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22/12/2007

Who You Gonna Believe, Me Or Your Lying Eyes ? (entretien n°5/8 avec Nancy Mathis)

De Kennedy à Clinton

Nancy Mathis est la présidente de First Take Communications, un cabinet spécialisé dans le conseil en interventions médiatiques. Nancy a notamment été journaliste dans la presse, à la radio puis à la télévision notamment sur CBS. Puis elle a fait ses classes en communication politique avec Joe Kennedy (le fils de Bobby), alors Représentant démocrate du Massachusetts, ainsi que pour un comité sur les questions bancaires à la Chambre des Représentants. Elle a, par la suite, travaillé pendant cinq ans avec l’équipe Clinton comme directeur de la communication d’un programme relatif à l’apprentissage pour l’ensemble des Etats-Unis.

No Child Left Behind

Toute réforme aux Etats-Unis se situe au milieu du triangle « politics, policy and press » dont il faut gérer les pôles et les interactions en permanence. Bien qu’élaborée et suivie sur une base bi-partisane, la réforme « No Child Left Behind » dans la domaine de l'éducation n’a pas échappé à la règle.

Les désaccords, notamment sur la question des moyens affectés à la réforme, entre les Etats et le Gouvernement fédéral ont conduit à de premières interpellations, puis à de larges critiques exprimées dans les medias qui ont, pour le coup, semé la confusion sur le sujet en donnant lieu à une véritable « guerre médiatique ».

Celle-ci a du coup crée un sentiment de demi-réussite (pour les Républicains) ou de demi-échec (pour les Démocrates). Beaucoup des publications récentes de l’American Enterprise Institution tentent d’ailleurs de réhabiliter la réforme. Nancy résume l’état de la question d’une formule : « Good tenet, poorly implemented ».

Le cas des subprimes

La crise actuelle des subprimes, dont beaucoup de spécialistes du monde bancaire et financier s’accordent à penser qu’elle s’aggravera dans des proportions significatives au cours des prochains mois, donne simultanément à voir une sorte d’optimisme de façade à l’œuvre aussi bien dans le monde politique que dans les grands medias. Bien sûr, l’objectif de ne pas effrayer les marchés, qui aurait un effet en retour encore plus dévastateur, est central dans l’affaire.

Objectivement, si l’on suit l’idée du rôle déclencheur que peut avoir une situation de crise dans toute réforme, ce contexte devrait cependant pouvoir se traduire par l’amorce d’une posture différente de la part des autorités fédérales (sans préjuger de la suite de la crise mais en raisonnant en termes de potentiel, y compris en ayant présent à l’esprit la crise parallèle du système de retraite et de santé, on peut, à la limite, être tenté d’établir une comparaison avec les années 30). Mais l’idéologie du «free market » est tellement prégnante dans les institutions et les esprits ici qu’elle empêche toute ouverture de cette nature.

Le fait surprenant reste bien l’omniprésence, fragile mais très large, de cet optimisme de façade. On pense à ce propos à la formule bien connue pour illustrer la puissance de certains discours semant le doute face à des aspects pourtant tangibles de la réalité : « Who You Gonna Believe, Me Or Your Lying Eyes ? »…

« Grasstops » et « grassroots » politics

Toute stratégie de communication, sur un sujet sensible de réforme, commence naturellement ici par une étude en profondeur de l’opinion s’appuyant sur les sondages et des focus groups qui sont aujourd’hui la norme absolue, quel que soit le sujet à traîter, pour fixer l’image de départ, le rapport des forces et les marges de manœuvre. Souvent, l’attention se porte sur, disons, les 40 % de gens au milieu du débat qui n’ont pas au départ d’avis très tranché sur le sujet.

C’est à partir de cette photographie de départ (« baseline poll ») que se déploient les stratégies dites de « grasstops politics » qui visent à toucher directement les décideurs. Ces approches sont complétées de stratégies de « grassroots politics » qui, elles, cherchent à mobiliser l’opinion et d’abord sur le terrain local. On s’appuie, pour ce faire, sur des groupes intermédiaires, par exemple des associations représentatives du domaine concerné, pour faire remonter, dans les medias, les messages du terrain qui sapent la légitimité de Washington à réformer.

Cette association du pouvoir politique et des pouvoirs intermédiaires qui permet de mobiliser en masse le moment venu est encore puissante par exemple dans le lien qui unit les Démocrates et les grands syndicats, notamment autour de la personne de John Edwards. Même s’il est vrai que le démantèlement du système des retraites, et d’abord au sein des grandes compagnies qui ne pouvaient plus en assumer le coût (multiplié par quatre en une vingtaine d’années), a fortement affaibli les grands syndicats américains.

Le cas de la NRL

La NRL en particulier excelle dans l’art de la « grassroots politics ». Elle s’appuie d’abord sur le sentiment, culturellement très puissant, de la liberté individuelle garantie en l’occurrence par le second amendement, qui pose le droit à porter une arme à feu. Surtout, elle sait entretenir la confusion sur la question. Le doute : il est de notoriété publique, depuis « An Inconvenient Truth », qu’il s’agit là d’un des premiers ressorts de toute stratégie de déstabilisation de la part des grands lobbies (on s’en souvient, Al Gore fait, dans ce film, référence à celui du tabac).

Au lieu de se placer sur le terrain des tueries mettant en cause les fusils d’assaut, le puissant lobby laisse entendre que ce sont les droits des chasseurs, notamment dans le Sud, qui seraient menacés. « Washington ne vous aime pas ! », explique-t-il en substance, "l’Etat fédéral veut remettre en cause votre mode de vie !".

Tous les moyens de communication sont alors bons pour mobiliser la cible : newsletters, mailings, réunions, mobilisation des membres de l’association en prenant régulièrement soin de leur laisser entendre que leurs pratiques seraient menacées par les projets fédéraux.

Témoin vs expert

Mais le plus important en matière de mobilisation à fort impact médiatique reste encore l’utilisation du témoignage direct : le bon chasseur qui semble injustement pénalisé, le parent d’une victime qui légitime aux yeux de tous le droit de se défendre, etc. L’essentiel de la stratégie ici consiste à ne jamais se laisser embarquer sur le terrain de l’argumentation rationnelle, mais de rester sur celui, émotionnel, et donc à beaucoup plus fort impact, du témoignage en lui-même absolu et non négociable.

« C’est ma vérité, j’en témoigne concrètement devant vous, dans ma vie ou mon malheur et cela, vous le voyez bien, vaut bien plus que toutes les arguties » pourrait-on résumer. Redoutablement efficace. Surtout quand cette stratégie s’accompagne après cela d’une communication vers les élus légitimant le message par la sensibilité du sujet dans l’opinion.

L’art du deal

Sur l’ensemble de ces sujets, les communiquants sont bel et bien aux avant-postes aujourd’hui : le moindre dossier un peu sensible permet d’associer au minimum un spécialiste du lobbying local et/ou national, un expert en études d’opinion, un conseiller medias et plusieurs porte-parole connectés à des groupes d’intérêt. Dans de nombreux cas, le déploiement de ces stratégies aboutit à des deals souvent passés au sein d’alliances contre nature. Par exemple, si l’implantation de jeux d’argent dans un Etat donné suscite l’opposition des communautés religieuses locales, une négociation s’ouvre assez facilement pour, en échange de la neutralité des porte-paroles de la communauté dans les medias, apporter des fonds qui pourront être utilisés à des investissements dans l’éducation.

Et vogue le navire

Un autre exemple d’actualité en cours concerne les activités nautiques. Face à un projet de loi à finalité écologique à l’étude pour créer un permis de navigation, dont le coût est élevé, les lobbies se mobilisent. Ils font valoir que l’industrie nautique américaine reste une des rares industries prospères du pays, que les embarcations particulières ne sont pas les gros navires, que l’activité contribue au respect de l’environnement autour par exemple des activités de pêche (en Floride et en Arizona notamment) mieux que ne saurait l’imposer une loi fédérale. Tout cela avec constance, une grande cohérence et une efficacité telle auprès de l’opinion et des autorités que Washington finit par renoncer.

Il s’agit là d’un point essentiel, manifeste dans le cas des retraites : la communication publique, aux Etats-Unis, sert beaucoup plus à faire échouer les projets qu’à faire avancer les réformes…

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