d'opposition systématique, c'est aussi le produit d'un management absent ou médiocre.
6.5 - Porter un discours de promotion fort
Il y a eu Mitterrand sur l'Europe, Chirac sur l'environnement - et si Sarkozy était l'homme de la promotion ? Il le porte un peu en lui (voyez ce discours, capté à son insu dans une salle électorale, qu'il avait improvisé sur sa relation ambivalente aux élites - il en est à la fois un leader et un produit atypique) et il peut aussi, là-dessus, porter le verbe haut et l'exemple fort. Cela tombe bien : il nous faut donner un sérieux coup de jeune à notre vieux discours sur l'égalité républicaine, qui ne tient plus guère que dans les manuels d'histoire et les loges maçonniques.
La promotion de la diversité en est un bon exemple. Il y en a d'autres ailleurs - voyez encore Descoing à Sciences-Po, qui réussit à la fois sur le terrain de l'excellence internationale et sur celui de l'espérance dans les quartiers. Je crois à cette communication publique quand elle est portée par une volonté et par un exemple, c'est-à-dire par une relation éprouvée à l'action. De belles et fortes campagnes peuvent d'ailleurs être aussi imaginées sur ce sujet.
Encore une fois, il y a des espaces à ouvrir. C'est possible ? Alors faisons-le, disait en substance l'Institut Montaigne dans sa campagne de communication pré-présidentielle.
D'autres idées ?
On en reparle quand vous voulez. Il me semble qu'il y a là un vrai sujet de passion démocratique et d'engagement personnel. Je rappelle que vous pouvez participer à ces débats à travers ce blog, mais aussi à travers les nombreux forums mis en place sur la plateforme créée par la Commission pour la circonstance.
17:30 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cadres, diversité, politique, syndicalisme, Sarkozy, Carlos Ghosn, Europe
06/11/2007
De la croissance... (6) Promotion : des leviers pour progresser
Après notre entretien avec le président de la Commission de libération de la croissance et son rapporteur général en septembre, puis un travail à distance, depuis l'Asie, sur ces sujets, je retrouve aujourd'hui le cercle de l'Avenue de Ségur. Parallèlement au groupe de travail sur les mentalités et la réforme publique, Jacques Attali m'a également convié à participer à la réflexion, qui démarre ce soir, sur le thème de la mobilité sociale. Une autre façon, plus spécifique, d'aborder le sujet de la cohésion sociale que j'avais évoqué, en démarrant cette série de notes le 2 octobre, comme un complément naturel aux cinq thèmes que j'avais alors proposé de développer (éducation, motivation, création, coopération et communication).
Une réflexion, d'abord, de portée plus générale, avant d'évoquer quelques pistes de discussion. Autant, sur le plan économique, débloquer les freins réglementaires ou culturels qui entravent l'initiative et lui ouvrir de nouveaux espaces de conquête est sans doute ce que nous pouvons faire de plus utile ; autant, sur le plan socio-politique, avancer des propositions efficaces pour retrouver les voies d'une promotion sociale active est sans doute ce que nous pouvons faire de plus noble.
D'ailleurs, sans cette perspective, à quoi bon la politique ? Que ceux qui le peuvent fassent des affaires, que ceux qui se protègent continuent de le faire, et que les autres vaquent à leurs occupations comme ils peuvent avec tantôt un peu plus et tantôt un peu moins d'aide, et que vogue le Titanic - il en va en effet du social comme de l'environnement : on s'en occupe ou on coule.
Ce ne serait pas acceptable : on a raison de ne pas transiger avec la médiocrité ou, pour le dire plus positivement, d'être obsédé par la question des talents - leur maturation, leur émergence, leur repérage et puis les espaces qu'il faut leur ouvrir ; mais on ne peut pas se passer de la justice.
Cela étant dit, comment réouvrir une vraie mobilité sociale au sein de la société française aujourd'hui ? De nouveau, voici quelques pistes pour la discussion.
6.1 - Mieux investir en amont dans l'orientation
L'orientation est souvent abordée de façon trop administrative. Or si, pour les trains, il faut un triage rigoureux, les jeunes gens requièrent plus d'attention et d'imagination. Et cela doit commencer tôt, dès le collège. Passés les rêves d'enfance, n'est-ce pas là que se forgent les premières envies ? Et c'est bien d'envie dont il s'agit. Il faut susciter des étincelles, des lueurs, et leur donner le temps de faire leur chemin : les meilleurs professeurs savent le faire et, au-delà, il faut faire intervenir des chefs d'entreprise, des aventuriers, des élus, des sportifs - bref, placer haut, pour tous, la barre de l'ambition de bien faire ce pour quoi l'on se sent fait, faire émerger le désir de se réaliser et de progresser.
Il faut soutenir l'effort au lycée, trouver les meilleures adéquations possibles entre les personnalités et les possibilités - il y a là-dessus des tests psychologiques bien faits et éclairants. Je vois enfin un troisième niveau, au début de l'Université, pour lutter contre l'échec si marqué des premières années : c'est comme si, une fois que l'on avait amené à ce niveau un maximum d'individus, on les laissait ensuite se débrouiller. Là aussi, il faut investir, pour apporter des pistes complémentaires, certes, si une réorientation s'avère nécessaire, mais surtout pour donner des bases méthodologiques solides.
6.2 - Etendre les soutiens scolaires personnalisés
J'ai vu et parfois participé à quelques exemples concrets : à la Goutte d'Or, en Nouvelle-Calédonie, à Montparnasse, j'en ai aussi entendu parler récemment pour l'Université de Rennes, je crois : partout où un soutien scolaire personnalisé est mis en place, ça marche ! Un rapport moins abstrait se crée avec le savoir, il s'inscrit dans le cadre d'une relation. On ose davantage demander de l'aide ; et puis, au-delà de l'aide, ou même à travers elle, par l'exemple que l'on donne ("to lead by the example" disent les Américains qui ont mille fois raison), on peut, ici aussi, ouvrir des pistes, transmettre des passions, donner envie.
C'est une clé essentielle, et elle peut prendre des formes différentes à différents âges de la vie : il y a là un espace à prendre par tous, pour les juniors vers 20 ans pour incarner l'idéal, pour les adultes vers 40 pour le supplément d'âme et d'utilité sociale qui manque parfois dans une vie à la fois trépidante et bornée, et au-delà de 60 encore parce qu'il y a encore de belles occasions d'être utile. (à suivre)
23:50 Publié dans Commission Attali | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : commission Attali, mobilité sociale, justice, promotion, orientation, politique