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10/03/2011

(13) Note sur les risques du métier (portrait du dircom en tireur de panenka)

Mais que diable est-il allé faire dans cette galère ?

Confronté à une problématique de changement difficile, ce n'est pas le moindre paradoxe auquel est confronté le dircom que de devoir apprendre à désapprendre ce qu'il a appris en passant du culte de l'écrit au méandres du terrain. Lui qui mit tant de coeur à faire ses humanités, le voilà du même mouvement dépossédé de ses études et dépassé par les événements. Evidemment, un raccourci malheureux pourrait conduire dans de telles circonstances, à remplacer un dircom qui sait écrire mais qui ne comprend rien au terrain par un autre très à l'aise sur le terrain mais qui ne saurait pas aligner deux mots. Ce serait pourtant un mauvais calcul : un dircom qui ne sait pas écrire, d'une façon ou d'une autre, ça finit toujours par se voir, par exemple lorsqu'il s'agira de rédiger en urgence un communiqué de presse lors de la crise suivante.

Après tout, puisque l'on a mis la passion en exergue de ce métier (je réalise à présent ce qu'il entra non seulement de facilité mais aussi de légèreté dans ce titre trop accrocheur pour être honnête), il faut bien aussi en assumer les conséquences désagréables. Toute grande passion générant ses petits tracas (1), cette situation ne laisse de fait au patron de la communication qu'une marge de manoeuvre étroite : s'il est trop prêt, il ne rassure pas ; s'il ne l'est pas assez, il inquiète. Un vrai chemin de croix. A croire que les présidents complotant avec les DRH ont fait en sorte que, des lauriers, le malheureux ne puisse jamais connaître que les épines.

Mais pourquoi faudrait-il donc désapprendre ? Eh bien, parce que les formations à la communication transmettent essentiellement l'art de fabriquer de beaux outils de communication, de préférence écrits. Jusque là, pas de surprise : on s'inquièterait a priori davantage de découvrir que lesdites formations initiassent plus à la mécanique quantique qu'à l'art du magazine corporate ou du site mobile.

Ce n'est pourtant pas si simple. Prenons deux exemples empruntés à la vie quotidienne du dircom, si l'on veut bien considérer que la communication est un sport comme les autres.

Premier exemple : quand Zidane s'en va tirer un pénalty à son ancien partenaire de la Juve un soir de finale de coupe du monde et qu'il sait que le gardien qui lui fait face le connaît par coeur, il a le choix entre oublier la perfection d'un type de tir répété des milliers de fois mais dont le caractère prévisible compromet a priori l'efficacité, ou bien inventer quelque chose d'autre. Il invente. Le résultat est une panenka d'anthologie, presque aussi pure que sa reprise de volée, un soir de mai 2002, contre le Bayer Leverkusen. Incidemment, l'altercation en fin de match avec Materazzi (2) montre assez combien le dircom, en particulier le dircom latin, peut être irrascible lorsqu'il n'atteint pas son but.

Deuxième exemple : quasiment au faîte de de son art, Tony Parker, le Frenchy vedette des San Antonio Spurs, annonce un jour qu'il doit, s'il veut améliorer encore son efficacité au tir (précisons au passage que les matches de la NBA se signalent autant par leur caractère festif que par leur raffinement statistique), accepter pendant un certain temps de voir sa performance baisser. Tout projet de changement connaît une "courbe en U" : après l'enthousiasme des débuts, on finit par plonger brutalement dans les problèmes (et les tensions qui vont avec) avant de commencer à remonter progressivement la pente. Il s'agit là d'une séquence fréquente et normale dans les situations de changement, comme l'est d'ailleurs également la conflictualité qui l'accompagne. Autrement dit, si les choses se passent mal, c'est qu'en réalité elles se passent bien. Dans le cas qui nous occupe, on aurait donc affaire à une sorte de courbe en U singulière qui, au lieu d'être collective et accidentelle, serait individuelle et volontaire.

Tenter quelque chose d'apparemment fou qui marche ou, moins spectaculaire mais plus difficile, accepter une baisse volontaire de performance pour s'améliorer par la suite : les voies du changement ne vont ni sans inspiration ni sans remises en cause... On insiste à cet égard souvent sur la nécessité d'apprendre un certain nombre de choses nouvelles au cours de sa carrière. Fort bien. Mais il y a aussi un certain nombre d'exemples où désapprendre se révèle au moins aussi nécessaire. C'est particulièrement le cas avec les problématiques de changement dans la mesure où, on l'a vu, une communication essentiellement papier - relevant d'une sorte de fétichisme de l'écrit - passerait à côté de ce qui fait l'essentiel d'un changement réussi : l'art du contact et le sens du terrain. Il faut alors savoir sortir du cadre - encore que, pour le coup, cette suggestion soit plus profitable au dircom qu'au tireur de pénalty.

Et l'on ne voit pas pourquoi le dircom, qui n'est pas plus bête qu'un autre comme on dit en Normandie, ferait exception à la règle.

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(1) "Belle du seigneur" (dont je dissuade aussi fermement la lecture que notre professeur de philosophie en khâgne nous découragea de nous lancer dans "L'être et le néant") est très clair à ce sujet.

(2) Voir là-dessus l'intéressant "Eloge du mauvais geste" d'Ollivier Pourriol, paru en 2010 chez Nil.

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