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10/02/2008

Quand les retraites battent en retraite (1) : Move Ahead toi-même (l'idéologie sous la crise)

C’est en s’appuyant sur sa réélection en novembre 2004 et une majorité renforcée au Congrès – ce que le président a alors appelé son « capital politique » – que George Bush a affiché sa volonté de réformer le système américain des retraites hérité de la « Social Security » mis en place en 1935 par Roosevelt. En s’appuyant sur une série de projections financières alarmistes et d’arguments diffusés de longue date par les plus actifs des think tanks conservateurs, le président a évoqué une situation de « crise » pour légitimer cette réforme. Celle-ci pourtant n’a pu être mise en œuvre. La communication, selon l’AARP (American Association of Retired Persons), ça sert aussi à faire échouer les réformes.

Boom boom, baby-boom

Le régime national (« Social Security ») est le régime de référence aux Etats-Unis (régime de base) : il s’agit d’un régime par répartition, financé par des cotisations sociales sur les salaires, et auquel plus de 95 % des actifs sont affiliés. Les versements sont modestes, la retraite moyenne ne couvrant en effet qu’environ 35 % du salaire moyen. De très nombreux régimes professionnels (régimes complémentaires) viennent compléter ce régime de base, en particulier pour les salariés de l’administration et les principales compagnies privées représentant environ 20 % des salariés du secteur privé. Il s’agit de fonds de pension abondés soit par les employeurs seuls, soit par les employeurs et les salariés (fonds « 401k »).

Le système de retraite américain a fait l’objet d’ajustements précoces. Dès le début des années 80, pour se préparer à financer les nombreux départs à la retraite de la génération du baby-boom, les pensions ont été diminuées pour les personnes prenant leur retraite entre 62 et 65 ans, et augmentées en revanche pour les salariés liquidant leurs droits au-delà de 67 ans. Un fonds de réserve a été constitué, qui continue à être alimenté par des cotisations légèrement supérieures au niveau des versements. Lorsque le système des retraites commencera à être déficitaire à partir de 2018, cette réserve pourra ainsi être utilisée, selon les projections, jusqu’en 2045, pour maintenir les pensions et les cotisations au même niveau.

Vers une "société des propriétaires" ?

« Un grand succès moral du XXe siècle va vers la faillite » lançait le président Bush dans son discours sur l’état de l’Union début 2005, faillite annoncée pour 2042 après que de sérieuses difficultés de financement auraient été rencontrées dès 2018. « Si des mesures ne sont pas prises pour prévenir ce résultat, les seules solutions seront la hausse drastique des impôts, de nouveaux emprunts massifs, ou des baisses soudaines et sévères des allocations de retraite ou d’autres programmes gouvernementaux ». La réforme ne s’appliquait pas aux travailleurs les plus âgés (ceux nés avant 1950), mais seulement aux salariés les plus jeunes auxquels elle promettait de meilleures perspectives de revenu. « Votre capital va augmenter au cours du temps à un taux meilleur que celui que peut offrir le système actuel. Et votre compte fournira plus d’argent pour la retraite que le chèque que vous recevriez du système de retraite » justifiait encore le président.

Le projet consistait, de fait, à remplacer progressivement le premier étage de ce système par un régime d’épargne forcée, une partie des cotisations prélevées sur le salaire étant alors versée sur un compte particulier géré par le salarié, dont celui-ci ne pourrait cependant bénéficier qu’à compter de sa retraite. Cela aboutissait à une privatisation partielle sous la forme de comptes épargne-retraite, non pas « privés » mais «personnels » insistait, avisée, l’administration Bush après une série de tests préalables.

Compte tenu du système de fonds de réserve existant, l’objectif du projet de réforme apparaissait toutefois moins économique que social – renforcer le caractère de « société de propriétaires » (« ownership society ») de la société américaine –, chacun devant se retrouver propriétaire et responsable de la gestion d’un portefeuille de titres. « Lorsque vous possédez quelque chose, avait déclaré le président à l’été 2004, l’avenir de votre pays prend beaucoup plus d’importance. Plus l’Amérique comptera de propriétaires, plus elle sera forte ». Le basculement d’une partie des cotisations vers des comptes privés entraînant un important manque à gagner dans le versement des pensions de l’époque, la mise en place de cette réforme supposait cependant un fort recours à l’endettement du gouvernement, qui aurait accru la pression sur les finances publiques.

Un projet contesté

Certes, dans une logique conservatrice, ce plan remettait en cause un des éléments clés de la « Social Security ». Pourtant, de nombreux conservateurs lui furent également opposés dans la mesure où il se traduirait par une très forte hausse des dépenses publiques ; la notion d’épargne forcée, en outre, ne leur paraissait pas une notion particulièrement conservatrice. C’est ainsi que des personnalités comme le sénateur républicain Lindsey Graham, qui avait pourtant fait de la réforme des retraites son cheval de bataille, estimèrent alors que ces comptes personnels « ne feront rien pour sauver le système ». Pour beaucoup, le danger pour les retraites n’était pas imminent, alors qu’il apparaissait dans le même temps plus sérieux pour l’assurance santé. Surtout, les risques économiques et sociaux associés à une telle réforme paraissaient élevés, chacun ayant encore à l’esprit le recul auquel avait été contraint Ronald Reagan au début des années 80 lorsqu’il avait dû renoncer au volet de sa réforme fiscale concernant plus particulièrement le troisième âge. Depuis lors, une certaine prudence s’imposait sur ce sujet parmi les responsables politiques.

Certaines personnalités de sensibilité démocrate s’étaient certes parfois montrées favorables au projet, dès lors que les comptes personnels venaient en complément du système de retraites existant. Le projet de l’administration Bush leur adressait d’ailleurs un signe favorable en envisageant de diminuer progressivement les pensions versées aux ayants droit les plus aisés afin de relever le niveau minimum des retraites des cotisants les plus pauvres. Bush lui-même tenta bien d’en appeler à une approche non partisane sur ce sujet (« We have to move ahead with courage and honesty, because our children’s retirement security is more important than partisan politics (…) I will work with members of Congress (…) I will listen to anyone who has a good idea to offer ») avant d’entamer une tournée dans le pays pour vendre son projet de réforme.

En vain. Le projet fut en effet largement combattu par les Démocrates. Pour le leader de l’opposition démocrate d’alors, Harry Reid, représentant le Nevada, ce sytème « dangereux » était comparé à « une roulette ». « Nous ne laisserons aucun président transformer le rêve américain en cauchemar pour les aînés et en mine d’or pour Wall Street » avait lancé le sénateur démocrate Edward Kennedy, qui se posait en gardien de l’héritage du New Deal rooseveltien en s’appuyant sur l’attachement manifesté par la population au système des retraites publiques.

Serait-ce suffisant pour stopper un projet pour lequel les think tanks conservateurs avaient préparé le terrain de longue date ?

21/12/2007

L'Amérique contre la réforme ? (entretien n°4/8 avec Norman Ornstein à l'American Enterprise)

Je poursuis ici le compte rendu de mes entretiens à Washington DC sur le thème : "Communiquer la réforme".

Une star de l'American Enterprise Institute

Norman Ornstein est un des commentateurs les plus réputés de la vie politique américaine. Il est notamment membre de l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI), un des principaux think tanks conservateurs. L’AEI promeut, sans surprise, des valeurs de référence telles qu’un gouvernement restreint, l’entreprise privée, la liberté individuelle, la responsabilité politique, etc. Avec environ 175 personnes sur Washington DC, il est structuré en trois pôles principaux : politiques économiques, questions politiques et sociales, affaires étrangères et défense. Il sert à l’occasion de vivier ou d’accueil pour le camp républicain.

Spécialiste des questions politiques intérieures et notamment du Congrès et des élections, Norman Ornstein est aussi analyste politique pour CBS et contribue régulièrement au Roll Call. Il collabore plus occasionnellement avec d’autres journaux et revues tels que le New York Times, le Washington Post, WSJ ou encore Foreign Affairs. Ornstein a également été l’un des artisans de la réforme MacCain/Feingold du financement des campagnes électorales. Il est membre de l’Académie américaine des arts et des sciences depuis 2004.

Changement ou statu quo ?

Selon Norman Ornstein et contrairement à une idée reçue, le système institutionnel américain ne favorise pas la réforme. Il viserait même à l’empêcher par un certain nombre de contraintes techniques, voire de pratiques détournées telle celle, célèbre, du « filibuster » par lequel un sénateur peut monopoliser la parole pendant le temps qu’il veut sans pouvoir être interrompu pour faire échec à un projet de loi (le record est toujours détenu par Wayne Morse qui s’efforça, dans les années 50, de faire échec à une loi pétrolière par un discours de plus de 20 heures dans lequel il se borna à lire l’annuaire téléphonique...). Cet usage, lorsqu’il est mis en œuvre, ce qui a été le cas dans la période récente, ne peut être interrompu que par la constitution d’une majorité renforcée de 60 sénateurs déclarant la cloture des débats.

Le cas des armes

Un exemple souligne la difficulté à réformer dans ce système. 80 % des citoyens américains se déclarent, à un titre ou à un autre, favorables à un contrôle des armes. Mais cette tendance de l’opinion (alimentée par d’innombrables exemples de tueries dans les lieux publics, qui se succèdent semaines après semaines) ne parvient pas à déboucher sur une réforme parce qu’elle est opposée à 20 % de gens remarquablement bien organisés et efficaces pour préserver la situation actuelle, autour notamment de l’American Rifle Association (NRA).

Des périodes d’exception

En réalité, les périodes de fortes réformes sont concentrées, aux Etats-Unis, sur des moments historiques très brefs : les années 30 bien sûr avec l'administration Roosevelt, la nouvelle société de Johnson en 1965-66 et le tout début de l’ère Reagan. Ces périodes sont généralement marquées, soit par une crise majeure ressentie comme telle par l’opinion, soit encore par la très large victoire d’un camp politique sur un autre. Une des rares exceptions à ce schéma est la réforme fiscale adoptée en 1986 à un moment où Reagan n’était pas en position de force, mais où les Démocrates étaient également d’accord pour répondre à une forte demande de réduction et de simplification des impôts dans la société américaine.

Bush's honeymoon

Les deux principales réformes mises en œuvre par Bush ont été l’éducation et la fiscalité. Le succès de la réforme de la fiscalité s’est appuyé sur le fait que, pour la première fois depuis les années 1953-54, le Gouvernement était unifié avec une Présidence, un Sénat et une Chambre des Représentants républicains (Reagan, lui, n’avait pas la Chambre des Représentants). Cette réforme a été facilitée par un classique état de grâce (« Bush’s political honeymoon ») et une configuration qui était alors de type parlementaire. Pour « No Child Left Behind », la stratégie a consisté à tout de suite aller chercher des alliés démocrates de renom car ce domaine apparaissait moins facile à réformer que ne l’avait été la politique fiscale.

L’échec des retraites

S’il n’y a pas de crise à proprement parler, il faut créer un sentiment d’urgence et fixer le cadre du débat (c’est là, semble-t-il, une idée fixe du camp conservateur). Mais pourquoi la tentative de réforme des retraites n’a-t-elle pas abouti en 2005 ? Le pays était en effet déjà parvenu par le passé à réformer son système de « social security » (pm. l’expression ne désigne que le système de retraites aux Etats-Unis), en 1983. Mais cela n’avait été rendu possible, à l’époque, que par la conjonction d’une crise de financement du système et d'un large consensus. Une commission spéciale, présidée par Alan Greenspan, avait alors en effet réuni un large spectre d’acteurs, y compris les syndicats. Or, si une commission a bien été mise en place en 2005, cela a été fait, cette fois, selon une approche beaucoup plus étroite et partisane.

Demain, le système de santé ?

La règle peut finalement apparaître assez simple : il est inutile de chercher à vendre une réforme auquel les gens ne croient pas. Il faut aussi gagner le support des élites. Si la réforme du système de santé a une chance de se faire à l’avenir, ce ne sera qu’à la condition qu’elle soit érigée en priorité essentielle du nouveau président. Elle pourra d’ailleurs s’appuyer sur un sentiment de crise ou d’insécurité qui s’est largement développé ces dernières années sur ce sujet au sein de la société américaine.